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Il appartient au juge saisi par une société d’une demande tendant à la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de la procédure de passation de vérifier si cette société aurait eu des chances sérieuses d’emporter le contrat au contraire de tous les autres candidats. La seule circonstance que l’offre finale de la société évincée n’aurait pas eu une valeur inférieure à celles de tous les autres candidats admis à négocier ne saurait conduire à ce qu’elle soit regardée comme ayant des chances sérieuses d'emporter le contrat.
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000048478891
Résumé
Mentionné dans les tables du recueil Lebon.
La décision traite de la condition nécessaire pour qu'un candidat irrégulièrement évincé puisse obtenir une indemnisation de son manque à gagner.
La décision souligne qu'il doit avoir eu une chance sérieuse de remporter le contrat.
La commune de Saint-Cyr-sur-Mer avait attribué le lot n°7 d'une sous-concession de plage à la société MGPL. La société La Royale Plage, candidate évincée, avait contesté la validité du contrat devant le tribunal administratif de Toulon.
Bien que le tribunal ait rejeté la demande d'annulation du contrat, la cour administrative d'appel de Marseille a accordé des conclusions indemnitaires à La Royale Plage, condamnant la commune à l'indemniser de son manque à gagner et de son préjudice moral à hauteur de 80 039 euros.
Le Conseil d'État rappelle la nécessité, dans de tels cas, de vérifier si le candidat évincé avait ou non une chance sérieuse de remporter le contrat. Ceci dès lors que qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction.
Trois scénarios sont envisagés : l'absence totale de chance, le remboursement des frais engagés en présentant l'offre, et enfin, l'indemnisation du manque à gagner si les chances étaient sérieuses.
CE, 18 juin 2003, n° 249630, Groupement d'entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, Société Biwater et Société Aqua TP (Règles d'indemnisation d'un candidat injustement évincé) - CE, 8 février 2010, n° 314075, Commune de la Rochelle (Dans le cas d'une chance sérieuse d’emporter le marché, la société lésée a droit à l’indemnisation de l’intégralité du manque à gagner en résultant pour elle, incluant nécessairement, en l’absence de stipulation contraire du contrat, les frais de présentation de l’offre intégrés dans ses charges, mais excluant le remboursement des frais généraux de l’entreprise qui seraient affectés à ce marché ; ce manque à gagner doit être déterminé en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché si elle l’avait obtenu).
Le Conseil d’Etat précise que le caractère sérieux des chances perdues est nécessaire pour ouvrir le droit à l'indemnisation du manque à gagner.
Dans ce contexte, le Conseil d'État estime que la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur en se basant uniquement sur la valeur de l'offre finale sans évaluer si La Royale Plage aurait eu des chances sérieuses d'emporter le contrat en l'absence de faute de la commune.
Pour juger que la société La Royale Plage avait droit à être indemnisée de son manque à gagner causé par son éviction irrégulière du contrat, la cour administrative d'appel de Marseille s'est fondée sur la seule circonstance qu'il ne résultait pas de l'instruction que l'offre finale de cette société aurait eu une valeur inférieure à celles des trois autres candidats admis à négocier. En statuant ainsi, alors qu'il lui revenait d'apprécier si, en l'absence de faute de la commune, la société La Royale Plage aurait eu des chances sérieuses d'emporter le contrat au contraire de tous les autres candidats, la cour a commis une erreur de droit.
En conclusion, le Conseil d'État annule la condamnation de la commune de Saint-Cyr-sur-Mer à verser 80 039 euros à La Royale Plage, renvoyant l'affaire à la cour administrative d'appel de Marseille.
Texte
[...]
1. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que par une délibération du 1er mars 2016, le conseil municipal de Saint-Cyr-sur-Mer a attribué à la société MGPL le lot n° 7 de la plage des Lecques dans le cadre d'une délégation de service public. La société La Royale Plage, concurrent évincé, a demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, d'annuler le contrat conclu entre la commune de Saint-Cyr-sur-Mer et la société MGPL et, d'autre part, de condamner la commune à l'indemniser du préjudice subi. Par un jugement du 16 janvier 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande. Eu égard aux moyens soulevés, le pourvoi de la commune de Saint-Cyr-sur-Mer doit être regardé comme dirigé contre l'arrêt du 12 septembre 2022 de la cour administrative d'appel de Marseille en tant qu'il la condamne à verser la somme de 80 039 euros à la société La Royale Plage et annule, dans cette mesure, le jugement du tribunal administratif.
2. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, qui inclut nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre.
3. Pour juger que la société La Royale Plage avait droit à être indemnisée de son manque à gagner causé par son éviction irrégulière du contrat, la cour administrative d'appel de Marseille s'est fondée sur la seule circonstance qu'il ne résultait pas de l'instruction que l'offre finale de cette société aurait eu une valeur inférieure à celles des trois autres candidats admis à négocier. En statuant ainsi, alors qu'il lui revenait d'apprécier si, en l'absence de faute de la commune, la société La Royale Plage aurait eu des chances sérieuses d'emporter le contrat au contraire de tous les autres candidats, la cour a commis une erreur de droit.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la commune de Saint-Cyr-sur-Mer est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il la condamne à verser la somme de 80 039 euros à la société La Royale Plage et annule, dans cette mesure, le jugement du tribunal administratif.
[...]
Voir également
Contrat nul et droit à l’indemnisation du cocontractant
Indemnisation des frais de présentation de l'offre
Indemnisation pour éviction irrégulière et réparation du préjudice
Jurisprudence
CE, 31 octobre 2024, n° 490242, Métropole Aix-Marseille Provence (Le manque à gagner d’une entreprise candidate à l’attribution d’un contrat public, évincée à l'issue d'une procédure irrégulière, est évalué par la soustraction du total du chiffre d’affaires non réalisé de l’ensemble des charges variables et de la quote-part des coûts fixes qui aurait été affectée à l’exécution du marché si elle en avait été titulaire).
CE, 8 février 2010, n° 314075, Commune de la Rochelle (Entreprises : à vous de choisir ! Mémoire technique généraliste ou stéréotypé ? Le choix de l'offre ne peut se fonder sur les références des entreprises candidates, mais exclusivement sur la valeur intrinsèque de l'offre. Contrôle de l'erreur manifeste d’appréciation de la valeur technique de l'offre). CE, 26 sept. 2007, n° 259809, OPHLM du Gard (Absence Une personne publique ayant conclu un marché entaché de nullité et n’ayant pas fait naitre d’obligations entre les parties peut exercer une action en répétition de l’indu)
CAA Marseille, 9 juillet 2007, n° 05MA01087, Cie générale eaux c/ Commune Frontignan (Illégalité des bons de commande n'entrainant pas la nullité du marché et rejet de la demande indemnitaire fondée sur les terrains des responsabilités quasi-contractuelle et quasi-délictuelle)
CAA de Marseille, 25 juin 2007, n° 03MA00359, Société de transports Galiero (Conditions de réparation du préjudice né de l'éviction irrégulière d'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public).
CAA Paris, 20 mars 2007, n° 04PA04003, Société GETRONICS FRANCE venant aux droits de la SOCIETE OSLY FRANCE (Indemnisation de prestations effectuées sans marché, partage des responsabilités entre le prestataire et l'Etat sur le fondement de l'enrichissement sans cause en résultant pour l'Etat. Remboursement de celles de ses dépenses utiles, à l'exclusion de tout bénéfice, engagées par l'entreprise pour assurer les prestations dont l'administration a profité)
CE, 29 décembre 2006, n° 273783, Société Bertele SNC c/ Commune de LENS (Un règlement de consultation qui retient comme premier critère d’attribution des offres la qualification professionnelle des entreprises est illégal. Conditions d'indemnisation).
CE, 27 janvier 2006, n° 259374, ville d’Amiens (Indemnisation du manque à gagner. La réalisation par une entreprise, après qu'elle a été irrégulièrement évincée d'un marché, d'un chiffre d'affaires sur d'autres marchés est sans incidence sur l'évaluation du manque à gagner résultant de cette éviction irrégulière).
CE, 18 juin 2003, n° 249630, Groupement d'entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, Société Biwater et Société Aqua TP (Règles d'indemnisation d'un candidat injustement évincé)
CAA Douai, 28 mai 2003, n° 00DA00663, Entreprise Delattre c/ Commune d'Amiens (Conditions d'indemnisation d'une entreprise privée d'une chance sérieuse de remporter un marché compte tenu du caractère irrégulier de la procédure d'appel d'offres)
CE, 23 mai 1979, n° 00063, commune de Fontenay-le-Fleury (Notion Tacite reconduction équivalant à la passation d'un nouveau contrat. Nullité du contrat et droit à l’indemnisation du cocontractant)