Conseil d’Etat, 16 janvier 2012, n° 353629, Département de l’Essonne - Rectification d'une erreur matérielle
La rectification une erreur purement matérielle dans une offre ne peut conduire à sa modification substantielle. Offre irrégulière suite à modification du montant en réponse à une demande de précision, au lieu de simplement corriger une erreur matérielle, violant ainsi le principe d'intangibilité de l'offre
Conditions dans lesquelles une erreur matérielle affectant une offre peut être rectifiée sans méconnaître le principe d'intangibilité des offres. Si le pouvoir adjudicateur peut demander des précisions au candidat pour corriger une erreur purement matérielle, la réponse de ce dernier ne doit pas conduire à modifier substantiellement le montant de son offre. Contexte de l'article 59-I du code des marchés publics de 2006 désormais codifié à l'article R2152-2 du code de la commande publique.
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000025180078/
Résumé
Dans le cadre d'une procédure d'appel d'offres ouvert lancée par le Département de l'Essonne pour un marché de déménagement, la société Bailly Entreprises a vu son offre rejetée comme irrégulière après avoir modifié les coûts horaires de sa prestation de coordination en réponse à une demande de précision du pouvoir adjudicateur. La société a contesté ce rejet devant le juge des référés précontractuels, qui a annulé la procédure. Le Département s'est pourvu en cassation.
Le Conseil d'État rappelle d'abord que selon l'article 59-1 du code des marchés publics de 2006 (désormais codifié à l'article R2152-2 du code de la commande publique), s'il ne peut y avoir de négociation avec les candidats, l'acheteur peut leur demander de "préciser ou compléter la teneur de leur offre". Cette possibilité est strictement encadrée par le principe d'intangibilité des offres qui s'oppose à toute modification de leur montant, sauf dans "le cas exceptionnel où il s'agit de rectifier une erreur purement matérielle, d'une nature telle que nul ne pourrait s'en prévaloir de bonne foi dans l'hypothèse où le candidat verrait son offre retenue".
En l'espèce, la société avait indiqué dans son bordereau de prix unitaires des coûts journaliers au lieu des coûts horaires exigés pour la mission de coordination. Cette erreur était purement matérielle puisqu'elle consistait à ne pas avoir divisé les coûts journaliers par le nombre d'heures de travail indiqué dans le cahier des clauses particulières. Le département était donc fondé à demander des précisions.
Cependant, au lieu de se borner à cette simple correction arithmétique, la société a proposé de nouveaux coûts horaires "d'un montant systématiquement supérieur à ceux qui auraient résulté de cette division". Elle a ainsi procédé à une véritable modification de son offre, excédant la simple rectification d'une erreur matérielle et méconnaissant le principe d'intangibilité des offres. Le rejet de son offre comme irrégulière était donc justifié.
Cette décision s'inscrit dans une jurisprudence sur la portée du principe d'intangibilité des offres, qui n'admet d'exception que pour corriger des erreurs purement matérielles dont le candidat ne pourrait se prévaloir de bonne foi. Elle illustre également l'importance pour les candidats de respecter strictement les exigences formelles des documents de la consultation, le juge rejetant l'argument selon lequel les précédents marchés admettaient des prix journaliers.
Texte
[...]
Considérant qu'aux termes du I de l'article 59 du code des marchés publics : Il ne peut y avoir de négociation avec les candidats. Il est seulement possible de demander aux candidats de préciser ou de compléter la teneur de leur offre. ; que si ces dispositions s'opposent en principe à toute modification du montant de l'offre à l'initiative du candidat ou du pouvoir adjudicateur, ce principe ne saurait recevoir application dans le cas exceptionnel où il s'agit de rectifier une erreur purement matérielle, d'une nature telle que nul ne pourrait s'en prévaloir de bonne foi dans l'hypothèse où le candidat verrait son offre retenue ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le bordereau des prix unitaires que les candidats devaient compléter et produire à l'appui de leur offre comportait une partie consacrée aux coûts horaires d'intervention d'un coordonnateur proposés par les candidats pour la période du lundi au vendredi, pour la journée du samedi, pour les dimanches et jours fériés et pour les nuits ; que, dans son offre initiale, la société Bailly Entreprises a mentionné un coût de 220 euros du lundi au vendredi, de 275 euros pour le samedi et de 385 euros pour les dimanches et jours fériés ainsi que pour les horaires de nuit ; que la mention de ces coûts a résulté d'une erreur purement matérielle ayant consisté pour la société à indiquer comme coûts horaires des coûts journaliers, calculés en fonction des durées de travail et des périodes d'intervention potentielles de 9h30 pour la journée et de 9h pour la nuit indiquées à l'article 5.1 du cahier des clauses particulières, dont la société n'aurait pu ensuite se prévaloir de bonne foi dans l'hypothèse où son offre aurait été retenue ;
Considérant que, décelant cette erreur, le DEPARTEMENT DE L'ESSONNE a adressé à la société Bailly Entreprises une demande de précision sur le fondement des dispositions du I de l'article 59 du code des marchés publics, afin de savoir si elle confirmait les prix relatifs au coût horaire d'un coordonnateur ; qu'en réponse à cette demande, la société ne s'est cependant pas bornée, comme il lui appartenait de le faire, à indiquer les coûts horaires qui résultaient avec évidence de la seule correction de l'erreur purement matérielle affectant son offre - en l'espèce ramener les coûts journaliers à des coûts horaires en divisant les coûts journaliers initialement indiqués par le nombre potentiel d'heures de travail indiqué à l'article 5.1 du cahier des clauses particulières - mais a proposé de nouveaux coûts horaires d'un montant systématiquement supérieur à ceux qui auraient résulté de cette division ; qu'en proposant ces nouveaux coûts, la société Bailly Entreprises n'a donc pas procédé à la rectification d'une erreur purement matérielle mais a modifié le montant de son offre, en méconnaissance du principe d'intangibilité de l'offre et des dispositions du I de l'article 59 du code des marchés publics ; que la société Bailly Entreprises ne saurait par ailleurs se prévaloir utilement, à l'appui de sa contestation de la procédure de passation du présent marché, de ce que, dans le cadre de précédents marchés conclus par le même département pour le même type de prestations, les prix proposés par les candidats étaient des prix journaliers et non des prix horaires ; que, par suite, la société Bailly Entreprises n'est pas fondée à soutenir que le DEPARTEMENT DE L'ESSONNE a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en rejetant son offre comme irrégulière ; que sa demande doit dès lors être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
[...]
MAJ 30/01/12 - Source Légifrance
Jurisprudence
CAA Toulouse, 9 juillet 2024, n° 22TL21561 (Modification substantielle du CCTP en MAPA. Une négociation en procédure adaptée, ne doit pas engendrer une modification substantielle du cahier des charges rendant l’offre irrégulière dès lors que les variantes sont interdites).
TA Bordeaux, 4 juillet 2024, n° 2403635 (Erreur de « tiroir numérique » sur la plateforme de dématérialisation PLACE, une fois de plus. Société ayant déposé son offre dans le mauvais "tiroir numérique" sur la plateforme PLACE. Le juge a considéré qu'elle n'avait pas été induite en erreur par les mentions erronées du règlement de la consultation. Le juge a également rappelé que le pouvoir adjudicateur n'a pas à vérifier ou rectifier une éventuelle erreur d'un candidat dans le dépôt de son offre. La seule circonstance que le lien mentionné était inactif ne peut être regardé comme une mention erronée de nature à avoir induit en erreur la requérante dès lors que ce lien inexistant ne pouvait orienter la candidate vers un autre " tiroir numérique ", c'est-à-dire vers une fenêtre correspondant à un autre marché).
TA Paris, 24 janvier 2024, n° 2400734 (Erreur de tiroir numérique. Dans une décision rendue le 24 janvier 2024, le TA de Paris confirme que l'acheteur public n'est pas tenu de rectifier une erreur de dépôt d'offre dans un mauvais tiroir numérique d'une plateforme de dématérialisation, même à la demande du candidat. Dans le cadre des procédures de passation dématérialisées des marchés publics, la responsabilité du bon dépôt de l'offre incombe entièrement au candidat. L'acheteur public n'a pas d'obligation légale ou jurisprudentielle de rectifier une erreur de dépôt dans un mauvais tiroir numérique, même sur demande du candidat ou avec l'accord de l'autre acheteur concerné. En l'espèce la société candidate ayant déposé son offre dans le tiroir numérique d'une autre consultation, l'acheteur public était en droit de ne pas la prendre en compte, malgré la demande de la société et l'accord de l'autre acheteur pour transférer l'offre. Le juge des référés a donc rejeté la demande de la société visant à faire reprendre la procédure au stade de l'ouverture des plis).
CE, 1er juin 2023, n° 469127, Communauté d’agglomération de la région de Château Thierry (Erreur de « tiroir numérique » sur la plateforme de dématérialisation : clarification des obligations de l'acheteur. Le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu d’informer un candidat que son offre a été déposée dans le cadre d’une autre consultation que celle à laquelle il voulait postuler. Le pouvoir adjudicateur ne peut rectifier de lui-même l’erreur de dépôt, sauf si cette erreur résulte d'un dysfonctionnement du profil d’acheteur).
CE, 20 décembre 2019, n° 419993, communauté de communes de Sélestat (L'article L1411-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors applicable, permet à la personne publique délégante de négocier librement les offres des candidats, mais ne l'autorise pas à modifier ou à compléter de sa propre initiative et unilatéralement une offre dont elle estimerait que les prestations ne respectent pas les caractéristiques quantitatives et qualitatives qu'elle a définies. Modification substantielle d'une offre par la personne publique dans un contrat de délégation de service public).
CAA Douai, 17 janvier 2013, n° 12DA00594, préfet de la région Nord-Pas-de-Calais (L'intégration par un candidat de prestations non demandées dans son offre n'est pas une erreur purement matérielle autorisant la modification d'une offre par le pouvoir adjudicateur).
CE, 8 mars 1996, n° 133198, M. PELTE (Dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres, Seules de simples précisions ou compléments peuvent être demandés)