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Conseil d’Etat, 8 février 2019, n° 420296, Veolia Eau et SIIAP

Marchés publics > Sources des marchés publics > Jurisprudence

CAA Douai, 10 mai 2007, n° 06DA00353, Commune de Maromme c/ Société xxx

http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Visu?cid=272219&indice=1&table=JADE&ligneDeb=1

Le titulaire d'un marché public est tenu, en vertu des stipulations du contrat de garantir les prestations prévues dans ce dernier et notamment de garantir le caractère opérationnel des prestations fournies. Le titulaire a au moins une obligation de moyens et de respect des règles de l'art de la matière.

Le juge administratif sanctionne l'acheteur pour son « imprudence en n’hésitant pas à signer un contrat dont les subtilités des clauses pouvaient être sujettes à interprétation ».

Le juge refuse de prononcer l’annulation du contrat au motif que le montant total aurait, pour son exécution, dépassé un seuil de procédure à partir du moment où l'estimation est sincère au moment de la procédure de passation.

Cet arrêt, qui s’applique à un contrat informatique passé entre une commune et un prestataire de services, est particulièrement intéressant car il concerne d’une part, un domaine très technique donc présentant quasi-inévitablement des aléas à l’exécution, et d’autre part un contexte contractuel généralement défavorable à l’acheteur dans ce domaine.

La situation rencontrée est courante ; elle est bien connue des services utilisateurs ainsi que des services juridiques et informatiques notamment dans les collectivités territoriales.

Le dénouement de l’affaire ne manquera cependant pas de semer l’inquiétude chez les prestataires de services informatiques habitués à opposer, lors de l’exécution du contrat, l’absence de spécifications très détaillées dans les cahiers des charges. La référence aux « règles de l’art » fait son apparition, probablement pour la première fois, dans la jurisprudence relative aux marchés publics d’informatique.

Il est à remarquer dans l’arrêt qu’aucun contrat de maintenance n’était attaché au contrat initial plaçant ainsi la commune dans une situation de totale dépendance par rapport au prestataire à la fin de l’exécution du contrat.

Une question intéressante à se poser alors est la suivante : Si les relations entre la commune et le prestataire ne s’étaient pas améliorées à l’issue du contrat, cette dernière aurait elle encore eu le droit d’utiliser les progiciels intégrés au système ? Rien n’est moins sur. Les collectivités notamment, sont depuis quelques années régulièrement confrontées à la limitation dans le temps des droits d’usage ; beaucoup savent qu’au terme du contrat souscrit elles ne pourront plus utiliser les progiciels concernés. Ce type de situation a déjà été traité par le juge administratif en appel pour l’instant. Les acheteurs concernés peuvent lire les pertinentes mais néanmoins classiques mises en garde effectuées sur le site Internet achapublic.com (« Droits d’utilisation des logiciels : alerte sur les fins de contrats », 25 octobre 2007) et les informations relatives au futur arrêt du Conseil d’Etat opposant un grand constructeur informatique à l’agence de l’eau Loire-Bretagne.

Le raisonnement adopté dans l’arrêt pourrait très bien s’appliquer à d’autres types de marchés. Nous avons cependant affaire ici à une prestation que l’on peut qualifier de « complexe » ; il y a ici un déséquilibre CLIENT/FOURNISSEUR très classique dans ces types de « contrats dont les subtilités des clauses peuvent être sujettes à interprétation » et dont les conséquences sont bien connues des acheteurs lors de l’exécution du contrat. De plus, dans le cas d’espèce, la commune n’avait pas intégré les prestations de maintenance dans son contrat pour les années suivantes.

Il semble également que le cahier des charges, s’il existait, devait être réduit à sa plus simple expression vu qu’il n’est jamais fait mention d’un tel document. De même il n’est jamais fait une quelconque référence au CCAGFCS et notamment à son chapitre VII, ce qui aurait au moins eu le mérite d’apporter un minimum de protection contractuelle à la commune. La seule indication fournie concerne un bon de commande listant de manière générale des prestations dues au titre du contrat.

Historique

La commune de MAROMME (environ 12.400 habitants) avait passé un marché relatif à l’acquisition d’un système monétique qui portait à la fois sur la fourniture et l'installation d'un système de paiement par carte électronique. Ce système était destiné à équiper les cantines scolaires de la commune et il comprenait deux progiciels, des bornes de lecture et des cartes électroniques.

Le système livré ayant été l'objet d'une série de dysfonctionnements, la commune avait alors saisi le tribunal administratif de ROUEN et sollicitait la condamnation, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, du prestataire au versement d’une somme de 52 957,51 euros en réparation du préjudice subi du fait des défaillances du système ainsi livré et installé et du surcoût de main d’œuvre entraîné par ces défaillances.

Le tribunal administratif avait par un jugement en date du 15 décembre 2005 (TA Rouen, 15 décembre 2005, n° 0202190) rejeté cette réclamation au motif que la commune n’avait pas souscrit le contrat de maintenance proposé par le prestataire. Selon le tribunal, les désordres n’avaient pas pour origine un défaut de conception du système mais un défaut de maintenance et par suite la commune ne pouvait imputer au prestataire une faute consistant en un défaut d’assistance pour remédier aux désordres vu qu’elle avait refusé de souscrire au contrat de maintenance proposé. 

La CAA de DOUAI a annulé le jugement du TA et a donné partiellement raison à la commune (CAA de Douai, 10 mai 2007, n° 06DA00353, Commune de Maromme c/ Société xxx).

La Cour va adopter un raisonnement en trois temps.

Elle va d’abord interpréter les clauses du contrat et conclure que le prestataire était tenu, en vertu des stipulations du contrat de garantir les interventions prévues dans ce dernier et notamment de garantir le caractère opérationnel du matériel fourni. La Cour va notamment s’appuyer sur les manquements du prestataire quant à son obligation de moyens et aux règles de l'art en matière d'assistance.

Elle va partiellement rejeter les prétentions de la commune compte tenu d’une part, de son imprudence en n’hésitant pas à signer un contrat dont les subtilités des clauses pouvaient être sujettes à interprétation, et d’autre part de l’absence de lien démontré entre les dysfonctionnements et sa décision de ne plus utiliser le matériel livré.

Elle va refuser de prononcer l’annulation du contrat réclamée par le prestataire au motif que le montant total aurait, pour son exécution, dépassé le premier seuil de procédure prévu par le code des marchés publics alors applicable.

1) La responsabilité contractuelle du prestataire

Les dispositions contractuelles incluaient  les prestations relatives à l'installation qui comprenaient notamment le paramétrage du progiciel, le test des terminaux, la formation des utilisateurs et des référents et l'assistance à la communication. Ces prestations étaient réputées être réalisées dans le cadre d'un forfait durant neuf mois à partir de la date d'installation.

Les prestations d'assistance pour remédier aux désordres et à garantir le caractère opérationnel du système faisaient partie de la phase d’acquisition de ce dernier et donc, étaient dues au titre du contrat. Ces prestations n’étaient pas constitutives du contrat de maintenance d’ailleurs non souscrit par la commune.

Le manque de diligence, l’obligation de moyens et les manquements aux règles de l’art

ll résulte de l'instruction que la société n’avait pas respecté l’obligation de moyens qui pesait sur elle quant à la fourniture des prestations. En effet, le prestataire avait manqué de diligence en n’apportant pas le soin nécessaire pour chercher des solutions et mettre fin aux dysfonctionnements en cause.

L’obligation de résultats
Dans les cahiers des charges il est recommandé de faire figurer l’obligation de résultats (CAA Paris, 25 avril 2006, n° 02PA02065, Entreprise ferroviaire SAFEN c/ Office départemental d'HLM de la Seine-Saint-Denis) et de  définir les résultats à atteindre. Ces résultats peuvent prendre la forme, par exemple, de performances à respecter ou de données traitées à restituer).

CAA Douai, 26 novembre 2009, n° 07DA01159, Centre hospitalier de GISORS c/ Société Dalkia (Obligation de résultats incombant au titulaire d'un marché de services en application des stipulations du contrat, faisant obstacle à ce que celle-ci invoque les conditions difficiles du nettoyage de certains locaux pour être exonérée des pénalités et réfactions prévues au marché).

Le juge a donc considéré que ces manquements aux règles de l'art en matière d'assistance étaient de nature à engager la responsabilité contractuelle du prestataire, tenu en vertu des stipulations du contrat en cause, de veiller à la fiabilité et au caractère opérationnel du système fourni.

C’est également la première fois que le juge se réfère aux règles de l’art dans ce type de contrat.

De manière générale, les contrats informatiques, surtout lorsqu’ils intègrent des progiciels, se décomposent en deux phases : une phase d’acquisition et une phase de maintenance. En matière de progiciels, ces phases ont intérêt à être indissociables dès la rédaction des pièces du marché.

En l’espèce, la phase d’acquisition avait une durée de 9 mois à compter de la date d’installation selon les stipulations du bon de commande ; quant à la phase de maintenance elle n’existait pas, le prestataire avait initialement proposé un contrat de maintenance auquel la commune n'avait pas souscrit.

Les deux principales phases d’un marché d’informatique : acquisition et maintenance
La phase d’acquisition
La phase d’acquisition dure généralement quelques mois ; elle est permet l’appropriation du système par l’acheteur et comprend des prestations nécessaires à rendre ce dernier opérationnel telles que l’installation, le paramétrage, la formation, parfois les reprises de données existantes et éventuellement d’autres prestations associées.
La phase de maintenance
La phase de maintenance succède à la phase d’acquisition peut s’étaler plusieurs années notamment pour les progiciels. Cette phase dure généralement de 3 à 5 ans. En général, ce sont les prestataires qui proposent leur propre contrat de maintenance sous forme de contrat d’adhésion ; ce type de contrat peut s’avérer très pénalisant pour l’acheteur. Ce dernier a, en fait, intérêt à intégrer ses propres clauses de maintenance dans les cahiers des charges,  ce qui d’ailleurs, devient une pratique de plus en plus courante dans les marchés informatiques de progiciels.
L’attitude de l’acheteur, qui consiste à dissocier ces deux phases, courante dans les « petites » collectivités, est particulièrement dangereuse et elle est à proscrire dans les marchés comportant des progiciels.
En effet, le prestataire aura, dans un tel cas, toute latitude pour imposer des clauses contractuelles qui lui seront favorables, ainsi d’ailleurs que le prix. Pour les collectivités qui l’ont expérimenté, il arrive fréquemment qu’une remise en concurrence des prestations initiales au terme de la phase de maintenance fasse baisser les coûts de manière significative.

Les désordres étant apparus pendant la phase d’acquisition, et le prestataire n’ayant pas mise en œuvre les moyens pour y remédier sa responsabilité contractuelle s’en est trouvée, par conséquent, engagée.

Le prestataire avait initialement proposé un contrat de maintenance.

Si les prestations d’installation ne pouvaient être regardées comme constitutives du contrat de maintenance tel qu'il avait été proposé initialement par le prestataire, ce dernier était néanmoins tenu, en vertu de ces stipulations, de garantir par les interventions susdésignées le caractère opérationnel du matériel fourni.

Ce n’est pas parce qu’elle n'aurait pas signé de contrat de maintenance que la commune ne pouvait se prévaloir d'un préjudice indemnisable résultant de difficultés inhérentes à l'exploitation du progiciel et d'un défaut d'assistance pour remédier aux désordres.

2) La modération de la responsabilité du prestataire

L'imprudence de la commune qui n'a pas hésité à signer un contrat dont les subtilités des clauses pouvaient être sujettes à interprétation

Premièrement le juge sanctionne l’imprudence de la commune qui na pas su s’entourer de conseils de manière à procéder à une définition des besoins et qui aurait du s’entourer en tant que besoin afin de mesurer la portée contractuelle des clauses auxquelles elle avait adhéré.

Le juge va donc modérer la responsabilité du prestataire ; en effet une imprudence commise par une des parties est de nature à exonérer la partie adverse d’une partie de sa responsabilité dans la survenance de la situation en litige (CAA Douai, 3 mai 2005, n° 03DA00786, Caisse Nationale d'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés CNAMTS c/ xxx)

La définition des besoins par la personne publique a été rendue obligatoire depuis la version du code des marchés publics dans sa  version de 2001. L’obligation de précision figure clairement dans le code des marchés publics de 2006 : « La nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant tout appel à la concurrence ».

La commune n’a manifestement pas été en mesure de procéder seule à cette étape fondamentale alors que le marché était complexe au regard notamment des compétences juridiques nécessaires en matière de contrats informatiques. Or, s’il est un domaine pour lequel un acheteur est susceptible de signer un contrat dont les subtilités des clauses peuvent être sujettes à interprétation, c’est bien celui des marchés publics d’informatique.

Les principales difficultés rencontrées par les acheteurs publics d'informatique sont notamment :
- la difficile collaboration des services juridiques et des services informatiques des acheteurs pour la rédaction d’un dossier de consultation des entreprises cohérent validé et bien compris par les deux services,
- les procédures de passation des marchés de maintenance des progiciels qui respectent très rarement les principes de l'article premier du code des marchés publics ; les mises en concurrence sont rares et les procédures dérogatoires ne sont pas employées,
- la difficile définition des besoins ainsi que sa traduction juridique dans les cahiers des charges,
- la gestion des pièces constitutives du marché et leur prévalence ; ceci notamment lorsque l’acheteur, sans en mesurer la portée, rend contractuels le mémoire technique du prestataire ou certaines annexes à l’acte d’engagement,
- la technicité de la matière propice à créer un déséquilibre entre les parties au profit du professionnel de la matière ; ce déséquilibre étant d’autant plus accentué que la description des prestations concernées par l’acheteur est difficile à formaliser,
- les procédures complexes des opérations de vérification du CCAGFCS ; encore faut il que le chapitre VII du CCAGFCS soit explicitement visé (CAA de Nantes, 25 avril 2003, n° 99NT01046, Société xxx c/ Ville de Blois),
- les clauses relatives aux droits d’usage, c'est-à-dire la cession des droits des progiciels. Le juge administratif, s’est déjà prononcé, sur les clauses de restriction des droits d’usage d’un progiciel (CAA de Douai, 3 mai 2005, n° 03DA00786, Caisse Nationale d'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés CNAMTS c/ xxx).
Par contre, il semble qu’il ne se soit jamais prononcé sur une atteinte aux droits d’auteur, en matière de progiciels, liée au respect des quatre conditions cumulatives énumérées à l’article Article L131-3 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que « La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée. ». Or, combien de contrats intègrent une clause respectant le cumul de ces quatre conditions ?

L’absence de lien de causalité

Deuxièmement le juge sanctionne la commune pour avoir continué à utiliser le système pendant seize mois alors qu'à compter de dix mois après l’installation, elle n'a plus adressé de réclamation au prestataire.

La commune n’établit pas non plus que les seuls dysfonctionnements dont il s'agit ont été la cause de sa décision de ne plus utiliser le matériel fourni par le prestataire.

Il en résulte que la commune ne pourra être indemnisée pour l’acquisition du nouveau système livré par un autre fournisseur ni du temps passé par les agents communaux pour résoudre les difficultés rencontrées. Le juge estime que la commune ne démontre pas le lien de causalité entre les dysfonctionnements et la décision de ne plus utiliser le système initial.

3) Le dépassement d’un seuil de procédure applicable avec le code antérieur à 2001

Au moment de la passation du contrat, le code des marchés publics alors applicable était celui qui était antérieur au code de l’année 2001.

Le premier des seuils de procédure alors prévu à l'article 321 était de 300.000 Francs TTC. Or, le montant total du marché une fois exécuté s’est élevé à 301.461,50 francs excédant ainsi le seuil de procédure.

Le juge refuse d’annuler le contrat au motif que le montant estimé à la date de la commande était inférieur au seuil.

En effet selon la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, 14 mars 1997, nº 170319, Préfet des Pyrénées-Orientales c/ Département des Pyrénées-Orientales) il avait déjà été jugé que l’acheteur pouvait évaluer  le montant du marché sur le fondement d’une  « estimation sincère et raisonnable compte-tenu des éléments alors disponibles ».