TA Marseille, 12 août 2022, n° 2206089 - Distinction sous-critères et simples éléments d'appréciation
Le pouvoir adjudicateur doit porter à la connaissance des candidats les sous-critères pondérés susceptibles d'influencer la présentation des offres, y compris en procédure adaptée. Distinction entre sous-critères et simples éléments d'appréciation, et importance de ne pas dénaturer les offres lors de leur analyse.
Résumé
En l'espèce, la commune de Castellane avait lancé une consultation en procédure adaptée pour des travaux de consolidation par injection de résine du sol de fondation d'une ancienne sous-préfecture. L'offre de la société Freyssinet France ayant été rejetée au profit de celle de la société Uretek, la première a saisi le juge des référés précontractuels pour contester cette éviction.
En premier lieu, le tribunal rappelle le principe fondamental selon lequel "l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché". Cette exigence s'applique non seulement aux critères principaux mais également aux sous-critères dès lors que "eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection".
En deuxième lieu, les juges soulignent la distinction entre sous-critères devant être portés à la connaissance des candidats et simples éléments d'appréciation. En l'espèce, la commune avait utilisé cinq items pour évaluer le sous-critère "note méthodologique", dont un item "phasage" pondéré différemment des autres (10 points contre 5 points). Le tribunal considère que ces items, compte tenu de leur pondération différenciée et de leur importance, "ne peuvent être considérés comme de simples éléments d'appréciation" mais constituent de véritables sous-critères qui auraient dû être communiqués aux candidats.
Selon le tribunal, les cinq items, à savoir les références, les délais, la consolidation des sols, la consolidation des fondations et le phasage, ne peuvent être considérés comme de simples éléments d'appréciation car :
- Ils ne correspondent pas directement aux éléments annoncés dans les documents de consultation. Le règlement de la consultation mentionnait que la note méthodologique devait décrire le mode opératoire, préciser le nombre et les compétences des personnes sur le chantier, les modalités d'exécution, la proposition d'installation du chantier, le matériel à disposition et tout ce qui porte sur la réalisation des travaux. Les cinq items retenus par la commune pour l'analyse des offres ne reprennent pas ces éléments.
- Le sous-critère du phasage a une pondération différente et une importance particulière. Il est noté sur 10 points, tandis que les quatre autres items sont notés sur 5 points chacun. Cette différence de pondération implique que le phasage a un poids significatif dans l'évaluation de la note méthodologique.
- En raison de leur nature et de leur importance, ces cinq items doivent être considérés comme de véritables sous-critères du sous-critère "note méthodologique" et comme de véritables critères d'analyse et de sélection des offres.
En somme, ce n'est pas la nature des items qui les disqualifie comme simples éléments d'appréciation, mais plutôt le fait qu'ils ne correspondent pas aux éléments annoncés dans le règlement de la consultation et surtout la pondération spécifique accordée à l'item relatif au phasage qui montre que ces éléments sont devenus de véritables sous-critères ayant une influence significative sur l'évaluation des offres.
En troisième lieu, la décision souligne l'obligation pour le pouvoir adjudicateur de ne pas dénaturer les offres lors de leur analyse. Le tribunal censure l'appréciation portée sur l'offre de la société requérante concernant le phasage des travaux, considérant qu'il ne résultait pas de l'instruction que cette offre méconnaissait les prescriptions du cahier des clauses techniques particulières.
Cette décision rappelle la nécessaire transparence dans l'information des candidats sur les critères d'évaluation des offres. Elle confirme que ces obligations s'appliquent également en procédure adaptée, où le pouvoir adjudicateur dispose pourtant d'une plus grande souplesse. Elle rappelle notamment les frontières entre sous-critères devant être communiqués et simples éléments d'appréciation. Le tribunal établit que la pondération différenciée d'un élément et son importance particulière dans l'évaluation des offres sont des indices permettant de le qualifier de sous-critère, imposant alors sa communication préalable aux candidats.
Texte
[…]
9. En deuxième lieu, pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces critères. Il doit également porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. Il n'est, en revanche, pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres.
10. Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Il peut ainsi déterminer tant les éléments d'appréciation pris en compte pour l'élaboration de la note des critères que les modalités de détermination de cette note par combinaison de ces éléments d'appréciation. Une méthode de notation est toutefois entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d'appréciation pris en compte pour noter les critères de sélection des offres sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation ou si les modalités de détermination de la note des critères de sélection par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n'y est pas tenu, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode de notation.
11. Il résulte de l'instruction que le règlement de la consultation du marché en cause énonçait, à son article 4.2, que les offres seraient évaluées à partir de deux critères constitués du " prix des prestations ", pondéré à hauteur de 60%, et de " la valeur technique des prestations ", second critère pondéré à hauteur de 40%. La valeur technique de l'offre devait elle-même être évaluée au regard de deux sous-critères tirés, en premier lieu, de la gestion des déchets de chantier, pondéré à hauteur de 10% et, en second lieu, de la note méthodologique, pondérée à hauteur de 30%. Le règlement de la consultation indiquait également que la note méthodologique devait " décrire le mode opératoire de l'entreprise pour l'exécution du chantier, elle précise le nombre et les compétences des personnes effectives sur chantier, les modalités d'exécution, la proposition d'installation de chantier, le matériel à disposition et tout ce qui porte sur la réalisation des travaux ".
12. Le rapport d'analyse des offres révèle que, pour évaluer le sous-critère relatif à la note méthodologique, le pouvoir adjudicateur a en outre distingué cinq items, les références, pondérées à hauteur de 5 points, les délais à hauteur de 5 points, la consolidation des sols à hauteur de 5 points, la consolidation des fondations à hauteur de 5 points et enfin le phasage à hauteur de 10 points.
13. Si la commune de Castellane et la société Uretek soutiennent que ces items constitueraient de simples éléments d'appréciation du sous-critère " note méthodologique " de la valeur technique des offres que le pouvoir adjudicateur n'était pas tenu de porter préalablement à la connaissance des candidats avec leur pondération et que ces éléments d'appréciation avaient été annoncés dans le règlement de consultation, ces cinq items ne correspondent toutefois pas directement aux éléments annoncés dans les documents de la consultation portant sur le nombre et les compétences des personnes sur le chantier, les modalités d'exécution, la proposition d'installation de chantier, le matériel à disposition et la réalisation des travaux.
14. En outre, compte tenu de la pondération de 10% de la note globale des offres accordée, au stade de l'analyse des offres, à l'item portant sur le phasage des travaux, affecté d'une pondération différente et d'une importance particulière par rapport à celle des quatre autres items pondérés chacun à hauteur de 5 points s'agissant des références, des délais, de la consolidation des sols et de la consolidation des fondations, ces cinq items ne peuvent être considérés comme de simples éléments d'appréciation définis par le pouvoir adjudicateur pour préciser ses attentes au regard de chaque critère. Ils doivent être regardés comme des sous-critères du sous-critère " note méthodologique " de la valeur technique des offres et, ainsi, comme de véritables critères d'analyse et de sélection des offres. Par suite, en omettant de porter à la connaissance des candidats la façon dont elle entendait décomposer, au stade de l'analyse des offres, le sous-critère de la valeur technique en cinq sous-critères avec le poids respectif de chacun d'eux, alors qu'elle était de nature, si elle avait été connue des candidats, à influencer la présentation des offres des candidats ou leur sélection, la commune de Castellane a commis un manquement à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, et en particulier au principe de transparence des procédures, applicables y compris dans le cadre d'une procédure adaptée. Ce manquement est susceptible d'avoir lésé la SAS Freyssinet France qui a obtenu la meilleure note au regard du critère du prix, alors que l'écart de points entre elle et la société attributaire était relativement faible au niveau de leur valeur technique et de leur note globale, l'attributaire ayant en outre obtenu la note de 10/10 au sous-sous-critère du phasage et la requérante une note nulle.
[…]
Jurisprudence
TA Dijon, 13 août 2024, n° 2402585 (Validation de l'utilisation par un acheteur public d'un sous-critère relatif à la fréquence d'enlèvement des déchets, bien que non explicitement mentionné dans le cadre du mémoire technique. L'acheteur n'est pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres lorsqu'il se borne à mettre en œuvre les critères annoncés. Le Tribunal considère que cet élément se rattache naturellement au critère annoncé sur la gestion des déchets. Cette décision illustre la marge de manœuvre dont dispose l'acheteur pour interpréter les mémoires techniques des candidats, tout en respectant les principes de transparence et d'égalité de traitement).
CE, 19 avril 2013, n° 365340, Ville de Marseille (L'incertitude résultant de la méthode de notation des offres, et son adaptation lors de l'analyse des offres par le pouvoir adjudicateur porte atteinte au atteinte au principe d'égalité entre les candidats)
CE, 2 août 2011, n° 348711, SIVOA (L'acheteur peut recourir à une simulation financière pour évaluer les offres. Pour l'appréciation des critères de sélection des offres il faut bien distinguer critère et simple méthode de notation des offres. En procédant à une simulation nécessaire à l’appréciation du critère du prix eu égard à la coexistence de prix forfaitaires et de prix unitaires, le pouvoir adjudicateur met en oeuvre une simple méthode de notation destinée à évaluer ce critère, sans modifier ses attentes définies dans le règlement de la consultation par les critères de sélection et donc sans poser un sous-critère assimilable à un critère distinct. En effectuant, pour évaluer le montant des offres qui lui sont présentées, une simulation consistant à multiplier les prix unitaires proposés par les candidats par le nombre d'interventions envisagées, un pouvoir adjudicateur n'a pas recours à un sous-critère, mais à une simple méthode de notation des offres destinée à les évaluer au regard du critère du prix. Il n'est donc pas tenu d'informer les candidats, dans les documents de la consultation, qu'il aura recours à une telle méthode).
CE, 31 mars 2010, n° 334279, Collectivité Territoriale de Corse (Si le pouvoir adjudicateur a l’obligation d’indiquer dans les documents de consultation les critères d’attribution du marché et leurs conditions de mise en oeuvre, il n’est en revanche pas tenu d’informer les candidats de la méthode de notation des offres)