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Mémoire technique indemnisation - CAA Nancy, 10 juin 2013, n° 11NC01257, Aquatrium / INPL

CAA Nancy, 10 juin 2013, n° 11NC01257, Sté Aquatrium / INPL

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000027535071  

L’Institut national polytechnique de Lorraine (INPL) a lancé en 2004 un appel d’offres en vue de la désignation, selon la procédure négociée, des entreprises chargées de la restructuration de la station expérimentale de valorisation des matières premières et de substances dites anthropisées

La société Aquatrium, candidate au lot “ traitement des effluents “, a saisi le TA de Nancy, qui annule la décision de rejet, au motif que l’ INPL avait, au cours de la négociation, invité la société attributaire à régulariser son offre, en méconnaissance du principe d’égalité de traitement des candidats.

Par un jugement de 2011, le TA de Nancy condamne l’INPL à verser à la société Aquatrium la somme de 6 371,10 euros en réparation du préjudice financier subi du fait de son éviction irrégulière. La société Aquatrium elle demande la réformation du jugement quant au montant de la condamnation mise à la charge de l’INPL pour qu’il soit porté à 46 258, 79 euros.

Pour le calcul de l’indemnisation les règles sont classiques et le juge doit, dans un premier temps, rechercher si l’entreprise a une chance sérieuse d’emporter le marché.

Dans le cas d'une chance sérieuse d’emporter le marché, la société lésée a droit à l’indemnisation de l’intégralité du manque à gagner en résultant pour elle, incluant nécessairement, en l’absence de stipulation contraire du contrat, les frais de présentation de l’offre intégrés dans ses charges, mais excluant le remboursement des frais généraux de l’entreprise qui seraient affectés à ce marché ; ce manque à gagner doit être déterminé en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché si elle l’avait obtenu (CE, 29 décembre 2006, n° 273783, Société Bertele SNC c/ Commune de LENS - CAA Douai, 28 mai 2003, n° 00DA00663, Entreprise Delattre c/ Commune d'Amiens)

Dans le cas d’espèce le juge estime qu’il « y a lieu de regarder comme sous-évalué le poste de charges afférents à la masse salariale tel que l’a chiffré la société Aquatrium » et fixe le montant du manque à gagner à 30 000 euros, montant du préjudice correspondant à la perte du bénéfice net afférent à ce marché.

Cour Administrative d’Appel de Nancy

N° 11NC01257

Inédit au recueil Lebon

1ère chambre - formation à 3

M. VINCENT, président

M. Joseph POMMIER, rapporteur

Mme GHISU-DEPARIS, rapporteur public

GARTNER, avocat(s)

lecture du lundi 10 juin 2013

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 29 juillet 2011, présentée pour la Société Aquatrium, dont le siège est 59 rue Charles Keller à Nancy (54000), représentée par son président directeur général en exercice, par la SCP Bouvier Jaquet Royer Pereira ;

la Société Aquatrium demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n°0901650 du 31 mai 2011 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a limité le montant de la réparation due par l’Institut national de Polytechnique de Lorraine (INPL) à la somme de 6 371,10 euros ;

2°) de condamner l’INPL à lui verser la somme de 46 258, 79 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2009 et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de l’INPL le versement de la somme de 1 500 euros en application de l’article L761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que dans son secteur d’activité, compte tenu de sa spécificité et des spécialités techniques nécessaires, les marges pratiquées sont plus élevées que dans d’autres secteurs ; qu’elle a procédé au calcul de son bénéfice net espéré, vérifié par son expert comptable ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 3 octobre 2012, présenté pour l’Institut national polytechnique de Lorraine par MeA..., qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Aquatrium la somme de 1 500 euros au titre de l’article L761-1 du code de justice administrative ;

il soutient qu’il n’entend pas contester le principe de l’indemnisation tel que l’ont retenu les premiers juges ; que le chiffrage du préjudice tel qu’il a été évalué par les premiers juges doit être confirmé ; que dès lors que la société requérante avait indiqué elle-même que son taux de marge brute était au maximum de 5% et qu’aucune autre pièce n’avait été versée au dossier, il y avait lieu de retenir le taux de marge de 5 % ; que l’attestation de l’expert comptable ne constitue pas un élément de preuve suffisant ; qu’en tout état de cause, si une somme supérieure à celle fixée par les premiers juges devait être accordée à la société requérante, les intérêts ne sauraient être calculés sur l’intégralité de la somme dans la mesure où il a déjà versé la somme de 6 371, 10 euros en exécution du jugement ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 19 mars 2013, présenté pour la société Aquatrium, qui conclut aux mêmes fins que la requête ;

elle soutient en outre que la mention “ aléas, imprévus, risques et bénéfice de 5 % “ n’a aucune valeur contractuelle ; que la note qu’elle a versée au débat contentieux, corroborée par l’expert- comptable et par le commissaire aux comptes, justifie du manque à gagner ;

Vu le mémoire, enregistré le 4 avril 2013, présenté pour la société Aquatrium, qui conclut aux mêmes fins que la requête ;

elle soutient en outre qu’elle entend se référer notamment à une note justificative complémentaire du calcul de son bénéfice net jointe au présent mémoire ;

Vu l’ordonnance du 18 mars 2013 du président de la première chambre de la cour portant clôture de l’instruction à compter du 11 avril 2013 à 16 heures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 16 mai 2013 :

- le rapport de M. Pommier, président,

- les conclusions de Mme Ghisu-Deparis, rapporteur public,

- et les observations de Me Jaquet, avocat de la Société Aquatrium ;

1. Considérant que l’Institut national polytechnique de Lorraine (INPL) a lancé un appel d’offres au cours de l’année 2004 en vue de la désignation, selon la procédure négociée, des entreprises chargées de la restructuration de la station expérimentale de valorisation des matières premières et de substances dites anthropisées ; que la société Aquatrium, qui s’était portée candidate pour l’attribution du lot n° 18, “ traitement des effluents “, a été informée du rejet de son offre par une décision du pouvoir adjudicateur en date du 11 avril 2005 ; que le Tribunal administratif de Nancy, saisi par la société Aquatrium, a annulé cette décision par un jugement du 31 décembre 2008, devenu définitif, au motif que l’ INPL avait, au cours de la négociation, invité la société attributaire à régulariser son offre, en méconnaissance du principe d’égalité de traitement des candidats ; que, par un jugement du 31 mai 2011, le tribunal administratif de Nancy a condamné l’INPL à verser à la société Aquatrium la somme de 6 371,10 euros en réparation du préjudice financier subi du fait de son éviction irrégulière ; qu’elle demande la réformation de ce jugement et que le montant de la condamnation mise à la charge de l’INPL soit porté à la somme de 46 258, 79 euros ;

2. Considérant que lorsqu’une entreprise candidate à l’attribution d’un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d’abord si l’entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché ; que, dans l’affirmative, l’entreprise n’a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre ; qu’il convient ensuite de rechercher si l’entreprise avait des chances sérieuses d’emporter le marché ; que, dans un tel cas, l’entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre qui n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique ;

3. Considérant que l’INPL ne conteste pas que, comme l’a jugé à bon droit le tribunal administratif, la Société Aquatrium, dont l’offre était classée deuxième dans le rapport de présentation, avait une chance sérieuse de remporter le marché afférent au lot n° 18 ;

4. Considérant que le manque à gagner dont le concurrent irrégulièrement évincé peut demander l’indemnisation doit être déterminé en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché s’il l’avait obtenu ; que le bénéfice net s’entend de la différence entre les produits et les charges d’exploitation engagées sur la même période ;

5. Considérant que, pour déterminer le montant du bénéfice net du marché dont elle a été irrégulièrement évincée, la société Aquatrium a produit devant la Cour un relevé des charges qu’elle aurait supportées si elle avait effectué les travaux afférents audit marché et venant en déduction du montant total du marché prévu soit 138 062, 34 euros ht ; qu’elle soutient que ce relevé est de nature à établir que le bénéfice net qu’elle aurait perçu sur ce marché aurait été de 46 258,79 euros ou à tout le moins de 40 286,79 euros ;

6. Considérant que, contrairement à ce que soutient la société requérante en se prévalant d’une attestation de son expert-comptable, les frais généraux estimés à 7 352 euros - soit 5 972 euros de frais de structure et 1 380 euros de frais d’assurance de responsabilité civile générale doivent être pris en compte dans les charges afférentes audit marché, ainsi d’ailleurs qu’elle-même les avait calculés au prorata de la durée de 5 mois prévue pour l’exécution du marché ; qu’il y a lieu de retenir la somme de 77 200 euros au titre de l’achat des matériels et équipements nécessaires à l’exécution du marché et la somme de 3 185, 55 euros que la société requérante a fait figurer sur son chiffrage à titre de marge d’erreur et d’aléas ; qu’elle a chiffré ses coûts salariaux à la somme de 10 038 euros correspondant à 32 jours de travail d’un ingénieur et 22 jours d’un technicien ; que, toutefois, dans son mémoire technique justificatif, elle avait notamment indiqué comme durée de réalisation des travaux 1 mois au titre de période de préparation et 1 mois au titre de la période d’installation ; qu’elle ne justifie pas les raisons pour lesquelles, dans le chiffrage de ses charges, la phase de préparation ne mobiliserait en réalité un ingénieur que 10 jours et la phase d’installation deux salariés durant seulement 12 jours ; que, dans ces conditions, il y a lieu de regarder comme sous-évalué le poste de charges afférents à la masse salariale tel que l’a chiffré la société Aquatrium ; que, par suite, il sera fait une juste appréciation du manque à gagner qu’elle a subi en fixant à 30 000 euros le montant du préjudice correspondant à la perte du bénéfice net afférent à ce marché ;

7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société Aquatrium est seulement fondée à demander la condamnation de l’Institut national polytechnique de Lorraine à lui verser la somme de 30 000 euros ; que, sous réserve de l’incidence du versement de la somme de 6371,10 euros en exécution du jugement, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2009, lesdits intérêts étant capitalisés à compter du 11 mai 2010 ainsi qu’à chaque échéance annuelle ultérieure, comme prescrit par le tribunal ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant qu’aux termes de l’article L761-1 du code de justice administrative : “ Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. “ ;

9. Considérant que les dispositions de l’article L761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Aquatrium qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande l’Institut national polytechnique de Lorraine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de ce dernier une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Aquatrium et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La somme de 6371,10 euros que l’Institut national polytechnique de Lorraine a été condamné à verser à la société Aquatrium par le jugement du Tribunal administratif de Nancy en date du 31 mai 2011 est portée à 30 000 euros. Sous réserve de l’incidence du versement de la somme précitée de 6371,10 euros en exécution dudit jugement, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2009. Les intérêts échus le 11 mai 2010 puis aux échéances annuelles postérieures seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article2 : Le jugement du tribunal administratif de Nancy en date du 31 mai 2011 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : l’Institut national polytechnique de Lorraine versera à la société Aquatrium la somme de 1 500 euros en application de l’article L761-1 du code de justice administrative.

Article 4: Les conclusions de l’Institut national polytechnique de Lorraine tendant à l’application de l’article L761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Aquatrium et à l’Institut national polytechnique de Lorraine.

MAJ 30/06/13 - Source legifrance

Voir également

Contrat nul et droit à l’indemnisation du cocontractant

Indemnisation des frais de présentation de l'offre

Indemnisation pour éviction irrégulière et réparation du préjudice

Jurisprudence

CE, 26 sept. 2007, n° 259809, OPHLM du Gard (Absence Une personne publique ayant conclu un marché entaché de nullité et n’ayant pas fait naitre d’obligations entre les parties peut exercer une action en répétition de l’indu)

CAA Marseille, 9 juillet 2007, n° 05MA01087, Cie générale eaux c/ Commune Frontignan (Illégalité des bons de commande n'entrainant pas la nullité du marché et rejet de la demande indemnitaire fondée sur les terrains des responsabilités quasi-contractuelle et quasi-délictuelle)

CAA  de Marseille, 25 juin 2007, n° 03MA00359, Société de transports Galiero (Conditions de réparation du préjudice né de l'éviction irrégulière d'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public).

CAA Paris, 20 mars 2007, n° 04PA04003, Société GETRONICS FRANCE venant aux droits de la SOCIETE OSLY FRANCE (Indemnisation de prestations effectuées sans marché, partage des responsabilités entre le prestataire et l'Etat sur le fondement de l'enrichissement sans cause en résultant pour l'Etat. Remboursement de celles de ses dépenses utiles, à l'exclusion de tout bénéfice, engagées par l'entreprise pour assurer les prestations dont l'administration a profité)

CE, 29 décembre 2006, n° 273783, Société Bertele SNC c/ Commune de LENS (Un règlement de consultation qui retient comme premier critère d’attribution des offres la qualification professionnelle des entreprises est illégal. Conditions d'indemnisation)

CE, 17 novembre 2006, n° 290712, Agence Nationale Pour l'Emploi - ANPE (S'il est loisible à l'acheteur public d'exiger la détention, par les candidats à l'attribution d'un marché public, de documents comptables et de références de nature à attester de leurs capacités, cette exigence, lorsqu'elle a pour effet de restreindre l'accès au marché à des entreprises, doit être objectivement rendue nécessaire par l'objet du marché et la nature des prestations à réaliser)

CE, 18 juin 2003, n° 249630, Groupement d'entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, Société Biwater et Société Aqua TP (Règles d'indemnisation d'un candidat injustement évincé)

CAA Douai, 28 mai 2003, n° 00DA00663, Entreprise Delattre c/ Commune d'Amiens (Conditions d'indemnisation d'une entreprise privée d'une chance sérieuse de remporter un marché compte tenu du caractère irrégulier de la procédure d'appel d'offres)

CE, 23 mai 1979, n° 00063, commune de Fontenay-le-Fleury (Notion Tacite reconduction équivalant à la passation d'un nouveau contrat. Nullité du contrat et droit à l’indemnisation du cocontractant. Un avenant au contrat initial, conclu de gré à gré, avait pour effet d'augmenter la valeur totale du marché au point de dépasser le seuil applicable à cette procédure. Le Conseil d'État a jugé cet avenant nul, considérant qu'il conduisait à un contournement des règles de mise en concurrence applicables aux marchés dépassant un certain seuil. Cet arrêt met en évidence la position initiale de la jurisprudence, qui interdisait tout dépassement de seuil, quel que soit le motif de la modification. Cette approche visait à garantir le respect strict des procédures de passation des marchés publics et à prévenir tout risque de favoritisme ou de manque de transparence).