Tribunal Administratif de Dijon, 13 août 2024, n° 2402585. Passation des marchés et marge de manœuvre de l'acheteur dans l'analyse des offres.
Validation de l'utilisation par un acheteur public d'un sous-critère relatif à la fréquence d'enlèvement des déchets, bien que non explicitement mentionné dans le cadre du mémoire technique. Le Tribunal considère que cet élément se rattache naturellement au critère annoncé sur la gestion des déchets. Cette décision illustre la marge de manœuvre dont dispose l'acheteur pour interpréter les mémoires techniques des candidats, tout en respectant les principes de transparence et d'égalité de traitement. L'acheteur n'est pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres lorsqu'il se borne à mettre en œuvre les critères annoncés.
L'acheteur public dispose d'une certaine marge de manœuvre dans l'analyse des offres au regard des critères annoncés dans le règlement de la consultation et le cadre du mémoire technique. Il peut utiliser des sous-critères ou éléments d'appréciation non expressément mentionnés dans ces documents, dès lors que ceux-ci se rattachent naturellement aux critères principaux et ne modifient pas substantiellement les attentes exprimées. Cette souplesse doit toutefois s'exercer dans le respect des principes de transparence et d'égalité de traitement entre les candidats. Les entreprises candidates doivent donc être attentives à fournir un mémoire technique détaillé, abordant tous les aspects pouvant se rattacher aux critères annoncés, même s'ils ne sont pas explicitement demandés.
En l'espèce le juge a considéré que la prise en compte de la fréquence d'enlèvement des déchets dans le cadre du critère relatif à la gestion des déchets ne constituait pas un nouveau critère distinct nécessitant une information spécifique des candidats, mais un simple élément d'appréciation se rattachant naturellement au critère annoncé. Bien que cet élément n'ait pas été explicitement demandé dans le cadre du mémoire technique, le juge a estimé qu'il relevait logiquement des "dispositions spécifiques prises par l'entrepreneur pour assurer la gestion de tous les déchets et la propreté du chantier". Cette approche pragmatique permet de préserver une certaine souplesse dans l'analyse des offres tout en garantissant le respect des principes fondamentaux de la commande publique.
Elle souligne l'importance pour les candidats de fournir un mémoire technique exhaustif, anticipant les différents aspects que l'acheteur pourrait prendre en compte dans son évaluation. « ... le département a notamment évalué la fréquence d'évacuation des déchets, et a retiré trois points à l'entreprise requérante, en l'absence d'éléments sur ce point dans son mémoire technique. En procédant ainsi, dès lors que la fréquence d'enlèvement des déchets est un des éléments constitutifs de la gestion des déchets d'un chantier, a fortiori dans le cas de déchets potentiellement dangereux, comme ceux d'un marché de curage et de désamiantage, le département de la Côte-d'Or n'a pas modifié ses attentes définies, dans le règlement de la consultation et le cadre de mémoire technique, par les critères de sélection et n'a donc pas évalué les offres sur un nouveau critère distinct du troisième critère précité, mais s'est borné à prendre, au rang des éléments d'appréciation de ce critère, la fréquence d'enlèvement des déchets. Le moyen tiré de ce que le département de la Côte-d'Or aurait méconnu le principe de transparence des procédures et le principe d'égalité de traitement entre les candidats doit donc être écarté. ».
Résumé
Dans cette ordonnance, le juge des référés rejette un recours contre la procédure de passation d'un marché public de travaux, en précisant les conditions dans lesquelles l'acheteur peut utiliser des sous-critères non annoncés pour analyser les offres. Cette décision s'inscrit dans une jurisprudence constante visant à concilier transparence et efficacité de la commande publique.
La solution retenue par le juge illustre la recherche d'un équilibre entre, d'une part, la nécessaire transparence de la procédure et, d'autre part, la marge de manœuvre dont doit disposer l'acheteur pour apprécier les offres. Cette approche permet une certaine souplesse dans l'analyse des offres, tout en incitant les candidats à fournir des offres détaillées sur tous les aspects pouvant se rattacher aux critères annoncés.
Cependant, on peut s'interroger sur le problème récurrent de la limite entre un simple élément d'appréciation et un véritable sous-critère. Dans certains cas, la frontière peut être ténue et source d'insécurité juridique aussi bien pour les candidats que l'acheteur.
Contexte et procédure
Le 12 février 2024, le département de la Côte-d'Or a lancé une consultation en procédure adaptée pour un marché de travaux de rénovation d'un collège, décomposé en 6 lots. Le 26 juillet 2024, la société Damin a été informée du rejet de son offre pour le lot n°1 "démolitions - curage - désamiantage" et de l'attribution de ce lot à une entreprise concurrente.
La société Damin a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif sur le fondement des articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative (CJA), demandant l'annulation partielle de la procédure de passation et la suspension de la signature du contrat.
Sur l'utilisation d'un sous-critère non annoncé
Cadre juridique applicable
Le juge examine ce moyen au regard des règles applicables en matière d'information des candidats sur les critères de sélection des offres (considérants 6 et 7). Il rappelle que :
- Le pouvoir adjudicateur doit informer les candidats des critères de sélection et de leur pondération/hiérarchisation (art. L. 2152-7 et R. 2152-11 du code de la commande publique).
- Si des sous-critères pondérés ou hiérarchisés sont utilisés, ils doivent être portés à la connaissance des candidats dès lors qu'ils sont "susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres".
- En revanche, le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation lorsqu'il se borne à mettre en œuvre les critères annoncés.
Cette présentation reprend la jurisprudence constante du Conseil d'État sur l'information des candidats (CE, 18 juin 2010, Commune de Saint-Pal-de-Mons, n°337377; CE, 30 janvier 2009, ANPE, n°290236).
Application au cas d'espèce
Appliquant ces principes au cas d'espèce, le juge considère que le département n'a pas méconnu ses obligations (considérant 8) :
- Les candidats ont bien été informés des 3 critères techniques et de leur pondération, dont un critère sur les "dispositions spécifiques prises par l'entrepreneur pour assurer la gestion de tous les déchets et la propreté du chantier".
- En évaluant la fréquence d'évacuation des déchets dans le cadre de ce critère, le département "n'a pas modifié ses attentes" ni "évalué les offres sur un nouveau critère distinct".
- Il s'est "borné à prendre, au rang des éléments d'appréciation de ce critère, la fréquence d'enlèvement des déchets".
Le juge estime donc que la fréquence d'enlèvement des déchets est "un des éléments constitutifs de la gestion des déchets d'un chantier", en particulier pour des "déchets potentiellement dangereux" comme ceux d'un marché de curage et désamiantage.
Le juge écarte donc le moyen tiré de la méconnaissance du principe de transparence et d'égalité de traitement entre les candidats.
Texte
[…]
1. Le 12 février 2024, le département de la Côte-d'Or a lancé une consultation, selon la procédure adaptée, en vue de la passation d'un marché, décomposé en six lots, ayant pour objet la rénovation du pôle vie scolaire et l'aménagement d'une salle multimédia au sein du bâtiment C - externat du collège La Croix des Sarrasins à Auxonne dans la Côte-d'Or. Le 26 juillet 2024, le département a informé la société par actions simplifiée (SAS) Damin que son offre, s'agissant du lot n° 1, en sous-traitance avec la société D3, avait été rejetée et que ce lot avait été attribué à la société Argenton, en sous-traitance avec les entreprises Valgo et Labeaune. La société Damin, eu égard à la portée des moyens soulevés, doit être regardée comme demandant au juge des référés, sur le fondement des articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative, d'annuler partiellement la procédure de passation du marché. Elle demande en outre au juge des référés d'enjoindre au département de la Côte-d'Or de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure.
[…]
6. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution. Les modalités d'application du présent alinéa sont prévues par voie réglementaire. ". Aux termes de l'article R. 2152-11 du même code : " Les critères d'attribution ainsi que les modalités de leur mise en œuvre sont indiqués dans les documents de la consultation. ".
7. Il résulte des dispositions précitées que, pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire dès l'engagement de la procédure d'attribution. Le pouvoir adjudicateur est ainsi tenu d'informer dans les documents de consultation les candidats des critères de sélection des offres ainsi que de leur pondération ou hiérarchisation. S'il décide, pour mettre en œuvre ces critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères également pondérés ou hiérarchisés, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats et doivent, en conséquence, être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. En revanche, il n'est pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres lorsqu'il se borne à mettre en œuvre les critères annoncés.
8. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les candidats ont été informés des trois critères, affectés respectivement de 20, 10 et 10 points, que le département de la Côte-d'Or a déterminés pour l'appréciation de la valeur technique des offres, pondérée à 40 sur 100, à savoir les " dispositions spécifiques en matière de sécurité vis-à-vis du personnel du collège, des professeurs et des collégiens ", les " dispositions spécifiques de limitation des nuisances au collège pendant les heures de fonctionnement du collège " et les " dispositions spécifiques prises par l'entrepreneur pour assurer la gestion de tous les déchets et la propreté du chantier ". Il résulte également de l'instruction que, s'agissant du dernier de ces trois critères, le département a notamment évalué la fréquence d'évacuation des déchets, et a retiré trois points à l'entreprise requérante, en l'absence d'éléments sur ce point dans son mémoire technique. En procédant ainsi, dès lors que la fréquence d'enlèvement des déchets est un des éléments constitutifs de la gestion des déchets d'un chantier, a fortiori dans le cas de déchets potentiellement dangereux, comme ceux d'un marché de curage et de désamiantage, le département de la Côte-d'Or n'a pas modifié ses attentes définies, dans le règlement de la consultation et le cadre de mémoire technique, par les critères de sélection et n'a donc pas évalué les offres sur un nouveau critère distinct du troisième critère précité, mais s'est borné à prendre, au rang des éléments d'appréciation de ce critère, la fréquence d'enlèvement des déchets. Le moyen tiré de ce que le département de la Côte-d'Or aurait méconnu le principe de transparence des procédures et le principe d'égalité de traitement entre les candidats doit donc être écarté.
9. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que la société requérante n'aurait pas reçu de réponse à sa demande d'explication écrite du 29 juillet 2024 est, en tout état de cause, dépourvu d'objet, dès lors qu'une telle réponse lui a été adressée le 30 juillet 2024 et lui a été, au demeurant, communiquée dans le cadre de la présente instance.
10. Il résulte de ce qui précède que la société par actions simplifiée Damin n'est pas fondée à demander l'annulation partielle de la procédure de passation, par le département de la Côte-d'Or, du lot n° 1 " démolitions - curage - désamiantage " du marché tendant à la rénovation du pôle vie scolaire et à l'aménagement d'une salle multimédia au sein du bâtiment C - externat du collège La Croix des Sarrasins à Auxonne.
[…]
Jurisprudence
CE, 19 avril 2013, n° 365340, Ville de Marseille (L'incertitude résultant de la méthode de notation des offres, et son adaptation lors de l'analyse des offres par le pouvoir adjudicateur porte atteinte au atteinte au principe d'égalité entre les candidats)
CE, 2 août 2011, n° 348711, SIVOA (L'acheteur peut recourir à une simulation financière pour évaluer les offres. Pour l'appréciation des critères de sélection des offres il faut bien distinguer critère et simple méthode de notation des offres. En procédant à une simulation nécessaire à l’appréciation du critère du prix eu égard à la coexistence de prix forfaitaires et de prix unitaires, le pouvoir adjudicateur met en oeuvre une simple méthode de notation destinée à évaluer ce critère, sans modifier ses attentes définies dans le règlement de la consultation par les critères de sélection et donc sans poser un sous-critère assimilable à un critère distinct. En effectuant, pour évaluer le montant des offres qui lui sont présentées, une simulation consistant à multiplier les prix unitaires proposés par les candidats par le nombre d'interventions envisagées, un pouvoir adjudicateur n'a pas recours à un sous-critère, mais à une simple méthode de notation des offres destinée à les évaluer au regard du critère du prix. Il n'est donc pas tenu d'informer les candidats, dans les documents de la consultation, qu'il aura recours à une telle méthode).
CE, 31 mars 2010, n° 334279, Collectivité Territoriale de Corse (Si le pouvoir adjudicateur a l’obligation d’indiquer dans les documents de consultation les critères d’attribution du marché et leurs conditions de mise en oeuvre, il n’est en revanche pas tenu d’informer les candidats de la méthode de notation des offres)