Conseil d’Etat, 25 mars 2013, n° 364824, département de l’Hérault
Un pouvoir adjudicateur ne peut compléter de lui-même une offre incomplète selon dispositions des articles 35-I, 53-III et 59-I du code des marchés publics. L'offre incomplète doit être déclarée en tant qu'offre irrégulière. Cas d'un BPU qui a été complété par un pouvoir adjudicateur à partir des données du DQE). Les dispositions des articles précités interdisent au pouvoir adjudicateur de modifier ou de rectifier lui-même une offre incomplète, comme telle irrégulière.
Le Conseil d'État précise que l'acheteur ne peut pas modifier ou rectifier lui-même une offre irrégulière. Cette décision délimite clairement le rôle de l'acheteur dans le processus de régularisation des offres. Elle souligne que la régularisation doit être effectuée par le soumissionnaire lui-même, sur demande de l'acheteur, afin de préserver l'égalité de traitement entre les candidats et l'intégrité de la procédure de passation. Selon la décision, les dispositions des articles 35, 53 et 59 du code des marchés publics, alors applicables « interdisent au pouvoir adjudicateur de modifier ou de rectifier lui-même une offre incomplète, comme telle irrégulière ; que, si le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu d’inviter un candidat à préciser ou à compléter une offre irrégulière, il peut toutefois demander à un candidat des précisions sur son offre si celle-ci lui paraît ambiguë ou incertaine, ou l’inviter à rectifier ou à compléter cette offre sans que le candidat puisse alors en modifier la teneur »
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000027225467/
Texte
Conseil d’État
N° 364824
ECLI:FR:CESSR:2013:364824.20130325
Inédit au recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
M. François Lelièvre, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY, avocat(s)
lecture du lundi 25 mars 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 27 décembre 2012 et 10 janvier 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour le département de l’Hérault, représenté par le président du conseil général ; le département de l’Hérault demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’ordonnance n° 1204984 du 12 décembre 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, statuant en application de l’article L551-1 du code de justice administrative sur la demande de la société Signaux Girod Grand Sud, a, d’une part, annulé la procédure d’appel à la concurrence organisée par le département de l’Hérault en vue de l’attribution d’un marché public relatif à la fourniture, la pose et l’entretien de matériels de signalisation et, d’autre part, enjoint au département de l’Hérault, s’il estime opportun d’attribuer à nouveau le marché public, de reprendre la procédure au stade de l’analyse des offres ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Signaux Girod Grand Sud ;
3°) de mettre à la charge de la société Signaux Girod Grand Sud le versement de la somme de 6 000 euros au titre de l’article L761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 mars 2013, présentée pour la société Signaux Girod Grand Sud ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Lelièvre, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du département de l’Hérault, et de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de la société Signaux Girod Grand Sud ,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du département de l’Hérault, et à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de la société Signaux Girod Grand Sud ;
1. Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article L551-1 du code de justice administrative que le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il délègue peut être saisi, avant la conclusion d’un contrat de commande publique ou de délégation de service public, d’un manquement, par le pouvoir adjudicateur, à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ; qu’aux termes de l’article L551-2 du même code : “ Le juge peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations “ ;
2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le département de l’Hérault a lancé une procédure d’appel d’offres en vue de l’attribution d’un marché de fourniture, de pose et d’entretien de matériels de signalisation ; que la commission d’appel d’offres du département de l’Hérault a rejeté l’offre présentée par la société Signaux Girod Grand Sud comme irrégulière au motif que son “ bordereau de prix “ était incomplet ; que le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a, sur le fondement de l’article L551-1 du code de justice administrative, annulé la procédure au motif, d’une part, que l’omission de l’un des prix du “ bordereau des prix unitaires “ résultait d’une “ simple erreur matérielle “ et, d’autre part, que “ le document intitulé “ Détail quantitatif des prix estimatifs “, fourni à l’appui de son offre par la société requérante conformément aux exigences du règlement de consultation, qui reprenait exactement les mêmes postes, était complètement renseigné “ ;
3. Considérant qu’aux termes du I de l’article 35 du code des marchés publics : “ 1° (...) Une offre irrégulière est une offre qui, tout en apportant une réponse au besoin du pouvoir adjudicateur, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l’avis d’appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation (...) “ ; qu’aux termes du III de l’article 53 du même code : “ Les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées. (...) “ ; qu’aux termes du I de l’article 59 du même code : “ Il ne peut y avoir négociation avec les candidats. Il est seulement possible de demander aux candidats de préciser ou de compléter la teneur de leur offre “ ;
4. Considérant que ces dispositions interdisent au pouvoir adjudicateur de modifier ou de rectifier lui-même une offre incomplète, comme telle irrégulière ; que, si le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu d’inviter un candidat à préciser ou à compléter une offre irrégulière, il peut toutefois demander à un candidat des précisions sur son offre si celle-ci lui paraît ambiguë ou incertaine, ou l’inviter à rectifier ou à compléter cette offre sans que le candidat puisse alors en modifier la teneur ;
5. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la société Signaux Girod Grand Sud n’a pas renseigné tous les prix devant figurer au “ bordereau des prix unitaires “ en application du règlement de la consultation ; qu’en se fondant, pour annuler la procédure, sur la circonstance qu’à la lecture d’une autre pièce de l’offre de cette société, intitulée “ Détail quantitatif des prix estimatifs “, le pouvoir adjudicateur disposait de l’ensemble des éléments d’information exigés par le règlement de la consultation, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a implicitement mais nécessairement considéré que le pouvoir adjudicateur pouvait compléter de lui-même l’offre de la société Signaux Girod Grand Sud ; qu’il a ainsi entaché son ordonnance d’une erreur de droit ;
6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, que le département de l’Hérault est fondé à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée ;
7. Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article L821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société Signaux Girod Grand Sud ;
8. Considérant qu’ainsi qu’il a été dit, la société Signaux Girod Grand Sud n’a pas renseigné un des prix devant figurer au “ bordereau des prix unitaires “ faisant obstacle à la détermination du montant de son offre ; que, s’il est soutenu que ce prix pouvait se déduire de ceux énumérés au “ Détail quantitatif estimatif “ présenté par la société, d’une part, ce document n’engageait contractuellement pas celle-ci, d’autre part, le département de l’Hérault n’était, en tout état de cause, pas tenu de procéder à cette déduction ; que, par suite, le moyen unique de la demande, tiré de ce que, en ne retenant pas l’offre, le département aurait méconnu les règles de publicité et de mise en concurrence, ne peut qu’être écarté ;
9. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la demande de la société Signaux Girod Grand Sud doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l’article L761-1 du code de justice administrative ; qu’il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de cette société le versement au département de l’Hérault d’une somme de 4 500 euros au titre de la procédure suivie devant le tribunal administratif de Montpellier et le Conseil d’Etat ;
DECIDE :
Article 1er : L’ordonnance du 12 décembre 2012 du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Signaux Girod Grand Sud devant le tribunal administratif de Montpellier et ses conclusions présentées devant le Conseil d’Etat au titre de l’article L761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société Signaux Girod Grand Sud versera une somme de 4 500 euros au département de l’Hérault en application de l’article L761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au département de l’Hérault, à la société Signaux Girod Grand Sud et à la société Lacroix signalisation.
MAJ 10/04/13 - Source legifrance
Jurisprudence
CE, 16 avril 2018, n° 417235, Collectivité de Corse (Une entreprise qui n’a pas utilisé un BPU modifié par l’acheteur, alors qu'elle en a tenu compte pour rédiger son offre, ne suffit pas pour considérer son offre comme irrégulière. La décision du Conseil d'Etat jette un doute sur les possibilités de "régularisation", l'offre n'ayant pas été considérée comme irrégulière alors qu'elle invite l'acheteur à la régulariser).
CE, 29 mai 2013, n° 366456, CU Marseille Provence Métropole / Comatis (Doit être rejetée une offre irrégulière même si cette offre avait été préalablement analysée, notée puis classée. Société fondée à soutenir que les documents de la consultation étaient entachés d'une imprécision de nature à l'induire en erreur)
CAA Douai, 14 février 2013, n° 12DA01123, Entreprise Georges LANFRY (Un candidat ne peut invoquer l’existence d’un plan préparatoire et non définitif non joint au dossier de consultation pour soutenir l’existence d’une contradiction entre ce plan et les documents de la consultation. Candidat n’ayant pas respecté les exigences formulées par le dossier de consultation : son offre est irrégulière au sens de l’article 35 du code des marchés publics)
CAA Bordeaux, 5 juillet 2012, n° 11BX00828, Cabinet d’assurances AXA A (Marché d’assurance et portée de « précisions » qui, en fait, présentent le caractère de réserves substantielles. Irrégularité d’une offre ne respectant pas les dispositions impératives du règlement de consultation quant au respect des dispositions directives d’une offre de base ainsi que de la présentation différenciée de la solution de base et des variantes)
CE, 30 novembre 2011, n° 353121, Ministre de la défense et des anciens combattants c/ EURL Qualitech (Négociation si l’offre est irrégulière en procédure adaptée – Le pouvoir adjudicateur peut, dans le respect du principe d’égalité de traitement entre les candidats, négocier avec les candidats ayant remis des offres inappropriées, irrégulières ou inacceptables et ne pas les éliminer d’emblée. Remise par le candidat d’un acte d’engagement incomplet. NB : Les offres inappropriées ne peuvent plus désormais faire l’objet de négociations en procédure adaptée, contrairement à ce que prévoyait cette jurisprudence, rendue sous l’empire du code des marchés publics).
CE, 23 novembre 2011, n° 351570, Communauté Urbaine de Nice-Côte d’azur, Mentionné aux tables du recueil Lebon (Un critère de choix des offres en matière de développement durable n’est pas obligatoire. Utilisation possible d’un cadre de réponse pour la présentation des offres. L’irrégularité d’une offre ne s’apprécie que par rapport son respect des exigences des documents de la consultation)
CE, 12 janvier 2011, n° 343324, Département du DOUBS (Le pouvoir adjudicateur a l'obligation d'éliminer une offre incomplète. CCTP qui exigeait de fournir les caractéristiques du matériel affecté pour l'exécution du marché. Il appartient, dans ce cas, au pouvoir adjudicateur de vérifier si les candidats au marché justifient, lors du dépôt de leur offre, qu'ils ont entrepris les démarches suffisantes pour disposer effectivement du matériel nécessaire au commencement de l'exécution du marché. Une entreprise, "qui n’avait fourni qu’un simple devis signé obtenu auprès d’un garage et revêtu de la mention lu et approuvé", ne répond pas à ces conditions).
CE, 23 juin 2010, n° 336910, Commune de CHATEL (L'offre doit respecter les dispositions du règlement de la consultation (RC). Un candidat qui, lors de la présentation de son offre, n’a pas présenté séparément de la solution de base l’option chiffrée imposée le règlement de consultation alors que le règlement de consultation l’exigeait est réputé présenter une offre incomplète et irrégulière qui ne peut dès lors qu’être rejetée par la commission d’appel d’offres.)
CE, Marseille 7 octobre 2005, n° 276867, Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole (pondération)
CE, 29 juin 2005, n°267992, Commune de la Seyne-sur-mer (pondération).
Actualités
Dématérialisation et régularisation des offres papier au 1er octobre 2018. - 13 août 2018.