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Erreur purement matérielle dans les marchés publics

Erreur purement matérielle dans les marchés publics : analyse et jurisprudence

Dans les marchés publics, la gestion des erreurs contenues dans les offres présente des difficultés, tant pour les acheteurs que pour les opérateurs économiques. Parmi ces erreurs, l'erreur purement matérielle occupe une place particulière. Sa rectification, encadrée par la réglementation et une jurisprudence abondante, peut être autorisée sous certaines conditions strictes. Ce document analyse cette notion, en examinant son cadre juridique, ses implications pratiques et des décisions de justice qui ont contribué à en définir les contours.

Définition et caractéristiques de l'erreur purement matérielle

Selon le Conseil d'Etat les erreurs purement matérielles sont "d'une nature telle que nul ne pourrait s'en prévaloir de bonne foi" (CE, 21 septembre 2011, n° 349149).

Autrement dit une erreur purement matérielle se définit comme une erreur involontaire, évidente et manifeste, que ni l'acheteur public ni les autres candidats ne pourraient raisonnablement considérer comme intentionnelle ou faite de mauvaise foi.

Elle se distingue par plusieurs caractéristiques :

1. Son caractère involontaire, l'erreur résulte d'une inattention ou d'une maladresse, non d'une volonté délibérée.

2. Son évidence, l'erreur est flagrante et facilement détectable par un examen attentif de l'offre.

3. Son absence d'impact sur la substance de l'offre, la correction de l'erreur ne modifie pas fondamentalement la nature ou l'économie de la proposition.

4. Sa facilité de correction, l'erreur peut être rectifiée sans nécessiter une réévaluation complète de l'offre.

Cadre juridique et évolution jurisprudentielle

Le principe d'intangibilité des offres après la date limite de dépôt constitue une règle fondamentale du droit des marchés publics. Cependant, la jurisprudence administrative a progressivement reconnu des exceptions pour les erreurs purement matérielles.

Cette évolution s'est faite à travers plusieurs décisions :

  • CAA Marseille, 29 avril 2024, n° 22MA01588 (Ne saurait être regardée comme la correction d'une simple erreur matérielle le fait de recalculer « le prix du devis quantitatif estimatif (DQE), tant de l'offre de la société attributaire que de la société requérante qui lui étaient présentées, sur la base d'une durée de location supérieure à celle prévue dans le cas pratique du cahier des clauses techniques, alors même que le DQE portait sur une location à la journée ».).
  • Conseil d’Etat, 20 juillet 2022, n° 458427 (Dans un contrat de concession, ne saurait être regardée comme une erreur purement matérielle une omission relatives à l'identité du titulaire dès lors que « aucune des informations relatives à l'identité du titulaire de la concession n'ayant été renseignée dans le projet de contrat » alors que ces informations étaient exigées dans le règlement de consultation).

  • CE, 26 novembre 1975, n° 93297, Société Entreprise Py (Pose le principe que le caractère définitif des prix stipulés ne s'applique pas en cas d'erreur purement matérielle évidente. Si le caractère définitif des prix stipulés à un marché s'oppose en principe à toute modification ultérieure par l'une des parties, ce principe ne saurait recevoir application dans le cas exceptionnel où il s'agit d'une erreur purement matérielle et d'une nature telle qu'il est impossible à l'autre partie de s'en prévaloir de bonne foi. Application au cas d'un marché stipulant un prix aberrant pour la fourniture et la mise en oeuvre de gravier. « Si le caractère définitif des prix stipulés à un marché s'oppose en principe à toute modification ultérieure par l'une des parties, ce principe ne saurait recevoir application dans le cas exceptionnel où il s'agit d'une erreur purement matérielle et d'une nature telle qu'il est impossible à l'autre partie de s'en prévaloir de bonne foi. »).
  • CE, 18 mai 1989, n° 81896, Société Fougerolle France (Admet la rectification d'une erreur due à une grossière sous-estimation par le maître d'œuvre. « le devis quantitatif établi en l'espèce par le maître d'oeuvre, lequel était chargé d'une mission complète d'ingénierie, était entaché d'une grossière sous-estimation de la plupart des catégories d'ouvrages »).
  •  CE, 21 mai 1990, n° 79-506, Frédéric Roudet (Rappelle que le cocontractant ne peut demander un supplément de prix pour ses propres erreurs, sauf erreur purement matérielle évidente. « le cocontractant de l'administration ne saurait tirer argument, pour demander un supplément de prix, d'erreurs ou d'omissions qu'il aurait lui-même commises, tant dans les prix que dans la nature des travaux prévus au marché, sauf erreur purement matérielle d'une nature telle qu'il soit impossible au maître de l'ouvrage de s'en prévaloir de bonne foi »).
  •  CAA Nancy, 30 avril 1992,  n° 90NC00357, Société TIBE c/ OPAC de Meurthe et Moselle (Reconnaît une erreur matérielle flagrante dans l'indication d'un prix TTC au lieu d'un prix HT. « la fiche individuelle de prix comprenait un prix taxes comprises identique au prix hors taxe ; que ce dernier étant le résultat de la somme des différents éléments constitutifs de la fiche de calcul, l'erreur, purement matérielle, ne pouvait provenir que de la reproduction erronée sur la ligne relative au prix T.T.C. du montant du prix H.T. ; que le document présentant ces deux totaux sur deux lignes successives, l'erreur matérielle ainsi commise était flagrante et ne pouvait être ignorée ; que l'O.P.A.C.ne pouvait, de bonne foi, compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, soutenir que seul le prix stipulé taxes comprises lui était opposable pour le bâtiment »).
  • CE, 21 septembre 2011, n° 349149, Département des Hauts-de-Seine (Admet la rectification d'une erreur de prix manifeste, considérée comme étant d'une nature telle que nul n'aurait pu s'en prévaloir de bonne foi. « la société a alors indiqué en réponse que ce prix était de 220 euros et non de 22 euros, après l'ajout de la ligne tarifaire omise ; qu'elle a ainsi, comme elle l'indiquait dans sa réponse au département, procédé à la rectification d'une erreur purement matérielle, laquelle était d'une nature telle que nul, notamment pas le département, n'aurait pu ensuite s'en prévaloir de bonne foi dans l'hypothèse où l'offre du groupement dont la société était le mandataire aurait été retenue ; que cette rectification pouvait ainsi intervenir sans méconnaître, en l'espèce, le principe interdisant de modifier l'offre »).
  •  CAA Marseille, 18 mai 2015, n° 13MA01355, Société Gregori Provence (Reconnaît une erreur purement matérielle dans l'indication d'un prix unitaire incohérent dans un bordereau de prix. « l'indication dans le bordereau de prix unitaires du prix de 2 500 euros le m³ pour la démolition d'ouvrages de maçonnerie est imputable à une erreur purement matérielle »).
  • CAA Versailles, 10 décembre 2015, n° 13VE02684, Société PAUL DISCHAMP c/ France Agrimer (Précise les limites de la notion d'erreur matérielle en refusant de qualifier comme telle un prix trois fois inférieur à la valeur réelle. S’agissant de la définition d’un prix aberrant qui serait de nature à caractériser une erreur matérielle, la CAA a considéré qu’un prix n’était pas aberrant dans une hypothèse où le candidat avait indiqué par erreur un prix 3 fois inférieur à la valeur réelle de la prestation.). 

Critères d'appréciation de l'erreur purement matérielle

La jurisprudence a dégagé plusieurs critères permettant d'apprécier si une erreur peut être qualifiée de purement matérielle :

1. L'erreur doit être évidente et facilement détectable par un examen attentif de l'offre.

2. Elle ne doit pas affecter la substance de l'offre ou modifier son économie générale.

3. Sa correction ne doit pas conférer un avantage concurrentiel indu au candidat.

4. L'erreur doit être corrigeable sans nécessiter une réévaluation complète de l'offre.

5. La bonne foi du candidat doit être manifeste, l'erreur ne devant pas résulter d'une manœuvre intentionnelle.

Procédure de rectification

Lorsqu'une erreur purement matérielle est détectée, que ce soit par le candidat ou par l'acheteur, la procédure de rectification doit être menée avec rigueur et transparence :

  •  L'acheteur doit informer les candidats concernés de la découverte d'une erreur potentiellement matérielle. Cette étape est liée au principe de transparence des procédures, un des principes fondamentaux de la commande publique (Article L3 du Code de la commande publique).
  •  L'acheteur peut demander des éclaircissements, à cette fin il peut solliciter des explications auprès du ou des candidats concernés. Cette demande doit respecter le principe d'égalité de traitement. La possibilité est prévue par l'article R2161-5 du Code de la commande publique pour les appels d'offres ouverts, qui permet à l'acheteur de demander aux soumissionnaires de préciser la teneur de leur offre.
  • Toutes les étapes de la procédure de rectification doivent être consignées dans le rapport de présentation du marché pour assurer la traçabilité.

Implications d'une rectification d'une erreur purement matérielle

La possibilité de rectifier une erreur purement matérielle présente des avantages certains, notamment celui d'éviter l'élimination d'offres potentiellement intéressantes pour des erreurs mineures et évidentes.

Cependant, cette flexibilité doit être utilisée avec précaution pour plusieurs raisons :

  • Le risque de contentieux, car une application trop large ou trop restrictive de la notion d'erreur purement matérielle peut donner lieu à des recours de la part des candidats évincés.
  • La rectification ne doit pas rompre l'égalité entre les candidats ou fausser la concurrence ('article L3 du Code de la commande publique).
  • La sécurité juridique, car les acheteurs doivent veiller à ce que leurs décisions en matière de rectification soient cohérentes et conformes à la jurisprudence.
  • L'efficacité économique, car la possibilité de rectification permet d'éviter le rejet d'offres avantageuses pour des erreurs mineures.

Conclusion

La gestion des erreurs purement matérielles dans les marchés publics illustre la recherche d'équilibre entre les principes fondamentaux de la commande publique et les réalités pratiques du terrain. Si la jurisprudence a progressivement admis la possibilité de rectification, elle l'a fait en l'encadrant de conditions strictes visant à préserver l'intégrité et l'égalité de traitement dans les procédures.

Acheteurs et candidats doivent donc rester extrêmement vigilants dans la préparation et l'analyse des offres. La possibilité de rectification ne doit en aucun cas être considérée comme un filet de sécurité systématique, mais plutôt comme une solution exceptionnelle pour des cas d'erreurs manifestes et indiscutables.

Cette approche nuancée permet de concilier la rigueur nécessaire à la bonne gestion des deniers publics avec une certaine souplesse, indispensable pour tenir compte des aléas inhérents à toute procédure complexe.

Jurisprudence

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