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La spécification par des documents de la consultation d’un logiciel libre particulier, alors que le marché ne consiste pas en la fourniture d'un logiciel mais en des prestations d'adaptation, d'installation et de maintenance du logiciel n’a pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques.
Pour l'application du IV de l'article 6 du Code des marchés publics (désormais codifié à l'article R2122-3 du Code de la commande publique), il y a lieu, s'agissant des marchés de services, d'examiner si la spécification technique a ou non pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques puis, dans l'hypothèse seulement d'une telle atteinte à la concurrence, si cette spécification est justifiée par l'objet du marché ou, si tel n'est pas le cas, si une description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle.
En l'espèce, les prestations faisant l'objet du marché de services consistaient en l'intégration et l'adaptation aux besoins de la collectivité d'une solution logicielle qui, eu égard à son caractère de logiciel libre, était librement et gratuitement accessible et modifiable par l'ensemble des entreprises spécialisées qui étaient ainsi toutes à même de l'adapter aux besoins de la collectivité et de présenter une offre indiquant les modalités de cette adaptation. La spécification par les documents de la consultation d'un logiciel libre ne confère pas d'avantage concurrentiel à une société co-conceptrice et copropriétaire de ce logiciel, alors que toute entreprise spécialisée dans l'installation de logiciels de ce type avait la capacité d'adapter ce logiciel aux besoins spécifiés.
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000025822155/
Résumé
De manière générale, la mention d'un produit ou d'une marque spécifique dans les spécifications techniques d'un marché public est susceptible de restreindre la concurrence.
Toutefois, dans le cas des marchés de services informatiques portant sur l'adaptation et la maintenance d'un logiciel libre, une telle mention peut être admise dès lors que :
Dans ces conditions, la mention du logiciel libre n'a pas pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques et ne méconnaît donc pas les règles de mise en concurrence.
En l'espèce, la mention du logiciel libre Lilie dans le marché de services de la Région Picardie n'avait pas d'effet discriminatoire car toute entreprise spécialisée pouvait y accéder et l'adapter aux besoins de la collectivité.
La Région Picardie a lancé un appel d'offres ouvert pour un marché de services visant à mettre en œuvre, exploiter, maintenir et héberger une plateforme de service basée sur la solution open source d'espace numérique de travail (ENT) "Lilie" pour les lycées de Picardie.
Deux sociétés spécialisées dans l'édition de logiciels d'ENT, Kosmos et Itop, ont contesté cette procédure, estimant que l'imposition du logiciel Lilie méconnaissait les règles de mise en concurrence.
Le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a annulé la procédure de passation et enjoint à la Région de la reprendre intégralement si elle souhaitait conclure ce marché.
La Région Picardie s'est pourvue en cassation contre cette ordonnance devant le Conseil d'État.
Le Conseil d'État rappelle les conditions de recevabilité du référé précontractuel prévues à l'article L. 551-10 du code de justice administrative :
"Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué".
En l'espèce, le Conseil d'État juge que les sociétés Itop et Kosmos, "en leur qualité de sociétés spécialisées dans la mise en œuvre de solutions numériques pour les établissements d'enseignement, ont vocation à exécuter les prestations de services objet du marché et justifient donc d'un intérêt à conclure le contrat".
Elles sont donc recevables à agir en référé précontractuel.
Le Conseil d'État rappelle les dispositions du IV de l'article 6 du code des marchés publics, qui interdisent en principe les spécifications techniques faisant référence à une marque ou un produit particulier, sauf exceptions :
"Les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d'un mode ou procédé de fabrication particulier ou d'une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, dès lors qu'une telle mention ou référence aurait pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits. Toutefois, une telle mention ou référence est possible si elle est justifiée par l'objet du marché ou, à titre exceptionnel, dans le cas où une description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle et à la condition qu'elle soit accompagnée des termes : "ou équivalent"."
Le Conseil d'État précise la méthode d'analyse à suivre pour les marchés de services :
Le Conseil d'État considère que le juge des référés a commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en jugeant que la mention du logiciel Lilie avait un effet discriminatoire.
En effet, le Conseil d'État relève que :
Le Conseil d'État en conclut que la mention du logiciel Lilie dans les spécifications techniques n'avait pas pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs, et ne méconnaissait donc pas l'article 6 du code des marchés publics.
Cette décision apporte plusieurs précisions :
Cette décision ouvre ainsi la voie à la mention de logiciels libres dans les cahiers des charges, sans que cela soit considéré comme une atteinte à la concurrence, dès lors que l'objet du marché porte sur des prestations de services (adaptation, maintenance) et non sur la fourniture du logiciel lui-même.
Texte
[...]
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 22 février 2011, la REGION PICARDIE a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution d'un marché de services ayant pour objet " la mise en oeuvre, l'exploitation, la maintenance et l'hébergement d'une plateforme de service pour la solution " open source " d'espace numérique de travail (ENT) " Lilie " à destination des lycées de Picardie " ; que, par courriers des 21 et 23 mars 2011, les sociétés Kosmos et Itop, qui exercent une activité d'éditeur de logiciel d'espace numérique de travail, ont informé la REGION PICARDIE de leur intention de demander l'annulation de la procédure si la région ne se conformait pas à ses obligations de mise en concurrence, lesquelles faisaient selon elles obstacle à ce que l'appel d'offres lancé par la région imposât aux candidats le seul logiciel " Lilie " ; que la REGION PICARDIE, poursuivant la procédure, après avoir constaté que l'offre déposée par la société Atos Origin était irrégulière et que celle déposée par la société Logica, copropriétaire du logiciel " Lilie ", comportait des prix trop élevés ou incohérents, a cependant engagé des négociations avec ces deux sociétés en application des dispositions de l'article 35-I-1° du code des marchés publics ; que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a annulé l'ensemble de la procédure et enjoint à la REGION PICARDIE, si elle entendait conclure le marché, de la reprendre dans son intégralité ;
Considérant qu'aux termes du IV de l'article 6 du code des marchés publics : " Les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d'un mode ou procédé de fabrication particulier ou d'une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, dès lors qu'une telle mention ou référence aurait pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits. Toutefois, une telle mention ou référence est possible si elle est justifiée par l'objet du marché ou, à titre exceptionnel, dans le cas où une description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle et à la condition qu'elle soit accompagnée des termes : " ou équivalent ". " ; que, s'agissant des marchés de services, il y a lieu, pour l'application de ces dispositions, d'examiner si la spécification technique en cause a ou non pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques puis, dans l'hypothèse seulement d'une telle atteinte à la concurrence, si cette spécification est justifiée par l'objet du marché ou, si tel n'est pas le cas, si une description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que les prestations objet du marché de services litigieux consistaient en l'intégration et l'adaptation aux besoins de la REGION PICARDIE de la solution logicielle d'espace numérique de travail (ENT) " Lilie ", laquelle, eu égard à son caractère de logiciel libre, était librement et gratuitement accessible et modifiable par l'ensemble des entreprises spécialisées dans la réalisation d'espaces numériques de travail à destination des établissements d'enseignement qui étaient ainsi toutes à même de l'adapter aux besoins de la collectivité et de présenter une offre indiquant les modalités de cette adaptation ; que, par suite, en jugeant que la spécification par les documents de la consultation du logiciel libre " Lilie " avait pour effet d'éliminer le déploiement de toute autre solution logicielle, alors que le marché litigieux ne consistait pas en la fourniture d'un logiciel mais en des prestations d'adaptation, d'installation et de maintenance du logiciel " Lilie " que la REGION PICARDIE avait pu librement et gratuitement se procurer, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a commis une erreur de droit ; qu'il a en outre dénaturé les pièces du dossier en estimant que la mention du logiciel " Lilie " conférait un avantage concurrentiel à la société Logica en sa qualité de co-concepteur et copropriétaire de ce logiciel, alors que toute entreprise spécialisée dans l'installation de logiciels supports d'espaces numériques de travail pour les établissements d'enseignement avait la capacité d'adapter ce logiciel aux besoins de la REGION PICARDIE ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la REGION PICARDIE est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;
Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre des procédures de référé engagées par les sociétés Itop et Kosmos ;
Considérant, en premier lieu, que les sociétés Itop et Kosmos, en leur qualité de sociétés spécialisées dans la mise en oeuvre de solutions numériques pour les établissements d'enseignement, ont vocation à exécuter les prestations de services objet du marché et justifient donc d'un intérêt à conclure le contrat ; que, par suite, elles sont recevables à agir par la voie du référé précontractuel à l'encontre de la procédure de passation litigieuse ;
Considérant, en second lieu, qu'eu égard à la nature de marché de services, et non de fournitures, du marché litigieux, les sociétés Itop et Kosmos ne sauraient utilement soutenir que la mention de la solution logicielle " Lilie " a eu pour effet de favoriser ou d'éliminer d'autres solutions logicielles ; qu'il résulte en outre de l'instruction que la mention du logiciel " Lilie ", en raison du caractère de logiciel libre que celui-ci présente et qui le rend librement et gratuitement modifiable et adaptable aux besoins de la collectivité par toute entreprise spécialisée dans l'installation de logiciels supports d'espaces numériques de travail, ne peut être regardée ni comme ayant pour effet de favoriser la société Logica qui a participé à sa conception et en est copropriétaire ni comme ayant pour effet d'éliminer des entreprises telles que les sociétés requérantes qui, tout en ayant entrepris de développer leurs propres solutions logicielles, sont spécialisées dans l'installation d'espaces numériques de travail à destination des établissements d'enseignement et disposent des compétences requises pour adapter le logiciel libre " Lilie " aux besoins de la REGION PICARDIE ; que, par suite, les sociétés Itop et Kosmos ne sont pas fondées à soutenir qu'en mentionnant comme spécification technique du marché le recours à ce seul logiciel libre, la REGION PICARDIE a méconnu les dispositions du IV de l'article 6 du code des marchés publics ; que, dès lors, les sociétés Itop et Kosmos ne sont pas fondées à demander l'annulation de la procédure de passation litigieuse ;
[...]
MAJ 15/10/11 - Source legifrance
Textes
décret n° 2006-1763 du 23 décembre 2006 relatif à la répression pénale de certaines atteintes portées au droit d'auteur et aux droits voisins.
Loi DADVSI (loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information NOR: MCCX0300082L)
Art. L.111-1 du code de la propriété intellectuelle (Droits de l'auteur - Droits moraux et patrimoniaux)
Art. L. 122-6-1 du code de la propriété intellectuelle (Exception de décompilation)
art. L 131-3 du code de la propriété intellectuelle (Transmission des droits de l'auteur)
Art. L 331-5 du Code de la Propriété Intellectuelle (Mesures Techniques de Protection - MTP, DRM Digital Rights Management - DRM)
Jurisprudence
CAA Paris, 11 décembre 2018, n° 17PA01588, Société Steam France (Protection de droits d’exclusivité et certificat d’exclusivité dans les marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence. Certificat d'exclusivité : un document insuffisant pour justifier une procédure dérogatoire La Cour administrative d'appel de Paris précise, dans cette décision, les exigences en matière de preuve des droits exclusifs justifiant une dérogation aux principes de publicité et de mise en concurrence, tout en veillant à préserver la continuité du service public hospitalier).
CE, 2 octobre 2013, n° 368846, Département de l’Oise / Sté Itslearning France (Procédure négociée sans mise en concurrence de l’article 35-II 8° du code des marchés publics tenant à la protection de droits d’exclusivité pour l’exploitation et la maintenance d’un espace numérique de travail. Justification des droits d’exclusivité sur le logiciel par un certificat délivré par l’Agence pour la protection des programmes (APP) et une attestation non contestée émanant de la société éditrice, cette exclusivité englobant l’exploitation et la maintenance d’un logiciel)
Actualités
Le Conseil d’Etat clarifie l’interprétation de la loi DAVSI en ce qu’un logiciel libre qui contourne une mesure de protection aux fins de permettre l'interopérabilité de systèmes informatiques ne constitue pas un dispositif portant atteinte aux mesures de protection. Il en profite pour rappeler l'exception de décompilation (sous certaines conditions) destinée à permettre le développement de logiciels libres – 8 aout 2008