Conseil d’État, 18 juin 2010, n° 337377, Commune de Saint Pal de Mons - Publié au recueil Lebon
Si le pouvoir adjudicateur décide, pour mettre en oeuvre les critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères également pondérés ou hiérarchisés, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l’importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection
L'arrêt du Conseil d'État apporte des précisions importantes sur la transparence des procédures de passation des marchés publics, en imposant la communication des sous-critères susceptibles d'influencer significativement l'analyse des offres. En matière de marchés publics, le pouvoir adjudicateur doit informer les candidats de tous les éléments d'appréciation des offres susceptibles d'influencer significativement leur présentation ou leur sélection. Cette obligation s'étend aux sous-critères lorsque leur nature et l'importance de leur pondération sont telles qu'ils jouent un rôle déterminant dans l'analyse des offres. En l'espèce, la commune avait utilisé des sous-critères pondérés pour analyser la valeur technique des offres, critère comptant pour 70% de la note finale. L'un de ces sous-critères, relatif à la méthodologie et à l'adaptation au contexte local, était pondéré à 28%. Compte tenu de son importance, ce sous-critère était susceptible d'influencer significativement la présentation et la sélection des offres. La commune aurait donc dû en informer préalablement les candidats. En omettant de le faire, elle a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence, justifiant l'annulation de la procédure.
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000022364688/
Texte
Conseil d’État
N° 337377
Publié au recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
M. Martin, président
Mme Agnès Fontana, rapporteur
M. Dacosta Bertrand, commissaire du gouvernement
BOUTHORS, avocat(s)
lecture du vendredi 18 juin 2010
REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 mars et 22 mars 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la COMMUNE DE SAINT PAL DE MONS, représentée par son maire ; la COMMUNE DE SAINT PAL DE MONS demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’ordonnance du 19 février 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Clermont Ferrand, statuant en application de l’article L551-1 du code de justice administrative, a, à la demande de la société Moulin, annulé la procédure ayant conduit à l’attribution du lot n°2 relatif à la construction d’une station d’épuration au groupement Sint Epur / Epur Nature / TPCF ;
2°) de mettre à la charge de la société Moulin le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l’article L761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le mémoire, enregistré le 31 mai 2010, présenté pour la COMMUNE DE SAINT PAL DE MONS ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Agnès Fontana, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de Me Bouthors, avocat de la COMMUNE DE SAINT PAL DE MONS,
- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Bouthors, avocat de la COMMUNE DE SAINT PAL DE MONS ;
Considérant qu’aux termes de l’article L551-1 du code de justice administrative : Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, ou la délégation d’un service public (...) ;
Considérant qu’il ressort des pièces soumises au juge des référés précontractuels qu’en réponse à la demande du groupement dont la société Moulin était le mandataire, tendant à la communication des motifs détaillés du rejet de son offre en vue de la construction d’une station d’épuration des eaux, la COMMUNE DE SAINT PAL DE MONS lui a fait connaître qu’elle n’avait obtenu que la deuxième note au critère de la valeur technique, retenu pour 70 %, dont elle a détaillé la pondération de la façon suivante : 10,5 pour la description des moyens humains affectés au chantier, 10 pour la description des moyens matériels, 7 pour la liste des principales fournitures, 28 pour la description de la méthodologie adaptée au contexte local, 7 pour la description des mesures d’hygiène et de sécurité, 3,5 pour le coût d’exploitation de la station d’épuration et 3,5 pour le planning de réalisation ; que, saisi par cette société, le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, sur le fondement de l’article L551-1 du code de justice administrative, annulé la procédure par une ordonnance du 19 février 2010 ; que la COMMUNE DE SAINT PAL DE MONS se pourvoit en cassation contre cette ordonnance ;
Sur la recevabilité de la demande en référé de la société Moulin :
Considérant qu’une entreprise membre d’un groupement ayant présenté une offre a un intérêt à la conclusion du contrat et est ainsi recevable à saisir le juge des référés sur le fondement des dispositions de l’article L551-1 du code de justice administrative, y compris en son nom personnel ; que la COMMUNE DE SAINT PAL DE MONS n’est ainsi pas fondée à soutenir qu’en accueillant la demande de la société Moulin, le juge des référés aurait commis une erreur de droit ;
Sur la procédure de passation du marché :
Considérant, en premier lieu, que si la COMMUNE DE SAINT PAL DE MONS soutient que le juge des référés précontractuels a entaché son ordonnance d’une erreur matérielle en fondant l’annulation de la procédure sur l’absence de publication des sous-critères utilisés pour la détermination de la note relative à la valeur technique des offres alors que ceux-ci sont clairement énoncés par le biais des informations demandées au titre du mémoire technique, il ressort toutefois des termes mêmes de cette ordonnance que le juge des référés a fondé l’annulation sur l’absence de communication préalable de leur pondération ; que ce moyen doit ainsi être écarté ;
Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article 53 du code des marchés publics : I. Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde : /1°) Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l’objet du marché, notamment la qualité, le prix, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, les performances en matière de protection de l’environnement, les performances en matière d’insertion professionnelle des publics en difficulté, le coût global d’utilisation, la rentabilité, le caractère innovant, le service après-vente et l’assistance technique, la date de livraison, le délai de livraison ou d’exécution. D’autres critères peuvent être pris en compte s’ils sont justifiés par l’objet du marché (...)/ II. Pour les marchés passés selon une procédure formalisée autre que le concours et lorsque plusieurs critères sont prévus, le pouvoir adjudicateur précise leur pondération (...)/ Les critères ainsi que leur pondération ou leur hiérarchisation sont indiqués dans l’avis d’appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation (...) ;
que ces dispositions imposent au pouvoir adjudicateur d’informer les candidats des critères de sélection des offres ainsi que de leur pondération ou hiérarchisation ;
que si le pouvoir adjudicateur décide, pour mettre en oeuvre ces critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères également pondérés ou hiérarchisés, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l’importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection ;
que, par conséquent, le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, compte tenu de la nature des sous-critères mis en oeuvre et de l’importance de leur pondération, le seul sous-critère du critère de la valeur technique méthodologie et adaptation au contexte local étant pondéré pour 28%,
que la COMMUNE DE SAINT PAUL DE MONS aurait dû porter à la connaissance des candidats leur pondération et avait, en omettant de le faire, méconnu les règles de publicité et de mise en concurrence ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le pourvoi de la COMMUNE DE SAINT PAL DE MONS ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la somme demandée par la COMMUNE DE SAINT PAL DE MONS soit mise à la charge de la société Moulin qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’il y a lieu en revanche, en application des mêmes dispositions, de mettre à la charge de la commune une somme de 4 000 euros qui sera versée à la société Moulin au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le pourvoi de la COMMUNE DE SAINT PAL DE MONS est rejeté.
Article 2 : La COMMUNE DE SAINT PAL DE MONS versera à la société Moulin une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article L761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE SAINT PAL DE MONS, à la société Moulin et aux sociétés composant le groupement Sint Epur / Epur nature / TPCF.
Jurisprudence
CE, 18 mai 2021, n° 448618, SNBTP (Rappel de l'obligation d'information appropriée préalable des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public, et de pondération ou de hiérarchisation des sous-critères s’ils doivent être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. En l'espèce la commune de La Léchère n'avait pas communiqué la décomposition des trois sous-critères du critère technique et la pondération correspondante).
CAA Nancy, 16 juin 2020, n° 18NC03163, Société Remy Boulanger (L’acheteur doit-il informer les candidats sur la pondération des éléments d'appréciation de la valeur technique de l'offre si ces derniers sont quasiment identiques ? En procédure adaptée, pour choisir l'offre économiquement la plus avantageuse, l'acheteur peut retenir Un critère de sélection des offres reposant sur l'expérience des candidats et donc sur leurs références portant sur l'exécution d'autres marchés).
Conseil d’État, 1 avril 2009, n° 321752, Ministre de l'Ecologie (Un pouvoir adjudicateur ne peut faire de la rapidité d’intervention en matière de maintenance un sous-critère de l’appréciation de la valeur technique des offres, dès lors que ce sous-critère affecté d’un coefficient de pondération substantiel n’est pas prévu dans les documents de la consultation)
CJCE, 24 novembre. 2005, affaire C-331/04, ATI EAC (Le droit communautaire ne s'oppose pas à ce qu'une commission d'adjudication accorde un poids spécifique aux sous-éléments d'un critère d'attribution établis d'avance en procédant à une ventilation entre ces derniers du nombre de points prévus au titre de ce critère par le pouvoir adjudicateur lors de l'établissement du cahier des charges ou de l'avis de marché)
Actualités
Un critère relatif à la qualité du mémoire technique doit mentionner les éléments d'appréciation et leur pondération différenciée dans le règlement de consultation. - 26 février 2020.