
TA Montreuil, 10 janvier 2025, n° 2418107 - Offre irrégulière sur la forme du prix proposé
Est irrégulière une offre faute de proposer des prix unitaires propres à chaque unité d'œuvre (UO) alors que les documents de consultation l'imposaient.
Rejet du recours en référé précontractuel formé par la société Mantra contre l'attribution par France Travail de deux lots d'un accord-cadre de prestations d'appui au pilotage. Validation du rejet de l'offre comme irrégulière au sens des dispositions de l'article L2152-1 du code de la commande publique, pour avoir proposé un prix forfaitaire global au lieu des prix unitaires par unité d’oeuvre (UO) exigés par les documents de consultation. Le juge écarte successivement les moyens tirés de l'insuffisance de vérification des capacités des attributaires (article L2142-1 et article R2143-3 du CCP), de l'irrégularité des attestations fiscales et sociales (articles L2141-2 et R2144-4) et de l'imprécision des besoins (L2111-1). Il confirme qu'une demande de précisions ne permet pas de régulariser une offre financière après la date limite de remise (article R2152-2) et rappelle que les moyens tirés de la violation du droit du travail sont inopérants en référé précontractuel.
²Résumé
France Travail a lancé un appel d'offres ouvert pour un accord-cadre mixte comprenant deux lots de prestations d'appui au pilotage et de conseil. La société Mantra, évincée de la procédure, conteste l'attribution des lots à Ernst & Young Advisory (lot 1) et Capgemini Consulting (lot 2) devant le juge des référés précontractuels.
Sur la vérification des capacités des attributaires
La requérante soutenait que l'acheteur n'avait pas vérifié les capacités techniques, financières et professionnelles des sociétés attributaires. Le juge rejette ce moyen en constatant que :
- Les attributaires ont fourni les formulaires DC1 et DC2 requis ainsi que les justificatifs de leurs capacités
- France Travail a effectivement examiné ces capacités comme en atteste le PV d'examen des candidatures
- Aucun élément précis ne démontre l'insuffisance des capacités des attributaires
Sur la production des attestations fiscales et sociales
La requérante contestait la régularité des attestations fiscales et sociales des attributaires. Le juge écarte ce moyen en rappelant que selon les articles L.2141-2 et R2144-4 du CCP, seul l'attributaire pressenti doit justifier ne pas relever d'un cas d'exclusion. Il constate que les attestations ont été transmises avant la signature des marchés conformément au règlement de consultation, il en résulte que l'acheteur a donc pu s'assurer de la régularité fiscale et sociale des attributaires.
Sur l'irrégularité de l'offre de la requérante
Le point central du litige portait sur le rejet de l'offre de Mantra
comme irrégulière. Le juge valide la position de l'acheteur en relevant que
les documents de consultation imposaient des prix unitaires par unité
d'œuvre (UO). D'autre part Mantra a rempli les annexes financières en
indiquant pour chaque UO non pas un prix unitaire mais un prix forfaitaire
calculé sur l'ensemble de la durée du marché. La société a confirmé avoir
construit son offre sur la base d'une estimation globale (nombre de jours ×
tarif moyen) plutôt que sur des prix unitaires par UO.
La demande de
précisions n'a pas permis de régulariser l'offre puisqu'elle visait
uniquement à expliciter les modalités de calcul. Une modification des prix
après la date limite aurait été irrégulière
L'irrégularité ne résidait pas simplement dans le caractère forfaitaire de l'offre, mais dans le fait que la société n'avait pas respecté la structure de prix demandée (prix unitaire par UO) en proposant pour chaque UO un montant forfaitaire calculé sur la durée totale du marché.
Sur la définition des besoins
La requérante invoquait l'imprécision des unités d'œuvre. Le juge rejette ce moyen car le cahier des charges détaillait précisément les prestations attendues par lot et par catégorie, les candidats disposaient d'informations suffisantes sur la nature des livrables et enfin les offres pouvaient être comparées sur une base équitable
Sur le moyen tiré du prêt de main d'œuvre illégal
Le juge déclare inopérant le moyen tiré de la violation de l'article L8241-1 du code du travail, cette question ne relevant pas du champ du référé précontractuel limité aux manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence.
Texte
[...]
8. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment des pièces soustraites au contradictoire, que les sociétés attributaires ont complété les formulaires dit " DC1 " et " DC2 " exigés par l'article III.2 du règlement de consultation et transmis, à l'appui de leur candidature, les documents de nature à justifier qu'elles disposaient bien de la capacité économique, financière, technique et professionnelle nécessaires à l'exécution du marché. Il résulte en outre du " procès-verbal d'ouverture et d'examen des candidatures " produit par France Travail que, contrairement à ce qu'allègue la société requérante, l'acheteur a effectivement, au regard des éléments transmis, examiné les capacités économique, financière, technique et professionnelle des candidats à la procédure litigieuse.
9. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction, eu égard notamment aux éléments produits soustraits au contradictoire relatifs à la candidature des sociétés attributaires, et alors que la société Mantra ne se prévaut à l'appui de son moyen d'aucun élément précis, que les sociétés Capgemini Consulting et Ernst and Young Advisory ne disposent pas des capacités économique, financière, technique et professionnelle nécessaires à l'exécution du marché.
10. Par suite, le moyen tiré de ce que l'acheteur ne justifie pas avoir procédé à la vérification des capacités des candidats et de l'insuffisance des capacités nécessaires à l'exécution du marché des sociétés attributaires doit être écarté.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article L2141-2 du code de la commande publique : " Sont exclues de la procédure de passation des marchés les personnes qui n'ont pas souscrit les déclarations leur incombant en matière fiscale ou sociale ou n'ont pas acquitté les impôts, taxes, contributions ou cotisations sociales exigibles ". Aux termes de l'article R2143-7 dudit code : " L'acheteur accepte comme preuve suffisante attestant que le candidat ne se trouve pas dans un cas d'exclusion mentionné à l'article L2141-2, les certificats délivrés par les administrations et organismes compétents. () ". Selon l'article R. 2144-4 du même code : " L'acheteur ne peut exiger que du seul candidat auquel il est envisagé d'attribuer le marché qu'il justifie ne pas relever d'un motif d'exclusion de la procédure de passation du marché. ". Enfin, selon l'article R2144-7 du même code : " Si un candidat ou un soumissionnaire se trouve dans un cas d'exclusion, () ou ne peut produire dans le délai imparti les documents justificatifs, les moyens de preuve, les compléments ou explications requis par l'acheteur, sa candidature est déclarée irrecevable et le candidat est éliminé. / Dans ce cas, lorsque la vérification des candidatures intervient après la sélection des candidats ou le classement des offres, le candidat ou le soumissionnaire dont la candidature ou l'offre a été classée immédiatement après la sienne est sollicité pour produire les documents nécessaires. () "
12. Selon l'article IV.4.2 " Justificatifs et moyens de preuve à produire avant notification du marché " du règlement de consultation : " Le candidat auquel il est envisagé d'attribuer le marché est tenu de prouver qu'il n'entre pas dans un des cas d'interdiction de soumissionner en produisant les pièces justificatives mentionnées aux articles R2143-6 et suivants du Code de la commande publique. Les pièces rédigées dans une langue étrangère sont accompagnées de leur traduction en langue française. "
13. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le candidat auquel il est envisagé d'attribuer le marché doit produire des documents attestant notamment qu'il est à jour de ses obligations fiscales et sociales avant la signature du marché. A défaut, son offre doit être rejetée, le candidat dont l'offre a été classée immédiatement après la sienne pouvant se voir attribuer le marché.
14. Il ressort de l'instruction qu'après avoir été informé respectivement de l'attribution des lots n° 1 et 2, les sociétés Ernst and Young Advisory et Capgemini Consulting ont transmis, à la demande de France Travail, conformément à l'article IV.4.2 du règlement de consultation, l'ensemble des certificats et attestations en cours de validité, tels que prévus par les articles du code de la commande publique cités au point 11. Ces transmissions ont ainsi mis le pouvoir adjudicateur à même de s'assurer que les sociétés attributaires étaient à jour de leurs obligations fiscales et sociales avant la signature des marchés. Par suite, ce moyen doit être écarté.
15. En troisième lieu, aux termes de l'article L2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées. ". En outre, l'article L2152-2 du même code dispose que : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. " Aux termes de l'article R2152-2 du code de la commande publique : " Dans toutes les procédures, l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet d'en modifier des caractéristiques substantielles. "
16. Il résulte des termes de l'article 3 du projet de contrat que les lots nos 1 et 2 litigieux seront exécutés par l'émission de bons de commandes ou la conclusion de marchés subséquents, qui permettront la commande d'unités d'œuvre (UO), notamment, dites de " services " ou de " forfait expertise ", les UO se caractérisant par " un prix unitaire (coût de pilotage inclus) ". Selon l'article 3.3.2 du cahier des charges, les UO de forfait d'expertise correspondent à des prestations facturées selon un tarif journalier, ainsi que cela a été précisé par une réponse de France Travail en cours de procédure, déterminé selon la complexité de la prestation (simple, moyen, complexe) et selon l'expérience du consultant affecté à son exécution (débutant, junior, sénior, expert). Selon l'article 3.3.3 du cahier des charges, les UO de services correspondent à des prestations facturées forfaitairement, sur la base d'un minimum de deux consultants, pour une périodicité donnée (une semaine, un mois, un trimestre).
17. Conformément à l'article III.2 " Contenu du dossier de réponse " du règlement de consultation, les candidats n'étaient pas autorisés, sous peine d'irrégularité de leur offre, à présenter des prix établis sous une autre forme ou selon un autre mode que ceux expressément mentionnés à l'annexe financière, établie sous la forme d'une grille permettant de renseigner, pour chaque catégorie de prestations prévues du marché, le prix des UO de services en fonction d'une période donnée et le prix des UO de forfait d'expertise en fonction de la complexité de la mission confiée et de l'expérience du consultant affecté. En vertu du règlement de consultation, les offres financières des soumissionnaires étaient ensuite appréciées par l'acheteur au regard du coût scénarisé sur la durée totale du marché proposé par le soumissionnaire, ce coût étant obtenu à partir d'un scénario de volumétrie hypothétique de commande d'UO.
18. Pour rejeter les offres de la société Mantra, France Travail a retenu que son offre financière ne respectait pas, pour chacun des lots, les exigences prévues par les documents de consultation, dès lors qu'elle proposait un prix forfaitaire correspondant à un volume de commande sur l'ensemble de la durée du marché et non des prix unitaires.
19. Il résulte de l'instruction que, dans son offre financière, la société Mantra a complété les annexes financières établies par l'acheteur, en précisant, pour chacune des UO, un tarif correspondant, non pas à un prix unitaire, mais à un prix forfaitaire pour l'ensemble de la durée du marché, méconnaissant ainsi le caractère unitaire de l'UO prévu par le projet de contrat et le cahier des charges.
20. Le 16 septembre 2024, France Travail a adressé à la société Mantra une demande de précision, s'agissant de la décomposition des tarifs des UO de services figurant dans son offre financière, en lui précisant qu'aucune modification de son offre initiale ne pourra être apportée. Par une réponse du 18 septembre 2024, la société requérante a confirmé avoir formulé, tant pour ce qui concerne les UO de services que les UO de forfait d'expertise, une offre financière globale " sur la totalité du marché " établie sur la base, d'une part, d'une estimation du nombre de jour de travail par consultant, déterminée au regard de la structure de France Travail, des prestations à exécuter et de ses expériences précédentes et, d'autre part, d'un tarif journalier moyen pondéré par consultant déterminé par type de prestation.
21. La circonstance invoquée par la société Mantra, qu'elle a explicité, dans sa réponse du 18 septembre 2024, les tarifs unitaires qu'elle a appliqués pour parvenir à ce chiffrage global, n'est pas susceptible d'être regardée comme permettant la régularisation de son offre financière initiale, dès lors que cette réponse n'a pas eu pour objet, ainsi qu'elle l'a d'ailleurs rappelé à l'audience, de modifier son offre financière initiale mais d'en expliquer les modalités de calcul. En outre, à supposer même que la société ait entendu modifier son offre financière initiale, en proposant des tarifs unitaires conformément aux exigences prévues au dossier de consultation, il n'en demeure pas moins que cette modification des prix proposés et, en conséquence de son offre, postérieurement à la date limite de sa remise, était irrégulière et il ne pouvait en être tenu compte. Dans ces conditions, faute de proposer des prix unitaires propres à chaque UO alors que les documents de consultation l'imposaient, l'offre de la société Mantra au titre des lots n° 1 et n° 2 était irrégulière.
22. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que France Travail ne pouvait pas rejeter ses offres comme étant irrégulières, ni que l'acheteur aurait entaché son appréciation d'une erreur manifeste.
23. En quatrième lieu, aux termes de l'article L2111-1 du code de la commande publique : " La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale. ". Aux termes de l'article R2132-1 du même code : " Les documents de la consultation sont l'ensemble des documents fournis par l'acheteur ou auxquels il se réfère afin de définir son besoin et de d'écrire les modalités de la procédure de passation, y compris l'avis d'appel à la concurrence. Les informations fournies sont suffisamment précises pour permettre aux opérateurs économiques de déterminer la nature et l'étendue du besoin et de décider de demander la nature et l'étendue du besoin et de décider de demander ou non à participer à la procédure. "
24. Il résulte de ces dispositions que le pouvoir adjudicateur doit définir ses besoins avec suffisamment de précision pour permettre aux candidats de présenter une offre adaptée aux prestations attendues, compte tenu des moyens nécessaires pour les réaliser. Pour permettre l'élaboration de cette offre et pour en déterminer le prix, les candidats doivent disposer d'informations relatives à la nature des prestations attendues. Le juge du référé précontractuel exerce sur le choix que fait le pouvoir adjudicateur, lorsqu'il procède à la définition de son besoin et de l'objet même de la commande qui donne lieu à la passation du marché, un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation.
25. La société Mantra soutient que les besoins de l'acheteur n'ont pas clairement été définis, de sorte qu'elle était dans l'incapacité de déterminer un prix unitaire propre à chacune des unités d'œuvre. Toutefois, les articles 4 et 5 du cahier des charges définissaient les différentes catégories de prestations attendues dans le cadre des lots litigieux, à savoir, pour le lot n° 1, des prestations de pilotage et coordination (PIL), d'expertise opérationnelle (EXPOP), de transformation et de suivi des feuilles de route (TRANS), de gestion du portefeuille d'activité (GPA) et d'appui aux méthodes et à la formation (MF) et, pour le lot n° 2, des prestations d'études et de veille (ETU) et d'accompagnement (ACC). Le cahier des charges indiquait en outre, pour chacun des lots, au sein d'un tableau, les prestations relevant de chacune de ces catégories pouvant être commandées dans le cadre des UO de services et des UO de forfait d'expertise, en précisant, à cet égard, l'objet de la mission à exécuter et la nature des livrables attendues. Dans ces conditions, et alors même que le cahier des charges mentionnait que les livrables attendues n'étaient pas listés de façon exhaustive, les candidats pouvaient être regardés comme ayant reçu des informations appropriées, dépourvues d'imprécisions, leur permettant d'élaborer des offres financières pouvant être raisonnablement comparées entre elles et répondant aux besoins de l'acheteur définis clairement par le cahier des charges. Par suite, ce moyen doit être écarté.
26. En dernier lieu, il résulte des dispositions précitées de l'article L551-1 du code de justice administrative que la méconnaissance éventuelle des dispositions de l'article L8241-1 du code du travail relatifs aux prêts de main d'œuvre, n'est pas au nombre des manquements dont peut être saisi le juge des référés précontractuels. Par suite, ce moyen, inopérant, doit être écarté.
27. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la société Capgemini Consulting, que la société Mantra n'est pas fondée à demander l'annulation de la procédure de passation du marché ayant pour objet des prestations d'appui au pilotage des directions et de conseil en évolution du système d'information. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions à fin d'injonction.
[...].
MAJ 24/02/25
Jurisprudence
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