Conseil d’Etat, 2 octobre 2013, n° 368846, Département de l’Oise / Sté Itslearning France - Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Procédure négociée sans mise en concurrence de l’article 35-II 8° du code des marchés publics tenant à la protection de droits d’exclusivité pour l’exploitation et la maintenance d’un espace numérique de travail. Justification des droits d’exclusivité sur le logiciel par un certificat délivré par l’Agence pour la protection des programmes (APP) et une attestation non contestée émanant de la société éditrice, cette exclusivité englobant l’exploitation et la maintenance d’un logiciel.
Le juge du référé précontractuel exerce sur le choix que fait le pouvoir adjudicateur, lorsqu'il procède à la définition de son besoin, de l'objet même de la commande qui donne lieu à la passation du marché, un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation.
En l'espèce, pas d'erreur manifeste d'appréciation du pouvoir adjudicateur à choisir de conserver un espace numérique de travail précédemment mis en place et de lancer une procédure de passation d'un marché public afin de répondre au besoin d'assurer son exploitation et sa maintenance, plutôt que de changer de dispositif et de passer un marché pour en acquérir un nouveau.
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000028026566
Résumé
Dans sa décision n° 368846 du 2 octobre 2013 le Conseil d’Etat applique les dispositions relatives des procédures négociées sans publicité ni mise en concurrence du 8° du II de l'article 35 du code des marchés publics en s'appuyant sur les droits d'exclusivité.
Le marché initial lancé par le département de l'Oise avait été attribué à la société France Télécom en 2009, qui incluait dans son offre le logiciel “ NetCollège “ de la société Itop. Le département a ensuite lancé le 10 avril 2013 une consultation ayant pour objet l’exploitation et la maintenance de l’espace numérique de travail en cause, selon une procédure négociée sans publicité préalable ni mise en concurrence. Le TA d’Amiens, ayant annulé la procédure suite à un référé précontractuel de la société Itslearning France, le département s'est alors pourvu en cassation.
Les exigences relatives aux procédures négociées sans publicité préalable ni mise en concurrence
Rappelons que les dispositions du 8° du II de l'article 35 du code des marchés publics exigent le respect de deux conditions :
- l'existence de raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité,
- mais également il faut que ces raisons rendent indispensable l’attribution du marché à un prestataire déterminé.
Un certificat de l'APP et une attestation d'exclusivité du titulaire des droits sont admises
Au titre des droits d'exclusivité visés à 'article 35 du CMP, le Conseil d’Etat en l'espèce valide que suffisent :
- "un certificat délivré par l’Agence pour la protection des programmes", concluant alors que "la société Itop détient des droits d’exclusivité sur le logiciel,
- et "une attestation" de la même société, "cette exclusivité englobe l’exploitation et la maintenance de NetCollège pour tout marché et toute reconduction de marché à compter du 1er janvier 2013 "
Les marchés de maintenance en matière de logiciels et les prix du marché
L'attestation d'exclusivité du prestataire
Cette intéressante décision semble valider la pratique couramment utilisée pour les marchés de maintenance de logiciels passés notamment sur le fondement de la procédure négociée sans publicité préalable ni mise en concurrence. Si certains acheteurs ne prennent aucune précaution lors de la passation de tels types marchés, nombre d'entre eux exigent des opérateurs économiques une attestation précisant l'étendue des droits dont ils disposent et notamment l'exclusivité sur le logiciel.
Une solution qui n'est pourtant pas toujours justifiée économiquement
Contrairement à ce que l'on pourrait penser la solution qui consiste à confier systématiquement la maintenance d'un logiciel applicatif au titulaire des droits n'est pas forcément intéressante sur le plan financier. En effet, si l'idée est facile à mettre en oeuvre et constitue une solution de facilité elle peut s'avérer coûteuse à moyen terme.
L'utilisation et donc la maintenance d'un logiciel existant, si elle apporte un confort à l'acheteur, lui coûte cependant très cher. La totale dépendance vis à vis de l'opérateur économique est là pour lui rappeler.
La fin, à terme, des rentes de situation en matière de maintenance de logiciels applicatifs ?
L'expérience montre, dans certaines situations, finalement relativement courantes, qu'il il est nettement plus intéressant (malgré certains inconvénients) de procéder à une remise en concurrence globale et notamment sur les logiciels initiaux. Il s'agit, plutôt que ne consulter pour des prestations de maintenance qui ont une fâcheuse tendance à l'inflation malgré le contexte économique, de procéder à une remise en concurrence sur le logiciel applicatif tout en intégrant de la maintenance.
Généralement l'acheteur aura d'heureuses surprises ou avantages à savoir :
- Passer un marché sur une durée suffisante de quelques années ; l'acquisition ajoutée à la maintenance peut s'avérer inférieure en montant à la seule acquisition de maintenance (c'est courant dès que la durée du marché dépasse 4 années). Cela surprend toujours les acheteurs qui s'estiment généralement en position "d'infériorité" par rapport aux prestataires.
- Une véritable position d'acheteur contrairement à une situation de demandeur qui accepte les conditions unilatérales du prestataire. Ceci sous-entend une définition des besoins et une procédure de passation suffisamment anticipée pour la reprise des données éventuelle et autres prestations sensibles.
- Une véritable mise en concurrence qui évite une position de prestataires qui se trouvent "en pays conquis". Il arrive fréquemment que le titulaire en place doive accepter de fortes concessions financières compte tenu de la mise en concurrence.
Il est intéressant de constater que de plus en plus d'acheteurs (collectivités territoriales notamment) tendent à remettre en cause une rente de situation qu'ils connaissent parfaitement mais dont les restrictions budgétaires mettent désormais en évidence.
Texte
[…]
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du référé précontractuel que le département de l'Oise a attribué en 2009 le marché de la fourniture, de la mise en oeuvre et du déploiement d'un " espace numérique de travail " dans les collèges publics de l'Oise à la société France Télécom, qui incluait dans son offre le logiciel " NetCollège " de la société Itop ; que le département a lancé le 10 avril 2013 une consultation ayant pour objet l'exploitation et la maintenance de l'espace numérique de travail en cause, selon une procédure négociée sans publicité préalable ni mise en concurrence ; que, par l'ordonnance attaquée, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif d'Amiens, saisi par la société Itslearning France et statuant en application des articles L. 551-1 et suivants du code de justice administrative, a annulé cette procédure ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du référé que, conformément à un certificat délivré par l'Agence pour la protection des programmes, la société Itop détient des droits d'exclusivité sur le logiciel " NetCollège " et que, selon une attestation non contestée émanant de cette société, cette exclusivité englobe l'exploitation et la maintenance de " NetCollège " pour tout marché et toute reconduction de marché à compter du 1er janvier 2013 ; qu'ainsi, en se bornant à relever qu'aucun motif tenant à la protection des droits attachés au logiciel " NetCollège ", ne permettait au département de l'Oise de soutenir que le marché en cause ne pouvait être confié qu'à un prestataire déterminé pour des raisons tenant à la protection de droits d'exclusivité au sens du II de l'article 35 du code des marchés publics, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif d'Amiens a dénaturé les faits qui lui étaient soumis ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, l'ordonnance attaquée doit être annulée ;
5. Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société Itslearning France ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 5 du code des marchés publics : " I. - La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant tout appel à la concurrence ou toute négociation non précédée d'un appel à la concurrence (...) Le ou les marchés ou accords-cadres conclus par le pouvoir adjudicateur ont pour objet exclusif de répondre à ces besoins. " ;
7. Considérant, en premier lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'en choisissant de conserver l'espace numérique de travail mis en place en 2009 avec le logiciel " NetCollège " et de lancer une procédure de passation d'un marché public afin de répondre au besoin d'assurer son exploitation et sa maintenance, plutôt que d'acquérir un nouveau dispositif, le département ait entaché d'une erreur manifeste la définition de son besoin ;
8. Considérant, en deuxième lieu, que, pour recevoir légalement application, les dispositions citées ci-dessus du 8° du II de l'article 35 du code des marchés publics exigent non seulement des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d'exclusivité, mais, en outre, que celles-ci rendent indispensable l'attribution du marché à un prestataire déterminé ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la société Itop disposait d'un droit d'exclusivité pour la maintenance et l'exploitation de son logiciel " NetCollège " pour tout marché conclu à compter du 1er janvier 2013 ; qu'eu égard au besoin du département, rappelé ci-dessus, le moyen tiré de ce que l'attribution du marché qui avait pour objet d'y répondre selon les modalités prévues par les dispositions citées ci-dessus du 8° du II de l'article 35 du code des marchés publics serait irrégulière doit être écarté ;
9. Considérant, en troisième lieu, que le moyen tiré de ce que le département aurait dû, pour respecter le principe d'égalité de traitement entre les candidats et de liberté d'accès à la commande publique et les articles L. 122-6 et L. 122-6-1 du code de la propriété intellectuelle, ne pas conclure en 2009 un marché susceptible de conduire à ce que la société Itop soit seule en mesure d'assurer l'exploitation et la maintenance de son espace numérique de travail ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le département de l'Oise, que la demande présentée par la société Itslearning France doit être rejetée ;
[…]
MAJ 07/10/10 - Source legifrance
Jurisprudence
CAA Paris, 11 décembre 2018, n° 17PA01588, Société Steam France (Protection de droits d’exclusivité et certificat d’exclusivité dans les marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence. Certificat d'exclusivité : un document insuffisant pour justifier une procédure dérogatoire La Cour administrative d'appel de Paris précise, dans cette décision, les exigences en matière de preuve des droits exclusifs justifiant une dérogation aux principes de publicité et de mise en concurrence, tout en veillant à préserver la continuité du service public hospitalier).
CJCE, 14 septembre 2004, Commission c/République italienne, aff. C-385/02 (En recourant à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, alors même que les conditions nécessaires à cet égard n’étaient pas réunies, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent).
Actualités
Un certificat d’exclusivité n’est pas suffisant pour justifier la passation d’un marché public sans mise en concurrence préalable. Contrôle des procédures d’achat de l’Ecole Centrale de Marseille (ECM) - 16 juillet 2023.
Marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence et certificat d’exclusivité. (CAA Paris, 11 décembre 2018, n° 17PA01588, Société Steam France) - 29 décembre 2018.