TA Orléans, 8 décembre 2023, n° 2304461 - Non-respect du cadre de mémoire technique imposé par le RC
Irrégularité d'une offre pour non-respect du cadre de mémoire technique imposé par le règlement de la consultation. Un pouvoir adjudicateur peut légitimement rejeter comme irrégulière une offre qui ne respecte pas le cadre de mémoire technique imposé par le règlement de la consultation, dès lors que cette exigence était clairement formulée, dénuée d'ambiguïté et objectivement justifiée par l'ampleur de la consultation.
Régularité du rejet d'une offre ne respectant pas le cadre de mémoire technique imposé par le règlement de la consultation. Le juge confirme qu'une telle offre peut être écartée comme irrégulière dès lors que les exigences de présentation étaient clairement formulées et objectivement justifiées par l'ampleur de la consultation. La décision valide ainsi la marge de manœuvre des acheteurs dans la définition du formalisme des offres, tout en rappelant l'importance du strict respect par les candidats des modalités de présentation imposées. Elle confirme également que le manquement à l'obligation d'information des candidats évincés n'est plus constitué lorsque les informations requises sont communiquées avant que le juge ne statue et dans un délai permettant de contester utilement l'éviction.
Résumé
Dans le cadre d'une procédure formalisée d’appel d'offres ouvert, Val Touraine Habitat a engagé une consultation pour un marché de travaux à bons de commandes relatif à l'entretien de son patrimoine. La société Charron Peintures, candidate évincée pour le lot 7 "Revêtements de sols souples", a contesté le rejet de son offre devant le juge des référés précontractuels.
La requérante soulevait deux moyens principaux. D'une part, elle soutenait un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, le pouvoir adjudicateur n'ayant pas répondu à sa demande de communication des motifs du rejet de son offre conformément à l'article R2181-3 du code de la commande publique. D'autre part, elle contestait l'irrégularité de son offre en soutenant que le règlement de la consultation était imprécis et ambigu concernant l'obligation de respecter le cadre de mémoire technique fourni.
Le juge des référés écarte ces deux moyens. S'agissant de l'obligation d'information des candidats évincés, il rappelle que le manquement n'est plus constitué dès lors que les informations requises ont été communiquées avant qu'il ne statue et que le délai écoulé a permis au candidat de contester utilement son éviction. En l'espèce, Val Touraine Habitat avait fourni dans son mémoire en défense l'ensemble des éléments exigés par les articles R2181-3 et R2181-4 du code de la commande publique, notamment les notes obtenues par l'attributaire et leur décomposition détaillée.
Ainsi, le juge valide le rejet pour irrégularité de l'offre de la société requérante. L'article 3.3.2 du règlement de la consultation imposait la production d'un "mémoire de 12 pages maximum répondant au cadre de mémoire technique". Ce cadre comportait un chapitrage précis en quatre parties, avec un nombre de pages maximum par chapitre et des informations spécifiques à fournir. Or, la société Charron Peintures avait remis un mémoire technique de structure différente en trois chapitres, accompagné d'une annexe de 59 pages alors que le règlement précisait qu'"aucune pièce annexe ne sera analysée". Le juge considère que ces exigences étaient "dénuées de toute ambiguïté" et rejette donc l'argument tiré d'un manquement au principe de transparence.
Cette décision s'inscrit dans une jurisprudence constante reconnaissant aux acheteurs une large marge de manœuvre dans la définition des modalités de présentation des offres, sous réserve que les exigences soient clairement formulées. Elle illustre également l'importance pour les candidats de respecter strictement le formalisme imposé par le règlement de la consultation, au risque de voir leur offre rejetée comme irrégulière sans examen au fond.
Il est intéressant de noter que le juge ne se prononce pas sur la proportionnalité de l'exigence de respecter le cadre de mémoire technique. Cette exigence était en l'espèce justifiée par l'ampleur de la consultation (121 lots) et la nécessité de faciliter l'analyse comparative des offres. La décision confirme ainsi implicitement que le pouvoir adjudicateur peut légitimement imposer un formalisme strict dans la présentation des offres lorsque celui-ci est objectivement justifié par les caractéristiques du marché.
Texte
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1. En premier lieu, aux termes de l'article R2181-1 du code de la commande publique : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre. ". Aux termes de l'article R2181-3 du même code, applicable aux marchés passés selon une procédure formalisée : " La notification prévue à l'article R2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : / 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R2182-1. " et aux termes de l'article R2181-4 du même code : " A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : () / 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue. ".
2. Ces dispositions ont notamment pour objet de permettre à la société évincée de contester le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé pré-contractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Cependant, un tel manquement n'est plus constitué si l'ensemble des informations mentionnées aux articles R2181-3 et R2181-4 du code de la commande publique précités a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge des référés statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.
3. Il est constant que la société requérante a été informée par lettre du 26 octobre 2023 que son offre n'était pas retenue pour le lot 7 - Revêtements de sols souples - Agence Chinon de l'accord cadre à bons de commande pour les travaux d'entretien du patrimoine de Val Touraine Habitat et que ce marché est attribué, s'agissant du secteur 1, à la société Boutet pour un montant annuel estimé de 77 639, 60 euros HT et, s'agissant du secteur 2, à la société Chudeau pour un montant annuel estimé de 82 322, 91 euros HT et qu'elle a, le 2 novembre 2023, demandé la communication des motifs du rejet de son offre et de ceux qui ont conduit au choix de l'offre retenue, ainsi que la communication des caractéristiques et des avantages de l'offre retenue.
4. Il résulte de l'instruction que si la demande de communication de motifs en date du 2 novembre 2023 est restée sans réponse, Val Touraine Habitat a, aux termes de son mémoire en défense enregistré le 22 novembre 2023, d'une part indiqué que la société Boutet, attributaire du lot en litige " a obtenu les notes suivantes : - Prix : 36, 98 points / - Valeur technique : 46 points " en précisant que cette note est ainsi décomposée : " ' Equipe dédiée : 12 points ' Organisation, méthodologie mise en place pour réussir l'exécution de l'accord-cadre : 20 points ' Présentation des moyens matériels : 7 points ' Prise en compte du développement durable : 7 points " et que le total des points était de 82,98, d'autre part que l'offre de la société requérante a été rejetée comme irrégulière. Ces informations, qui répondent aux prescriptions de l'article R2181-3 du code de la commande publique et, en tout état de cause, l'offre de la société requérante ayant été rejetée comme irrégulière, à celles de l'article R2181-4 du même code, ont permis à celle-ci de contester utilement son éviction devant le juge du référé précontractuel. Dès lors, d'une part, les conclusions de la requérante aux fins d'injonction de communiquer les informations visées par l'article R2181-3 du code de la commande publique ont perdu leur objet, d'autre part, aucun manquement à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ne peut être reproché à ce titre à Val Touraine Habitat.
5. En second lieu, aux termes de l'article 3.3. Présentation du dossier des candidats du règlement de la consultation en litige : " () Les candidats auront à produire un dossier complet comprenant les pièces suivantes, datées et signées par une personne habilitée / 3.3.1 Pièces de la candidature / 3.3.2 pièces de l'offre : - l'acte d'engagement (A.E) complété, daté et signé ; - le bordereau de prix unitaire complété sous format Excel et sa copie sous format pdf ; - un mémoire de 12 pages maximum répondant au cadre de mémoire technique ; () ". Aux termes de l'article 4 Sélection de candidatures et jugements des offres, les critères retenus pour le jugement des offres sont, pour 40 %, le montant de l'offre et, pour 60 %, sa valeur technique, pourcentage " ventilé " en référence au cadre du mémoire technique. Ces stipulations sont, contrairement à ce que soutient la société requérante, dénuées de toute ambiguïté. Dès lors, les moyens tirés de ce que, d'une part, Val Touraine Habitat aurait méconnu le principe de transparence des procédures, d'autre part, la candidature de la requérante aurait été rejetée à tort comme irrégulière, ne peuvent qu'être écartés.
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MAJ 20/12/23
Jurisprudence
TA Dijon, 27 décembre 2024, n° 2404163 (Le non-respect de la forme du cadre de mémoire technique imposée pour la présentation d'une offre n'a qu'une incidence esthétique et ne la rend pas irrégulière. De même, l'absence de certaines informations requises ne constitue pas une irrégularité si elle n'a d'impact que sur la notation technique de l'offre, sans traduire une absence totale d'information sur un point exigé).
TA Marseille, 21 juillet 2023, n° 2306079, Sté Ludi Arles organisation (Eviction pour mémoire technique type ne respectant pas le formalisme imposé. Un jugement intéressant pour les entreprises répondant aux appels d'offres, indiquant deux motifs d'irrégularité d'une offre : le non-respect du règlement de consultation concernant la forme du mémoire technique et la partie financière. Le document technique doit être spécifique à chaque marché. Donc si vous structurez le mémoire technique selon votre propre logique sans respecter la structure imposée par l’acheteur sachez que ce sera à vos risques et périls (Entreprises, ne jouez pas avec le feu avec la forme du mémoire technique ! Ce candidat évincé d'un contrat de la commande publique avait ignoré les exigences formelles. Conséquence : rejet pour irrégularité ! )).
TA Cergy-Pontoise, 9 mars 2020, n° 2001861, Sté Endros (Analyse du mémoire technique par l’acheteur et dénaturation de l’offre d’un soumissionnaire).
TA Grenoble, 23 janvier 2015, n° 1407728, Commune de Meylan (Cadres-type de mémoire technique non transmis entrainant le rejet d’une offre comme irrégulière. Société ayant fourni un mémoire technique au lieu des cadres-type complétés exigés par le règlement de la consultation. Dès lors que le pouvoir adjudicateur pouvait à la seule lecture du mémoire technique « et sans aucune recherche ou recoupement, une exploitation des offres identique à ce qu'aurait permis ces cadres-type » l’offre ne pouvait être regardée comme irrégulière).