TA Versailles, 8 février 2023, n° 2300644, Société Seamed France - Retard de 29 secondes
Le juge des référés confirme le rejet d'une offre déposée avec 29 secondes de retard, appliquant strictement le règlement de consultation qui fixait l'heure limite à 10 heures. L'argument sur l'imprécision des secondes est écarté. Invoquer la préparation d'une grève comme circonstance justificative n'empêche pas l'élimination de l'offre Réponse dématérialisée aux marchés publics parvenue hors délai.
Dans les marchés publics, tout dépassement du délai de remise des offres, même minime, entraîne l'irrégularité de l'offre et son élimination obligatoire lorsque le règlement de consultation fixe clairement l'heure limite. Cette règle s'applique sans qu'il soit possible d'invoquer des circonstances extérieures ou l'absence de précision sur les secondes dans le règlement. Le respect strict des délais constitue une garantie d'égalité entre les candidats qui ne peut souffrir d'exceptions. En l'espèce, le règlement de consultation fixait la date limite au 17 janvier 2023 à 10 heures. Le candidat a déposé son offre à 10 heures et 29 secondes. Malgré le caractère très bref du retard (29 secondes) et l'invocation de la préparation d'une grève comme circonstance justificative, le juge confirme l'élimination de l'offre. Cette solution s'impose car : Le règlement était clair sur l'heure limite Le candidat n'a pas demandé de prolongation de délai selon la procédure prévue Le principe d'égalité entre les candidats exige une application stricte des délais Les circonstances invoquées ne constituent pas un cas de force majeure.
Résumé
Le ministre des armées a lancé le 21 décembre 2022 une procédure d'appel d'offres ouvert pour un accord-cadre à bons de commande portant sur des prestations de sauvetage avec affrètement de deux navires dans la Manche et la Mer du Nord. La société Seamed France a déposé une offre le 17 janvier 2023 à 10 heures et 29 secondes, soit avec un dépassement de 29 secondes par rapport à l'heure limite fixée dans le règlement de consultation (10 heures). Par décision du 20 janvier 2023, le ministre des armées a rejeté cette offre.
La société a saisi le juge des référés précontractuels sur le fondement de l'article L551-1 du code de justice administrative, contestant ce rejet pour trois motifs principaux : Le règlement mentionnait "10 heures" sans préciser "avant 10 heures" ou "10 heures 00.00", le dépassement était minime (29 secondes) et ce retard était imputable à la préparation de la grève du 19 janvier.
Le juge s'appuie sur plusieurs dispositions clés du code de la commande publique :
- L'article L2152-2 définit l'offre irrégulière comme "une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation".
- L'article L2152-1 impose que "l'acheteur écarte les offres irrégulières".
- Les articles R2143-1 et R2143-2 précisent que l'acheteur fixe les délais en tenant compte de la complexité du marché et que "les candidatures reçues hors délai sont éliminées".
Le juge examine d'abord le règlement de consultation, relevant que celui-ci fixait clairement le délai "au plus tard le 17 janvier 2023 à 10 heures" et que son article 6.1 prévoyait l'élimination directe des offres hors délais.
Il constate ensuite que l'offre a été déposée à 10 heures et 29 secondes, soit après l'heure limite.
Il note que la société n'a pas sollicité de prolongation du délai selon les modalités prévues à l'article 9 du règlement.
Il en déduit que l'offre "devait nécessairement être éliminée comme irrégulière".
Cette ordonnance affirme plusieurs principes tels que la rigueur dans l'application des délais. En effet le juge refuse toute tolérance, même pour un dépassement de quelques secondes. Cette position stricte s'inscrit dans une logique d'égalité de traitement des candidats.
Ensuite l'opposabilité du règlement de consultation, et le juge rappelle le caractère pleinement opposable du règlement de consultation, dont les termes clairs s'imposent aux candidats.
Par ailleurs l'importance de la précision horaire, en effet, la mention de "10 heures" est interprétée comme signifiant "10 heures 00 minute 00 seconde", excluant toute latitude d'interprétation.
Enfin, le rejet des circonstances externes : Les événements extérieurs (grève) ne constituent pas une justification recevable du retard.
Texte
[...]
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 21 décembre 2022 au Journal officiel de l'Union européenne (JOUE), et le 23 décembre 2022 au Bulletin officiel des annonces de marchés publics (BOAMP), le ministre des armées a engagé une procédure d'appel d'offres ouvert pour la passation d'un accord-cadre à bons de commande ayant pour objet des prestations de sauvetage avec affrètement de deux navires dans la Manche et la Mer du Nord. La société Seamed France a déposé une offre. Par une décision du 20 janvier 2023, la société Seamed France a été informée que le ministre des armés a rejeté son offre comme irrégulière, au motif qu'elle avait été émise postérieurement aux délais imposés dans le règlement de la consultation. Estimant avoir été évincée irrégulièrement de la procédure de passation, la société Seamed France demande par la présente requête, d'annuler cette décision.
2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. () Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge du référé précontractuel de se prononcer sur les manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence incombant à l'acheteur, invoqués à l'occasion de la passation d'un contrat. En vertu de ces mêmes dispositions, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements de l'acheteur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge du référé précontractuel de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.
4. Aux termes de l'article L. 2152-2 du code de la commande publique : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ". Aux termes de l'article L. 2152-1 du même code : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées " et aux termes de l'article R. 2152-1 : " Dans les procédures adaptées sans négociation et les procédures d'appel d'offres, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées. Dans les autres procédures, les offres inappropriées sont éliminées. Les offres irrégulières ou inacceptables peuvent devenir régulières ou acceptables au cours de la négociation ou du dialogue, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. Lorsque la négociation ou le dialogue a pris fin, les offres qui demeurent irrégulières ou inacceptables sont éliminées. ". Aux termes de l'article R. 2143-1 du même code : " L'acheteur fixe les délais de réception des candidatures en tenant compte de la complexité du marché et du temps nécessaire aux opérateurs économiques pour préparer leur candidature () " et aux termes de l'article R. 2143-2 : " Les candidatures reçues hors délai sont éliminées ".
5. Il résulte des termes mêmes du règlement de la consultation applicable à l'accord-cadre en litige que le délai de remise des offres était fixé en l'espèce au plus tard le 17 janvier 2023 à 10 heures. Il résulte de l'article 6.1 dudit règlement, lequel est pleinement opposable aux soumissionnaires, que les offres reçues hors délais seraient directement éliminées.
6. Il résulte de l'instruction que la société Seamed France a déposé sur la plateforme des achats de l'Etat (PLACE) deux offres correspondant à deux lots distincts, le 17 janvier 2023 à 10 heures et 29 secondes. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point précédent, le règlement de la consultation prévoyait, de façon claire et dénuée d'ambiguïté, que les dates et heures limites de remise des offres étaient fixées au 17 janvier 2023 à 10 heures 00. Il n'est ni soutenu ni allégué que la société Seamed France ait demandé une prolongation du délai de remise des offres au pouvoir adjudicateur dans les conditions prévues à l'article 9 du règlement de la consultation. Dans ces conditions, cette offre parvenue postérieurement à l'heure limite fixée par les documents de la consultation devait nécessairement être éliminée comme irrégulière.
7. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la requête de la société Seamed France doit être rejetée.
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MAJ 28/02/23
Actualités
Réponse dématérialisée aux marchés publics parvenue hors délai (Un pouvoir adjudicateur peut-il accepter une offre transmise par voie électronique et déposée avec 25 secondes de retard comme en atteste l'accusé de réception émis par la plateforme de dématérialisation utilisée par le pouvoir adjudicateur ? (TA Dijon, 28 décembre 2018, n° 1803328, Sté Numéricarchive). - 15 janvier 2019.
Offre dématérialisée parvenue hors délai : élimination pour 29 secondes de retard (Encore une réponse dématérialisée aux marchés publics parvenue hors délai sur la plateforme de dématérialisation (TA Versailles, 8 février 2023, n° 2300644, Société Seamed France). En matière de délai de remise des plis, même les secondes comptent et le délai s’applique de manière stricte. A l'instar d'une affaire précédente (TA Dijon, 28 décembre 2018, n° 1803328, Sté Numéricarchive) une société considérait aussi que les secondes ne doivent pas être considérées comme éliminatoires. Or, si une offre arrive hors délai, donc après la date et l’heure limite fixées dans les documents de la consultation, même s’il est accessible dans le profil acheteur, le pli est considéré comme hors délai et il doit être rejeté). - 11 février 2023.