Quand l'acheteur public se fait sonner les cloches (TA Toulouse, 20 janvier 2025, n° 2408124)
Annulation d'une décision rejetant une offre mieux notée selon les critères du règlement de consultation. L'attribution du marché à un candidat moins bien classé méconnaît les principes de transparence et d'égalité de traitement, nonobstant la régularisation ultérieure par l'acheteur.
Dans une affaire qui rappelle que les règles de la commande publique ne sont pas à prendre à la légère, le Tribunal administratif de Toulouse a rappelé à l’ordre une commune pour avoir ignoré son propre classement lors de l’attribution d’un marché. L’histoire ? Un marché de travaux de restauration d’une église, où une société, classée première avec une note de 85,23 points, s’est vue évincée au profit d’un concurrent noté 84 points. Qui aurait dû remporter le marché ? La réponse semble évidente, mais pas pour tout le monde.
Résumé
Le respect des règles, une obligation sacrée
La décision du tribunal souligne l’importance du respect des critères d’attribution définis dans le règlement de consultation. En l’espèce, la commune de Buzet-sur-Tarn avait lancé une consultation pour des travaux de restauration extérieure d’une église, divisés en quatre lots. Pour le lot n°1 "échafaudage-gros œuvre", deux critères étaient prévus : la valeur technique (60 %) et le prix (40 %). La société Sele, classée première avec 85,23 points, a vu son offre rejetée au profit de la société RBMH, classée deuxième avec 84 points.
Transparence et égalité de traitement : des principes non négociables
Le tribunal a rappelé que les principes fondamentaux de la commande publique, notamment la transparence et l’égalité de traitement, exigent que les critères d’attribution soient appliqués à la lettre. L’article L2152-7 du code de la commande publique est clair : le marché doit être attribué à l’offre économiquement la plus avantageuse, déterminée selon des critères non discriminatoires.
En choisissant une offre moins bien notée, la commune a violé ses propres règles, une irrégularité d’autant plus flagrante que l’écart de 1,23 point résultait d’une évaluation objective.
Une tentative de régularisation trop tardive
Pendant l’instance, la commune a finalement décidé de retenir l’offre de la société Sele. Cependant, ce revirement n’a pas suffi à faire perdre son objet au litige, car la première décision n’avait pas été officiellement retirée. Le tribunal a donc annulé la décision initiale, rappelant que les acheteurs publics ne peuvent pas s’écarter du classement issu de leurs propres critères.
Moralité : trois « Notre Père » et on n’en parle plus
Cette décision sert de rappel salutaire : dans les marchés publics, les règles que l'on se fixe doivent être respectées. Les acheteurs doivent jouer le jeu de la transparence et de l’égalité, sous peine de se faire sonner les cloches par la justice.
Texte
[…]
1. La commune de Buzet-sur-Tarn a lancé une consultation en vue de la passation, selon une procédure adaptée, d'un marché de travaux de restauration extérieure de l'église de Saint-Martin, divisé en quatre lots. La société Sele, candidate pour le lot n°1 " échafaudage-gros œuvre ", a été informée par lettre du 10 octobre 2024 du rejet de son offre et de son attribution à la société RBMH. La société Sele demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L.551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation de ce marché, d'annuler la décision du 10 octobre 2024 rejetant son offre et d'ordonner à la commune de lui attribuer le lot n°1.
Sur l'étendue du litige :
2. Par lettre du 13 janvier 2025, la société Sele a informé le tribunal que par une décision du même jour, son offre a finalement été retenue et a déclaré se désister de ses conclusions tendant à l'annulation de la procédure de passation du marché public de travaux de restauration extérieure de l'église Saint- Martin de Buzet-sur-Tarn, lot n°1 " échafaudages-gros œuvre ", de celles sollicitant qu'il soit enjoint à la commune que le lot n°1 lui soit attribué, ainsi que de celles demandant que les frais d'instance soient mis à la charge de la commune. Ce désistement partiel est pur et simple, rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte.
3. Alors que la décision du 13 janvier 2025 retenant finalement l'offre de la société Sele n'est pas définitive et que la commune, qui n'a pas produit dans la présente instance et n'était ni présente ni représentée à l'audience, n'a pas confirmé sa volonté de retirer la décision du 10 octobre 2024, les conclusions de la société Sele dirigées contre cette dernière décision n'ont pas, en l'espèce, perdu leur objet.
[…]
5. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Le pouvoir adjudicateur est tenu de respecter les dispositions du règlement de consultation qu'il a édicté.
6. Il résulte de l'article 2, point 3.2 du règlement de consultation, que les critères retenus par la commune pour le jugement des offres sont pondérés à hauteur de 60 points pour la valeur technique, elle-même décomposée à hauteur de 35 points pour la "méthodologie détaillée d'exécution des prestations demandées ", 10 points pour " les moyens humains ", 5 points pour " les moyens matériels ", 5 points pour les fiches techniques et 5 points pour le planning prévisionnel, et 40% pour le prix des prestations. En application de ces critères, la société Sele a obtenu un total de 85,23 points dont 51 points pour la valeur technique et 34,23 points pour le prix alors que la société RBMH a obtenu un total de 84 points dont 44 points pour la valeur technique et 40 points pour le prix. Le marché a toutefois été attribué à la société RBMH classée en deuxième position. Dans ces conditions, en retenant une offre moins bien classée au regard des critères annoncés par règlement de consultation, la décision du 10 octobre 2024 a méconnu les règles de transparence régissant la mise en concurrence et l'égalité entre candidats. Par suite, elle doit être annulée.
[…]
MAJ 24/01/25
Jurisprudence
.