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Résumé
Dans le cas d'un recours relatif à un marché public, l’instance responsable des recours, doit garantir la confidentialité et le droit au respect des secrets d’affaires au regard des informations contenues dans les dossiers qui lui sont communiqués par les parties à la cause, notamment par le pouvoir adjudicateur, tout en pouvant elle-même connaître de telles informations et les prendre en considération.
Texte
ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
14 février 2008 (*)
Dans l’affaire C‑450/06,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Conseil d’État (Belgique), par décision du 24 octobre 2006, parvenue à la Cour le 6 novembre 2006, dans la procédure
Varec SA
contre
État belge,
en présence de:
Diehl Remscheid GmbH & Co.,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), J. Klučka, Mme P. Lindh et M. A. Arabadjiev, juges,
avocat général: Mme E. Sharpston,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
– pour Varec SA, par Mes J. Bourtembourg et C. Molitor, avocats,
– pour le gouvernement belge, par Mme A. Hubert, en qualité d’agent, assistée de Me N. Cahen, avocat,
– pour le gouvernement autrichien, par M. M. Fruhmann, en qualité d’agent,
– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. B. Stromsky et D. Kukovec, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 octobre 2007,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), dans sa version résultant de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1, ci-après la «directive 89/665»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Varec SA (ci-après «Varec») à l’État belge, représenté par le ministre de la Défense, au sujet de l’attribution d’un marché public pour la fourniture de maillons de chenilles pour des chars de type «Léopard».
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665 dispose:
«Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d’application des directives 71/305/CEE, 77/62/CEE et 92/50/CEE […], les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l’article 2, paragraphe 7, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.»
4 L’article 33 de la directive 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO L 199, p. 1), abroge la directive 77/62/CEE du Conseil, du 21 décembre 1976, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO 1977, L 13, p. 1), et prévoit que les références faites à cette directive abrogée s’entendent comme faites à la directive 93/36. De même, l’article 36 de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54), abroge la directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5), et prévoit que les références faites à cette dernière directive s’entendent comme faites à la directive 93/37.
5 L’article 2, paragraphe 8, de la directive 89/665 prévoit:
«Lorsque les instances responsables des procédures de recours ne sont pas de nature juridictionnelle, leurs décisions doivent toujours être motivées par écrit. En outre, dans ce cas, des dispositions doivent être prises pour garantir les procédures par lesquelles toute mesure présumée illégale prise par l’instance de base compétente ou tout manquement présumé dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés doit pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel ou d’un recours auprès d’une autre instance qui soit une juridiction au sens de l’article [234 CE] et qui soit indépendante par rapport au pouvoir adjudicateur et à l’instance de base.
La nomination des membres de cette instance indépendante et la cessation de leur mandat sont soumises aux mêmes conditions que celles applicables aux juges en ce qui concerne l’autorité responsable de leur nomination, la durée de leur mandat et leur révocabilité. Au moins le président de cette instance indépendante doit avoir les mêmes qualifications juridiques et professionnelles qu’un juge. L’instance indépendante prend ses décisions à l’issue d’une procédure contradictoire, et ces décisions ont, par les moyens déterminés par chaque État membre, des effets juridiques contraignants.»
6 Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/36, telle que modifiée par la directive 97/52/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1997 (JO L 328, p. 1, ci-après la «directive 93/36»):
«Le pouvoir adjudicateur communique, dans un délai de quinze jours à compter de la réception d’une demande écrite, à tout candidat ou soumissionnaire écarté les motifs du rejet de sa candidature ou de son offre et, à tout soumissionnaire ayant fait une offre recevable, les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom de l’adjudicataire.
Toutefois, les pouvoirs adjudicateurs peuvent décider que certains renseignements concernant l’adjudication des marchés, mentionnés au premier alinéa, ne sont pas communiqués lorsque leur divulgation ferait obstacle à l’application des lois, ou serait contraire à l’intérêt public, ou porterait préjudice aux intérêts commerciaux légitimes d’entreprises publiques ou privées, ou pourrait nuire à une concurrence loyale entre fournisseurs.»
7 L’article 9, paragraphe 3, de la directive 93/36 prévoit:
«Les pouvoirs adjudicateurs qui ont passé un marché en font connaître le résultat au moyen d’un avis. Toutefois, certaines informations sur la passation du marché peuvent, dans certains cas, ne pas être publiées lorsque leur divulgation ferait obstacle à l’application des lois, serait contraire à l’intérêt public, porterait préjudice aux intérêts commerciaux légitimes d’entreprises publiques ou privées ou pourrait nuire à une concurrence loyale entre fournisseurs.»
8 L’article 15, paragraphe 2, de la même directive dispose:
«Les pouvoirs adjudicateurs doivent respecter le caractère confidentiel de tous les renseignements donnés par les fournisseurs.»
9 Les dispositions des articles 7, paragraphe 1, 9, paragraphe 3, et 15, paragraphe 2, de la directive 93/36 ont été reprises en substance respectivement aux articles 6, 35, paragraphe 4, cinquième alinéa, et 41, paragraphe 3, de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114).
La réglementation nationale
10 L’article 87 de l’arrêté du Régent du 23 août 1948, déterminant la procédure devant la section d’administration du Conseil d’État (Moniteur belge des 23-24 août 1948, p. 6821), prévoit:
«Les parties, leurs conseils et le commissaire du gouvernement peuvent prendre connaissance au greffe du dossier de l’affaire.»
11 Aux termes de l’article 21, troisième et quatrième alinéas, des lois sur le Conseil d’Etat, coordonnées le 12 janvier 1973 (Moniteur belge du 21 mars 1973, p. 3461):
«Lorsque la partie défenderesse ne transmet pas le dossier administratif dans le délai fixé, sans préjudice de l’article 21 bis, les faits cités par la partie requérante sont réputés prouvés, à moins que ces faits soient manifestement inexacts.
Lorsque le dossier administratif n’est pas en possession de la partie défenderesse, elle doit en aviser la chambre saisie du recours. Celle-ci peut ordonner le dépôt du dossier administratif moyennant une astreinte conformément aux dispositions de l’article 36.»
Le litige au principal et la question préjudicielle
12 Le 14 décembre 2001, l’État belge a lancé la procédure de passation d’un marché public pour la fourniture de maillons de chenilles pour des chars de type «Léopard». Deux soumissionnaires ont remis une offre, à savoir Varec et Diehl Remscheid GmbH & Co. (ci-après «Diehl»).
13 Lors de l’examen de ces offres, l’État belge a estimé que celle présentée par Varec ne satisfaisait pas aux conditions de sélection de caractère technique et que cette offre était irrégulière. En revanche, il a considéré que l’offre de Diehl répondait à toutes les conditions de sélection, qu’elle était régulière et que ses prix étaient normaux. Par conséquent, l’État belge a attribué le marché à Diehl par décision du ministre de la Défense du 28 mai 2002 (ci-après la «décision d’attribution du marché»).
14 Le 29 juillet 2002, Varec a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision d’attribution du marché devant le Conseil d’État. Diehl a été admise en qualité de partie intervenante.
15 Le dossier remis au Conseil d’État par l’État belge ne comportait pas l’offre de Diehl.
16 Varec a demandé que cette offre soit versée au dossier. La même demande a été formulée par l’Auditeur du Conseil d’Etat, chargé d’établir un rapport (ci-après l’«Auditeur»).
17 Le 17 décembre 2002, l’État belge a versé l’offre de Diehl au dossier, en précisant que n’y figuraient pas les plans d’ensemble du maillon proposé ni les éléments constitutifs de celui-ci. Il a indiqué que, conformément au cahier des charges et à la demande de Diehl, il avait restitué ces éléments à cette dernière. Il a ajouté que, pour cette raison, il ne pouvait pas verser ces éléments au dossier et que, s’il était indispensable qu’ils figurent à celui-ci, il conviendrait alors de demander à Diehl de les fournir. L’État belge a également rappelé que Varec et Diehl s’opposent quant aux droits intellectuels qui s’attachent aux plans en question.
18 Par courrier du même jour, Diehl a informé l’Auditeur que l’offre de cette dernière, telle que versée au dossier par l’État belge, contient des données et des informations confidentielles et qu’elle s’opposait dès lors à ce que des parties tierces, y compris Varec, puissent prendre connaissance de ces données et des informations confidentielles liées à des secrets commerciaux inclus dans cette offre. En effet, selon Diehl, certains passages des annexes 4, 12 et 13 de son offre contiennent des données précises quant aux révisions exactes des plans de fabrication applicables ainsi qu’au processus industriel.
19 Dans son rapport du 23 février 2006, l’Auditeur a conclu à l’annulation de la décision d’attribution du marché au motif que, «à défaut d’une collaboration loyale de la partie adverse à la bonne administration de la justice et au procès équitable, la seule sanction consiste en l’annulation de l’acte administratif dont la légalité n’est pas établie par le procédé consistant à soustraire des pièces au débat contradictoire».
20 L’État belge a contesté cette conclusion, en demandant au Conseil d’État de se prononcer sur la question du respect de la confidentialité des pièces de l’offre de Diehl contenant des informations liées à des secrets d’affaires qui avaient été versées au dossier dans le cadre de la procédure devant ladite juridiction.
21 Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«L’article 1er, [paragraphe] 1, de la directive 89/665 […], lu en combinaison avec l’article 15, [paragraphe] 2, de la directive 93/36 […] et avec l’article 6 de la directive 2004/18 […], doit-il s’interpréter en ce sens que l’instance responsable des procédures de recours prévues par cet article doit garantir la confidentialité et le droit au respect des secrets d’affaires contenus dans les dossiers qui lui sont communiqués par les parties à la cause, en ce compris par le pouvoir adjudicateur, tout en pouvant elle-même connaître et prendre de telles informations en considération?»
Sur la recevabilité
22 Varec fait valoir qu’une réponse de la Cour à la question préjudicielle n’est pas nécessaire pour la solution du litige dont est saisi le Conseil d’État.
23 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d’une procédure visée à l’article 234 CE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence du juge national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 25 février 2003, IKA, C‑326/00, Rec. p. I‑1703, point 27; du 12 avril 2005, Keller, C-145/03, Rec. p. I‑2529, point 33, et du 22 juin 2006, Conseil général de la Vienne, C-419/04, Rec. p. I‑5645, point 19).
24 Toutefois, la Cour a également jugé que, dans des circonstances exceptionnelles, il lui appartient d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 1981, Foglia, 244/80, Rec. p. 3045, point 21). Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit communautaire sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C‑379/98, Rec. p. I‑2099, point 39; du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C‑390/99, Rec. p. I-607, point 19, et Conseil général de la Vienne, précité, point 20).
25 Il convient de relever que tel n’est pas le cas en l’espèce. Il peut, à cet égard, être observé que, si le Conseil d’État suit les conclusions de l’Auditeur, il sera conduit à annuler la décision d’attribution du marché qui est attaquée devant lui, sans examiner le litige au fond. En revanche, si les dispositions du droit communautaire dont l’interprétation est demandée par la juridiction de renvoi justifient le traitement confidentiel des éléments du dossier en cause au principal, cette dernière sera susceptible de poursuivre l’examen du litige au fond. Ces raisons permettent de considérer que l’interprétation desdites dispositions est nécessaire pour la solution du litige au principal.
Sur le fond
26 Dans la question soumise à la Cour par la juridiction de renvoi, cette dernière mentionne tant la directive 93/36 que la directive 2004/18. Celle-ci ayant remplacé la directive 93/36, il convient de déterminer au regard de laquelle de ces deux directives cette question doit être examinée.
27 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, à la différence des règles de fond qui sont habituellement interprétées comme ne visant pas, en principe, des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur (voir arrêt du 23 février 2006, Molenbergnatie, C-201/04, Rec. p. I-2049, point 31 et jurisprudence citée).
28 Le litige au principal porte sur le droit à la protection des informations confidentielles. Ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 31 de ses conclusions, un tel droit constitue en substance un droit matériel, même si sa mise en œuvre est susceptible d’avoir des effets procéduraux.
29 Ledit droit s’est concrétisé lorsque Diehl a remis son offre dans le cadre de la procédure de passation du marché en cause au principal. Cette date n’ayant pas été précisée dans la décision de renvoi, il convient de considérer qu’elle se situe entre le 14 décembre 2001, date de l’appel d’offres, et le 14 janvier 2002, date de l’ouverture des offres.
30 À cette époque, la directive 2004/18 n’avait pas été adoptée. Il s’ensuit qu’il convient de prendre en considération, aux fins du litige au principal, les dispositions de la directive 93/36.
31 La directive 89/665 ne contient aucune disposition qui règle explicitement la question de la protection des informations confidentielles. À cet égard, il est nécessaire de se reporter aux dispositions générales de cette directive, et notamment à son article 1er, paragraphe 1.
32 Cette dernière disposition prévoit que les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d’application notamment de la directive 93/36, les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.
33 La directive 89/665 ayant pour objet d’assurer le respect du droit communautaire en matière de marchés publics, il y a lieu d’interpréter son article 1er, paragraphe 1, à la lumière tant des dispositions de la directive 93/36 que des autres dispositions du droit communautaire en matière de marchés publics.
34 L’objectif principal des règles communautaires en matière de marchés publics comprend l’ouverture à la concurrence non faussée dans tous les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 11 janvier 2005, Stadt Halle et RPL Lochau, C-26/03, Rec. p. I-1, point 44).
35 Pour atteindre cet objectif, il importe que les pouvoirs adjudicateurs ne divulguent pas d’informations ayant trait à des procédures de passation de marchés publics dont le contenu pourrait être utilisé pour fausser la concurrence, soit dans une procédure de passation en cours, soit dans des procédures de passation ultérieures.
36 En outre, tant par leur nature que selon le système de la réglementation communautaire en la matière, les procédures de passation de marchés publics sont fondées sur une relation de confiance entre les pouvoirs adjudicateurs et les opérateurs économiques qui participent à celles-ci. Ces derniers doivent pouvoir communiquer à ces pouvoirs adjudicateurs toute information utile dans le cadre de la procédure de passation, sans craindre que ceux-ci communiquent à des tiers des éléments d’information dont la divulgation pourrait être dommageable auxdits opérateurs.
37 Pour ces raisons, l’article 15, paragraphe 2, de la directive 93/36 prévoit que les pouvoirs adjudicateurs ont l’obligation de respecter le caractère confidentiel de toutes les informations données par les fournisseurs.
38 Dans le cadre spécifique de la communication à un candidat ou à un soumissionnaire écarté des motifs du rejet de sa candidature ou de son offre ainsi que dans celui de la publication de l’avis d’attribution d’un marché, les articles 7, paragraphe 1, et 9, paragraphe 3, de ladite directive reconnaissent aux pouvoirs adjudicateurs la faculté de ne pas communiquer certaines informations lorsque leur divulgation porterait préjudice aux intérêts commerciaux légitimes d’entreprises publiques ou privées ou pourrait nuire à une concurrence loyale entre fournisseurs.
39 Certes, ces dispositions visent la conduite des pouvoirs adjudicateurs. Il convient néanmoins de reconnaître que leur effet utile serait gravement compromis si, lors d’un recours formé contre une décision prise par un pouvoir adjudicateur relative à une procédure de passation d’un marché public, l’ensemble des informations relatives à cette procédure de passation devaient, sans aucune limitation, être mis à la disposition de l’auteur de ce recours, voire même d’autres personnes telles que des parties intervenantes.
40 Dans une telle hypothèse, la simple introduction d’un recours donnerait accès à des informations qui pourraient être utilisées pour fausser la concurrence ou pour nuire aux intérêts légitimes d’opérateurs économiques ayant participé à la procédure de passation du marché public en cause. Une telle possibilité pourrait même inciter des opérateurs économiques à former des recours dans le seul but d’accéder aux secrets d’affaires de leurs concurrents.
41 Dans un tel recours, le défendeur est le pouvoir adjudicateur, l’opérateur économique dont les intérêts risquent d’être lésés n’étant pas nécessairement partie au litige ni appelé à la cause pour défendre ceux‑ci. Pour cette raison, il est d’autant plus important de prévoir des mécanismes qui sauvegardent de manière adéquate les intérêts de tels opérateurs économiques.
42 Les obligations prévues par la directive 93/36 en ce qui concerne le respect de la confidentialité des informations par le pouvoir adjudicateur sont assumées, dans le cadre d’un recours, par l’instance responsable de la procédure de recours. L’exigence d’un recours efficace prévue à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665, lu en combinaison avec les articles 7, paragraphe 1, 9, paragraphe 3, et 15, paragraphe 2, de la directive 93/36, impose donc à cette instance de prendre les mesures nécessaires pour garantir l’effet utile de ces dispositions et, par ce moyen, d’assurer le maintien d’une concurrence loyale ainsi que la protection des intérêts légitimes des opérateurs économiques concernés.
43 Il s’ensuit que, dans le cadre d’une procédure de recours en matière de passation d’un marché public, l’instance responsable de cette procédure doit pouvoir décider que des informations contenues dans le dossier relatif à une telle passation ne sont pas transmises aux parties et à leurs avocats, si cela est nécessaire pour assurer la protection de la concurrence loyale ou des intérêts légitimes des opérateurs économiques voulue par le droit communautaire.
44 La question se pose de savoir si cette interprétation est conforme à la notion de procès équitable au sens de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»).
45 En effet, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, Varec a fait valoir devant le Conseil d’État que le droit à un procès équitable implique que soit garanti le caractère contradictoire de toute procédure juridictionnelle, que le principe du contradictoire constitue un principe général du droit, qu’il trouve un fondement dans l’article 6 de la CEDH, et que ce principe implique le droit pour les parties à un procès de prendre connaissance de toutes les pièces ou observations présentées au juge en vue d’influencer sa décision et de les discuter.
46 À cet égard, il y a lieu de souligner que l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH prévoit notamment que «[t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial […]». D’après la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme, le caractère contradictoire d’une procédure constitue l’un des éléments qui permettent d’apprécier le caractère équitable de celle-ci, mais il est susceptible d’être mis en balance avec d’autres droits et intérêts.
47 Le principe du contradictoire implique, en règle générale, le droit pour les parties à un procès de prendre connaissance des preuves et des observations présentées devant le juge et de les discuter. Cependant, dans certains cas, il peut être nécessaire de ne pas communiquer certaines informations aux parties afin de préserver les droits fondamentaux d’un tiers ou de sauvegarder un intérêt public important (voir Cour eur. D. H., arrêts Rowe et Davis c. Royaume-Uni du 16 février 2000, Recueil des arrêts et décisions 2000-II, § 61, et V. c. Finlande du 24 avril 2007, non encore publié au Recueil des arrêts et décisions, § 75).
48 Parmi les droits fondamentaux susceptibles d’être ainsi protégés figure le droit au respect de la vie privée, consacré par l’article 8 de la CEDH et qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres et est réaffirmé à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée à Nice le 7 décembre 2000 (JO C 364, p. 1) (voir, notamment, arrêts du 8 avril 1992, Commission/Allemagne, C‑62/90, Rec. p. I-2575, point 23, et du 5 octobre 1994, X/Commission, C‑404/92 P, Rec. p. I-4737, point 17). Il ressort, à cet égard, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qu’il ne saurait être considéré que la notion de vie privée doive être interprétée comme excluant les activités professionnelles ou commerciales des personnes physiques comme des personnes morales (voir Cour eur. D. H., arrêts Niemietz c. Allemagne du 16 décembre 1992, série A n° 251-B, § 29; Société Colas Est e.a. c. France du 16 avril 2002, Recueil des arrêts et décisions 2002-III, § 41, ainsi que Peck c. Royaume-Uni du 28 janvier 2003, Recueil des arrêts et décisions 2003-I, § 57), activités qui peuvent comprendre la participation à une procédure de passation d’un marché public.
49 Par ailleurs, la Cour de justice a reconnu la protection des secrets d’affaires comme un principe général (voir arrêts du 24 juin 1986, AKZO Chemie et AKZO Chemie UK/Commission, 53/85, Rec. p. 1965, point 28, ainsi que du 19 mai 1994, SEP/Commission, C‑36/92 P, Rec. p. I‑1911, point 37).
50 Enfin, le maintien d’une concurrence loyale dans le cadre des procédures de passation de marchés publics constitue un intérêt public important dont la sauvegarde est admise en vertu de la jurisprudence citée au point 47 du présent arrêt.
51 Il en résulte que, dans le cadre d’un recours formé contre une décision prise par un pouvoir adjudicateur relative à une procédure de passation d’un marché public, le principe du contradictoire n’implique pas pour les parties un droit d’accès illimité et absolu à l’ensemble des informations relatives à la procédure de passation en cause qui ont été déposées devant l’instance responsable du recours. Au contraire, ce droit d’accès doit être mis en balance avec le droit d’autres opérateurs économiques à la protection de leurs informations confidentielles et de leurs secrets d’affaires.
52 Le principe de la protection des informations confidentielles ainsi que des secrets d’affaires doit être mis en œuvre de manière à le concilier avec les exigences d’une protection juridique effective et le respect des droits de la défense des parties au litige (voir, par analogie, arrêt du 13 juillet 2006, Mobistar, C-438/04, Rec. p. I‑6675, point 40) et, dans le cas d’un recours juridictionnel ou d’un recours auprès d’une instance qui est une juridiction au sens de l’article 234 CE, de manière à assurer que la procédure respecte, dans son ensemble, le droit à un procès équitable.
53 À cette fin, l’instance responsable des recours doit nécessairement pouvoir disposer des informations requises pour être à même de se prononcer en toute connaissance de cause, y compris les informations confidentielles et les secrets d’affaires (voir, par analogie, arrêt Mobistar, précité, point 40).
54 Eu égard au préjudice extrêmement grave qui pourrait résulter de la communication irrégulière de certaines informations à un concurrent, ladite instance doit, avant de communiquer ces informations à une partie au litige, donner à l’opérateur économique concerné la possibilité de faire valoir le caractère confidentiel ou de secret d’affaires de celles-ci (voir, par analogie, arrêt AKZO Chemie et AKZO Chemie UK/Commission, précité, point 29).
55 Dès lors, il convient de répondre à la question posée que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665, lu en combinaison avec l’article 15, paragraphe 2, de la directive 93/36, doit être interprété en ce sens que l’instance responsable des recours prévus audit article 1er, paragraphe 1, doit garantir la confidentialité et le droit au respect des secrets d’affaires au regard des informations contenues dans les dossiers qui lui sont communiqués par les parties à la cause, notamment par le pouvoir adjudicateur, tout en pouvant elle-même connaître de telles informations et les prendre en considération. Il appartient à cette instance de décider dans quelle mesure et selon quelles modalités il convient de garantir la confidentialité et le secret de ces informations, en vue des exigences d’une protection juridique effective et du respect des droits de la défense des parties au litige et, dans le cas d’un recours juridictionnel ou d’un recours auprès d’une instance qui est une juridiction au sens de l’article 234 CE, afin que la procédure respecte, dans son ensemble, le droit à un procès équitable.
Sur les dépens
56 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:
L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, dans sa version résultant de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, lu en combinaison avec l’article 15, paragraphe 2, de la directive 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures, telle que modifiée par la directive 97/52/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1997, doit être interprété en ce sens que l’instance responsable des recours prévus audit article 1er, paragraphe 1, doit garantir la confidentialité et le droit au respect des secrets d’affaires au regard des informations contenues dans les dossiers qui lui sont communiqués par les parties à la cause, notamment par le pouvoir adjudicateur, tout en pouvant elle-même connaître de telles informations et les prendre en considération. Il appartient à cette instance de décider dans quelle mesure et selon quelles modalités il convient de garantir la confidentialité et le secret de ces informations, en vue des exigences d’une protection juridique effective et du respect des droits de la défense des parties au litige et, dans le cas d’un recours juridictionnel ou d’un recours auprès d’une instance qui est une juridiction au sens de l’article 234 CE, afin que la procédure respecte, dans son ensemble, le droit à un procès équitable.
Signatures
* Langue de procédure: le français.
Source : http://curia.europa.eu/
Textes
Décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005 relatif à la liberté d'accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques, pris pour l'application de la loi no 78-753 du 17 juillet 1978
Décret n° 2001-493 du 6 juin 2001 pris pour l'application de l'article 4 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 et relatif aux modalités de communication des documents administratifs
Loi no 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (CADA)
Décret n° 88-465 du 28 avril 1988 relatif à la procédure d'accès aux documents administratifs
Décret n° 78-1136 du 6 décembre 1978 relatif à la commission d'accès aux documents administratifs
Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 relative au droit d'accès aux documents administratifs
Jurisprudence
CE, 30 mars 2016, n° 375529, Centre hospitalier de Perpignan (Au regard des règles de la commande publique, doivent être regardés comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces du marché. Si l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire sont en principe communicables, le bordereau unitaire de prix de l’entreprise attributaire, en ce qu’il reflète la stratégie commerciale de l’entreprise opérant dans un secteur d’activité, n’est quant à lui, en principe, pas communicable)
CJCE, 14 février 2008, C-450/06, Varec SA c/ État belge (Marchés publics et droit au respect des secrets d’affaires)
CE, 6 février 2008, n° 304752, SA LE POINT c/ SNCF (CADA. Base de données contenant des informations communicables et des informations non communicables)
CAA Nancy, 9 juillet 2007, n° 07NC00133, Société Keolis c/ Communauté Agglomération Reims Métropole (Périmètre de la mission assignée à l'expert, communication de pièces)
Actualités
CADA : Caractère communicable des documents dans les accords-cadres multi-attributaires aux entreprises titulaires de l’accord-cadre mais non retenues au titre des marchés subséquents - Avis de la CADA no de référence 20084709, séance du 23/12/2008 - 23 janvier 2009