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CE, 18 juillet 2024, n° 492938, association Nayma - Obligation de vigilance des candidats

Conseil d’Etat, 18 juillet 2024, n° 492938, association Nayma - Obligation de vigilance des candidats face aux contradictions dans les documents de la consultation

Cette décision est à rapprocher de l'arrêt de 2005 (CE, 15 avril 2005, 273178, Ville de Paris c/ Société SITA) qui ne mentionne pas explicitement une obligation de vigilance des candidats face aux contradictions. Au contraire, ce dernier met l'accent sur la responsabilité du pouvoir adjudicateur de fournir des informations cohérentes et précises. La décision de 2005 tendant à protéger les candidats en sanctionnant les incohérences dans les documents de la consultation, plutôt que de leur imposer une obligation de vigilance.

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000050036040

Contexte et procédure

La Communauté d'agglomération Dembeni-Mamoudzou (CADEMA) a lancé une consultation pour un marché de collecte de déchets divisé en quatre lots. L'association NAYMA a déposé des offres pour tous les lots, qui ont été rejetées comme irrégulières. NAYMA a introduit un référé précontractuel, puis contractuel, contestant cette décision. Le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a rejeté ces demandes. NAYMA s'est pourvue en cassation devant le Conseil d'État.

Points de droit examinés

Irrégularité d'une offre en raison de la présentation sur plusieurs lots en violation du règlement de la consultation

Le Conseil d'État rappelle le cadre juridique applicable :

- L'article L2152-1 du code de la commande publique dispose : "L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées".

- L'article L2152-2 du code de la commande publique précise : "Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale".

En l'espèce, la CADEMA a rejeté les offres de NAYMA comme irrégulières car elles portaient sur plus de deux lots, en violation de l'article 1.4 du règlement de la consultation.

Contradiction entre l'avis d'appel public à la concurrence et le règlement de la consultation

Le Conseil d'État constate une contradiction entre l'article II.1.6 de l'avis d'appel public à la concurrence, qui permettait de soumissionner sur tous les lots, et l'article 1.4 du règlement de la consultation, qui limitait les offres à deux lots maximum.

Le Conseil d'État juge que cette contradiction "était aisément décelable par les candidats qui ne pouvaient se méprendre de bonne foi sur les exigences du pouvoir adjudicateur telles qu'elles étaient formulées dans le règlement de la consultation, auquel ils devaient se conformer" (point 4).

Cette position peut être rapprochée de la jurisprudence antérieure, notamment l'arrêt (Conseil d’Etat, 15 avril 2005, n°273178, Ville de Paris c/ Société SITA), qui imposait aux pouvoirs adjudicateurs (et non aux opérateurs économiques) une obligation de vigilance face aux contradictions dans les documents de la consultation.

Signature prématurée du contrat en violation de l'obligation de suspension

Le Conseil d'État rappelle le cadre juridique :

- L'article L. 551-4 du code de justice administrative prévoit : "Le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu'à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle".

- L'article L. 551-20 du même code dispose que le juge peut prononcer des sanctions en cas de signature prématurée.

Le Conseil d'État juge que la CADEMA a signé les contrats le 2 janvier 2024 "en méconnaissance de l'obligation prévue à l'article L. 551-4 du code de justice administrative" (point 6), alors qu'elle avait été informée du référé précontractuel.

Solution retenue

Sur l'irrégularité des offres :

Le Conseil d'État confirme la décision du juge des référés, jugeant que NAYMA "ne pouvait soutenir que celui-ci avait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en écartant ses offres comme irrégulières" (point 4).

Sur la signature prématurée :

Le Conseil d'État annule l'ordonnance du juge des référés "en tant que le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a omis de prononcer l'une des sanctions prévues à l'article L. 551-20 du code de justice administrative" (point 7).

Le Conseil d'État, réglant l'affaire au fond, inflige une pénalité financière de 20 000 euros à la CADEMA (point 10).

Portée de la décision

Cette décision apporte plusieurs précisions :

  • Elle confirme la responsabilité des candidats de détecter les contradictions "aisément décelables" dans les documents de la consultation et d'interroger le pouvoir adjudicateur en cas de doute.
  • Elle rappelle l'obligation pour le pouvoir adjudicateur de suspendre la signature du contrat dès la notification d'un référé précontractuel, même si celle-ci intervient en dehors des horaires d'ouverture du service.
  • Elle clarifie l'office du juge du référé contractuel qui est "tenu de prononcer l'une des sanctions prévues à l'article L. 551-20" en cas de signature prématurée du contrat, même s'il a rejeté les autres moyens du requérant (point 6).

Cette décision s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure tout en apportant des précisions utiles sur l'office du juge et les responsabilités respectives des candidats et du pouvoir adjudicateur dans la procédure de passation des marchés publics.

[...)

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 11 août 2023, la communauté d'agglomération Dembeni-Mamoudzou (CADEMA) a lancé une consultation en vue de la passation d'un marché de collecte de déchets dans les " quartiers inaccessibles " sur le territoire communautaire divisé en quatre lots. L'association NAYMA a déposé des offres pour chacun des lots, qui ont été rejetées comme irrégulières par des courriers notifiés le 21 décembre 2023. Par quatre requêtes enregistrées le 28 décembre 2023, l'association NAYMA a demandé au juge des référés, à titre principal, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, et à titre subsidiaire, sur le fondement de l'article L. 551-13 du même code, l'annulation de la procédure de passation de ces marchés publics pour chacun des quatre lots. Les marchés ont été signés le 2 janvier 2024. Par une ordonnance du 12 février 2024, contre laquelle l'association NAYMA se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a rejeté ces demandes.

[…]

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". Selon l'article L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ".

4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la CADEMA a rejeté les quatre offres de l'association NAYMA comme irrégulières au motif que celle-ci avait, en méconnaissance de l'article 1.4 du règlement de la consultation, présenté une offre sur plus de deux des quatre lots qui composaient le marché. Si l'article II.1.6 de l'avis d'appel public à la concurrence indiquait, contrairement au règlement de consultation, qu'il était possible de soumettre des offres sur tous les lots, cette contradiction entre les documents du marché était aisément décelable par les candidats qui ne pouvaient se méprendre de bonne foi sur les exigences du pouvoir adjudicateur telles qu'elles étaient formulées dans le règlement de la consultation, auquel ils devaient se conformer. Par conséquent, en jugeant que, faute d'avoir interrogé le pouvoir adjudicateur pour lever cette ambigüité, l'association NAYMA ne pouvait soutenir que celui-ci avait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en écartant ses offres comme irrégulières, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte n'a pas commis d'erreur de droit. Par suite, il n'a pas davantage commis d'erreur de droit, ni insuffisamment motivé son ordonnance, ni dénaturé les écritures de la requérante en retenant que celle-ci ne démontrait pas que les obligations de publicité et de mise en concurrence avaient été méconnues d'une manière affectant ses chances d'obtenir le contrat au sens de l'article L. 551-18 du code de justice administrative.

5. En second lieu, il résulte des dispositions citées au point 2 que le pouvoir adjudicateur, lorsqu'est introduit un recours en référé précontractuel dirigé contre la procédure de passation d'un contrat, doit suspendre la signature de ce contrat à compter, soit de la communication du recours par le greffe du tribunal administratif, soit de sa notification par le représentant de l'Etat ou l'auteur du recours agissant conformément aux dispositions de l'article R. 551-1 du code de justice administrative. S'agissant d'un recours envoyé au service compétent du pouvoir adjudicateur par des moyens de communication permettant d'assurer la transmission d'un document en temps réel, la circonstance que la notification ait été faite en dehors des horaires d'ouverture de ce service est dépourvue d'incidence, le délai de suspension courant à compter non de la prise de connaissance effective du recours par le pouvoir adjudicateur, mais de la réception de la notification qui lui a été faite. En vertu des dispositions de l'article L. 551-14 du même code, la méconnaissance par le pouvoir adjudicateur de l'obligation de suspendre la signature du contrat ouvre la voie du recours en référé contractuel au demandeur qui avait fait usage du référé précontractuel. En outre, en vertu des dispositions de l'article L. 551-20 du même code, qui doivent être lues à la lumière de celles de l'article 2 sexies de la directive du Conseil du 21 décembre 1989 dont elles assurent la transposition, en cas de conclusion du contrat avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre, ou, comme en l'espèce, pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 du même code, le juge du référé contractuel est tenu soit de priver d'effets le contrat en l'annulant ou en le résiliant, soit de prononcer une sanction de substitution consistant en une pénalité financière ou une réduction de la durée du contrat. Enfin, le rejet des conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-18 du code de justice administrative ne fait pas obstacle à ce que soit prononcée, même d'office, une sanction sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-20 du même code, si le contrat litigieux a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 du code de justice administrative.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte que les contrats en litige ont été signés le 2 janvier 2024, postérieurement à la réception par les services de la CADEMA du courrier de l'avocat de l'association requérante lui notifiant son référé précontractuel. Les marchés ont ainsi été signés par la collectivité en méconnaissance de l'obligation prévue à l'article L. 551-4 du code de justice administrative. Par suite, alors même qu'il avait rejeté les conclusions de la requérante présentées sur le fondement de l'article L. 551-18 du code de justice administrative, le juge du référé contractuel du tribunal administratif était tenu de prononcer l'une des sanctions prévues à l'article L. 551-20 du même code. En s'abstenant de prononcer l'une d'entre elles, il a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède que l'association requérante est seulement fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée en tant que le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a omis de prononcer l'une des sanctions prévues à l'article L. 551-20 du code de justice administrative.

[...]

MAJ 23/07/24

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