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CE, 16 novembre 2016, n° 401660, Sté SNEF et Ville de Marseille

Conseil d’Etat, 16 novembre 2016, n° 401660, Sté SNEF et Ville de Marseille - Mentionné dans les tables du recueil Lebon

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000033404365/ 

Le pouvoir adjudicateur ne manque pas à ses obligations de mise en concurrence en élaborant plusieurs commandes fictives et en tirant au sort, avant l’ouverture des plis, celle à partir de laquelle le critère du prix sera évalué, à la triple condition que les simulations correspondent toutes à l’objet du marché, que le choix du contenu de la simulation n’ait pas pour effet d’en privilégier un aspect particulier de telle sorte que le critère du prix s’en trouverait dénaturé et que le montant des offres proposées par chaque candidat soit reconstitué en recourant à la même simulation.

Contexte et procédure

La ville de Marseille a lancé un appel d'offres pour l'attribution d'un marché de travaux concernant l'exploitation et la maintenance de ses installations d'éclairage public. Le règlement de consultation prévoyait une méthode particulière pour noter le critère du prix : l'utilisation de "chantiers masqués" tirés au sort parmi plusieurs scénarios préétablis.

La société Travaux électriques du Midi (TEM), candidate évincée, a saisi le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Marseille. Celui-ci a annulé l'ensemble de la procédure de passation ainsi que la décision d'attribution du marché à la société SNEF, au motif que le recours au tirage au sort dénaturait les critères de sélection.

La société SNEF et la ville de Marseille se sont pourvues en cassation contre cette ordonnance devant le Conseil d'État.

Problème juridique

La question principale posée au Conseil d'État est celle de la légalité du recours à une méthode de notation du critère du prix fondée sur un tirage au sort entre plusieurs scénarios préétablis.

Solution retenue et analyse

Le Conseil d'État annule l'ordonnance du juge des référés et valide la méthode de notation utilisée par la ville de Marseille, sous certaines conditions.

Sur la liberté du pouvoir adjudicateur dans la définition des méthodes de notation

Le Conseil d'État rappelle tout d'abord un principe important : "le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en oeuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics" (considérant 5). Cette liberté s'étend à l'utilisation de "simulations" pour évaluer le montant des offres.

Le juge précise que de telles simulations ne constituent pas un sous-critère, mais une simple méthode de notation. Par conséquent, le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu d'en informer les candidats dans les documents de la consultation.

Cette position s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure, notamment l'arrêt "Syndicat mixte de la vallée de l'Orge aval" du 2 août 2011 (n°348711), qui avait déjà affirmé la liberté du pouvoir adjudicateur dans le choix des méthodes de notation.

 Sur la légalité du recours au tirage au sort

Le Conseil d'État valide le principe du recours au tirage au sort entre plusieurs scénarios préétablis pour évaluer le critère du prix, sous réserve du respect de trois conditions cumulatives (considérant 5) :

a) "Les simulations correspondent toutes à l'objet du marché"

b) "Le choix du contenu de la simulation n'ait pas pour effet d'en privilégier un aspect particulier de telle sorte que le critère du prix s'en trouverait dénaturé"

c) "Le montant des offres proposées par chaque candidat soit reconstitué en recourant à la même simulation"

Ces conditions visent à garantir l'égalité de traitement des candidats et la transparence de la procédure, principes fondamentaux de la commande publique consacrés notamment par l'article L.3 du Code de la commande publique.

Le Conseil d'État considère que le respect de ces conditions permet d'assurer que "l'offre économiquement la plus avantageuse" puisse être choisie, conformément à l'article 53 du Code des marchés publics alors en vigueur (désormais article L.2152-7 du Code de la commande publique).

 Sur l'erreur de droit du juge des référés

Le Conseil d'État censure l'ordonnance du juge des référés pour erreur de droit. En effet, celui-ci avait considéré que le recours au tirage au sort privait "nécessairement" de leur portée les critères de sélection et empêchait de choisir l'offre économiquement la plus avantageuse.

Or, le Conseil d'État estime que ce raisonnement est erroné : le tirage au sort n'est pas, par lui-même, de nature à empêcher le choix de la meilleure offre, dès lors que les conditions énoncées sont respectées.

 Sur les autres moyens invoqués par la société TEM

Le Conseil d'État, réglant l'affaire au fond, rejette les autres moyens invoqués par la société TEM :

  • L'allégation de méconnaissance du règlement de consultation n'est pas étayée (considérant 9).
  •  L'Information des candidats évincés a été suffisante au regard des exigences des articles 80 et 83 du Code des marchés publics (considérant 10).

 Portée de la décision

Cette décision apporte plusieurs précisions :

1. Elle confirme la large marge de manœuvre dont disposent les pouvoirs adjudicateurs dans la définition des méthodes de notation des offres.

2. Elle valide, sous conditions, le recours à des méthodes de notation fondées sur le tirage au sort entre plusieurs scénarios préétablis.

3. Elle rappelle que le juge du référé précontractuel doit examiner concrètement l'impact des méthodes de notation sur le choix de l'offre, sans les censurer par principe.

Cette solution permet aux acheteurs publics de disposer d'une certaine souplesse dans l'évaluation des offres, tout en fixant un cadre visant à garantir l'égalité de traitement des candidats.

[...]

4. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que le règlement de la consultation prévoyait que la note attribuée aux candidats sur le critère du prix reposait sur six prix correspondant aux quatre postes de prestations prévus au marché; qu'en vertu de l'article 6.2 du règlement pour deux des postes de prestations, la note attribuée aux candidats selon le critère du prix était fondée sur l'application au bordereau des prix unitaires (BPU) fourni par les candidats d'un " Détail Quantitatif Estimatif (DQE), dit "chantier masqué", non publié et non communiqué aux candidats. (...) Ces DQE "chantiers masqués" comportent des articles et des prestations du bordereau des prix unitaires (BPU) affectés de quantités (...). A partir du BPU complété par lui, chaque candidat verra ses chantiers masqués reconstitués par l'Administration (...). Par contre l'Administration retiendra pour la notation du prix qu'un seul DQE "chantiers masqués" qui demeurera sous pli cacheté jusqu'à l'ouverture des plis. Ce dernier sera tiré au sort au moment de l'ouverture des plis par le Représentant Légal du Pouvoir Adjudicateur ou la personne ayant reçu le pouvoir de le représenter, parmi les deux DQE "chantiers masqués" préparés qui lui ont été remis sous pli cacheté conformément aux dispositions précédentes. Le pli non tiré au sort par le Pouvoir Adjudicateur le jour de l'ouverture des plis est conservé cacheté par l'Administration " ;

5. Considérant que le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en oeuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics ; qu'en effectuant, pour évaluer le montant des offres qui lui sont présentées, une "simulation" consistant à multiplier les prix unitaires proposés par les candidats par le nombre d'interventions envisagées, un pouvoir adjudicateur n'a pas recours à un sous-critère, mais à une simple méthode de notation des offres destinée à les évaluer au regard du critère du prix ; qu'il n'est donc pas tenu d'informer les candidats, dans les documents de la consultation, qu'il aura recours à une telle méthode ; qu'il ne manque pas non plus à ses obligations de mise en concurrence en élaborant plusieurs commandes fictives et en tirant au sort, avant l'ouverture des plis, celle à partir de laquelle le critère du prix sera évalué, à la triple condition que les simulations correspondent toutes à l'objet du marché, que le choix du contenu de la simulation n'ait pas pour effet d'en privilégier un aspect particulier de telle sorte que le critère du prix s'en trouverait dénaturé et que le montant des offres proposées par chaque candidat soit reconstitué en recourant à la même simulation ; qu'en censurant le recours à une telle méthode de notation du critère du prix au seul motif que l'introduction du hasard dans la procédure de désignation du bénéficiaire du marché en litige, sous la forme de l'application des stipulations citées au point 4, avait nécessairement privé de leur portée les critères de sélection ou neutralisé leur pondération et induit, de ce fait, que la meilleure note ne soit pas nécessairement attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie, dès lors que le choix de l'attributaire ne résulte pas de l'analyse conduite par le pouvoir adjudicateur mais des résultats d'un tirage au sort aléatoire, le juge des référés a entaché son ordonnance d'erreur de droit ;

[...]

MAJ 25/11/16 - Source legifrance

Jurisprudence

TA Bastia, 5 avril 2024,  n° 2400304 (Méthode de notation des offres et utilisation par le pouvoir adjudicateur d’une simulation par un détail quantitatif estimatif (DQE) analogue à des chantiers fictifs. DQE tiré au sort via un logiciel de tirage au sort en ligne. Tirage au sort de la commande fictive effectué par le biais d'un logiciel en ligne et non sous le contrôle d'un commissaire de justice ne permettant pas de remettre en cause la transparence de la procédure).

CE, 24 mai 2017, n° 405787, Société Techno Logistique (Une méthode de notation des offres et neutralisation des critères. Une méthode de notation ne doit pas avoir pour effet d'éliminer l'offre économiquement la plus avantageuse au profit de l'offre la mieux disante sur le seul critère du prix. La méthode de notation retenue, conduisant automatiquement à l'attribution de la note maximale de 20 à l'offre la moins disante et de 0 à l'offre la plus onéreuse, a pour effet de neutraliser les deux autres critères).

CE, 3 novembre 2014, n° 373362, Commune de Belleville-sur-Loire (Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en oeuvre de chacun des critères de sélection des offres qu’il a définis et rendus publics. Il n’est en revanche pas tenu d’informer les candidats de la méthode de notation des offres. Par contre ces méthodes de notation ne doivent pas être de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération. La méthode de notation ne doit pas conduire à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre).

CE, 2 août 2011, n° 348711, SIVOA (L'acheteur peut recourir à une simulation financière pour évaluer les offres. Pour l'appréciation des critères de sélection des offres il faut bien distinguer critère et simple méthode de notation des offres. En procédant à une simulation nécessaire à l’appréciation du critère du prix eu égard à la coexistence de prix forfaitaires et de prix unitaires, le pouvoir adjudicateur met en oeuvre une simple méthode de notation destinée à évaluer ce critère, sans modifier ses attentes définies dans le règlement de la consultation par les critères de sélection et donc sans poser un sous-critère assimilable à un critère distinct. En effectuant, pour évaluer le montant des offres qui lui sont présentées, une simulation consistant à multiplier les prix unitaires proposés par les candidats par le nombre d'interventions envisagées, un pouvoir adjudicateur n'a pas recours à un sous-critère, mais à une simple méthode de notation des offres destinée à les évaluer au regard du critère du prix. Il n'est donc pas tenu d'informer les candidats, dans les documents de la consultation, qu'il aura recours à une telle méthode).