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Texte
J.O n° 282 du 6 décembre 2000 page 19380
Le Conseil d'Etat (section du contentieux, 7e et 5e sous-sections réunies),
Sur le rapport de la 7e sous-section de la section du contentieux,
Vu la requête, enregistrée le 23 juin 2000 au secrétariat du contentieux du CE, le jugement du 18 avril 2000 par lequel le tribunal administratif de Dijon, avant de statuer sur la demande de la société Jean-Louis Bernard Consultants tendant à ce que soit annulée, d'une part, la décision du 4 décembre 1998 du président du district de l'agglomération dijonnaise rejetant son offre pour l'attribution du marché relatif au renouvellement du système d'information géographique du district, d'autre part, la décision du président du district de l'agglomération dijonnaise attribuant ledit marché à l'Institut géographique national et condamnant le district de l'agglomération dijonnaise à lui verser la somme de 15 000 F au titre de l'article L8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, a décidé, par application des dispositions de l'article 12 de la loi no 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif, de transmettre le dossier de cette demande au CE, en soumettant à son examen la question suivante :
Le principe de liberté de la concurrence qui découle de l'ordonnance du 1er décembre 1986 fait-il obstacle à ce qu'un marché soit attribué à un établissement public administratif qui, du fait de son statut, n'est pas soumis aux mêmes obligations fiscales et sociales que ses concurrents ?
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu l'ordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986 ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la loi no 87-1127 du 31 décembre 1987, et notamment son article 12 ;
Vu les articles 57-11 à 57-13 ajoutés au décret no 63-766 du 30 juillet 1963, modifié par le décret no 88-905 du 2 septembre 1988 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance no 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret no 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi no 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Edouard Philippe, maître des requêtes ;
- les conclusions de M. Bergeal, commissaire du Gouvernement,
Rend l'avis suivant :
1o Aucun texte ni aucun principe n'interdit, en raison de sa nature, à une personne publique, de se porter candidate à l'attribution d'un marché public ou d'un contrat de délégation de service public. Aussi la personne qui envisage de conclure un contrat dont la passation est soumise à des obligations de publicité et de mise en concurrence ne peut-elle refuser par principe d'admettre à concourir une personne publique.
2o Aux termes de l'article 1654 du code général des impôts : « Les établissements publics, les exploitations industrielles ou commerciales de l'Etat ou des collectivités locales, les entreprises concessionnaires ou subventionnées, les entreprises bénéficiant de statuts, de privilèges, d'avances directes ou indirectes ou de garanties accordées par l'Etat ou les collectivités locales, les entreprises dans lesquelles l'Etat ou les collectivités locales ont des participations, les organismes ou groupements de répartition, de distribution ou de coordination, créés sur l'ordre ou avec le concours ou sous le contrôle de l'Etat ou des collectivités locales doivent - sous réserve des dispositions des articles 133, 207, 208, 1040, 1382, 1394 et 1449 à 1463 - acquitter, dans les conditions de droit commun, les impôts et taxes de toute nature auxquels seraient assujetties des entreprises privées effectuant les mêmes opérations. »
Il résulte de ces dispositions ainsi que de celles de l'article 256 B du code général des impôts que les établissements publics, lorsqu'ils exercent une activité susceptible d'entrer en concurrence avec celle d'entreprises privées, et notamment lorsqu'ils l'exercent en exécution d'un contrat dont la passation était soumise à des obligations de publicité et de mise en concurrence, sont tenus à des obligations fiscales comparables à celles auxquelles sont soumises ces entreprises privées. Le régime fiscal applicable aux personnes publiques n'est donc pas, par lui-même, de nature à fausser les conditions dans lesquelles s'exerce la concurrence.
3o Les agents des établissements publics administratifs qui, lorsqu'ils sont, comme c'est le cas en principe, des agents publics, sont soumis, en ce qui concerne le droit du travail et de la sécurité sociale, à une législation pour partie différente de celle applicable aux salariés de droit privé. Toutefois, les différences qui existent en cette matière n'ont ni pour objet ni pour effet de placer les établissements publics administratifs dans une situation nécessairement plus avantageuse que celle dans laquelle se trouvent les entreprises privées et ne sont donc pas de nature à fausser la concurrence entre ces établissements et ces entreprises lors de l'obtention d'un marché public ou d'une délégation de service public.
4o Pour que soient respectés tant les exigences de l'égal accès aux marchés publics que le principe de liberté de la concurrence qui découle notamment de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'attribution d'un marché public ou d'une délégation de service public à un établissement administratif suppose, d'une part, que le prix proposé par cet établissement public administratif soit déterminé en prenant en compte l'ensemble des coûts directs et indirects concourant à la formation du prix de la prestation objet du contrat, d'autre part, que cet établissement public n'ait pas bénéficié, pour déterminer le prix qu'il a proposé, d'un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de sa mission de service public et enfin qu'il puisse, si nécessaire, en justifier par ses documents comptables ou tout autre moyen d'information approprié.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Dijon, à la société Jean-Louis Bernard Consultants, au district de l'agglomération dijonnaise et à l'Institut géographique national.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.
(1) Avis no 222208 du 8 novembre 2000.
Jurisprudence
CE, 14 juin 2019, n° 411444, Société Vinci Construction Maritime et Fluvial. (Candidature d’une personne publique à l'attribution d'un contrat de commande publique pour répondre aux besoins d'une autre personne publique et satisfaction d’un intérêt public local. Aucun principe ni aucun texte ne fait obstacle à ce que des collectivités ou leurs établissements publics de coopération se portent candidats. Toutefois, une telle candidature doit répondre à un intérêt public local, et donc constituer le prolongement d’une mission de service public dont la personne publique a la charge. Tel est le cas de l’amortissement des équipements, de la valorisation des moyens ou de l'assurance de l'équilibre financier).
CE, 18 septembre 2015, n° 390041, Association de gestion du CNAM des Pays de la Loire, Groupement URBEA et autres (Le juge du référé précontractuel doit vérifier le principe de spécialité auquel est tenu un établissement public qui présente sa candidature à un marché public. Rôle du juge du référé précontractuel si une personne publique se porte candidate à l’attribution d’un marché public).
CE, 30 décembre 2014, n° 355563, société Armor SNC. (Candidature d’une personne publique à l'attribution d'un contrat de commande publique pour répondre aux besoins d'une autre personne publique et satisfaction d’un intérêt public local).
CE, 10 juillet 2009, n° 324156, Département de l'Aisne / Ministre de la Santé et des Sports (Une personne publique peut, sous conditions, candidater à un marché public. Dès lors qu'il ne s'agit pas de la prise en charge par un pouvoir adjudicateur d'une activité économique mais uniquement de la candidature d'un de ses services, dans le respect des règles de la concurrence, à un marché public passé par des services de l'Etat. Le juge administratif commet une erreur de droit en subordonnant la légalité de cette candidature à l'existence d'un intérêt public)
CAA Bordeaux, 15 juillet 2008, n°07BX00373, Société Merceron TP (Le respect de la liberté du commerce et de l’industrie et du droit de la concurrence ne s’oppose pas à l’attribution d’un marché public à une collectivité publique par une autre. Pour intervenir sur un marché, elle doit d’une part agir dans la limite de ses compétences, et d’autre part justifier d’un intérêt public, lequel peut résulter notamment de la carence de l’initiative privée).
CE, 31 mai 2006, n°275531, Ordre des avocats au barreau de Paris (Pour intervenir sur un marché, les personnes publiques doivent, non seulement agir dans la limite de leurs compétences, mais également justifier d'un intérêt public, lequel peut résulter notamment de la carence de l'initiative privée ; qu'une fois admise dans son principe, une telle intervention ne doit pas se réaliser suivant des modalités telles qu'en raison de la situation particulière dans laquelle se trouverait cette personne publique par rapport aux autres opérateurs agissant sur le même marché, elle fausserait le libre jeu de la concurrence sur celui-ci - Voir également Article L1 du code de la commande publique).
Tribunal administratif de Dijon, 20 février 2003, Société Jean Louis BERNARD Consultants c/ District de l'Agglomération Dijonnaise, req. n° 99245
Conseil d’Etat, 8 novembre 2000, n° 222208, Jean-Louis Bernard Consultants (Aucun texte ni aucun principe n’interdit, en raison de sa nature, à une personne publique, de se porter candidate à l’attribution d’un marché public ou d’un contrat de délégation de service public. Aussi la personne qui envisage de conclure un contrat dont la passation est soumise à des obligations de publicité et de mise en concurrence, ne peut elle refuser par principe d’admettre à concourir une personne publique)