CAA Toulouse, 19 mars 2024, n° 22TL20276 - TVA et marchés publics de formation
Dans un marché public de formation professionnelle l'analyse des offres doit-elle se faire sur les prix hors taxes (HT) ou TTC notamment lorsque certains candidats ne sont pas assujettis à la TVA ?
La Cour administrative d'appel de Toulouse juge que l'analyse des offres dans un marché public de formation doit se faire TTC, y compris en présence de candidats non assujettis à la TVA, afin de garantir l'égalité de traitement. Elle considère que la comparaison des offres HT constitue une irrégularité, sans pour autant justifier systématiquement l'annulation du contrat si elle n'affecte ni le consentement ni le contenu de celui-ci. La Cour précise également les conditions strictes d'indemnisation du candidat irrégulièrement évincé, exigeant la démonstration de chances sérieuses d'obtenir le marché et une justification rigoureuse du manque à gagner allégué.
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000033404139
Dans le cadre des marchés publics, l'analyse des offres doit être réalisée de manière à garantir une égalité de traitement entre tous les candidats. Lorsque certains candidats ne sont pas assujettis à la TVA, comme c'est souvent le cas pour les organismes de formation, l'analyse des offres doit se faire sur la base des prix toutes taxes comprises (TTC) afin de comparer ce qui est effectivement comparable. Cette règle s'applique même si le pouvoir adjudicateur n'a pas expressément précisé ce point dans les documents de la consultation, l'obligation de garantir l'égalité de traitement primant sur le formalisme des documents.
En l'espèce, la région Occitanie aurait dû comparer les offres TTC (12 600 € pour Proximum contre 14 400 € pour Clymats d'Entreprises) au lieu de les comparer HT. Cette erreur d'analyse a faussé la comparaison et conduit à retenir une offre qui n'était pas économiquement la plus avantageuse, en violation du principe d'égalité de traitement des candidats.
A retenir :
- L'analyse des offres dans les marchés publics de formation doit se faire TTC, surtout en présence de candidats non assujettis à la TVA.
- Une irrégularité dans l'analyse des offres n'entraîne pas nécessairement l'annulation du marché si elle n'affecte pas le consentement ou le contenu du contrat.
- L'indemnisation du candidat évincé nécessite de prouver des chances sérieuses d'obtenir le marché et de justifier précisément le manque à gagner.
Résumé
Contexte et procédure
La société Proximum a été évincée d'un marché public de formation attribué par la région Occitanie à l'association Clymats d'Entreprises.
Elle demande l'annulation ou la résiliation du marché ainsi qu'une indemnisation pour son préjudice. Après le rejet de sa demande par le tribunal administratif, Proximum fait appel devant la Cour administrative d'appel de Toulouse.
Problème juridique principal
La question centrale est de savoir si l'analyse des offres doit se faire sur la base des prix hors taxes (HT) ou toutes taxes comprises (TTC) dans le cadre d'un marché public de formation, notamment lorsque certains candidats ne sont pas assujettis à la TVA.
Solution retenue par la Cour
La Cour administrative d'appel de Toulouse juge que :
1) L'analyse des offres aurait dû se faire sur la base des prix TTC.
2) La région Occitanie a commis une irrégularité en comparant les offres HT.
3) Cette irrégularité n'est pas suffisamment grave pour justifier l'annulation du marché cependant, elle ouvre droit à une indemnisation pour la société requérante.
Analyse
Sur la régularité de la procédure de passation
La Cour rappelle les principes fondamentaux de la commande publique, notamment :
- Le principe d'égalité de traitement des candidats (article L. 3 du Code de la commande publique) : "Les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d'égalité de traitement des candidats à l'attribution d'un contrat de la commande publique."
- La nécessité d'une méthode de notation permettant d'attribuer la meilleure note au candidat proposant le prix le plus bas.
En l'espèce la Cour constate que :
- Le règlement de consultation ne précisait pas si les prix devaient être exprimés HT ou TTC.
- Cependant, d'autres documents du marché (cahier des clauses particulières, cadre de décomposition du prix) indiquaient que les prix devaient être présentés TTC.
- La région Occitanie n'était pas en mesure de déduire la TVA grevant le prix des prestations.
La Cour cite notamment : "Il ne résulte pas de l'instruction que la région Occitanie était en mesure de déduire le montant de la taxe sur la valeur ajoutée grevant le prix des prestations en litige."
En conséquence, la Cour juge que la région a commis une irrégularité en comparant les offres HT, ce qui a conduit à retenir l'offre de l'association Clymats d'Entreprises (14 400 € TTC) au détriment de celle de Proximum (12 600 € TTC), pourtant économiquement plus avantageuse.
Sur les conséquences de l'irrégularité
Concernant la validité du contrat
La Cour estime que l'irrégularité constatée n'est pas d'une gravité suffisante pour justifier l'annulation du contrat.
Elle relève notamment que le vice n'a pas affecté le consentement de la personne publique, il n'affecte pas le contenu même du contrat et Il n'y a pas de circonstances particulières révélant une volonté de favoriser un candidat.
La Cour précise : "ce vice, dont il n'est pas établi qu'il aurait affecté le consentement de la personne publique et qui n'affecte pas non plus le contenu même du contrat, n'est pas d'une gravité telle, en l'absence par ailleurs de toutes circonstances particulières révélant une volonté de la personne publique de favoriser un candidat, qu'il implique que soit prononcée l'annulation du contrat."
Concernant l'indemnisation du candidat évincé
La Cour rappelle les principes applicables en matière d'indemnisation du candidat irrégulièrement évincé (CE, 18 juin 2003, n° 249630, Groupement d'entreprises solidaires ETPO Guadeloupe et autres) :
- Existence d'un lien direct de causalité entre la faute et le préjudice
- Vérification des chances sérieuses de remporter le contrat
- Indemnisation du manque à gagner en cas de chances sérieuses
Appliquant ces principes, la Cour :
- Reconnaît l'existence de chances sérieuses pour Proximum de remporter le marché
- Constate un lien direct entre la faute de la région et le préjudice subi
- Accorde une indemnisation, mais réduit le montant demandé (864 € au lieu de 5 670 €) en raison d'une justification insuffisante du taux de marge invoqué
La Cour cite notamment : "À l'inverse, il résulte des données comptables accessibles au public, produites en dernier lieu par la région Occitanie, que le taux de marge réalisé par la société appelante est de l'ordre de 6 %."
Portée de la décision
Cette décision apporte des précisions sur :
1. La nécessité de comparer les offres TTC dans les marchés publics de formation, surtout lorsque certains candidats ne sont pas assujettis à la TVA.
2. L'appréciation de la gravité des irrégularités dans la passation des marchés publics.
3. Les modalités d'indemnisation du candidat irrégulièrement évincé, notamment concernant la justification du manque à gagner.
Texte
[...]
1. Suite à un accord-cadre élaboré par la communauté urbaine de Bordeaux, cette dernière a lancé une procédure de passation de deux marchés à bons de commande de formation initiale minimale obligatoire et de formation continue obligatoire des conducteurs de poids-lourds affectés au transport de marchandises, le 22 décembre 2010. Ces deux marchés avaient une durée d'exécution expirant le 31 décembre 2011. Si la société ECF-CESR-FP a été sélectionnée pour le premier marché référencé M101142U, elle a été informée le 21 février 2011 qu'elle n'avait pas été retenue pour le second marché référencé M101143U, qui a été passé avec la société Fauvel, classée première à l'issue de l'analyse des offres. Elle a sollicité auprès du tribunal administratif de Bordeaux l'annulation du marché passé entre la communauté urbaine de Bordeaux et la société Fauvel le 8 février 2011, et la condamnation de la collectivité à lui verser la somme de 40 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de son éviction de la procédure de passation du marché n° MU101143U. Bordeaux Métropole, qui vient aux droits de la communauté urbaine de Bordeaux, relève appel du jugement en date du 19 novembre 2014 en tant qu'il l'a condamnée à payer à la société ECF-CESR-FP la somme de 25 000 euros assortie des intérêts au taux légal.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 1 du code des marchés publics : " (...) II.-Les marchés publics et les accords-cadres soumis au présent code respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. Ces obligations sont mises en oeuvre conformément aux règles fixées par le présent code (...). " Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en oeuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Une méthode de notation est entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elle est par elle-même de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et est, de ce fait, susceptible de conduire, pour la mise en oeuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. La régularité d'une méthode de notation de prix de prestations s'apprécie sans considération de la situation particulière de chacune des entreprises candidates et ne saurait donc dépendre, notamment, de leur situation fiscale respective au regard de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Eu égard à ce principe, une collectivité ne saurait comparer les prix proposés par chacune des entreprises en ajoutant aux prix proposés hors taxe, conformément aux règles définies par elle, par les candidats non exonérés de taxe à la date de la comparaison, la TVA qui sera éventuellement due par la collectivité sur les prestations.
3. En l'espèce, l'article 5 du cahier des charges prévoit que les critères de sélection des offres étaient au nombre de deux, le prix, pondéré à 40 %, et le délai d'exécution, pondéré à 60 %. L'article 8-1 de la lettre de commande de la communauté urbaine de Bordeaux dispose que : " le prix présenté par le titulaire est unitaire, ferme et définitif, exprimé en euros hors taxe. (...) Les prix prévus à la présente lettre de commande s'entendent hors taxes. Ils seront augmentés de tous les droits, impôts et taxes légalement applicables et en vigueur le jour de leur exigibilité. " Il résulte de ces dispositions que le prix proposé devait être exprimé hors taxe par l'ensemble des candidats, sans distinction entre ceux qui étaient exonérés de TVA et les autres. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 que la méthode de comparaison des offres ayant consisté à comparer les prix tels qu'ils étaient exprimés par les candidats permettait de respecter le principe d'égalité entre les candidats, sans considération de leur situation fiscale particulière. Contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la communauté urbaine de Bordeaux n'a commis aucune erreur de droit en retenant une telle règle de notation des prix et n'a donc pas entaché la procédure de passation du marché en litige d'irrégularité. Il appartient à la cour, par la voie de l'effet dévolutif, de statuer sur l'ensemble des prétentions de la société ECF-CESR-FP présentées devant le tribunal administratif de Bordeaux.
4. Saisi par un tiers de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.
5. La procédure de passation du marché en litige n'étant pas entachée de la seule irrégularité invoquée par la société ECF-CESR-FP, cette dernière n'est fondée ni à demander l'annulation du marché en litige, ni à être indemnisée des préjudices qu'elle invoque.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Bordeaux Métropole, qui vient aux droits de la communauté urbaine de Bordeaux, est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux l'a condamnée à verser à la société ECF-CESR-FP une somme de 25 000 euros en réparation de son manque à gagner.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Bordeaux Métropole demande à ce qu'il soit enjoint à la société ECF-CESR-FP de rembourser la somme de 26 478,49 euros, assortie des intérêts moratoires à compter de la date de paiement jusqu'à la date de la restitution du principal. Il résulte cependant des dispositions de l'article L. 11 du code de justice administrative que les décisions des juridictions administratives sont exécutoires. Lorsque le juge d'appel infirme une condamnation prononcée en première instance, sa décision, dont l'expédition notifiée aux parties est revêtue de la formule exécutoire prévue à l'article R. 751-1 du code de justice administrative, permet par elle-même d'obtenir, au besoin d'office, le remboursement de sommes déjà versées en vertu de cette condamnation. Ainsi, les conclusions de Bordeaux Métropole tendant à ce qu'il soit enjoint à la société ECF-CESR-FP de lui rembourser la somme versée en exécution du jugement attaqué sont sans objet. Elles ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Bordeaux Métropole, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par la société ECF-CESF-FP et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société ECF-CESF-FP une somme au titre des frais exposés par Bordeaux Métropole au même titre.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1101649 du 19 novembre 2014 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société ECF-CESR-FP devant le tribunal administratif de Bordeaux est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
[...]
MAJ 30/03/24 - Source legifrance
Jurisprudence
CAA Douai, 4 juin 2020, n° 17DA01777 (Des prestations de formation sous-traitées peuvent être exonérées de TVA).
CAA Bordeaux, 15 novembre 2016, n° 15BX00253, Bordeaux Métropole (La situation fiscale des entreprises candidates au regard de la TVA ne doit pas être prise en compte pour comparer les prix proposés pour les offres. La régularité d'une méthode de notation de prix de prestations s'apprécie sans considération de la situation particulière de chacune des entreprises candidates et ne saurait donc dépendre, notamment, de leur situation fiscale respective au regard de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Eu égard à ce principe, une collectivité ne saurait comparer les prix proposés par chacune des entreprises en ajoutant aux prix proposés hors taxe, conformément aux règles qu'elle a définies, par les candidats non exonérés de taxe à la date de la comparaison, la TVA qui sera éventuellement due par elle sur les prestations).
CAA Bordeaux, 27 juin 2013, n° 11BX03327, Sté Coveis Ingéniérie (Indemnisation pour un minimum non atteint dans un marché à bons de commande. L’indemnité n’est pas soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Il résulte de l’article 256 du code général des impôts que le versement d’une somme d’un débiteur à son créancier ne peut être regardé comme la contrepartie d’une prestation de service entrant dans le champ de la taxe sur la valeur ajoutée qu’à la condition qu’il existe un lien direct entre ce versement et une prestation individualisable. L’indemnité perçue par le titulaire d’un marché public du fait que l’administration n’a pas respecté le montant minimal de commandes prévu à ce marché n'est pas la contrepartie d'une prestation mais constitue la réparation d’un préjudice qui est dissociable de la prestation fournie par l’entreprise bénéficiaire du versement. Il en résulte que la somme allouée ne doit pas être majorée de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA)).
Questions écrites au sénat ou à l'assemblée nationale - Réponses ministérielles
Question écrite n° 21717 de Mme Anne Emery-Dumas (TVA applicable à des actions de sous-traitance pour les organismes de formation professionnelle continue (FPC) - En cas de sous-traitance de la prestation de formation, si les deux structures (le titulaire et la structure tierce sous-traitante) détiennent l'attestation mentionnée aux articles 202 A à 202 D de l'annexe II au CGI, la prestation de formation bénéficiera de l'exonération).