CAA Lyon, 6 Juillet 2023, n° 21LY01478
Pas de marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence fondé sur la protection de droits d'exclusivité dès lors qu'existe une concurrence pour les besoins à satisfaire
Le recours à un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence fondé sur la protection de droits d'exclusivité n'est possible que s'il n'existe pas de solution alternative ou de remplacement raisonnable et en l'absence de restriction artificielle de la concurrence. Dès lors qu'il existe une concurrence potentielle entre plusieurs entreprises pour la fourniture des prestations concernées répondant aux besoins exprimés, le recours à cette procédure dérogatoire n’est pas justifié. La CAA de Lyon précise les conditions de recours à la procédure négociée sans publicité en matière de marchés publics. Elle juge que l'appréciation de l'absence de concurrence doit se faire au regard de la nature des besoins à satisfaire, et non des spécifications techniques précises. L'existence d'innovations propres à un opérateur ne justifie pas l'absence de mise en concurrence.
Le recours à la procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence en matière de marchés publics n'est possible qu'en l'absence de toute solution alternative raisonnable et lorsque cette absence de concurrence ne résulte pas d'une restriction artificielle des caractéristiques du marché. L'appréciation de ces conditions doit se faire au regard de la nature des besoins à satisfaire, et non des spécifications techniques précises du matériel souhaité.
En l'espèce, le CHU avait restreint artificiellement les caractéristiques du marché en définissant ses besoins par référence au seul matériel produit par la société Medtronic France, alors que d'autres fabricants proposaient des consoles de circulation extracorporelle répondant aux besoins de l'établissement. Les conditions de recours à la procédure négociée n'étaient donc pas remplies, justifiant la résiliation du marché.
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000047857480
Résumé
Le CHU de Clermont-Ferrand a conclu le 12 décembre 2018 avec la société Medtronic France, un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables, en application de l'article 30 du décret du 25 mars 2016 pour la fourniture et maintenance de consoles de circulation extra-corporelle Quantum.
La société LivaNova a saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'une demande d'annulation du marché conclu entre le CHU de Clermont-Ferrand et la société Medtronic France. Le tribunal administratif, a prononcé la résiliation du marché.
La société Medtronic France, aux conclusions de laquelle s'associe le CHU de Clermont-Ferrand, a relevé appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Lyon.
La société LivaNova a formé un appel incident demandant l'annulation du marché.
Medtronic France soutient que les conditions pour recourir à un marché négocié sans publicité ni mise en concurrence étaient réunies car seule elle pouvait fournir les consoles Quantum pour des raisons techniques et en raison de ses droits d'exclusivité. Elle invoque aussi l'irrégularité du jugement pour insuffisance de motivation.
LivaNova fait valoir qu'il existait des solutions alternatives et que la restriction aux seules consoles Quantum résultait d'une limitation artificielle de la concurrence. L'appel incident demande l'annulation du marché car le vice constaté est d'une particulière gravité.
Le litige porte sur les conditions d'application du c) du 3°) de l'article 30 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics désormais codifié à l'article R2122-3 du Code de la commande publique, qui permet de recourir à une procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence dans certains cas limités.
En l'espèce, deux questions se posent :
- Les conditions posées par le c) du 3° du I de l'article 30 étaient-elles remplies ? Ce texte permet le recours à la procédure négociée lorsque les fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur déterminé en raison de la protection de droits d'exclusivité, à condition qu'il n'existe aucune solution alternative raisonnable et que l'absence de concurrence ne résulte pas d'une restriction artificielle.
- Le CHU de Clermont-Ferrand a-t-il artificiellement restreint les caractéristiques techniques du marché de manière à ne pouvoir s'adresser qu'à la société Medtronic France ?
Le litige porte donc sur l'interprétation de ces conditions posées par l'article 30 du décret de 2016 et leur application aux faits de l'espèce. Il s'agit de déterminer si le recours à la procédure négociée était justifié au regard des besoins à satisfaire et de l'existence ou non d'autres solutions alternatives.
La cour administrative d'appel rappelle que le recours à un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence n'est possible, selon le c) du 3° de l'article 30 du décret du 25 mars 2016 relatif à la protection de droits d'exclusivité, que s'il n'existe pas de solution alternative ou de remplacement raisonnable et en l'absence de restriction artificielle de la concurrence.
En l'espèce, la cour relève qu'il existait une concurrence entre plusieurs fabricants pour la fourniture et la maintenance de consoles de circulation extra-corporelle répondant aux besoins exprimés par le CHU.
Elle en déduit que les conditions pour recourir à la procédure dérogatoire n'étaient pas réunies. Peu importent les innovations de la console Quantum, qui pouvaient être prises en compte dans le cadre d'une procédure concurrentielle.
La cour rejette donc le moyen de Medtronic France et du CHU contestant l'annulation du marché.
Enfin, concernant l'appel incident de LivaNova demandant l'annulation du marché, la cour le rejette au motif que l'irrégularité relevée n'est pas d'une gravité telle qu'elle devait être relevée d'office et n'a pas vicié le consentement des parties.
Texte
[…]
1. Le CHU de Clermont-Ferrand a conclu avec la société Medtronic France, le 12 décembre 2018, pour une période de douze mois reconductible huit fois, un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables, en application du c) du 3 du I de l'article 30 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, pour la fourniture et la maintenance de deux consoles de circulation extra-corporelle Quantum utilisée en chirurgie cardiaque. Par jugement du 11 mars 2021, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, à la demande de la société LivaNova, entreprise concurrente, résilié ce marché à compter du 1er janvier 2022. La société Medtronic France, aux conclusions de laquelle s'associe le CHU de Clermont-Ferrand, relève appel de ce jugement. La société LivaNova demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation du marché.
[…]
6. Aux termes de l'article 30 du décret du 25 mars 2016 : " I. Les acheteurs peuvent passer un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les cas suivants : (...) 3° Lorsque les (...) fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé, pour l'une des raisons suivantes : (...) c) La protection de droits d'exclusivité, notamment de droits de propriété intellectuelle. Les raisons mentionnées aux (...) c ne s'appliquent que lorsqu'il n'existe aucune solution alternative ou de remplacement raisonnable et que l'absence de concurrence ne résulte pas d'une restriction artificielle des caractéristiques du marché public (...) ". L'appréciation d'une concurrence entre prestataires, dont l'absence peut seule justifier le recours à ces dispositions dérogatoires, doit s'apprécier au regard de la nature des besoins à satisfaire.
7. Il résulte de l'instruction que plusieurs fabricants proposent la vente et la maintenance de consoles de circulation extracorporelle, prestations répondant aux besoins exprimés par l'établissement hospitalier consistant à assurer la permanence de la circulation sanguine pendant les interventions de chirurgie cardiaque. Dès lors qu'existe une concurrence pour les besoins à satisfaire, les dispositions citées au point 6 ne pouvaient recevoir application, sans que puissent être invoquées les innovations de la console Quantum, susceptibles d'être prises en compte dans la notation de la valeur technique de l'offre présentée par la société Medtronic France lors d'une mise en concurrence, et non pas d'exonérer le pouvoir adjudicateur de toute mise en concurrence.
8. Il résulte de ce qui précède que la société Medtronic France et le CHU de Clermont-Ferrand ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a résilié le marché qu'ils ont conclu.
Sur l'appel incident de la société LivaNova :
9. Saisis par un tiers dans les conditions définies au point 5, il appartient au juge du contrat, lorsqu'il constate l'existence d'un vice entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences et soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci.
10. Il résulte de l'instruction que l'objet du marché, qui porte sur l'achat et la maintenance de matériels utilisés par le CHU de Clermont-Ferrand, n'est pas illicite et que l'irrégularité du mode de passation n'a pas eu pour effet de vicier le consentement des parties à ce marché ni ne manifeste la volonté de l'acheteur public de favoriser un candidat. Enfin, le vice relevé, alors même qu'il affecte les conditions de mise en concurrence, ne présente pas un degré de gravité tel que le juge aurait dû le relever d'office. Dans ces conditions, les conclusions de la société LivaNova tendant à l'annulation du marché ne peuvent qu'être rejetées.
[…]
MAJ 19/07/23 - Source legifrance
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