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CAA Lyon, 30 janvier 2025, n° 23LY03969. DPGF et responsabilité du MOE

CAA Lyon, 30 janvier 2025, n° 23LY03969. DPGF et responsabilité du maître d'œuvre (MOE)

Dans un marché à prix global et forfaitaire d'isolation extérieure, le maître d'œuvre qui élabore une DPGF sous-évaluant considérablement les surfaces à isoler en omettant d'y inclure les surfaces des ouvertures, contrairement aux prescriptions du CCTP, engage sa responsabilité quasi-délictuelle envers le titulaire du marché. Cette responsabilité est toutefois réduite à hauteur de 70% en raison de la faute du titulaire, qui n'a pas vérifié l'exactitude du quantitatif avant de présenter son offre comme l'exigeait le CCAP. Le caractère global et forfaitaire du prix n'exclut pas cette action en responsabilité quasi-délictuelle.

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/CETATEXT000051144436

La Cour administrative d'appel de Lyon confirme la responsabilité quasi-délictuelle d'un maître d'œuvre à l'égard du titulaire d'un marché public de travaux à prix global et forfaitaire, malgré l'obligation contractuelle de ce dernier de vérifier les quantitatifs avant la remise de son offre.

Dans le cadre d'un marché public de travaux de réfection et réhabilitation d'immeubles prévoyant des travaux d'isolation extérieure, un maître d'œuvre a commis une erreur dans l'élaboration des documents de consultation en indiquant dans la décomposition du prix global et forfaitaire (DPGF) des surfaces à isoler qui ne tenaient pas compte du mode de calcul prévu au cahier des clauses techniques particulières (CCTP). Bien que le CCTP précisait que les surfaces à isoler devaient être entendues "vides des ouvertures non déduits, en compensation du traitement des tableaux et des sous-faces de linteaux", le maître d'œuvre n'avait indiqué dans la DPGF que les surfaces pleines, à l'exclusion de celles des ouvertures, entraînant une sous-évaluation substantielle des travaux à réaliser.

La Cour confirme que cette erreur constitue un manquement du maître d'œuvre à ses obligations contractuelles, susceptible d'engager sa responsabilité quasi-délictuelle à l'égard du titulaire du marché. Elle retient toutefois également une faute du titulaire, qui n'a pas vérifié l'exactitude du quantitatif avant de présenter son offre, comme l'exigeait le CCAP.

Cette obligation, expressément prévue par l'article 3-4-1 du CCAP, stipulait que "les entreprises sont tenues de vérifier la justesse du quantitatif avant la remise de leur offre" et qu'"aucune réclamation de l'entreprise ne pourra être prise en compte après la signature du marché".

Cette faute conduit à une réduction de la responsabilité du maître d'œuvre à hauteur de 70% du préjudice.

La Cour écarte par ailleurs les moyens tendant à mettre en cause la responsabilité du maître d'ouvrage, le préjudice résultant de la sous-évaluation des travaux à effectuer ayant un lien direct avec la seule erreur imputable au maître d'œuvre. Elle confirme enfin que l'expertise judiciaire établit de manière probante l'étendue du préjudice subi par le titulaire du marché.

Cette décision souligne que le caractère global et forfaitaire du prix d'un marché public de travaux, s'il fait obstacle à ce que l'entrepreneur obtienne du pouvoir adjudicateur le paiement de travaux supplémentaires, n'exclut pas qu'il recherche, sur un fondement quasi-délictuel, la responsabilité d'autres intervenants dont les fautes ont contribué à la mauvaise évaluation de son offre.

Analyse

En matière de marchés publics de travaux, la décomposition du prix global et forfaitaire (DPGF) joue un rôle important dans l'élaboration des offres par les candidats. Bien que dépourvue, en principe, de valeur contractuelle, elle permet aux entreprises d'établir leur prix en fonction des quantités estimées de travaux à réaliser. En l'espèce, le maître d'œuvre a commis une erreur significative dans l'élaboration de cette DPGF, en n'incluant pas les surfaces des ouvertures dans le calcul des surfaces à isoler, alors même que le CCTP prévoyait expressément que ces surfaces devaient être incluses dans le calcul.

Cette erreur a conduit le titulaire du marché à sous-évaluer considérablement le coût des travaux à réaliser, l'empêchant ainsi de pratiquer un prix couvrant l'intégralité des prestations qu'il s'était engagé à fournir. Si le caractère global et forfaitaire du prix du marché ne lui permettait pas d'obtenir du maître d'ouvrage le paiement de travaux supplémentaires, il pouvait néanmoins rechercher la responsabilité quasi-délictuelle du maître d'œuvre, dont la faute avait directement contribué à son préjudice.

La Cour rappelle que "Dans le cadre d'un litige né de l'exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat, notamment s'ils ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l'art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d'un manquement aux stipulations des contrats qu'ils ont conclus avec le maître d'ouvrage."

La Cour confirme ainsi que le titulaire d'un marché public peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat, non seulement en cas de violation des règles de l'art ou de méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires, mais également en cas de manquement aux stipulations des contrats qu'ils ont conclus avec le maître d'ouvrage.

La décision rappelle également l'importance de l'obligation qui pèse sur les entreprises de vérifier les quantitatifs figurant dans les documents de consultation avant de remettre leur offre. La méconnaissance de cette obligation constitue une faute de nature à réduire, mais non à exclure totalement, la responsabilité du maître d'œuvre.

Contexte juridique

En l'espèce, la faute du maître d'œuvre consiste dans l'élaboration erronée de la DPGF, qui n'a pas tenu compte du mode de calcul des surfaces prévu au CCTP. Cette erreur a directement affecté le prix proposé par l'entreprise titulaire, qui s'est engagée contractuellement à réaliser l'ensemble des travaux pour un prix sous-évalué.

La Cour rappelle par ailleurs que le caractère global et forfaitaire du prix d'un marché de travaux, qui interdit au titulaire de réclamer un paiement supplémentaire au maître d'ouvrage pour des travaux nécessaires à l'achèvement de l'ouvrage selon les règles de l'art, n'exclut pas qu'il puisse rechercher la responsabilité quasi-délictuelle d'autres intervenants dont les fautes ont contribué à la sous-évaluation de son offre.

Cette décision s'inscrit également dans le cadre de la jurisprudence relative à la portée des documents contractuels dans les marchés publics. Elle confirme que les stipulations du CCTP prévalent sur les éléments de décomposition de l'offre financière, conformément à l'ordre hiérarchique des pièces contractuelles habituellement prévu dans les CCAP des marchés publics.

Implications pratiques

Cette décision présente plusieurs enseignements pratiques pour les acteurs de la commande publique :

1. Pour les maîtres d'œuvre, elle souligne l'importance d'une élaboration rigoureuse des documents de consultation, notamment de la DPGF, qui doit être cohérente avec les prescriptions techniques figurant au CCTP. Une erreur dans ces documents peut engager leur responsabilité quasi-délictuelle à l'égard des entreprises titulaires.

2. Pour les entreprises candidates, elle rappelle l'obligation qui leur incombe de vérifier les quantitatifs figurant dans les documents de consultation avant de remettre leur offre. Le non-respect de cette obligation constitue une faute de nature à réduire leur droit à indemnisation.

3. Pour les maîtres d'ouvrage, elle confirme que le caractère global et forfaitaire du prix d'un marché les protège contre les réclamations des titulaires visant à obtenir un paiement supplémentaire pour des travaux nécessaires à l'achèvement de l'ouvrage, mais n'exclut pas que ces derniers puissent rechercher la responsabilité quasi-délictuelle d'autres intervenants.

Dans un contexte où les entreprises font face à des pressions croissantes sur leurs marges, cette décision offre une voie de recours intéressnate pour obtenir réparation des préjudices résultant d'erreurs commises par les maîtres d'œuvre dans l'élaboration des documents de consultation, tout en rappelant la vigilance dont elles doivent faire preuve lors de l'analyse de ces documents.

[...]

Sur le fond du litige :

7. Dans le cadre d'un litige né de l'exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat, notamment s'ils ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l'art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d'un manquement aux stipulations des contrats qu'ils ont conclus avec le maître d'ouvrage.

8. Aux termes de l'article 3-4-1 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) applicable aux marchés de travaux dont la SARL Bourrassier père et fils est titulaire : " (...) les prix sont réputés comprendre toutes les dépenses résultant de l'exécution des travaux (...). Le prix global et forfaitaire porté à l'acte d'engagement du titulaire est réputé tenir compte de toutes les sujétions d'exécution des travaux qui sont normalement prévisibles (...). De plus, sur la base de la définition et de la description des ouvrages, telles qu'elles figurent aux documents de consultation sans aucun caractère limitatif et quelles que soient les imprécisions, contradictions ou omissions que pourraient présenter ces pièces, le titulaire est réputé avoir prévu, lors de l'étude de son offre, et avoir inclus dans son prix toutes les modifications et adjonctions éventuellement nécessaires pour l'usage auquel elles sont destinées (...). Par ailleurs, les entreprises sont tenues de vérifier la justesse du quantitatif avant la remise de leur offre. Aucune réclamation de l'entreprise ne pourra être prise en compte après la signature du marché (...) ".

9. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, selon le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) applicable aux lots " isolation extérieure ", en particulier ses articles 4.3, 4.6, 4.8, 4.13 et 4.16, les surfaces que la SARL Bourrassier père et fils était chargée d'isoler étaient entendues " vides des ouvertures non déduits, en compensation du traitement des tableaux et des sous-faces de linteaux ". Toutefois, il n'est pas contesté, et ainsi que le rapport d'expertise le confirme, que seules les surfaces pleines, à l'exclusion de celle des ouvertures, ont été chiffrées dans les formulaires de DPGF, élaborés par la SARL A... B... en exécution de ses missions de maîtrise d'œuvre et complétés par la SARL Bourrassier père et fils sans y apporter de modifications. Il résulte tant des DPGF versées au dossier, que des tableaux établis par le maître d'œuvre en cours de chantier sur lesquels figurent les " surfaces vêtures " et les " surfaces ouvertures " des bâtiments en cause ainsi que du rapport d'expertise, que les surfaces à isoler s'élevaient en réalité, ouvertures incluses, à plus de 30 000 m². Nonobstant le caractère prévisionnel de ces documents, la SARL A... B... a, par cette erreur et quelle que soit l'ampleur de l'écart des surfaces à isoler qui en est résulté, manqué à ses obligations contractuelles. Par ailleurs, le caractère global et forfaitaire du prix des marchés dont la SARL Bourrassier père et fils est titulaire, qui exclut seulement que cette dernière sollicite un paiement supplémentaire auprès du pouvoir adjudicateur, n'est pas de nature à ôter le caractère fautif de ce manquement du maître d'œuvre, ni à faire obstacle à ce que la SARL Bourrassier père et fils s'en prévale. Enfin, cette faute ayant entraîné une sous-évaluation des travaux à accomplir et, par suite, des offres des candidats, elle présente un lien avec les préjudices dont la SARL Bourrassier père et fils se prévaut. Par suite, la SARL A... B... n'est pas fondée à soutenir ne pas avoir commis de faute susceptible d'engager sa responsabilité à l'égard de la SARL Bourrassier père et fils.

10. En deuxième lieu, la SARL Bourrassier père et fils a elle-même commis une faute, en ne s'assurant pas, comme il lui incombait, de l'exactitude du quantitatif figurant dans les documents des marchés avant de présenter ses offres. Toutefois, contrairement à ce que soutient la SARL A... B..., cette faute n'est pas de nature à l'exonérer totalement de sa propre responsabilité, mais est seulement de nature à la réduire, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, en la fixant au taux, non contesté, de 70 %.

11. En troisième lieu, il résulte de ce qui précède que les surfaces erronées figurant dans les DGPF résultent d'une erreur quant à la méthode d'évaluation appliquée par la SARL A... B..., et non d'une insuffisante définition de ses besoins par le pouvoir adjudicateur. En outre, la SARL A... B... n'établit nullement que l'analyse des mémoires techniques des candidats, à laquelle le pouvoir adjudicateur a décidé de procéder lui-même et qui ne portait que sur les capacités techniques des candidats à assurer les travaux, aurait dû permettre à ce dernier de déceler l'erreur qu'elle-même avait commise dans l'évaluation des surfaces à isoler. Ainsi, elle ne démontre pas la réalité de la faute qu'elle impute au pouvoir adjudicateur. Par ailleurs, en application du CCTP de ses marchés de travaux, dont les stipulations prévalaient sur les éléments de décomposition de son offre financière en vertu de l'article 2 du CCAP de ces mêmes marchés, la SARL Bourrassier père et fils s'était engagée à réaliser l'isolation de l'ensemble des façades identifiées par les contrats. Dans ces conditions, l'erreur entachant les DPGF n'a été de nature qu'à affecter le montant de son offre et, par suite, le prix des marchés, sans réduire l'ampleur des travaux qu'elle s'est contractuellement engagée à réaliser. Par suite, la SARL A... B... n'est pas fondée à soutenir que son erreur a donné lieu à l'exécution de prestations supplémentaires dont le coût devait être supporté par le pouvoir adjudicateur. Enfin, l'enrichissement C... trouvant sa cause dans le contrat la liant à la SARL Bourrassier père et fils et l'appauvrissement de la SARL A... B... dans la faute qu'elle a commise, cette dernière et M. B... ne sont pas fondés à se prévaloir d'un enrichissement sans cause pour rechercher la responsabilité C....

12. Enfin, le préjudice dont la SARL Bourrassier père et fils se prévaut, qui, comme indiqué au point 9, résulte d'une sous-évaluation des travaux à effectuer et par suite de son offre, présente un lien direct avec l'erreur imputable au maître d'œuvre. Pour chiffrer son préjudice, la SARL Bourrassier père et fils s'est fondée sur l'évaluation des surfaces à isoler, ouvertures non déduites, opérée par l'expertise judiciaire. Il résulte des termes mêmes du rapport d'expertise que cette évaluation a été réalisée à partir des mesures relevées sur place par l'expert lui-même, ou par un géomètre expert pour les immeubles les plus importants. Après application d'un coefficient d'imprécision et confrontation de ses calculs à ceux des parties, l'expert a précisément estimé à 33 000 m² la surface à retenir. M. B... et la SARL A... B..., dont l'évaluation à 31 263 m² était au demeurant très proche de celle finalement retenue par l'expert, ne contestent ni le bienfondé de cette méthode, ni l'exactitude de ses résultats. Par suite, ils ne sont pas fondés à soutenir que le montant du préjudice dont se prévaut la SARL Bourrassier père et fils ne serait pas justifié.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL A... B... et M. B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a condamné la SARL A... B... à verser à la SARL Bourrassier père et fils la somme de 675 743,88 euros TTC.

[...]

MAJ 10/02/25 - Source legifrance

Jurisprudence

CAA Lyon, 16 janvier 2025, n° 23LY03563 (Modification de la DPGF, offre incomplète et non-conformité au CCTP. L'irrégularité des offres en matière de marchés publics : une appréciation stricte des modifications apportées aux documents de consultation. Offre jugée irrégulière car respectant pas les exigences de la consultation, notamment en modifiant les quantités prévues dans la DPGF par le pouvoir adjudicateur, en omettant de chiffrer une rubrique obligatoire rendant l'offre incomplète, et en proposant une épaisseur de zinc différente de celle exigée au CCTP. Ces irrégularités ont conduit à écarter l'offre de la société).

Actualités

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