CAA Toulouse 21 mai 2024, n° 23TL01197, SMACL Assurances
Priorité des stipulations d’un marché public sur des conditions générales d'assurances. De l’intérêt pour les acheteurs publics de rédiger correctement la clause du contrat relative aux pièces contractuelles d’un marché public et notamment l’ordre de priorité des pièces.
Interprétation du contrat d'assurance conclu entre l'appelante et l'intimé dans le cadre d'un marché public. La Cour indique que, selon les stipulations de l'annexe n° 1 à l'acte d'engagement, le cahier des charges propre à ce marché prime sur les conditions générales "assurances dommages aux biens". Elle précise ensuite que ce cahier déroge à ces conditions générales et stipule que la garantie porte sur tout immeuble acquis ou occupé par l'assuré et inscrit sur la liste des biens à garantir, qui comprenait le bâtiment assuré, pour l'essentiel. En conséquence, l'appelante n'est pas fondée à soutenir que le sinistre qui a endommagé ce bâtiment n'entrerait pas dans le champ de la garantie souscrite par l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard, même si ce sinistre a été causé par une personne physique qui avait forcé l'entrée de ce bâtiment pour l'occuper durant une brève période.
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000049571342
Résumé
Un litige oppose la société SMACL Assurances à l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard concernant la prise en charge d'un sinistre survenu dans la nuit du 20 au 21 avril 2021 sur le bâtiment dit "Vieux Moulin", donné à bail emphytéotique par le département du Gard à l'établissement public en 2015.
L'établissement public, assuré auprès de la SMACL, lui a déclaré le sinistre, mais celle-ci a refusé sa prise en charge au motif que le bien appartenait au département.
La question centrale est donc de déterminer si le sinistre entre dans le champ de la garantie souscrite par l'établissement public.
La Cour rappelle que "le cahier des charges propre à ce marché prime sur les conditions générales "assurances dommages aux biens"", comme le prévoient "les stipulations de l'annexe n° 1 à l'acte d'engagement relatif au marché public d'assurances".
Or, "ce cahier déroge à ces conditions générales et stipule que la garantie porte, notamment, sur tout immeuble acquis ou occupé par l'assuré et inscrit sur la liste des biens à garantir, qui comprenait le bâtiment dit "Vieux Moulin"".
Dès lors, peu importe que le département du Gard soit resté propriétaire du bâtiment, puisque le cahier des charges, qui prime, étend la garantie aux biens occupés par l'assuré. "Par suite, l'appelante n'est pas fondée à soutenir que le sinistre qui a endommagé ce bâtiment n'entrerait pas dans le champ de la garantie souscrite par l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard".
La Cour établit donc une hiérarchie claire entre les différentes pièces contractuelles :
- 'annexe à l'acte d'engagement faisant primer le cahier des charges
- Le cahier des charges dérogeant aux conditions générales
- Les conditions générales
En faisant prévaloir les stipulations extensives de garantie du cahier des charges sur la limitation aux biens dont l'assuré est propriétaire prévue aux conditions générales, le juge considère que le sinistre était bien couvert par l'assurance souscrite. La demande de provision de l'établissement public est donc fondée et la requête de la SMACL rejetée. .
Texte
[…]
Considérant ce qui suit :
1. Par acte des 5 et 27 mai 2015, le département du Gard a donné à bail emphytéotique à l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard un ensemble immobilier comprenant notamment un immeuble anciennement à usage d'hôtel-restaurant désigné sous l'appellation " Vieux Moulin ". L'établissement public de coopération culturelle précité est assuré auprès de la société SMACL Assurances au terme d'un marché public d'assurances conclu le 27 août 2020 sur 4 lots dont le lot " Dommages aux biens ". Dans la nuit du 20 au 21 avril 2021, le bâtiment dit A... " a été sinistré par un incendie d'origine criminelle ayant notamment endommagé la toiture de l'immeuble. Le 22 avril 2021, l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard a déclaré ce sinistre à la SMACL assurances. Par courrier du 17 juin 2021, celle-ci lui a notifié son refus d'intervention au titre de la garantie dommages en l'état de la réalisation d'un risque sur un bien n'appartenant pas à son assuré et ressortant de la seule garantie du propriétaire, en l'occurrence le département du Gard.
2. La société SMACL assurances relève appel de l'ordonnance du 9 mai 2023 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Nîmes l'a condamnée à verser à l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard une provision de 64 555 euros. Par la voie de l'appel incident, ce dernier demande la réformation de cette ordonnance en ce qu'elle n'a pas fait droit à la totalité de sa demande.
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
3. D'une part, aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge des référés, dans le cadre de cette procédure qu'elles instituent, de rechercher si, en l'état du dossier qui lui est soumis, l'obligation du débiteur éventuel de la provision est ou n'est pas sérieusement contestable sans avoir à trancher ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.
4. D'autre part, l'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose que : " Un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l'objet d'un bail emphytéotique prévu à l'article L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt général relevant de sa compétence (...). Ce bail emphytéotique est dénommé bail emphytéotique administratif. / Un tel bail peut être conclu même si le bien sur lequel il porte, en raison notamment de l'affectation du bien résultant soit du bail ou d'une convention non détachable de ce bail, soit des conditions de la gestion du bien ou du contrôle par la personne publique de cette gestion, constitue une dépendance du domaine public, sous réserve que cette dépendance demeure hors du champ d'application de la contravention de voirie (...) ".
5. Si, comme exposé au point 1, le département du Gard a conclu un bail emphytéotique administratif, en 2015, avec l'établissement public de coopération culturelle intimé portant sur un ensemble immobilier comprenant le bâtiment dénommé le " Vieux Moulin " dont il est propriétaire depuis 2012, ce contrat ne prévoyait aucune construction nouvelle devant être édifiée par l'emphytéote, qui ne serait entrée dans le patrimoine du bailleur qu'à l'expiration du bail, mais seulement l'engagement de sa part d' " entretenir, améliorer, valoriser et faire fructifier les biens, en contrepartie de quoi aucun loyer ne sera exigé ". Certes, le même bail stipule également que " toutes les améliorations, augmentations, installations et constructions nouvelles " réalisées par le preneur reviendront au bailleur lors de la cessation du bail, toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que le sinistre intervenu dans la nuit du 20 au 21 avril 2021 aurait endommagé un autre bien que celui appartenant au département lors de la conclusion de ce bail. En conséquence et comme le soutient l'appelante, c'est à tort que la première juge a estimé que le département du Gard n'était pas propriétaire du bâtiment dénommé le " Vieux Moulin " lors de ce sinistre.
6. Cependant, ainsi que le prévoient les stipulations de l'annexe n° 1 à l'acte d'engagement relatif au marché public d'assurances conclu entre l'appelante et l'intimé, le cahier des charges propre à ce marché prime sur les conditions générales " assurances dommages aux biens ". Or, ce cahier déroge à ces conditions générales et stipule que la garantie porte, notamment, sur tout immeuble acquis ou occupé par l'assuré et inscrit sur la liste des biens à garantir, qui comprenait le bâtiment dit A... ", pour l'essentiel, soit 1 104 m² sur 1 157 m², sans affectation précise. Par suite, l'appelante n'est pas fondée à soutenir que le sinistre qui a endommagé ce bâtiment n'entrerait pas dans le champ de la garantie souscrite par l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que ce sinistre a été causé par une personne physique qui avait forcé l'entrée de ce bâtiment pour l'occuper durant une brève période.
7. En ce qui concerne le montant de la provision, l'établissement public de coopération culturelle produit, pour la première fois en appel, une facture, de 805 euros hors taxes, s'agissant des frais de diagnostic amiante et plomb. Eu égard, par ailleurs, aux justificatifs déjà apportés en première instance relativement aux honoraires d'expert, pour la somme de 2 762 euros HT, aux frais d'huissier de justice, pour la somme de 360 euros, à la réalisation des travaux de mise en sécurité A... ", pour la somme de 61 433,19 euros HT, et en l'absence d'autres éléments que ceux déjà produits devant la première juge s'agissant de la valeur de remplacement à neuf des biens meubles situés dans le bâtiment, qui ne consistent qu'en des estimations émanant du seul intimé, le montant total de la créance non sérieusement contestable dont peut se prévaloir ce dernier s'établit à la somme totale de 65 360 euros.
8. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que la société SMACL Assurances n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif de Nîmes l'a condamnée à verser une provision de 64 555 euros à l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard et, d'autre part, que ce dernier est seulement fondé à demander à ce que le montant de cette condamnation soit porté à la somme de 65 360 euros.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante. En revanche, il y a lieu, en application de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société SMACL Assurances une somme de 1 500 euros.
[…]
La requête n° 23TL01197 de la société SMACL Assurances est rejetée.
MAJ 30/05/24 - Source legifrance
Jurisprudence
CAA Bordeaux, 11 mars 2008, n° 06BX00950 et 06BX02599, Compagnie AGF c/ Département de l'Aveyron (Prévalence des pièces des pièces constitutives d'un marché d'assurances).