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Cass. com., 15 Novembre 2023, n° 22-13.695 - Marché privé d'informatique

Cass. com., 15 Novembre 2023, n° 22-13.695 - Marché privé d'informatique soumis aux dispositions du code de la commande publique

Dès lors, prive sa décision de base légale le premier président d'une cour d'appel qui prononce la nullité de la décision d'attribution d'un marché à un candidat, sans rechercher en quoi le seul fait pour ce candidat d'avoir précédemment, à l'occasion d'un autre marché ayant pour objet d'autres prestations que celles recherchées, mis à disposition de l'acheteur une solution comportant un logiciel cartographique, dont l'élaboration relevait de ses seuls mérites, constituait un avantage indu faussant l'égalité entre les candidats de ce nouveau marché. Marché privé d'informatique soumis aux dispositions du code de la commande publique. 

https://www.courdecassation.fr/decision/65546edfa52b34831809826a

Dans le cadre des procédures de passation des marchés publics, le principe d'égalité de traitement des candidats n'interdit pas à une entreprise de faire valoir ses mérites propres et son expérience. Le fait de disposer d'une technologie ou d'un savoir-faire adapté aux besoins de l'acheteur, acquis lors de précédentes prestations, ne constitue pas en soi un avantage indu faussant la concurrence. Toutefois, cette règle ne s'applique que si l'acheteur n'impose pas une solution technique spécifique correspondant à celle développée antérieurement par un candidat. L'existence d'un avantage indu doit être appréciée in concreto par le juge, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

En l'espèce, la société Kalkin avait précédemment fourni à l'acheteur public des tables tactiles intérieures intégrant une solution cartographique 3D qu'elle avait développée. Le nouveau marché portait sur des bornes tactiles extérieures. Le juge du fond a considéré que cette expérience antérieure constituait un avantage concurrentiel injustifié.

Cependant, la Cour de cassation censure cette décision, estimant que le juge aurait dû rechercher concrètement en quoi le fait de disposer de cette technologie, fruit des mérites propres de l'entreprise, constituait un avantage indu dans le cadre du nouveau marché. Elle souligne notamment que les prestations antérieures étaient différentes de celles recherchées dans le nouveau marché, et qu'il n'était pas établi que l'acheteur ait imposé une solution technique spécifique.

Cette application illustre la nécessité d'une analyse circonstanciée et concrète de la situation, au-delà du simple constat d'une expérience antérieure avec l'acheteur.

 

La Cour de cassation a rendu le 15 novembre 2023 un arrêt intéressant en matière de commande publique, plus précisément concernant le principe d'égalité de traitement des candidats dans le cadre d'une procédure de passation d'un marché public d'informatique.

Contexte et faits de l'espèce

En l'espèce, une société publique locale (SPL) de développement touristique avait lancé en juillet 2021 une procédure adaptée pour un marché portant sur la fourniture, l'installation et la maintenance de bornes tactiles extérieures pour des sites touristiques.

Le marché a été attribué à la société Kalkin en octobre 2021. Cependant, un candidat évincé, la société Cartel, a contesté cette attribution devant le tribunal judiciaire. Elle soutenait que la société Kalkin avait bénéficié d'un avantage indu dans la présentation de son offre, car elle avait précédemment fourni à la SPL des tables tactiles intérieures intégrant une solution cartographique 3D qu'elle avait développée.

Le président du tribunal judiciaire a fait droit à cette demande et a annulé la procédure de passation, estimant que l'attributaire avait effectivement bénéficié d'un avantage concurrentiel du fait de son expérience passée avec l'acheteur public.

La SPL s'est pourvue en cassation contre cette décision.

Problème juridique et solution retenue

Le problème juridique central posé à la Cour de cassation était le suivant : le fait pour un candidat de détenir une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur, développée dans le cadre d'un précédent marché, constitue-t-il nécessairement un avantage indu faussant l'égalité entre les candidats ?

La Cour de cassation répond par la négative à cette question. Elle énonce le principe suivant : "Le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas un avantage indu, dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur." (paragraphe 9 de l'arrêt)

La Haute juridiction censure ainsi la décision du tribunal judiciaire, estimant que celui-ci n'a pas donné de base légale à sa décision en ne recherchant pas "en quoi le seul fait pour la société déclarée attributaire d'avoir précédemment, à l'occasion d'un autre marché ayant pour objet d'autres prestations que celles recherchées, mis à disposition de l'acheteur une solution comportant un logiciel cartographique, dont l'élaboration relevait de ses seuls mérites, constituait un avantage indu faussant l'égalité entre les candidats de ce nouveau marché" (paragraphe 13).

Analyse et portée de la décision

Cette décision apporte des précisions importantes sur l'application du principe d'égalité de traitement des candidats, consacré à l'article L. 3 du Code de la commande publique.

Sur la notion d'avantage indu

La Cour de cassation adopte une conception restrictive de la notion d'avantage indu. Elle considère que le simple fait de disposer d'une technologie adaptée aux besoins de l'acheteur, développée antérieurement, ne constitue pas en soi un tel avantage. 

La Cour ajoute une précision importante : l'absence d'avantage indu est conditionnée au fait qu'"aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur". Cela signifie a contrario que si l'acheteur impose une solution technique particulière, correspondant à celle développée antérieurement par un candidat, cela pourrait être constitutif d'un avantage indu.

Sur la charge de la preuve

L'arrêt apporte également des précisions sur la charge de la preuve en la matière. La Cour reproche au tribunal de ne pas avoir suffisamment recherché en quoi le fait de disposer d'une technologie développée antérieurement constituait un avantage indu.

Cela implique qu'il appartient au candidat évincé qui invoque une rupture d'égalité de démontrer concrètement en quoi l'expérience antérieure d'un concurrent lui a procuré un avantage injustifié dans la procédure en cause. Une simple allégation ne saurait suffire.

Sur l'appréciation concrète

La Cour invite les juges du fond à procéder à une appréciation concrète de la situation.

Plusieurs éléments doivent être pris en compte :

- Le fait que le marché antérieur portait sur "d'autres prestations que celles recherchées" dans le nouveau marché

- Le fait que la technologie en cause relevait des "seuls mérites" de l'entreprise attributaire

- L'absence de solution technique imposée par l'acheteur dans le cahier des charges

Cette approche vise à préserver un équilibre entre le principe d'égalité de traitement et la reconnaissance des investissements et de l'innovation des entreprises.

Conclusion

Cet arrêt s'inscrit dans une jurisprudence constante visant à concilier le principe d'égalité de traitement avec la reconnaissance des mérites propres des entreprises. Il confirme qu'une expérience ou une technologie acquise antérieurement ne constitue pas en soi un avantage indu, sauf circonstances particulières qu'il appartient au juge d'apprécier concrètement.

Cette décision est de nature à sécuriser les procédures de passation pour les acheteurs, en évitant une conception trop extensive de la notion d'avantage indu qui pourrait conduire à écarter systématiquement les opérateurs économiques ayant déjà travaillé avec l'acheteur.

[...]

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Rennes, 4 mars 2022), rendu selon la procédure accélérée au fond, le 26 juillet 2021, la société publique locale de développement touristique du Cotentin (la SPL de développement touristique du Cotentin) a engagé, selon la procédure adaptée prévue à l'article R. 2123-1,1° du code de la commande publique, une consultation portant sur la fourniture, l'installation, la mise en service et la maintenance de bornes tactiles extérieures sur les sites et équipements de l'office du tourisme du Cotentin.

2. Par lettre du 14 octobre 2021, elle a informé la société Cartel du rejet de son offre et de l'attribution du marché à la société Kalkin.

3. Soutenant que la société Kalkin, qui avait précédemment fourni à la SPL de développement touristique du Cotentin des tables tactiles intérieures intégrant une solution cartographique 3D développée par elle, avait, de ce fait, bénéficié d'un avantage financier dans la présentation de son offre, la société Cartel l'a assignée, ainsi que la SPL de développement touristique du Cotentin, devant le président du tribunal judiciaire en demandant, sur le fondement des articles 2 à 4 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, l'annulation de la procédure de mise en concurrence.

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. La SPL de développement touristique du Cotentin fait grief au jugement d'annuler sa décision du 14 octobre 2021 portant attribution à la société Kalkin de son marché de services relatif à la fourniture, l'installation, la mise en service et la maintenance de bornes tactiles extérieures sur les sites et équipements de l'office de tourisme du Cotentin, de lui enjoindre, si elle entend conclure ce marché, de reprendre la procédure de passation au stade de l'analyse des offres en se conformant à ses obligations de mise en concurrence et de la condamner à payer à la société Cartel une indemnité de 3 000 euros, alors « que le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas un avantage indu dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur, si bien qu'en annulant la procédure de mise en concurrence du marché de fourniture, d'installation, de mise en service et de maintenance de bornes tactiles mis en concurrence par la SPL de développement touristique du Cotentin au seul motif que la société Kalkin était titulaire des droits sur une solution logicielle cartographique pouvant répondre aux besoins de l'acheteur, le président du tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3, L. 2141-8 et R. 2111-2 du code de la commande publique. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. La société Cartel conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que la SPL de développement touristique du Cotentin n'a pas invoqué devant le délégué du président le principe en vertu duquel le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas un avantage indu dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur.

6. Cependant, la SPL de développement touristique du Cotentin a précisé, dans ses conclusions devant le délégué du président, que les documents de l'appel à concurrence n'imposaient aucune solution spécifique pour y répondre, ce dont il se déduit qu'elle a, de façon corollaire, invoqué le moyen selon lequel la détention d'une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas, dans ces circonstances, un avantage indu.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 3 du code de la commande publique :

8. Selon ce texte, les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d'égalité de traitement des candidats à l'attribution d'un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d'accès et de transparence des procédures. Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics.

9. Le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas un avantage indu, dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur.

10. Pour annuler la décision de la SPL de développement touristique du Cotentin du 14 octobre 2021 portant attribution à la société Kalkin de son marché de services relatif à la fourniture, l'installation, la mise en service et la maintenance de bornes tactiles extérieures sur les sites et équipements de l'office du tourisme du Cotentin, et lui enjoindre, si elle entend conclure ce marché, de reprendre la procédure de passation au stade de l'analyse des offres en se conformant à ses obligations de mise en concurrence, le jugement, après avoir relevé que la SPL de développement touristique du Cotentin ne débat pas de la réalité des prestations intellectuelles, et donc de leur importance et de leur coût, auxquelles il appartiendrait au candidat retenu, quel qu'il soit, d'adapter une solution logicielle cartographique aux besoins de l'acheteur public, en déduit qu'elle ne conteste pas la nécessité de ces prestations intellectuelles.

11. Le jugement relève ensuite que le devis réalisé pour le premier marché relatif aux bornes tactiles intérieures comporte pour l'outil logiciel inclus dans ces bornes, une présentation en deux parties, la première, relative au coût de la mise à disposition de la licence « Kalkin tourisme » et de son adaptation aux besoins exprimés par l'acheteur public et la seconde, relative au coût unitaire de la « déclinaison de la licence initialement acquise par poste supplémentaire du territoire ».

12. Après avoir encore constaté que le montant de ces coûts, de même que ceux relatifs à l'offre présentée pour le marché contesté, n'était communiqué ni par la société Kalkin ni par la SPL de développement touristique du Cotentin, le jugement retient que, dans la mesure où celle ci ne contestait pas la nécessité de prestations intellectuelles d'adaptation d'une solution logicielle cartographique au besoin de son utilisateur, il doit être jugé que l'attributaire a bénéficié d'un avantage concurrentiel en raison de son expérience passée.

13. En se déterminant ainsi, sans rechercher en quoi le seul fait pour la société déclarée attributaire d'avoir précédemment, à l'occasion d'un autre marché ayant pour objet d'autres prestations que celles recherchées, mis à disposition de l'acheteur une solution comportant un logiciel cartographique, dont l'élaboration relevait de ses seuls mérites, constituait un avantage indu faussant l'égalité entre les candidats de ce nouveau marché, le président du tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal et sur le pourvoi incident, qui est éventuel, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 4 mars 2022, entre les parties, par le président du tribunal judiciaire de Rennes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant la juridiction du président du tribunal judiciaire de Rennes autrement composée ;

Condamne la société Cartel aux dépens ;

[...]

MAJ 30/11/23 - Source Legifrance

Jurisprudence

CAA LYON, 2 juillet 2020, n° 18LY03402 (Mesures appropriées prises par l’acheteur pour que la concurrence ne soit pas faussée par la participation d'une entreprise qui aurait eu accès à des informations privilégiées ignorées des autres candidats. Validation, dans une procédure adaptée d’un marché de maîtrise d’oeuvre, d'un délai imparti aux candidats pour présenter une offre fixé à onze jours ouvrés  (voir Article R2143-1 du CCP)).

CJCE, 3 mars 2005, Affaires C-21/03 et C-34/03, Fabricom SA (Possibilité sous conditions pour une entreprise ayant participé à l'élaboration d'un marché d'y soumissionner. Les directives s'opposent à une règle par laquelle n’est pas admise l’introduction d’une demande de participation ou la remise d’une offre pour un marché public de travaux, de fournitures ou de services par une personne sans que soit laissée à cette personne la possibilité de faire la preuve que, dans les circonstances de l’espèce, l’expérience acquise par elle n’a pu fausser la concurrence).

CE, 29 juillet 1998, no 177952, Société Génicorp (Le fait de participer à la préparation d'un marché n'exclut pas forcément le candidat pour la réalisation du  marché s'il n'a pas recueilli des informations susceptibles de l'avantager par rapport aux autres candidats)