
TA Nîmes, 28 janvier 2025, n° 2405036 - Correction d'une offre incomplète sous couvert d'une demande de précisions
Une demande de précisions sur une offre potentiellement anormalement basse ne peut conduire à sa modification substantielle, même sans changement de prix. L'ajout de surfaces non prévues initialement caractérise une offre incomplète irrégulièrement modifiée.
Dans le cadre d'une procédure de passation d'un marché public de travaux, le Tribunal administratif de Nîmes précise la frontière entre précision et modification de l'offre. Si l'acheteur peut demander des éclaircissements sur une offre suspectée d'être anormalement basse, le candidat ne peut l’utiliser pour compléter son offre, même sans modifier son prix. L'ajout de 100 mètres carrés de cloisons initialement oubliés constitue une modification substantielle justifiant le rejet de l'offre comme irrégulière au sens des dispositions de l'article L2152-1 du code de la commande publique..
Résumé
Le Tribunal administratif de Nîmes précise les contours de la distinction entre une demande de précisions et une modification irrégulière de l'offre dans le cadre d'une procédure de passation d'un marché public.
En l’espèce, une communauté de communes avait engagé une procédure de passation d'un marché public de travaux pour la construction d'une cuisine centrale intercommunale. Le lot n°12 concernait le "cloisonnement et faux plafonds isothermes - menuiseries isothermes - équipements de cuisine - équipements frigorifiques". L'offre de la société Froid Cuisine Hérault, présentant un prix inférieur de 28% à l'estimation du pouvoir adjudicateur et de 23% à celui de l'offre concurrente, a été suspectée d'être anormalement basse.
Conformément à l'article L2152-6 du code de la commande publique, la collectivité a demandé des précisions sur le montant de l'offre, notamment concernant les quantités de métrés de cloisons. Dans sa réponse, la société a reconnu avoir "oublié 100 mètres-carrés de surface" et a proposé de les intégrer sans modification du prix global. Le pouvoir adjudicateur a alors rejeté l'offre comme irrégulière.
Le tribunal rappelle d'abord le cadre juridique applicable. L'article R2165-5 du code de la commande publique dispose que "l'acheteur ne peut négocier avec les soumissionnaires. Il lui est seulement possible de leur demander de préciser la teneur de leur offre". Cette règle ne connaît qu'une exception : la rectification d'une erreur purement matérielle "d'une nature telle que nul ne pourrait s'en prévaloir de bonne foi dans l'hypothèse où le candidat verrait son offre retenue" (CE, 21 septembre 2011, n° 349149, Département des Hauts-de-Seine).
En l'espèce, en ajoutant une quantité de métrés absente de son offre initiale sans modifier son prix global, la société n'a pas simplement rectifié une erreur matérielle mais a substantiellement modifié son offre. Cette modification est d'autant plus caractérisée que le pouvoir adjudicateur avait expressément interdit toute modification des "caractéristiques substantielles de l'offre (dont le montant et les quantités chiffrées)".
Cette solution s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure sur l'intangibilité des offres. Elle illustre la différence entre une simple demande de précisions, qui vise à clarifier le contenu d'une offre, et une modification substantielle qui en altère la consistance. L'ajout d'une surface significative de 100 mètres carrés, même sans modification du prix, constitue bien, selon le tribunal, une modification substantielle car elle affecte l'équilibre économique de l'offre et pourrait avantager indûment le candidat par rapport à ses concurrents.
La décision confirme ainsi que la phase de précisions ne peut servir de prétexte à une régularisation de l'offre. Cette position stricte vise à garantir l'égalité de traitement entre les candidats et la transparence de la procédure.
Texte
[...]
5. Il résulte de l'instruction qu'en raison d'un écart significatif du prix global et forfaitaire de l'offre présentée par la société Froid Cuisine Hérault pour le lot n° 12 en cause, inférieur de 28% à l'estimation effectuée par le pouvoir adjudicateur et de 23% à celui de l'offre du groupement attributaire, la communauté de communes de Petite Camargue l'a suspectée d'être anormalement basse au sens de l'article L2152-5 du code de la commande publique. Conformément aux dispositions de l'article L2152-6 de ce même code, cette collectivité a alors demandé à la société soumissionnaire, par courrier du 12 décembre 2024, d'apporter un certain nombre de précisions et de justifications sur le montant de son offre, notamment concernant les quantités de métrés de cloisons courantes de 100 millimètres d'épaisseur figurant dans la décomposition de son prix global et forfaitaire, qui apparaissaient significativement inférieures aux estimations non contractuelles de la maîtrise d'œuvre. Ce courrier prescrivait expressément, en outre, à la société requérante " de ne pas modifier les caractéristiques substantielles de - son - offre (dont le montant et les quantités chiffrées) en réponse à la présente demande et de - s'- en tenir à la justification du montant de - son - offre et à la réponse aux questions ". Or, dans la réponse qu'elle a apportée à cette demande par courrier du 17 décembre 2024, la société Froid Cuisine Hérault, s'agissant des cloisons courantes de 100 millimètres d'épaisseur, a indiqué avoir oublié 100 mètres-carrés de surface lors de la réalisation du devis et les intégrer à son offre sans frais supplémentaires. En ajoutant ainsi, sans y avoir été invitée par le pouvoir adjudicateur qui lui avait, au contraire, expressément interdit d'y procéder, une quantité de métrés qui ne figurait pas dans son offre initiale, sans en modifier le prix global et forfaitaire, la société Froid Cuisine Hérault ne s'est pas bornée à rectifier une erreur purement matérielle d'une nature telle que nul ne pourrait s'en prévaloir de bonne foi dans l'hypothèse où son offre aurait été retenue mais l'a complétée en méconnaissance du principe d'intangibilité de l'offre. Dans ces conditions, c'est à bon droit que la communauté de communes de Petite Camargue a rejeté son offre, qui s'est avérée incomplète et a été irrégulièrement modifiée, comme irrégulière au sens des dispositions précitées de l'article L2152-1 du code de la commande publique.
[...].
MAJ 31/01/25
Jurisprudence
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