Conseil d’Etat, 8 février 2010, n° 314075, Commune de la Rochelle - Publié au recueil Lebon
Le choix de l'offre ne peut se fonder sur les références des entreprises candidates, mais exclusivement sur la valeur intrinsèque de l'offre. Contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation de la valeur technique de l'offre. Droit à indemnisation et réparation du préjudice né de l'éviction irrégulière d'une entreprise candidate à l’attribution d’un marché public. Valeur technique de l'offre jugée à partir d'une notice technique faisant office de mémoire technique. Attention à l’analyse technique des offres via le mémoire technique et à l’application des critères d’attribution. Commission d’appel d’offres qui a commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que la valeur technique des deux offres était équivalente alors que manifestement tel n'était pas le cas, Un mémoire technique généraliste n’équivaut pas à un mémoire technique qui « comportait des dispositions précises ». Montant de l'indemnisation : 150 000 euros.
Dans le cas d'une chance sérieuse d’emporter le marché, la société lésée a droit à l’indemnisation de l’intégralité du manque à gagner en résultant pour elle, incluant nécessairement, en l’absence de stipulation contraire du contrat, les frais de présentation de l’offre intégrés dans ses charges, mais excluant le remboursement des frais généraux de l’entreprise qui seraient affectés à ce marché ; ce manque à gagner doit être déterminé en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché si elle l’avait obtenu.
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000021852481
Résumé
L’acheteur est tenu d’apprécier la valeur technique des offres au regard des critères d’attribution
L’acheteur est tenu d’apprécier la valeur technique des offres au regard des critères d’attribution. Il en résulte qu’une analyse des offres pour laquelle un attributaire ayant produit un mémoire technique généraliste alors que le conçurent évincé avait produit une notice technique qui « n’était pas stéréotypée » et qui « comportait des dispositions précises concernant l’opération projetée », contrairement à ce que soutenait l’acheteur, ne peut aboutir à juger que « la valeur technique des deux offres était équivalente ».
La société attributaire avait produit « une notice technique qui, se bornant à dresser une liste générale de ses moyens immobiliers, en matériel, en véhicules et en personnel » mais « n’exposait pas comment ces moyens techniques et humains seraient mis en oeuvre pour réaliser les éléments modulaires d’exposition, en vue de la restructuration du muséum d’histoire naturelle de la Rochelle ».
Alors qu’en revanche l’offre de la société évincée « a produit une notice technique qui, contrairement à ce que soutient la COMMUNE DE LA ROCHELLE, si elle contenait des indications valables pour toutes les vitrines d’exposition en général, n’était pas stéréotypée, dès lors qu’elle comportait des dispositions précises concernant l’opération projetée par la COMMUNE DE LA ROCHELLE, et décrivait de manière détaillée les moyens techniques et humains et les matériaux devant être utilisés sur ce chantier, ainsi que les lignes directrices des propositions pour la conservation des objets dans ces vitrines ».
Par ailleurs il résulte également des conclusions du rapport d'analyse des offres du maître d’oeuvre, que la notice technique présentée par la société attributaire « ne démontre pas qu’elle est apte à prendre en charge une réalisation de type muséographique telle que celle du muséum d’histoire naturelle de La Rochelle, alors que l’offre de la société Goppion répond aux prescriptions du marché et présente le maximum de garanties techniques »
Ainsi, « il résulte de l’instruction que la commission d’appel d’offres, qui était tenue d’apprécier la valeur technique des offres au regard d’une notice faisant état des moyens humains et techniques mis en oeuvre pour mener à bien l’opération et de tenir compte notamment de la qualité des matériaux et de la réalisation en vue de la bonne conservation des objets, a commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que la valeur technique des deux offres était équivalente ».
En ce qui concerne l'indemnisation du soumissionnaire évincé, les règles issues de la jurisprudence
En matière d'indemnisation la jurisprudence distingue trois cas de figure lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier (CE, 18 juin 2003, n° 249630, Groupement d'entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, Société Biwater et Société Aqua TP (Règles d'indemnisation d'un candidat injustement évincé)).
Il appartient au juge :
- de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché ; que, dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité ;
- que, dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre ;
- qu'il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché ; que, dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.
Dans le cas d'espèce, compte tenu de la supériorité de la valeur technique de l’offre de la société Goppion, cette dernière a perdu une chance sérieuse d’emporter le lot n° 1 du marché de restructuration du muséum d’histoire naturelle de La Rochelle.
Il en résulte qu'elle a droit à l’indemnisation de l’intégralité du manque à gagner en résultant pour elle, et le Conseil d'Etat décide qu'il "sera fait une juste appréciation du manque à gagner subi par la société Goppion en l’évaluant à 150 000 euros ; qu’elle a droit aux intérêts au taux légal sur cette somme à compter, non de la date du 28 septembre 2003 invoquée par elle, mais du 30 septembre 2003, date de réception de sa demande préalable d’indemnisation".
Texte
[…]
Considérant que le tribunal administratif de Poitiers a, par jugement du 10 mars 2005, rejeté la demande de la société Goppion SRL "Laboratorio museotecnico" tendant à la condamnation de la COMMUNE DE LA ROCHELLE à l'indemniser du manque à gagner qu'elle estimait avoir subi du fait de son éviction de trois lots du marché de restructuration du muséum d'histoire naturelle de cette commune ; que, sur appel de cette société, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, par arrêt du 8 janvier 2008, réformé ce jugement et condamné la COMMUNE DE LA ROCHELLE à verser une indemnité de 150 000 euros à la société Goppion avec intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2003, en réparation du manque à gagner subi du fait du rejet illégal de l'offre de cette société pour le lot n° 1 du marché ; que la COMMUNE DE LA ROCHELLE se pourvoit contre cet arrêt en tant qu'il prononce cette condamnation ; que, par la voie du pourvoi incident, la société Goppion demande l'annulation de cet arrêt en tant qu'il a limité à 150 000 euros son indemnisation ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 52 du code des marchés publics, dans sa rédaction applicable à la date de signature du marché litigieux : "Les candidatures qui ne sont pas recevables en application des articles 43, 44 et 47 (...) ou qui ne présentent pas des garanties techniques et financières suffisantes ne sont pas admises" ; qu'aux termes de l'article 53 du même code : "I. Les offres non conformes à l'objet du marché sont éliminées. / II. Pour choisir l'offre économiquement la plus avantageuse, la personne publique se fonde sur des critères variables selon l'objet du marché, notamment le coût d'utilisation, la valeur technique, le délai d'exécution, les qualités esthétiques et fonctionnelles, la rentabilité, le service après-vente et l'assistance technique, la date et le délai de livraison, le prix des prestations./ D'autres critères peuvent être pris en compte s'ils sont justifiés par l'objet du marché ou ses conditions d'exécution (...)" ; que, d'autre part, l'article 2.1.1 du II de la section IV du règlement de consultation du marché litigieux stipulait que "l'admission du candidat se fera à l'ouverture de la première enveloppe en prenant en compte les critères suivants : / - garanties professionnelles : références similaires (muséum ou espace équivalent) au lot envisagé réalisées au cours des trois dernières années (réalisation de vitrines, aménagement électrique) (...)" ; qu'aux termes de l'article 2.1.2 du II de la section IV de ce règlement : "Le choix des entreprises se fera à l'ouverture de la seconde enveloppe en prenant en compte les critères suivants : / 1) valeur technique jugée à partir de la notice technique précisant les moyens humains et techniques mis en oeuvre par l'entreprise pour mener à bien l'opération (qualité des matériaux et de la réalisation afin d'assurer une bonne conservation des objets, modalités de transport, de livraison et de mise en oeuvre, coordination entre lots...) ; / 2) prix" ;
Considérant qu'il résulte des dispositions citées plus haut du code des marchés publics que les capacités du candidat, établies notamment par ses références professionnelles, doivent être examinées au moment de l'ouverture de la première enveloppe et que les offres des seules entreprises dont la qualification professionnelle a été jugée satisfaisante doivent être ensuite examinées après ouverture de la seconde enveloppe, la sélection se faisant entre ces offres par application des critères fixés par le II de l'article 53 du code, éventuellement complétés par des critères additionnels énoncés par le règlement de la consultation et justifiés par l'objet du marché ou ses conditions d'exécution ; que la cour, pour juger que la commission d'appels d'offres avait commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que la valeur des offres présentées par la société Atelier Blu et par la société Goppion étaient équivalentes, a retenu, outre le contenu de la note technique produite par les candidates, "que la société Goppion spécialisée dans la réalisation d'aménagements, et notamment de vitrines, pour l'exposition et la conservation d'objets, en particulier dans les musées, justifiait d'importantes références en ce domaine alors que la société Atelier Blu se présentait comme intervenant principalement dans la conception de charpentes, menuiseries intérieures et extérieures, aménagement de bureaux, commerces, cuisines sans apporter de précision sur la nature des travaux effectués sur des chantiers autres que liés à l'habitat" ; que s'étant ainsi fondée sur les références des entreprises candidates, et non pas exclusivement sur la valeur intrinsèque des offres, elle a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ni ceux du pourvoi incident, son arrêt doit être annulé, en tant qu'il a statué par ses articles 1er et 2 sur les conclusions de la société Goppion tendant à la condamnation de la COMMUNE DE LA ROCHELLE à l'indemniser de la perte de chance sérieuse d'emporter le lot n° 1 du marché de réhabilitation du Muséum d'histoire naturelle ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Atelier Blu a produit une "notice technique" qui, se bornant à dresser une liste générale de ses moyens immobiliers, en matériel, en véhicules et en personnel, n'exposait pas comment ces moyens techniques et humains seraient mis en oeuvre pour réaliser les éléments modulaires d'exposition, en vue de la restructuration du muséum d'histoire naturelle de la Rochelle; qu'en revanche, la société Goppion a produit une "notice technique" qui, contrairement à ce que soutient la COMMUNE DE LA ROCHELLE, si elle contenait des indications valables pour toutes les vitrines d'exposition en général, n'était pas stéréotypée, dès lors qu'elle comportait des dispositions précises concernant l'opération projetée par la COMMUNE DE LA ROCHELLE, et décrivait de manière détaillée les moyens techniques et humains et les matériaux devant être utilisés sur ce chantier, ainsi que les lignes directrices des propositions pour la conservation des objets dans ces vitrines ; qu'il résulte également des conclusions du rapport sur l'analyse des offres à laquelle a procédé le 12 mai 2003, en sa qualité de maître d'oeuvre, le gérant de la SARL d'architecture Abaque qui avait reçu de la commune mission de l'assister dans l'analyse des offres des sociétés candidates à l'attribution des lots du marché, que la notice technique présentée par la société Atelier Blu ne démontre pas qu'elle est apte à prendre en charge une réalisation de type muséographique telle que celle du muséum d'histoire naturelle de La Rochelle, alors que l'offre de la société Goppion répond aux prescriptions du marché et présente le maximum de garanties techniques ; qu'ainsi, il résulte de l'instruction que la commission d'appel d'offres, qui était tenue d'apprécier la valeur technique des offres au regard d'une notice faisant état des moyens humains et techniques mis en oeuvre pour mener à bien l'opération et de tenir compte notamment de la qualité des matériaux et de la réalisation en vue de la bonne conservation des objets, a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que la valeur technique des deux offres était équivalente ;
Considérant que, compte tenu de la supériorité de la valeur technique de l'offre de la société Goppion sur celle de la société Atelier Blu, seule autre entreprise ayant déposé une offre, de ce que les stipulations précitées de l'article 2.1.2 du II de la section IV du règlement de consultation prévoient que le critère de technicité est prioritaire par rapport à celui du prix, et de ce qu'il ne résulte pas de l'instruction que le prix proposé par la société Goppion, d'ailleurs inférieur de 3% à l'estimation du maître d'oeuvre, aurait fait obstacle à ce que son offre puisse être retenue, la société Goppion est fondée à soutenir qu'elle a perdu une chance sérieuse d'emporter le lot n° 1 du marché de restructuration du muséum d'histoire naturelle de La Rochelle ;
Considérant que, dans ces conditions, la société Goppion a droit à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner en résultant pour elle, incluant nécessairement, en l'absence de stipulation contraire du contrat, les frais de présentation de l'offre intégrés dans ses charges, mais excluant le remboursement des frais généraux de l'entreprise qui seraient affectés à ce marché ; que ce manque à gagner doit être déterminé non en fonction du taux de marge brute constaté dans son activité mais en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché si elle l'avait obtenu ; que la société Goppion soutient que la marge nette qu'elle pratique habituellement est de 15 % ; que les données avancées par la COMMUNE DE LA ROCHELLE, faisant état d'un taux de marge nette de 4,23 %, concernent le secteur général du verre et de la miroiterie et non le secteur particulier des vitrines et éléments d'exposition ; que, dans ces conditions et compte tenu du prix marché conclu pour le lot n°1, il sera fait une juste appréciation du manque à gagner subi par la société Goppion en l'évaluant à 150 000 euros ; qu'elle a droit aux intérêts au taux légal sur cette somme à compter, non de la date du 28 septembre 2003 invoquée par elle, mais du 30 septembre 2003, date de réception de sa demande préalable d'indemnisation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Goppion est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de la COMMUNE DE LA ROCHELLE à raison de sa perte de chance sérieuse d'emporter le lot n° 1 du marché de restructuration du muséum d'histoire naturelle de la COMMUNE DE LA ROCHELLE ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la COMMUNE DE LA ROCHELLE le versement à la société Goppion de la somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par cette dernière, tant devant le Conseil d'Etat que devant les juges du fond, et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions que la commune présente au même titre ;
[…]
MAJ 20/02/10 - Source legifrance
Jurisprudence
CE, 31 octobre 2024, n° 490242, Métropole Aix-Marseille Provence (Le manque à gagner d’une entreprise candidate à l’attribution d’un contrat public, évincée à l'issue d'une procédure irrégulière, est évalué par la soustraction du total du chiffre d’affaires non réalisé de l’ensemble des charges variables et de la quote-part des coûts fixes qui aurait été affectée à l’exécution du marché si elle en avait été titulaire).
TA Paris, 5 janvier 2024, n° 2328772 (Mémoire technique trop général et donc insuffisamment précis et spécifique. ENTREPRISES, privilégiez des mémoires techniques de qualité plutôt que des exemples de documents-types inadaptés aux offres entrainant leur rejet. Le tribunal administratif de Paris offre une base juridique aux acheteurs publics pour rejeter les offres techniques génériques fondées sur des exemples sans valeur ajoutée. L'expérience d'une entreprise ne suffit pas à établir que son offre répond aux besoins du marché. L'acheteur n'altère pas les termes des offres d'une société, à laquelle elle ne reproche que d'avoir fourni un mémoire technique trop général et donc insuffisamment précis et spécifique au regard des besoins du marché. Offre irrégulière en raison d'une note technique inférieure à une note éliminatoire. Pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres, acheteur ayant défini une méthode de notation par paliers combinée à la fixation d'une note éliminatoire. Méthode de notation ne méconnaissant pas les principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats.
CE, 28 novembre 2023, n° 468867, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer (Le candidat irrégulièrement évincé doit avoir été le seul à disposer d’une chance sérieuse d’emporter le contrat. Il appartient au juge saisi par une société d’une demande tendant à la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de la procédure de passation de vérifier si cette société aurait eu des chances sérieuses d’emporter le contrat au contraire de tous les autres candidats. La seule circonstance que l’offre finale de la société évincée n’aurait pas eu une valeur inférieure à celles de tous les autres candidats admis à négocier ne saurait conduire à ce qu’elle soit regardée comme ayant des chances sérieuses d'emporter le contrat).
CE,19 janvier 2015, n° 384653, Société Spie Est (Indemnisation du manque à gagner d'entreprise candidate à l'attribution d'un marché public qui a été irrégulièrement évincée d'un marché qu'elle avait des chances sérieuses d'emporter. Réparation du préjudice né de l'éviction irrégulière d'une entreprise candidate à l’attribution d’un marché public).
CE, 18 juin 2003, n° 249630, Groupement d'entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, Société Biwater et Société Aqua TP (Règles d'indemnisation d'un candidat injustement évincé)
Actualités
Mémoire technique trop général et donc insuffisamment précis et spécifique au regard des besoins du marché. Un coup d'arrêt aux "exemples" de mémoires techniques et aux mémoires techniques types ? - 18 janvier 2024.