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Conseil d’Etat, 29 juillet 1998, no 177952, Société Génicorp - Marché antérieur : pas d'exclusion automatique selon le CE

Le fait de participer à la préparation d'un marché n'exclut pas forcément le candidat pour la réalisation du  marché à partir du moment où il n'est pas démontré que le candidat ait recueilli des informations susceptibles de l'avantager par rapport aux autres candidats et de porter atteinte à l'égalité de traitement entre les candidats.

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000008010310/

Cette décision du Conseil d'État confirme que la participation antérieure à un marché public ne constitue pas en soi un motif d'exclusion d'une nouvelle procédure de passation. Elle établit que l'administration doit apporter des preuves concrètes de l'existence d'un avantage concurrentiel indu pour justifier l'exclusion d'un candidat. Elle rappelle implicitement que le principe d'égalité de traitement des candidats doit être interprété de manière à ne pas exclure injustement des entreprises ayant une expérience pertinente.

Contexte

L'arrêt du Conseil d'État du 29 juillet 1998 aborde une question importante en matière de marchés publics : l'équilibre entre le principe d'égalité de traitement des candidats et la prise en compte de l'expérience acquise lors de marchés antérieurs. En l'espèce, le Garde des Sceaux avait exclu la société Genicorp d'une procédure de passation de marché, estimant qu'elle avait bénéficié d'informations privilégiées lors d'un précédent marché.

Le raisonnement du Conseil d'État

 Le principe d'égalité de traitement des candidats

Le Conseil d'État rappelle implicitement le principe d'égalité de traitement des candidats, principe fondamental du droit des marchés publics. Ce principe était déjà consacré à l'époque par la jurisprudence et les textes en vigueur.

 La participation antérieure à un marché n'est pas en soi un motif d'exclusion

Le Conseil d'État précise que "Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier soumis au juge du fond que ce dernier ait dénaturé les faits de l'espèce, ou se soit fondé sur des faits matériellement inexacts, en estimant que la société 'Genicorp' n'a pas, à l'occasion d'un marché antérieur conclu pour assister le responsable du projet de 'gestion informatisée des détenus en établissement' pendant la phase préliminaire correspondant à la conception de l'application en cause, recueilli des informations susceptibles de l'avantager par rapport aux autres candidats et de porter atteinte à l'égalité de traitement entre les candidats ;"

Cette formulation établit que la simple participation à un marché antérieur ne suffit pas à caractériser un avantage concurrentiel indu. Le Conseil d'État valide ainsi l'appréciation du juge du fond qui a estimé que la société Genicorp n'avait pas bénéficié d'informations lui conférant un avantage indu.

La charge de la preuve de l'avantage concurrentiel indu

Le Conseil d'État précise la répartition de la charge de la preuve : "Considérant qu'en jugeant que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ne fournissait aucun élément propre à établir que la société 'Genicorp' aurait été en possession d'informations relatives aux conditions financières de l'attribution du marché litigieux, le président du tribunal administratif a constaté souverainement, sans commettre d'erreur de droit, que le ministre n'avait pas utilement contesté les affirmations en sens contraire de la société 'Genicorp' ;"

Ceci implique que c'est à l'administration d'apporter la preuve de l'existence d'un avantage concurrentiel indu lorsqu'elle souhaite exclure un candidat sur ce fondement.

[...]

Considérant qu'il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L22 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration ; que, dans le cadre de ce contrôle de pleine juridiction, le juge vérifie en particulier les motifs de l'exclusion d'un candidat de la procédure d'attribution d'un marché ; que le juge du fond n'a, par suite, pas commis d'erreur de droit en contrôlant le bien fondé du motif tiré ce que la société "Genicorp" avait, à l'occasion d'un précédent marché conclu avec le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, recueilli des informations susceptibles de l'avantager par rapport aux autres candidats ;

Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier soumis au juge du fond que ce dernier ait dénaturé les faits de l'espèce, ou se soit fondé sur des faits matériellement inexacts, en estimant que la société "Genicorp" n'a pas, à l'occasion d'un marché antérieur conclu pour assister le responsable du projet de "gestion informatisée des détenus en établissement" pendant la phase préliminaire correspondant à la conception de l'application en cause, recueilli des informations susceptibles de l'avantager par rapport aux autres candidats et de porter atteinte à l'égalité de traitement entre les candidats ;

Considérant qu'en jugeant que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ne fournissait aucun élément propre à établir que la société "Genicorp" aurait été en possession d'informations relatives aux conditions financières de l'attribution du marché litigieux, le président du tribunal administratif a constaté souverainement, sans commettre d'erreur de droit, que le ministre n'avait pas utilement contesté les affirmations en sens contraire de la société "Genicorp" ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance du 22 janvier 1996 par laquelle le président du tribunal administratif de Paris a, sur le fondement de l'article L22 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, annulé sa décision contenue dans la lettre du 20 octobre 1995 faisant connaître à la société "Genicorp" qu'il confirmait sa précédente décision notifiée le 12 septembre 1995 refusant de retenir sa candidature et suspendu la passation du marché ;

Le recours du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE est rejeté.

Jurisprudence

Cass. Com. 15 novembre 2023, n° 22-13.695 (Le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas un avantage indu, dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur. « En se déterminant ainsi, sans rechercher en quoi le seul fait pour la société déclarée attributaire d'avoir précédemment, à l'occasion d'un autre marché ayant pour objet d'autres prestations que celles recherchées, mis à disposition de l'acheteur une solution comportant un logiciel cartographique, dont l'élaboration relevait de ses seuls mérites, constituait un avantage indu faussant l'égalité entre les candidats de ce nouveau marché, le président du tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision »). - Marché privé d'informatique soumis aux dispositions du code de la commande publique. Absence de base légale au regard des articles L3, L2141-8 et R2111-2 du code de la commande publique.

CAA Versailles, 16 juin 2022, n° 19VE03858 (Communication d’informations privilégiées en amont de la procédure. Groupement attributaire a reçu des informations précises sur les critères techniques et financiers du futur marché plusieurs mois avant la publication de l'avis de marché. Eu égard à la particulière gravité du vice affectant le marché contesté, son exécution ne saurait se poursuivre. Aucune mesure de régularisation n'est possible et l'annulation totale du marché doit être envisagée).

CAA LYON, 2 juillet 2020, n° 18LY03402 (Mesures appropriées prises par l’acheteur pour que la concurrence ne soit pas faussée par la participation d'une entreprise qui aurait eu accès à des informations privilégiées ignorées des autres candidats (voir Article R2111-2 du CCP)).

CAA Lyon, 1er décembre 2005, District de la Semine, n° 00LY00950

http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Visu?cid=235084&indice=1&table=JADE&ligneDeb=1

CJCE, 3 mars 2005, Affaires C-21/03 et C-34/03, Fabricom SA (Les directives s'opposent à une règle par laquelle n’est pas admise l’introduction d’une demande de participation ou la remise d’une offre pour un marché public de travaux, de fournitures ou de services par une personne sans que soit laissée à cette personne la possibilité de faire la preuve que, dans les circonstances de l’espèce, l’expérience acquise par elle n’a pu fausser la concurrence)

Cour de cassation, Chambre criminelle, 28 janvier 2004, pourvoi n° 02-86597

http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Visu?cid=124213&indice=1&table=CASS&ligneDeb=1

CE, 29 juillet 1998, no 177952, Sté Génicorp

CE, 8 septembre 1995, Commune d’Évreux, n°118010

http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnDocument?base=JADE&nod=JGXCX1995X09X0000018010