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https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000018004780
Résumé
Un règlement de consultation qui retient comme premier critère d’attribution des offres la qualification professionnelle des entreprises est illégal.
En 1999, le Tribunal administratif de Versailles avait jugé que la commission d’appel d’offres ne pouvait rejeter l’offre d’un soumissionnaire présentant des références insuffisantes, une telle exigence ne pouvant être formulée qu’au stade de l’examen des candidatures, pas au stade des offres (TA Versailles, 8 avril 1999, Société Fort James France c/ Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, n° 983714). En effet la CAO ne peut éliminer une offre au prétexte de références insuffisantes, cette exigence ne peut être formulée qu'au stade de l'examen de la candidature et non pas au stade de l’offre.
Dans sa décision du 29 décembre 2006 (CE 29 décembre 2006, Société Bertele, n° 273783), le Conseil d'Etat confirme cette règle. En effet, est illégal un règlement de consultation lorsqu’il retient, en méconnaissance des dispositions du code des marchés publics alors applicable, comme critère de sélection des offres, la qualification professionnelle des entreprises. En effet ce critère ne peut être utilisé comme un critère additionnel à ceux mentionnés par le code des marchés publics.
La réparation du préjudice né de l'éviction irrégulière réparation du préjudice né de l'éviction irrégulière d'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public ne peut se faire que si certaines conditions sont remplies.
Lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier :
- il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter ce marché ;
- dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité ;
- dans la négative, elle a droit, en principe, au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre - il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché ; que, dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique
Texte
Conseil d'État
statuant au contentieux
N° 273783
Mentionné aux Tables du Recueil Lebon
Lecture du 29 décembre 2006
REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 2 novembre 2004 au secrétariat du contentieux du CE, présentée pour la SOCIETE BERTELE SNC, dont le siège est Via A. Manzoni 23 à Lugaro D'erba (22040) ; la SOCIETE BERTELE SNC demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 29 juin 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté sa demande tendant à la réformation du jugement du 4 décembre 2002 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il a condamné la ville de Lens à lui verser une indemnité de 5 530,87 euros qu'elle estime insuffisante ;
2°) statuant au fond, de condamner la ville de Lens à lui verser la somme de 292 843,89 euros hors taxes, augmentée des intérêts aux taux légal capitalisés à compter du 19 février 2001 ;
3°) de mettre à la charge de la ville de Lens la somme de 5 000 euros au titre de l'article L761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics dans sa rédaction issue du décret n° 64-629 du 17 juillet 1964 modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Pierre Jouguelet, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la SOCIETE BERTELE et de la SCP Peignot, Garreau, avocat de la commune de Lens,
- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la ville de Lens a lancé en mars 1997 un appel d'offres ouvert en vue de l'attribution du lot n° 19, mobilier de gradins, des travaux de rénovation et de réhabilitation du stade Felix Bollaert ; que l'offre de la SOCIETE BERTELE, dont le siège est en Italie, a été rejetée par une décision du 7 mai 1997 de la commission d'appel d'offres ; que, par un jugement du 11 décembre 1997 devenu définitif, le tribunal administratif de Lille a annulé cette décision au motif que la commission qui avait demandé à la société de fournir dans un délai bref des procès verbaux d'essais de résistance et de conformité aux normes provenant d'un laboratoire français, s'était fondée sur un critère de nationalité de nature à rompre l'égalité entre les candidats ; que la SOCIETE BERTELE a introduit devant le même tribunal un recours de plein contentieux tendant à la condamnation de la ville de Lens à lui verser une indemnité de 297 430 euros HT en réparation des préjudices que lui a causés son éviction illégale de ce marché ; que, par un jugement du 4 décembre 2002, le tribunal a condamné la ville au paiement d'une somme de 4 586,12 euros au titre des frais exposés par la société pour l'établissement de son offre, mais a rejeté ses conclusions tendant à être indemnisée du manque à gagner, de l'atteinte à son image ainsi que des frais de déplacement et d'interprète qu'elle avait engagés dans la précédente instance ; que l'appel de la société tendant à la réformation de ce jugement a été rejeté par un arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 29 juin 2004 aux motifs que la société, qui était dépourvue de chances sérieuses d'obtenir le marché, ne pouvait être indemnisée de son manque à gagner, que le préjudice lié à l'atteinte à son image n'était pas établi et que le dernier préjudice allégué était sans lien avec l'éviction de la société ; que la SOCIETE BERTELE se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;
Considérant que lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter ce marché ; que, dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, elle a droit, en principe, au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre ; qu'il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché ; que, dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique ;
Considérant qu'aux termes de l'article 297 du code des marchés publics dans sa rédaction applicable à la date de passation du marché litigieux : I. - La commission ouvre la première enveloppe intérieure. Elle en enregistre le contenu dans toutes les parties essentielles, y compris les pièces jointes./ Elle élimine par décision prise avant l'ouverture de l'enveloppe contenant l'offre, les candidats ( ) dont les capacités paraissent insuffisantes. II. - La commission procède ensuite à l'ouverture de la seconde enveloppe contenant les offres des candidats admis.( )./ Elle élimine les offres non conformes à l'objet du marché et choisit librement l'offre qu'elle juge la plus intéressante en tenant compte notamment du prix des prestations, de leur coût d'utilisation, de leur valeur technique et du délai d'exécution./ Le représentant légal de la collectivité peut avoir décidé que d'autres critères entrent en ligne de compte ; dans ce cas, ils doivent avoir été spécifiés dans le règlement de la consultation. Sont toutefois prohibés les critères qui ne seraient pas justifiés par l'objet du marché ou ses conditions d'exécution ; qu'aux termes de l'article 296 bis du même code La première enveloppe intérieure contient les justifications visées au 5 de l'article 38, la seconde contient l'offre ; que le 5 de l'article 38 mentionne les justifications à produire quant aux qualités et capacités du candidat dans les conditions fixées à l'article 50et que l'article 50 dispose que À l'appui des candidatures ou des offres, il ne peut être exigé que : 1° Des renseignements ou pièces relatives à la nature et aux conditions générales d'exploitation de l'entreprise, à ses moyens techniques, à ses références ; qu'il résulte de ces dispositions que les capacités du candidat, établies notamment par ses références professionnelles, doivent être examinées par la commission d'appel d'offres au moment de l'ouverture de la première enveloppe et que les offres des seules entreprises dont la qualification professionnelle a été jugée satisfaisante, doivent être ensuite examinées après ouverture de la seconde enveloppe, la sélection entre ces offres se faisant par application des critères fixés par le II de l'article 297, éventuellement complétés par des critères additionnels énoncés par le règlement de la consultation et justifiés par l'objet du marché ou ses conditions d'exécution ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le règlement de la consultation relatif à la passation du marché litigieux prévoyait, en son article 4, que le jugement des offres devait être effectué dans les conditions prévues à l'article 300 du code des marchés publics en appliquant les critères suivants classés par ordre d'importance : qualification professionnelle, prix, présentation d'un planning professionnel conforme aux prescriptions des délais repris à l'article 2.6, cotation Banque de France maximum H-4-8 ; qu'il résulte de ce qui précède que ce règlement est illégal en ce qu'il retient, en méconnaissance des dispositions du code des marchés publics, comme premier critère de sélection des offres, la qualification professionnelle des entreprises, cette dernière ne pouvant être utilisée contrairement à ce que soutient la commune de Lens comme un critère additionnel à ceux mentionnés par le code des marchés publics ; que, par suite, la cour a commis une erreur de droit en jugeant qu'en application de ce règlement, la commission d'appel d'offres aurait pu à bon droit se fonder sur le critère de la qualification professionnelle pour rejeter l'offre de la SOCIETE BERTELE, et que, par suite, cette dernière ne pouvait être indemnisée de son manque à gagner en l'absence d'une chance sérieuse d'obtenir le marché ; que cette société est, dès lors, fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour en tant qu'il a rejeté ses conclusions relatives à ce chef de préjudice ; qu'en revanche, en l'absence de toute argumentation de sa part relative aux deux autres chefs de préjudice dont l'indemnisation a été refusée par cet arrêt, ses conclusions tendant à son annulation totale ne peuvent qu'être rejetées ;
Considérant qu'en application des dispositions de l'article L821-2 du code de justice administrative, il y a lieu pour le CE, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur les conclusions de la SOCIETE BERTELE présentées devant la cour administrative d'appel de Douai en tant qu'elles portent sur l'indemnisation de son manque à gagner ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le règlement de la consultation disposait que le choix par la commission d'appel d'offres de l'offre la plus intéressante devait se faire par application des critères de sélection mentionnés à l'article 300 du code des marchés publics, complétés par les critères ajoutés par ce règlement ; que si à la date de passation du marché en cause, les critères de sélection des offres étaient fixés non par l'article 300 mais par l'article 297, ce règlement doit être regardé comme ayant eu pour objet et pour effet de rendre applicables les critères de sélection énumérés par cet article 297 au nombre desquels se trouve notamment la valeur technique de l'offre ; qu'ainsi, et contrairement à ce que soutient la SOCIETE BERTELE, la commission pouvait se fonder non seulement sur le prix proposé par les entreprises, mais également sur la valeur technique des offres ;
Considérant, d'une part, que le jugement du 11 décembre 1997 devenu définitif par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé la décision de la commission d'appel d'offres, ne s'est pas prononcé sur la valeur technique de l'offre de la société requérante ; que, d'autre part, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'examen des offres par la commission, que cette dernière a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, considérer qu'en raison de la fragilité des sièges proposés par la SOCIETE BERTELE compte tenu des conditions de leur utilisation par le public, la valeur technique de son offre était inférieure à celle de la société retenue et qu'en conséquence cette offre, bien que proposant le prix le plus bas, n'était pas la plus intéressante ; que, par suite, la SOCIETE BERTELE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'indemnisation de son manque à gagner au motif qu'elle n'avait pas de chance sérieuse d'obtenir ce marché ; que, dès lors, ses conclusions tendant à la réformation de ce jugement doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Lens qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la SOCIETE BERTELE au titre des frais qu'elle a supportés et non compris dans les dépens ;
Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de la SOCIETE BERTELE la somme de 3 000 euros que demande la commune de Lens au titre des frais qu'elle a supportés et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : L'arrêt du 29 juin 2004 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de la SOCIETE BERTELE tendant à la condamnation de la commune de Lens à l'indemniser de son manque à gagner.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par la SOCIETE BERTELE devant la cour administrative d'appel de Douai tendant à être indemnisée de son manque à gagner sont rejetés.
Article 3 : La SOCIETE BERTELE versera à la commune de Lens une somme de 3 000 euros au titre de dispositions de l'article L761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à SOCIETE BERTELE SNC et à la commune de Lens.
Voir également
critères, critères de sélection des candidatures, dossier de candidature,
capacité, capacités techniques, capacités financières, capacités professionnelles,
critères de choix des offres, offres, pondération des critères de sélection des candidatures ou de choix des offres
Contrat nul et droit à l’indemnisation du cocontractant
Indemnisation des frais de présentation de l'offre
Indemnisation pour éviction irrégulière et réparation du préjudice
Jurisprudence
CAA Nancy, 10 juin 2013, n° 11NC01257, Sté Aquatrium / INPL (Chances de remporter le marché et indemnisation du candidat irrégulièrement évincé. Évaluation et réparation du préjudice avec calcul de la marge bénéficiaire. Détermination du montant du manque à gagner et du préjudice correspondant à la perte du bénéfice net afférent au marché. Le bénéfice net s’entend de la différence entre les produits et les charges d’exploitation engagées sur la même période. Incidence du mémoire technique justificatif)
CE, 26 sept. 2007, n° 259809, OPHLM du Gard (Absence Une personne publique ayant conclu un marché entaché de nullité et n’ayant pas fait naitre d’obligations entre les parties peut exercer une action en répétition de l’indu)
CAA Marseille, 9 juillet 2007, n° 05MA01087, Cie générale eaux c/ Commune Frontignan (Illégalité des bons de commande n'entrainant pas la nullité du marché et rejet de la demande indemnitaire fondée sur les terrains des responsabilités quasi-contractuelle et quasi-délictuelle)
CAA de Marseille, 25 juin 2007, n° 03MA00359, Société de transports Galiero (Conditions de réparation du préjudice né de l'éviction irrégulière d'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public).
CAA Paris, 20 mars 2007, n° 04PA04003, Société GETRONICS FRANCE venant aux droits de la SOCIETE OSLY FRANCE (Indemnisation de prestations effectuées sans marché, partage des responsabilités entre le prestataire et l'Etat sur le fondement de l'enrichissement sans cause en résultant pour l'Etat. Remboursement de celles de ses dépenses utiles, à l'exclusion de tout bénéfice, engagées par l'entreprise pour assurer les prestations dont l'administration a profité)
CE, 29 décembre 2006, n° 273783, Société Bertele SNC c/ Commune de LENS (Un règlement de consultation qui retient comme premier critère d’attribution des offres la qualification professionnelle des entreprises est illégal. Conditions d'indemnisation)
CE, 17 novembre 2006, n° 290712, Agence Nationale Pour l'Emploi - ANPE (S'il est loisible à l'acheteur public d'exiger la détention, par les candidats à l'attribution d'un marché public, de documents comptables et de références de nature à attester de leurs capacités, cette exigence, lorsqu'elle a pour effet de restreindre l'accès au marché à des entreprises, doit être objectivement rendue nécessaire par l'objet du marché et la nature des prestations à réaliser)
CE, 18 juin 2003, n° 249630, Groupement d'entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, Société Biwater et Société Aqua TP (Règles d'indemnisation d'un candidat injustement évincé)
CAA Douai, 28 mai 2003, n° 00DA00663, Entreprise Delattre c/ Commune d'Amiens (Conditions d'indemnisation d'une entreprise privée d'une chance sérieuse de remporter un marché compte tenu du caractère irrégulier de la procédure d'appel d'offres)
CE, 23 mai 1979, n° 00063, commune de Fontenay-le-Fleury (Notion Tacite reconduction équivalant à la passation d'un nouveau contrat. Nullité du contrat et droit à l’indemnisation du cocontractant. Un avenant au contrat initial, conclu de gré à gré, avait pour effet d'augmenter la valeur totale du marché au point de dépasser le seuil applicable à cette procédure. Le Conseil d'État a jugé cet avenant nul, considérant qu'il conduisait à un contournement des règles de mise en concurrence applicables aux marchés dépassant un certain seuil. Cet arrêt met en évidence la position initiale de la jurisprudence, qui interdisait tout dépassement de seuil, quel que soit le motif de la modification. Cette approche visait à garantir le respect strict des procédures de passation des marchés publics et à prévenir tout risque de favoritisme ou de manque de transparence).