Tribunal administratif de Paris, 24 janvier 2024, n° 2400734 – Erreur de tiroir numérique
Dans une décision rendue le 24 janvier 2024, le TA de Paris confirme que l'acheteur public n'est pas tenu de rectifier une erreur de dépôt d'offre dans un mauvais tiroir numérique d'une plateforme de dématérialisation, même à la demande du candidat.
Dans le cadre des procédures de passation dématérialisées des marchés publics, la responsabilité du bon dépôt de l'offre incombe entièrement au candidat. L'acheteur public n'a pas d'obligation légale ou jurisprudentielle de rectifier une erreur de dépôt dans un mauvais tiroir numérique, même sur demande du candidat ou avec l'accord de l'autre acheteur concerné.
En l'espèce la société candidate ayant déposé son offre dans le tiroir numérique d'une autre consultation, l'acheteur public était en droit de ne pas la prendre en compte, malgré la demande de la société et l'accord de l'autre acheteur pour transférer l'offre. Le juge des référés a donc rejeté la demande de la société visant à faire reprendre la procédure au stade de l'ouverture des plis.
Cette décision s'inscrit dans la continuité
de la jurisprudence administrative en matière de dématérialisation des
procédures de passation des marchés publics. Elle confirme la rigueur
exigée des candidats dans l'utilisation des plateformes électroniques,
tout en limitant les obligations des acheteurs publics.
Résumé
Le Tribunal administratif de Paris, dans son ordonnance du 24 janvier 2024, apporte des précisions sur les obligations des acheteurs publics en matière de dépôt électronique des offres, notamment concernant les erreurs de dépôt dans le mauvais "tiroir numérique" d'une plateforme de dématérialisation.
Contexte et faits de l'espèce
Le ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a lancé un appel d'offres ouvert pour la fourniture de prestations d'exploitation et d'administration de serveurs informatiques.
La société Antarès a déposé son offre dans les délais impartis sur la plateforme PLACE, mais dans le tiroir numérique d'une autre consultation, lancée par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA).
Le ministère n'a pas pris en compte la candidature et l'offre d'Antarès.
La société a alors saisi le juge des référés précontractuels sur le fondement de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative, demandant la reprise de la procédure au stade de l'ouverture des plis.
Problème juridique
La question centrale posée au tribunal est la suivante : l'acheteur public est-il tenu de prendre en compte une offre déposée par erreur dans le mauvais tiroir numérique de la plateforme de dématérialisation, lorsque le candidat en fait la demande et que l'acheteur de l'autre consultation y consent ?
Motifs de la décision
Le tribunal répond par la négative, en s'appuyant sur plusieurs arguments :
1. Absence d'obligation d'information : "Aucune disposition ni aucun principe n'impose au pouvoir adjudicateur d'informer un candidat que son offre a été déposée dans le cadre d'une autre consultation que celle à laquelle il voulait postuler" (considérant 4).
2. Impossibilité de rectification d'office, car l'acheteur "ne peut rectifier de lui-même l'erreur de dépôt ainsi commise, sauf dans l'hypothèse où il serait établi que cette erreur résulterait d'un dysfonctionnement de la plateforme de l'acheteur public" (considérant 4).
3. Absence d'obligation de rectification sur demande, car "Le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu de rectifier l'offre de dépôt d'un candidat, quand bien même celui-ci le lui aurait demandé, a fortiori lorsque les profils acheteurs des deux consultations et les dates limites de remise des offres ne sont pas identiques" (considérant 5).
4. Absence d'effet juridique de l'autorisation de l'autre acheteur. Le fait que le CEA ne s'oppose pas au transfert de l'offre n'oblige pas le ministère à prendre en compte la candidature et l'offre d'Antarès (considérant 6).
Points à retenir
1. L'acheteur n'a pas d'obligation d'informer un candidat d'une erreur de dépôt dans un mauvais tiroir numérique.
2. L'acheteur ne peut rectifier de lui-même une telle erreur, sauf dysfonctionnement de sa plateforme.
3. L'acheteur n'est pas tenu de rectifier l'erreur même sur demande du candidat.
4. En cas de dépôt sur le profil d'un autre acheteur, l'accord de ce dernier pour transférer l'offre n'oblige pas l'acheteur initial à la prendre en compte.
5. La responsabilité du bon dépôt de l'offre incombe entièrement au candidat.
Texte
[…]
1. Par un avis de marché publié au Bulletin officiel des annonces de marchés publics le 26 octobre 2023, le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert relative à la passation d'un marché de fourniture de prestations d'exploitation et d'administration des serveurs informatiques de la sous-direction de l'informatique des services centraux du Secrétariat général des ministères économiques et financiers. Cette consultation est référencée sous le numéro LLTR-11-2023. La société Antarès a déposé son offre dans le délai de réception imparti sur la plateforme dédiée PLACE mais, par erreur, dans un tiroir numérique dédié à une autre consultation, lancée par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et référencée B23-10075-C, dont la date limite de remise des offres est postérieure de cinquante-deux jours à celle de la consultation LLTR-11-2023. Le ministère chargé de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'a pas pris en compte la candidature et l'offre de la société Antarès pour le marché en litige. La société Antarès demande au ministère chargé de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique de reprendre la procédure de passation au stade de l'ouverture des candidatures et des offres, en tenant compte des siennes.
[...]
3. Aux termes de l'article R2132-3 du code de la commande publique : " Le profil d'acheteur est la plateforme de dématérialisation permettant notamment aux acheteurs de mettre les documents de la consultation à disposition des opérateurs économiques par voie électronique et de réceptionner par voie électronique les documents transmis par les candidats et les soumissionnaires. () ".
4. D'une part, aucune disposition ni aucun principe n'impose au pouvoir adjudicateur d'informer un candidat que son offre a été déposée dans le cadre d'une autre consultation que celle à laquelle il voulait postuler et, d'autre part, il ne peut rectifier de lui-même l'erreur de dépôt ainsi commise, sauf dans l'hypothèse où il serait établi que cette erreur résulterait d'un dysfonctionnement de la plateforme de l'acheteur public.
5. Il résulte de ce qui précède que le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu de rectifier l'offre de dépôt d'un candidat, quand bien même celui-ci le lui aurait demandé, a fortiori lorsque les profils acheteurs des deux consultations et les dates limites de remise des offres ne sont pas identiques.
6. Pour les motifs qui viennent d'être exposés au point précédent, la société Antarès n'est pas fondée à soutenir que le ministère chargé de l'économie et des finances aurait manqué à ses obligations de mise en concurrence en ne prenant pas en compte la candidature et l'offre qu'elle a présentées dans un tiroir numérique correspondant à un autre marché que celui en litige, alors même que le Commissariat à l'énergie atomique, pouvoir adjudicateur de cet autre marché, ne s'oppose pas à ce que son offre soit transférée par PLACE sur le profil acheteur du ministère chargé de l'économie et des finances.
[...]
ORDONNE
Article 1er : La requête de la société Antarès est rejetée.
MAJ 15/02/24
Jurisprudence
TA Bordeaux, 4 juillet 2024, n° 2403635 (Erreur de « tiroir numérique » sur la plateforme de dématérialisation PLACE, une fois de plus. Société ayant déposé son offre dans le mauvais "tiroir numérique" sur la plateforme PLACE. Le juge a considéré qu'elle n'avait pas été induite en erreur par les mentions erronées du règlement de la consultation. Le juge a également rappelé que le pouvoir adjudicateur n'a pas à vérifier ou rectifier une éventuelle erreur d'un candidat dans le dépôt de son offre. La seule circonstance que le lien mentionné était inactif ne peut être regardé comme une mention erronée de nature à avoir induit en erreur la requérante dès lors que ce lien inexistant ne pouvait orienter la candidate vers un autre " tiroir numérique ", c'est-à-dire vers une fenêtre correspondant à un autre marché).
CE, 1er juin 2023, n° 469127, Communauté d’agglomération de la région de Château Thierry (Erreur de « tiroir numérique » sur la plateforme de dématérialisation : clarification des obligations de l'acheteur. Le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu d’informer un candidat que son offre a été déposée dans le cadre d’une autre consultation que celle à laquelle il voulait postuler. Le pouvoir adjudicateur ne peut rectifier de lui-même l’erreur de dépôt, sauf si cette erreur résulte d'un dysfonctionnement du profil d’acheteur).
CE, n° 449250, 23 septembre 2021, RATP (Le Conseil d’État modère la règle posée par l'article R2151-5 du code de la commande publique selon laquelle les offres reçues hors délai sont éliminées. Si le problème technique n'est imputable ni au dysfonctionnement de l'équipement informatique du candidat, ni à une faute ou une négligence de sa part dans le téléchargement des documents constituant son offre il appartient à l'acheteur public d'établir le bon fonctionnement de sa plateforme de dépôt).
Actualités
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