CAA Douai, 8 octobre 2024, n° 23DA00402 – Offre irrégulière et non-conformité au CCTP
L'offre d'un candidat doit strictement respecter les exigences du CCTP lors de la remise des offres. Offre irrégulière car le procédé n'était pas breveté et ne disposait pas d'un avis favorable d'un organisme de contrôle agréé alors que le cahier des charges l'exigeait. La Cour précise que la qualification professionnelle Qualibat ne peut se substituer à l'avis technique requis. Elle souligne également que la possibilité de déroger aux exigences avec l'autorisation du maître d'ouvrage ne s'applique qu'en phase d'exécution du marché.
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000050334485
Résumé
La CAA de Douai rapelle les conditions d'appréciation de la conformité d'une offre au CCTP et ses conséquences sur la régularité de la candidature.
Il s'agit d'un litige entre la société Hygrotop Assèchement et le préfet de la Seine-Maritime concernant un marché public pour des travaux de traitement parasitaire et de reprise structurelle d'une résidence. La société conteste le rejet de son offre pour irrégularité et demande une indemnisation pour éviction illégale. Le préfet de la Seine-Maritime soutient que l'offre était effectivement irrégulière, ne respectant pas les spécifications techniques du cahier des charges. La société fait appel du jugement du tribunal administratif de Rouen qui avait rejeté sa demande.
La Cour rappelle que selon l'article R2111-7 du code de la commande publique, les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d'un mode ou procédé de fabrication particulier susceptible de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques, sauf si cette mention est justifiée par l'objet du marché ou accompagnée des termes "ou équivalent".
Sur le contrôle des exigences du CCTP, le juge vérifie d'abord si les spécifications techniques restreignent la concurrence. En l’espèce, l'exigence d'un procédé breveté est validée car plusieurs fabricants proposent des appareils conformes sur le marché. Le cahier des clauses techniques particulières mentionnait que le procédé d'assèchement des murs devait être conforme à la norme ROHS. La directive RoHS (Restriction of Hazardous Substances) est une directive européenne qui limite l'utilisation de certaines substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques. La mention de marques spécifiques est acceptée dès lors qu'elle s'accompagne de la formule "de type", équivalente à la mention "ou similaire".
Sur l'appréciation de la conformité, l'offre est jugée irrégulière pour deux motifs cumulatifs : l'absence de brevet pour le procédé proposé et l'insuffisance du certificat Qualibat qui ne constitue pas un avis technique valable. La Cour précise que la clause permettant l'utilisation de matériaux non agréés ne s'applique qu'au titulaire du marché, et non aux candidats lors de la remise des offres.
Sur les conséquences contentieuses, l'irrégularité de l'offre fait obstacle à toute indemnisation du candidat évincé, même en présence d'autres irrégularités dans la procédure. Le juge considère en effet que cette non-conformité constitue la cause directe de l'éviction.
Texte
[...]
1. Le préfet de la Seine-Maritime a lancé, en juillet 2020, dans le cadre d'une procédure adaptée, une consultation en vue de l'attribution d'un marché portant sur des travaux de traitements parasitaires et de reprises structurelles de la résidence de la sous-préfecture de Dieppe. La procédure de passation de l'attribution du lot n° 3 relatif à l'assèchement des murs ayant été déclarée infructueuse, une seconde consultation avec une remise des offres au plus tard le 21 octobre 2020 a été lancée sans publicité ni mise en concurrence. Par une lettre du 27 novembre 2020, le préfet de la Seine-Maritime a informé la société Hygrotop Assèchement du rejet de son offre pour irrégularité et de l'attribution du marché à la société ADN Humidité pour un montant de 16 909,09 euros hors taxes. Par un courrier du 18 mai 2021, la société Hygrotop Assèchement a demandé au préfet de la Seine-Maritime de l'indemniser du préjudice subi en raison de son éviction illégale.
2. Sa demande ayant été implicitement rejetée, la société Hygrotop Assèchement a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 716,09 euros en réparation des préjudices subis du fait de son éviction de la procédure de passation du lot n° 3 relatif à l'assèchement des murs. Elle relève appel du jugement du 31 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Le motif du rejet de l'offre de la société Hygrotop Assèchement a été tiré de sa non-conformité au cahier des clauses techniques particulières qui imposait que le procédé mis en œuvre soit breveté et qu'il possède un avis favorable délivré par un organisme de contrôle agréé.
En ce qui concerne la légalité du cahier des clauses techniques particulières :
4. Aux termes de l'article L2152-2 du code de la commande publique : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. ".
5. En outre, selon l'article L2111-2 du même code : " Les travaux, fournitures ou services à réaliser dans le cadre du marché public sont définis par référence à des spécifications techniques ". Selon son article R2111-4 : " Les spécifications techniques définissent les caractéristiques requises des travaux, des fournitures ou des services qui font l'objet du marché (...) ". Selon son article R2111-7 : " Les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d'un mode ou procédé de fabrication particulier ou d'une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type lorsqu'une telle mention ou référence est susceptible de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits. / Toutefois, une telle mention ou référence est possible si elle est justifiée par l'objet du marché ou, à titre exceptionnel, dans le cas où une description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle et à la condition qu'elle soit accompagnée des termes " ou équivalent " ". Pour l'application de ces dispositions, il y a lieu d'examiner si la spécification technique a ou non pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits, puis, dans l'hypothèse seulement d'une telle atteinte à la concurrence, si cette spécification est justifiée par l'objet du marché ou, si tel n'est pas le cas, si une description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle.
6. Enfin, aux termes de l'article R2151-14 du code de la commande publique : " Dans les documents de la consultation, l'acheteur peut exiger que les soumissionnaires fournissent, comme moyen de preuve de la conformité aux spécifications techniques, aux critères d'attribution ou aux conditions d'exécution du marché, un rapport d'essai d'un organisme d'évaluation de la conformité accrédité, conformément au règlement (CE) n° 765/2008 du Parlement européen et du Conseil du 9 juillet 2008 fixant les prescriptions relatives à l'accréditation et à la surveillance du marché pour la commercialisation des produits et abrogeant le règlement (CEE) n° 339/93 du Conseil, ou un certificat délivré par un tel organisme. Lorsqu'il exige un certificat établi par un organisme d'évaluation identifié, il accepte un certificat établi par un organisme équivalent. / Lorsqu'un opérateur économique n'a pas accès aux certificats ou aux rapports d'essai mentionnés à l'alinéa précédent ni la possibilité de les obtenir dans les délais fixés par l'acheteur, ce dernier accepte d'autres moyens de preuve appropriés. ".
7. En l'espèce, le 2.2 du V du cahier des clauses techniques particulières du marché en litige d'une part imposait le recours à un procédé électronique pour le traitement des remontées capillaires et d'autre part indiquait que le procédé devait faire l'objet d'un brevet et d'un avis favorable délivré par un organisme de contrôle agréé et être conforme à la norme ROHS. Il citait par ailleurs des marques d'appareils électroniques en précisant que les appareils utilisés devaient correspondre à ce type de matériels.
8. Il ne résulte ni de cette stipulation, ni d'aucune autre pièce du dossier de consultation qu'un brevet particulier ou l'utilisation exclusive des marques d'appareils citées aient été exigés, alors par ailleurs que le préfet de la Seine-Maritime démontre que différents fabricants proposent des appareils électroniques brevetés sur le marché. Ces spécifications techniques n'ont ainsi pas eu pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits.
9. En tout état de cause et surtout, les spécifications techniques contestées étaient justifiées par l'objet du marché dès lors qu'elles permettaient de garantir l'efficacité du procédé utilisé par le candidat.
10. Dans ces conditions, le cahier des clauses techniques particulières n'a pas méconnu les dispositions de l'article R2111-7 du code de la commande publique.
En ce qui concerne le respect du cahier des clauses techniques particulières :
11. En premier lieu, aux termes de l'article L2152-2 du code de la commande publique : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ".
12. En l'espèce, il est constant que le procédé proposé par la société Hygrotop Assèchement dans son offre ne faisait pas l'objet d'un brevet. Il résulte également de l'instruction que le certificat Qualibat dont se prévaut la société requérante et qui correspond à une qualification professionnelle de l'activité de l'entreprise ne constitue pas à un avis favorable délivré par un organisme de contrôle agréé au procédé technique utilisé par la société tel qu'exigé par le cahier des clauses techniques particulières.
13. En deuxième lieu, aux termes du II du cahier des clauses techniques particulières du marché en litige : " Les matériaux, produits et composants de construction doivent être conformes aux stipulations du marché et particulièrement aux prescriptions des normes françaises homologuées ou justifiées d'un avis technique favorable CSTB en cours de validité. L'utilisation des matériaux, éléments ou ensembles non agréés peut intervenir dans le cas exceptionnel et seulement si le maître d'ouvrage l'a autorisé. Le maître d'ouvrage se réserve le droit d'imposer les matériaux ou appareils prévus au cas où le produit " similaire " ne serait pas jugé satisfaisant ".
14. Contrairement à ce que soutient la société requérante, il résulte des termes mêmes de la stipulation précitée qu'elle s'applique au titulaire du contrat lors de son exécution et qu'elle n'a donc ni pour objet ni pour effet de permettre aux candidats de déroger, avec l'autorisation du maître d'ouvrage, aux exigences fixées par le cahier des clauses techniques particulières pour la présentation de leur offre.
15. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime a pu légalement écarter l'offre de la société Hygrotop Assèchement comme irrégulière.
16. Par suite, cette irrégularité de l'offre, qui est la cause directe de l'éviction de la société, fait obstacle à ce que soit caractérisé un lien direct de causalité entre, d'une part, les autres irrégularités de la procédure de passation, à les supposer établies, que la société invoque et tirées de ce que le cahier des clauses techniques particulières du marché imposait un procédé technique électronique en méconnaissance de l'article R2111-7 du code de la commande publique et de ce que la décision déclarant infructueuse la première consultation était dépourvue de motivation et, d'autre part, le préjudice dont elle se prévaut tiré de ce qu'elle aurait disposé d'une chance d'obtenir le contrat.
17. Il résulte de ce qui précède que la société requérante ne peut prétendre à aucune indemnité en raison de son éviction de la procédure de passation litigieuse.
18. Il résulte de tout ce qui précède que la société Hygrotop Assèchement n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
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MAJ 29/10/24 - Source legifrance
Jurisprudence