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Le principe d'impartialité s'impose au pouvoir adjudicateur et à ses prestataires dans le cadre des procédures de passation des marchés publics. La participation d'un assistant à maîtrise d'ouvrage à l'analyse des offres, alors qu'il a des intérêts communs avec le fournisseur d'un candidat, constitue un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. L'existence d'un conflit d'intérêts suffit à caractériser le manquement, sans qu'il soit nécessaire de prouver une influence effective sur l'issue de la procédure. L'annulation de la procédure peut être limitée au stade de l'analyse des offres si le conflit d'intérêts n'a pas influencé la rédaction des documents de la consultation.
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000047246697
Résumé
I. Contexte et procédure
Cette affaire concerne un litige relatif à la passation d'un marché public par la commune de Caudry pour l'extension et la maintenance de son système de vidéo-protection urbaine. La société Sofratel, candidate évincée, a contesté la procédure de passation devant le juge des référés du tribunal administratif de Lille sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative (CJA). Suite au rejet de sa demande en première instance, la société s'est pourvue en cassation devant le Conseil d'État.
II. Problème juridique
La question centrale posée au Conseil d'État est celle de savoir si la participation d'une société d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) à l'analyse des offres, alors que son dirigeant est également à la tête d'une société fournissant un logiciel à l'attributaire du marché, constitue un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, notamment au regard du principe d'impartialité.
III. Raisonnement du Conseil d'État
1. Sur le principe d'impartialité et la notion de conflit d'intérêts
Le Conseil d'État rappelle tout d'abord que "le principe d'impartialité, principe général du droit, s'impose au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative. Sa méconnaissance est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence" (considérant 3). Cette affirmation s'appuie sur une jurisprudence constante du Conseil d'État (voir par exemple CE, 14 octobre 2015, Société Applicam et Région Nord-Pas-de-Calais, n° 390968).
Le juge se réfère ensuite à l'article L. 2141-10 du code de la commande publique (CCP) qui définit la notion de conflit d'intérêts comme "toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché ou est susceptible d'en influencer l'issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché" (considérant 3).
2. Sur l'application au cas d'espèce
Le Conseil d'État relève deux éléments factuels importants (considérant 4) :
- "le dirigeant de la société AV Protec, assistante à la maîtrise d'ouvrage de la commune de Caudry, est également le dirigeant de la société CIPEO, éditeur du logiciel 'CANOPY 314', que l'offre du groupement attributaire désignait comme son fournisseur."
- "la société AV Protec a, au titre de sa mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage, participé à l'analyse des offres et à leur notation et a été ainsi susceptible d'influencer l'issue de la procédure."
Le juge en déduit que le juge des référés "a inexactement qualifié les faits de l'espèce" en jugeant que cette situation n'était pas de nature à compromettre l'impartialité de l'assistant à la maîtrise d'ouvrage ni la régularité de la procédure de passation (considérant 4).
3. Sur les conséquences de l'irrégularité
Statuant au fond après avoir annulé l'ordonnance du juge des référés, le Conseil d'État considère que "en faisant participer la société AV Protec à l'analyse et l'évaluation des offres dans le cadre de la procédure de passation du marché litigieux, la commune de Caudry a méconnu le principe d'impartialité et, partant, ses obligations de publicité et de mise en concurrence" (considérant 7).
Toutefois, le juge précise qu'"il ne résulte de l'instruction aucune circonstance de nature à faire naître un doute sur le fait que cette société aurait élaboré le règlement de la consultation et les pièces du marché de façon à favoriser l'offre qui indiquerait utiliser le logiciel commercialisé par la société avec laquelle elle partage des intérêts" (considérant 7).
En conséquence, le Conseil d'État annule la procédure de passation contestée "au stade de l'analyse des offres" et enjoint à la commune de Caudry, si elle entend conclure le marché, "de la reprendre à ce stade, sans qu'y participe la société AV Protec" (considérant 7).
Texte
[…]
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un courrier du 20 juillet 2022, la commune de Caudry, qui avait lancé une consultation en vue de la passation d'un marché public de fournitures portant sur l'extension et la maintenance du système de vidéo-protection urbaine de la commune, a informé la société Sofratel que son offre n'était pas retenue et que le marché serait conclu avec le groupement solidaire composé des sociétés Santerne Nord-Picardie Infra et Electricité Industrielle et Transports de Force. Par une ordonnance du 26 août 2022, contre laquelle la société Sofratel se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la procédure de passation de ce marché public et à ce qu'il soit enjoint à la commune de reprendre l'intégralité de cette procédure.
[…]
3. Le principe d'impartialité, principe général du droit, s'impose au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative. Sa méconnaissance est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Aux termes de l'article L. 2141-10 du code de la commande publique : " L'acheteur peut exclure de la procédure de passation du marché les personnes qui, par leur candidature, créent une situation de conflit d'intérêts, lorsqu'il ne peut y être remédié par d'autres moyens. / Constitue une telle situation toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché ou est susceptible d'en influencer l'issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché ".
4. D'une part, il est constant que le dirigeant de la société AV Protec, assistante à la maîtrise d'ouvrage de la commune de Caudry, est également le dirigeant de la société CIPEO, éditeur du logiciel " CANOPY 314 ", que l'offre du groupement attributaire désignait comme son fournisseur. D'autre part, il ressort tant de l'ordonnance attaquée que des pièces du dossier soumis au juge des référés que la société AV Protec a, au titre de sa mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage, participé à l'analyse des offres et à leur notation et a été ainsi susceptible d'influencer l'issue de la procédure. Par suite, en jugeant que la participation de la société AV Protec au déroulement de la procédure de passation du marché litigieux n'était pas de nature à compromettre l'impartialité de l'assistant à la maîtrise d'ouvrage ni, par conséquent, la régularité de la procédure de passation, le juge des référés a inexactement qualifié les faits de l'espèce.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que l'ordonnance en litige doit être annulée.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société Sofratel, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'en faisant participer la société AV Protec à l'analyse et l'évaluation des offres dans le cadre de la procédure de passation du marché litigieux, la commune de Caudry a méconnu le principe d'impartialité et, partant, ses obligations de publicité et de mise en concurrence. En revanche, il ne résulte de l'instruction aucune circonstance de nature à faire naître un doute sur le fait que cette société aurait élaboré le règlement de la consultation et les pièces du marché de façon à favoriser l'offre qui indiquerait utiliser le logiciel commercialisé par la société avec laquelle elle partage des intérêts. Par suite, il y a lieu, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande, d'annuler la procédure de passation contestée au stade de l'analyse des offres, et d'enjoindre à la commune de Caudry, si elle entend conclure le marché en litige, de la reprendre à ce stade, sans qu'y participe la société AV Protec.
[…]
MAJ 15/03/23 - Source Legifrance
Jurisprudence
Conseil d’Etat, 24 Juillet 2024, n° 491268 (Principe d’impartialité applicable à un pouvoir adjudicateur dans une délégation de service public. Un commentaire Facebook d'élu ne suffit pas à caractériser la partialité dans un contrat de la commande publique dès lors que la modération des propos et le contexte de cette publication ne révélaient ni parti pris ni animosité personnelle à l'encontre de la société).