TA Pau, 5 août 2024, n° 2401810 - Régularisation des offres : Correction des discordances entre BPU et DQE
Modifications de prix dans le DQE sans altération des caractéristiques substantielles. Application des coûts indiqués dans le BPU, prévalant sur ceux indiqués dans le DQE en application des dispositions du règlement de la consultation. Selon le juge, cette correction relève du champ de la procédure de régularisation dans la mesure où il s'est agi de corriger l'offre soumise à l'appréciation de l'entité adjudicatrice afin qu'elle corresponde au prix qui devra être réellement supporté. Il ne s'agit donc pas d'une offre irrégulière.
En matière de régularisation des offres dans le cadre des marchés publics, une modification du prix, même significative, peut être acceptée dès lors qu'elle ne modifie pas les caractéristiques substantielles de l'offre et qu'elle ne résulte pas d'une manœuvre délibérée du candidat. L'impact de cette régularisation sur le classement final des offres est sans incidence sur sa légalité.
En l'espèce, le juge a validé une régularisation ayant entraîné une baisse de prix d'environ 150 000 € sur un total de 1 295 000 €, soit plus de 10%. Cette régularisation a été jugée légale car elle visait à corriger des erreurs entre le BPU et le DQE, sans modifier substantiellement l'offre ni résulter d'une manœuvre du candidat. Le fait que cette régularisation ait permis au groupement attributaire d'obtenir la meilleure note sur le critère du prix n'a pas été considéré comme remettant en cause sa légalité.
Résumé
Contexte et procédure
Le syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable (SAEP) de l'Arrats et de la Gimone a lancé le 8 avril 2024 une procédure adaptée ouverte pour un marché de remplacement d'une canalisation d'eau potable sur 13,5 km. Deux groupements ont candidaté : Rossoni TP - Cana TP et SNAA Acchini - Carrère. L'offre du second groupement a été retenue avec une note de 18,75/20 contre 18,54/20 pour le premier.
La société Rossoni TP, mandataire du groupement évincé, a saisi le juge des référés précontractuels sur le fondement des articles L551-5 et L551-6 du code de justice administrative (CJA). Elle demande principalement la communication de documents, l'interruption de la procédure de passation et l'attribution du marché à son groupement.
Sur la régularisation de l'offre de l'attributaire via les BPU et DQE
Le tribunal examine la régularité de la procédure de régularisation de l'offre du groupement SNAA Acchini - Carrère au regard des articles L2152-1, L2152-2 et R2152-2 du CCP.
Il relève que l'entité adjudicatrice a demandé à ce groupement de corriger des erreurs entre le bordereau des prix unitaires (BPU) et le détail quantitatif estimatif (DQE). Cette correction a entraîné une baisse du prix de l'offre d'environ 150 000 € sur un total de 1 295 000 €.
Le tribunal juge que cette régularisation était légale car : 1/ Elle visait à corriger l'offre pour qu'elle corresponde au prix qui devra être réellement supporté. 2/ Il n'est pas établi qu'elle résulterait d'une manœuvre ou d'une intention délibérée du candidat retenu. 3/ Elle ne peut être regardée comme ayant eu pour effet de modifier les caractéristiques substantielles de son offre.
Le juge précise que "la seule circonstance qu'après l'analyse des offres, le candidat attributaire du marché a été retenu au seul bénéfice du meilleur prix ne rend pas rétrospectivement illégale la régularisation". Il ajoute que "par ailleurs, les demandes de précisions sur des points techniques ne présentent pas davantage le caractère de modifications substantielles".
Le tribunal rejette l'ensemble des conclusions de la société Rossoni TP.
Texte
[...]
2. D'autre part, aux termes de l'article L. 1211-1 du code de la commande publique : " Les pouvoirs adjudicateurs sont : / 1° Les personnes morales de droit public ; / () ". Aux termes de l'article L. 1212-1 du même code : " Les entités adjudicatrices sont : / 1° Les pouvoirs adjudicateurs qui exercent une des activités d'opérateur de réseaux définies aux articles L. 1212-3 et L. 1212-4 ; / () ". Aux termes de l'article L. 1212-3 de ce code : " Sont des activités d'opérateur de réseaux : / 1° La mise à disposition, l'exploitation ou l'alimentation de réseaux fixes destinés à fournir un service au public dans le domaine de la production, du transport ou de la distribution : / () c) d'eau potable. / () ".
3. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 8 avril 2024, le syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable (SAEP) de l'Arrats et de la Gimone, entité adjudicatrice, a lancé une procédure de marché public adaptée ouverte pour le remplacement de la canalisation d'eau potable reliant la commune de Mauvezin et la commune de Maravat sur une distance de 13,5 kilomètres. Selon le règlement de la consultation, les candidats devaient présenter une offre de base, ainsi qu'une variante sur le matériau de la canalisation et deux propositions de prestations supplémentaires éventuelles (PSE), pour l'antenne du chemin de Touron et l'antenne de Maravat. Les offres ont été appréciées en fonction de trois critères, à savoir la valeur technique pondérée à 50 %, le prix pondéré à 40 % et les performances en matière de protection de l'environnement pour 10 %. Deux groupements d'entreprises ont candidaté, le groupement Rossoni TP - Cana TP, représenté par la société Rossoni TP, et le groupement SNAA Acchini - Carrère, représenté par la société SNAA Acchini. Les offres présentées par ces deux groupements, s'agissant de la variante assortie des prestations supplémentaires, ont obtenu les notes respectivement de 18,54 et de 18,75 sur 20. Par courrier du 5 juillet 2024, le SAEP a informé le groupement Rossoni TP - Cana TP du rejet de son offre. La société Rossoni TP demande au juge des référés, dans le dernier état de ses écritures, sur le fondement des articles L. 551-5 et L. 551-6 du code de justice administrative, d'ordonner à l'entité adjudicatrice, à titre principal, de lui communiquer les documents relatifs aux caractéristiques et avantages de l'offre retenue et d'interrompre la procédure de passation du marché de travaux publics au stade de l'analyse des offres, après avoir jugé que l'offre du groupement SNAA Acchini - Carrère n'est pas régularisable, à titre subsidiaire, de reprendre l'ensemble de la procédure de passation du marché et, dans l'attente, de suspendre l'exécution de toute décision se rapportant à cette procédure.
[...]
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". Aux termes de l'article L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. ". Aux termes de l'article R. 2152-2 de ce code : " Dans toutes les procédures, l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. / La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet d'en modifier des caractéristiques substantielles. ".
9. Il résulte de l'instruction que, par des courriers du 4 juin 2024 et du 13 juin 2024, le président du SAEP de l'Arrats et de la Gimone a demandé aux deux groupements candidats de régulariser leur offre respective et d'apporter des précisions, avant le 7 juin 2024 à 12 heures et le 20 juin 2024 à la même heure. Il était en particulier demandé au groupement SNAA Acchini - Carrère, d'une part, de compléter son offre par la production de documents manquants et, d'autre part, de corriger des erreurs et incohérences découlant de la confrontation du bordereau des prix unitaires (BPU) et du détail quantitatif estimatif (DQE), sur la base duquel le prix de l'offre a été établi. A ce dernier titre, l'entité adjudicatrice a notamment relevé, outre des écarts de prix mimines sans réelle conséquence, deux discordances majeures. La première concerne le coût de la préparation du chantier évalué à 4 500 euros dans le BPU alors qu'il était estimé à 45 000 euros dans le DQE. La seconde concerne les canalisations DN 180 mm de l'offre variante dont le prix unitaire par mètre linéaire était de 27,50 euros dans le BPU alors qu'il était de 36 euros dans le DQE. D'une part, la correction de ces discordances, qui a consisté à appliquer les coûts indiqués dans le BPU, qui prévalent sur ceux indiqués dans le DQE en application de l'article 8.2 du règlement de la consultation, relève du champ de la procédure de régularisation dans la mesure où il s'est agi de corriger l'offre soumise à l'appréciation de l'entité adjudicatrice afin qu'elle corresponde au prix qui devra être réellement supporté. D'autre part, l'erreur de plume commise dans le coût de la préparation du chantier, de l'ordre de 40 500 euros, et la correction du prix global des canalisations DN 180 mm, en raison de l'importance de la quantité requise, ont conduit à un abaissement du prix de l'offre variante du groupement SNAA Acchini - Carrère d'un peu plus de cent cinquante mille euros, pour un prix total rectifié de son offre variante assortie des prestations supplémentaires de près d'un million deux cent quatre-vingt-quinze mille euros. Cette régularisation, dont il n'est pas établi qu'elle résulterait d'une manœuvre ou d'une intention délibérée du candidat retenu, ne peut être regardée comme ayant eu pour effet de modifier les caractéristiques substantielles de son offre. A cet égard, la seule circonstance qu'après l'analyse des offres, le candidat attributaire du marché a été retenu au seul bénéfice du meilleur prix ne rend pas rétrospectivement illégale la régularisation. Par ailleurs, les demandes de précisions sur des points techniques ne présentent pas davantage le caractère de modifications substantielles. De plus, l'entité adjudicatrice n'était pas tenue de demander au groupement Rossoni TP - Cana TP de compléter son offre s'agissant de l'absence de ventouse. Enfin, l'entité adjudicatrice n'a engagé aucune négociation, ainsi qu'elle pouvait en décider en application de l'article 8.3 du règlement de la consultation. Il s'ensuit que le SAEP de l'Arrats et de la Gimone n'a pas méconnu les dispositions énoncées au point 8 ni le principe d'égalité de traitement entre les candidats à la commande publique.
10. En troisième lieu, si la société Rossoni TP conteste les notes attribuées pour le critère de la valeur technique, notamment pour le sous-critère relatif aux moyens humains, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par l'entité adjudicatrice, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un marché, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres.
[...]
12. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la requête de la société Rossoni TP présentées sur le fondement des articles L. 551-5 et L. 551-6 du code de justice administrative doivent être rejetées.
[...]
MAJ 21/08/24 - Source legifrance
Jurisprudence
CE, 16 avril 2018, n° 417235, Collectivité de Corse (Une entreprise qui n’a pas utilisé un BPU modifié par l’acheteur, alors qu'elle en a tenu compte pour rédiger son offre, ne suffit pas pour considérer son offre comme irrégulière. La décision du Conseil d'Etat jette un doute sur les possibilités de "régularisation", l'offre n'ayant pas été considérée comme irrégulière alors qu'elle invite l'acheteur à la régulariser).
CAA de Lyon, 5 janvier 2012, n° 10LY01425 (En cas de discordance entre le Bordereau des Prix Unitaires (BPU) et le Détail Quantitatif Estimatif (DQE) due à une erreur matérielle dans le BPU, l'acheteur public ne peut pas rectifier unilatéralement le montant de l'offre en se fondant uniquement sur la primauté supposée du BPU sur le DQE, surtout lorsque le candidat maintient le montant total initial de son offre).
Actualités
Dématérialisation et régularisation des offres papier au 1er octobre 2018. - 13 août 2018.