Conseil d’Etat, 27 septembre 2024, n° 490697 - Information du candidat évincé au bout de 15 mois
Information des candidats évincés. Le Conseil d'État juge que le retard dans l'information d'un candidat évincé ne constitue pas, à lui seul, un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence.
Le délai entre la décision d'attribution et l'information du candidat évincé ne constitue pas, à lui seul, un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. L'essentiel est que le candidat évincé puisse contester utilement son éviction avant que le juge des référés ne statue. Les modifications non substantielles du dossier de consultation, accompagnées de reports proportionnés de la date de remise des offres, ne constituent pas un manquement. La poursuite de la procédure d'attribution d'un lot malgré le lancement d'une nouvelle procédure pour un autre lot n'est pas nécessairement irrégulière. La définition des besoins par l'acheteur public doit être suffisamment précise, mais des ajustements mineurs sont possibles.
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000050279128
Dans le cadre des procédures de passation des marchés publics, le respect des obligations de transparence et de mise en concurrence s'apprécie de manière globale, en tenant compte de l'objectif principal qui est de permettre aux candidats évincés de contester utilement leur éviction. Un simple retard dans l'information des candidats évincés ne constitue pas nécessairement un manquement à ces obligations si le candidat a finalement pu disposer des informations nécessaires dans un délai suffisant pour contester son éviction.
En l'espèce, bien que la région Guadeloupe ait informé la société ETPO du rejet de son offre quinze mois après la décision d'attribution, le Conseil d'État a jugé qu'il n'y avait pas de manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. En effet, la société ETPO a finalement reçu les informations nécessaires pour contester utilement son éviction dans un délai suffisant avant que le juge des référés ne statue.
Résumé
Contexte et faits
La région Guadeloupe a formé un pourvoi en cassation contre une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe du 21 décembre 2023. Cette ordonnance avait annulé la procédure de passation du lot n°2 d'un marché public de travaux relatif à la "Route nationale 2 - déviation de la Boucan au droit de la Boucan - Terrassement, ouvrage d'art et ouvrages hydrauliques".
La société ETPO, candidate évincée, avait initialement saisi le juge des référés sur le fondement de l'article L551-1 du code de justice administrative (CJA) pour contester la procédure de passation et le rejet de son offre.
Analyse des moyens
Le Conseil d'État annule l'ordonnance du juge des référés pour erreur de droit et statue au fond sur la demande initiale de la société ETPO.
Sur le délai d'information du candidat évincé
Le Conseil d'État rappelle le cadre juridique applicable à l'information des candidats évincés en citant les articles L2181-1, R2181-1, R2181-3 et R2181-4 du code de la commande publique (CCP). Il précise que cette information vise à permettre au candidat évincé de contester utilement le rejet de son offre devant le juge du référé précontractuel (art. L551-1 du CJA).
Le Conseil d'État énonce le principe selon lequel : "Il ne résulte ni des dispositions citées au point 3, ni de la finalité de la communication des motifs de rejet de l'offre rappelée au point 4, que le délai écoulé entre la décision d'attribution du marché et l'information d'un candidat évincé du rejet de son offre serait susceptible, à lui seul, de constituer un manquement de l'acheteur à ses obligations de transparence et de mise en concurrence."
Sur ce fondement, le Conseil d'État juge que le juge des référés a commis une erreur de droit en considérant que la région Guadeloupe avait commis un manquement en ne communiquant au concurrent évincé sa décision concernant l'attributaire du lot n°2 que quinze mois après la réunion de la commission d'appel d'offres.
Sur les autres moyens soulevés par la société ETPO
Le Conseil d'État écarte le moyen tiré de l'attribution du marché au-delà du délai de validité des offres, constatant que le choix de l'attributaire a été arrêté avant l'expiration de ce délai.
Il rejette le moyen relatif à la poursuite de la procédure d'attribution du lot n°2 malgré le lancement d'une nouvelle procédure pour le lot n°1, estimant qu'il n'y a pas eu de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.
Sur l'information du candidat évincé, le Conseil d'État constate que la société ETPO a finalement reçu les informations nécessaires pour contester utilement son éviction dans un délai suffisant avant que le juge des référés ne statue.
Le Conseil d'État rappelle le principe selon lequel une personne publique ne peut apporter de modifications au dossier de consultation que dans des conditions garantissant l'égalité des candidats et leur permettant de disposer d'un délai suffisant pour adapter leur offre. En l'espèce, il juge que les modifications n'étaient pas substantielles et que les reports de la date de remise des offres ont permis aux candidats de disposer d'un délai suffisant.
Le Conseil d'État écarte le moyen tiré d'un manque de précision dans la définition des besoins par la région Guadeloupe, en se fondant sur les articles L2111-1 et R2132-1 du CCP.
Texte
[...]
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe que la société ETPO a demandé à ce juge, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure engagée par la région Guadeloupe pour la passation d'un marché public portant sur le lot n° 2 des travaux relatifs à la " Route nationale 2 - déviation de la Boucan au droit de la Boucan - Terrassement, ouvrage d'art et ouvrages hydrauliques ", dont le groupement constitué des sociétés GTA, Sotradom, Baudin Chateauneuf, Freyssinet et Balineau a été déclaré attributaire par la commission d'appel d'offres lors de sa séance du 12 août 2022. L'offre du groupement dont la société ETPO était mandataire a été rejetée par une décision du 14 novembre 2023, après que la procédure de passation du lot n° 1 du même marché public de travaux a été déclarée sans suite par le pouvoir adjudicateur en décembre 2022 puis relancée, après scission de ce lot n° 1 en deux nouveaux lots, le 14 juin 2023. Par une ordonnance du 21 décembre 2023, contre laquelle la région Guadeloupe se pourvoit en cassation, le juge des référés a annulé la procédure de passation du lot n° 2.
3. Aux termes de l'article L. 2181-1 du code de la commande publique : " Dès qu'il a fait son choix, l'acheteur le communique aux candidats et aux soumissionnaires dont la candidature ou l'offre n'a pas été retenue, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'État ". Aux termes de l'article R. 2181-1 du même code : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre ". En vertu de l'article R. 2181-3 de ce code, cette notification " mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : / 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1 ". Enfin, aux termes de l'article R. 2181-4 du même code : " A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : / 1° Lorsque les négociations ou le dialogue ne sont pas encore achevés, les informations relatives au déroulement et à l'avancement des négociations ou du dialogue ; / 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue ".
4. L'information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire l'entreprise en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de permettre à la société non retenue de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Cependant, un tel manquement n'est plus constitué si l'ensemble des informations, mentionnées aux articles du code de la commande publique précédemment cités, a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge des référés statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.
5. Il ne résulte ni des dispositions citées au point 3, ni de la finalité de la communication des motifs de rejet de l'offre rappelée au point 4, que le délai écoulé entre la décision d'attribution du marché et l'information d'un candidat évincé du rejet de son offre serait susceptible, à lui seul, de constituer un manquement de l'acheteur à ses obligations de transparence et de mise en concurrence. Par suite, en jugeant que la région Guadeloupe avait commis un manquement en ne communiquant au concurrent évincé sa décision concernant l'attributaire du lot n° 2 que quinze mois après la réunion de la commission d'appel d'offres, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a commis une erreur de droit. La région Guadeloupe est, dès lors et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le choix du groupement attributaire a été arrêté par la commission d'appel d'offres le 12 août 2022, soit avant que le délai de validité des offres n'expire le 24 septembre suivant. Par suite, le moyen tiré de l'attribution du marché au-delà de ce délai ne peut qu'être écarté.
8. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la région Guadeloupe aurait méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence en poursuivant la procédure d'attribution du lot n° 2 malgré le lancement d'une nouvelle procédure d'attribution du lot n°1 après l'abandon de la précédente dans les conditions rappelées au point 2, ni que l'analyse des offres des candidats à l'attribution du lot n° 2 aurait été affectée par le décalage du commencement effectif des travaux qui en résulterait.
9. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que la société ETPO a eu communication des motifs du rejet de son offre par la décision du 14 novembre 2023, mentionnée au point 2, complétée par les éléments communiqués par la région Guadeloupe à l'appui de son mémoire en défense produit devant le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, ce qui l'a d'ailleurs conduite à abandonner expressément son moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles R. 2181-3 et R. 2181-4 citées au point 3 et à renoncer à sa demande d'injonction avant dire droit. Dès lors que la société ETPO a été mise à même, dans les circonstances de l'espèce, de contester utilement l'éviction du groupement auquel elle appartient dans un délai suffisant avant la date à laquelle le juge des référés statue, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 2181-1 et R. 2181-1 mentionnées au point 3, qui ne peut, à lui seul, ainsi qu'il a été dit au point 5, constituer un manquement de l'acheteur à ses obligations de transparence et de mise en concurrence, doit, par suite, être écarté.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 2151-1 du code de la commande publique : " L'acheteur fixe les délais de réception des offres en tenant compte de la complexité du marché et du temps nécessaire aux opérateurs économiques pour préparer leur offre ". Aux termes de l'article R. 2151-4 du même code : " Le délai de réception des offres est prolongé dans les cas suivants : / 1° Lorsqu'un complément d'informations, nécessaire à l'élaboration de l'offre, demandé en temps utile par l'opérateur économique, n'est pas fourni dans les délais prévus à l'article R. 2132-6 ; / 2° Lorsque des modifications importantes sont apportées aux documents de la consultation. / La durée de la prolongation est proportionnée à l'importance des informations demandées ou des modifications apportées ".
11. Une personne publique ne peut apporter de modifications au dossier de consultation remis aux candidats à un appel d'offres que dans des conditions garantissant l'égalité des candidats et leur permettant de disposer d'un délai suffisant, avant la date limite fixée pour la réception des offres, pour prendre connaissance de ces modifications et adapter leur offre en conséquence.
12. Il résulte de l'instruction que les modifications apportées par la région Guadeloupe au dossier de consultation remis aux candidats, qui ne revêtaient pas un caractère substantiel, ont été accompagnées de plusieurs reports de la date de remise des offres, proportionnés à l'importance de ces modifications, permettant aux candidats de disposer d'un délai suffisant, avant la date limite fixée pour la réception des offres, pour prendre connaissance de ces modifications et adapter leur offre en conséquence. Par suite, la société ETPO n'est pas fondée à soutenir que la procédure de passation aurait dû être reprise depuis son commencement, ni que la région Guadeloupe aurait commis un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence en modifiant les documents de la consultation.
13. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 2111-1 du code de la commande publique : " La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ". Aux termes de l'article R. 2132-1 du même code : " Les documents de la consultation sont l'ensemble des documents fournis par l'acheteur ou auxquels il se réfère afin de définir son besoin et de décrire les modalités de la procédure de passation, y compris l'avis d'appel à la concurrence. Les informations fournies sont suffisamment précises pour permettre aux opérateurs économiques de déterminer la nature et l'étendue du besoin et de décider de demander ou non à participer à la procédure ".
14. Contrairement à ce qu'allègue la société ETPO, il ne résulte pas de l'instruction, notamment pas des modifications apportées par la région Guadeloupe aux documents de la consultation, notamment quant au délai maximal d'exécution des travaux du lot n° 2, qu'elle n'aurait pas déterminé avec suffisamment de précision la nature et l'étendue des besoins à satisfaire en méconnaissance des dispositions citées au point précédent.
15. Il résulte de ce qui précède que la demande présentée par la société ETPO devant le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe doit être rejetée.
[...]
MAJ 27/09/24 - Source legifrance
Jurisprudence
.