TA Grenoble, 14 août 2023, n° 2304867, appréciation globale des capacités d'un groupement
Principe d'appréciation globale des capacités d'un groupement candidat à un marché de travaux sur monuments historiques, sans exiger que chaque membre dispose des certifications requises. Admissibilité de la présentation de moyens de preuve équivalents aux qualifications Qualibat..
Capacités techniques dans les marchés de travaux sur monuments historiques. Attribution d'un marché à un groupement dont un membre ne disposait pas des certifications Qualibat requises. Le tribunal confirme deux principes : l'appréciation globale des capacités au niveau du groupement conformément à l'article R2142-25 du CCP, la possibilité de présenter des moyens de preuve équivalents aux certifications (notamment des attestations d'architectes en chef des monuments historiques).
Résumé
Le Tribunal administratif de Grenoble, dans son ordonnance du 14 août 2023, précise les conditions d'appréciation des capacités techniques et professionnelles d'un groupement d'opérateurs économiques candidat à un marché public de travaux sur monuments historiques, en confirmant notamment le principe d'appréciation globale des capacités au niveau du groupement.
Dans cette affaire, la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) Auvergne-Rhône-Alpes avait lancé une procédure adaptée pour des travaux de restauration du Monastère de la Grande Chartreuse. Le lot n°1 "Échafaudages/charpente/couverture" exigeait des qualifications Qualibat spécifiques aux monuments historiques ou équivalents. Un candidat évincé contestait l'attribution du marché à un groupement dont l'un des membres ne disposait pas des certifications requises.
Cette ordonnance est l'occasion pour le juge des référés de rappeler plusieurs principes essentiels en matière d'appréciation des candidatures en groupement. En premier lieu, conformément à l'article R2142-25 du code de la commande publique, l'appréciation des capacités d'un groupement est globale, sans qu'il soit nécessaire que chaque membre dispose de l'ensemble des capacités requises. Le juge précise que cette règle s'applique même pour des marchés exigeant des qualifications spécifiques comme les certifications Qualibat monuments historiques.
En deuxième lieu, l'ordonnance confirme la possibilité de présenter des moyens de preuve équivalents aux certifications demandées. Dans ce cas particulier, des attestations de maîtres d'œuvre d'opérations similaires, notamment d'architectes en chef des monuments historiques, ont été considérées comme des preuves équivalentes valables de la capacité technique.
Cette décision illustre le souci constant du juge de concilier deux impératifs : d'une part, garantir un niveau élevé de qualification pour les travaux sur monuments historiques, et d'autre part, permettre une réelle concurrence en admettant des preuves alternatives de capacité technique. Elle confirme également que l'appréciation globale des capacités en groupement s'applique pleinement aux marchés les plus exigeants techniquement.
Le raisonnement du tribunal s'articule autour de trois axes :
- L'affirmation du principe d'appréciation globale des capacités en groupement, qui permet à des entreprises de se compléter mutuellement pour répondre aux exigences du marché
- La reconnaissance de l'équivalence des moyens de preuve, les références et attestations pouvant remplacer les certifications formelles ;
- La délimitation stricte de l'office du juge des référés précontractuels, qui ne peut s'immiscer dans l'appréciation au fond des offres.
Texte
[…]
11. La société requérante soutient que chacun des candidats, et notamment, chacun des membres du groupement attributaire aurait dû produire les certificats Qualibat concernés et des références sur des édifices classés Monuments Historiques, dans le cadre des justificatifs requis au titre des candidatures, qu'il résulte des pièces produites aux débats, que la société Vaganay André Sas ne dispose d'aucun des certificats de qualification Qualibat requis au titre du marché, alors même qu'elle doit intervenir pour réaliser des travaux de charpente et de couverture, qu'il en résulte que le ministère de la Culture n'a pas contrôlé les garanties professionnelles, techniques et financières des candidats à l'attribution du marché en litige, et ne pouvait, sans commettre une erreur manifeste d'appréciation, attribuer le lot n°1 du marché en litige au groupement composé des sociétés Vaganay André Sas, Les métiers du Bois et Lyon échafaudage, dont les membres ne disposaient pas du niveau minimal de capacité requis au titre du règlement de la consultation et que par conséquent, la candidature dudit groupement aurait dû être écartée comme étant irrégulière.
12. S'il résulte, effectivement, de l'instruction que la société Vaganay André Sas ne dispose d'aucun des certificats de qualification Qualibat requis au titre du marché, la société Lyon Echaffaudage dispose, toutefois, du certificat Qualibat 1413 échaffaudage. La société Les Métiers du Bois dispose des certificats Qualibat 3194 couverture des monuments historiques et Qualibat 2393 restauration des charpentes des monuments historiques visés dans le règlement de la consultation. Ainsi que rappelé au point 9 ci-dessus, l'article 5.4.2 du règlement de consultation disposait que dans le cas d'une candidature d'un groupement d'opérateurs économiques, l'appréciation des capacités du groupement était globale. Cette disposition est d'ailleurs conforme à l'article R. 2142-25 du code de la commande publique, dont les dispositions sont rappelées au point 8, qui dispose que l'appréciation des capacités d'un groupement d'opérateurs économiques est globale et qui n'exige pas que chaque membre du groupement ait la totalité des capacités requises pour exécuter le marché. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'offre du groupement attributaire est irrégulière doit être écarté.
13. Au surplus, si la requérante soutient que les articles 5.3. et 5.4.2 dudit du règlement imposaient que chaque membre du groupement dispose de l'ensemble des certificats qualibat et diplômes exigés, il résulte des dispositions en cause que chaque membre du groupement pouvait fournir des certificats Qualibat ou des éléments équivalents. La société Vaganay a produit, outre ses références, des attestations de tiers indépendants, à savoir notamment des maîtres d'œuvre d'opérations, notamment, s'agissant de l'opération de la cathédrale Saint-Louis de Versailles, celle de l'architecte en chef des monuments historiques qui atteste de la qualité des travaux exécutés ou celle d'un architecte s'agissant de la reconstruction de la porterie de la Chartreuse de Prémol pour des travaux de couverture et de charpente. La société Vaganay a donc produit un moyen de preuve équivalent aux certificats de qualification professionnelle mentionnés dans le règlement de la consultation pour des travaux de couverture et de charpente, à savoir des références de prestations accompagnées d'attestations délivrées par un tiers indépendant prouvant la qualité technique des prestations antérieurement effectuées par le candidat dans les domaines couverts par les certifications en cause.
14. Enfin, la requérante fait valoir que l'offre du groupement attributaire a été analysée en tenant compte des moyens humains et matériels de la société Vaganay alors qu'elle ne disposait pas du niveau de qualification technique pour candidater, que la présentation de personnel qualifié pour la société requérante a eu des conséquences sur le prix, la conduisant à proposer un prix plus élevé. Toutefois, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Au surplus, il résulte de ce qui a été dit aux points 12 et 13 que la candidature de la société Vaganay était régulière. Dès lors, les moyens de l'entreprise pouvaient être pris en compte dans l'appréciation de l'offre du groupement attributaire. Il s'ensuit qu'il ne peut être reproché au pouvoir adjudicateur d'avoir dénaturé le contenu de l'offre de l'attributaire et d'avoir procédé ainsi à la sélection du groupement attributaire en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.
[…]
Jurisprudence
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