TA Rennes, 21 janvier 2025, n° 2407515 - Addition des prix du BPU sans lésion du candidat
Utilisation des qualifications du personnel comme critère d'attribution. Méthode de notation du critère prix dans un accord-cadre consistant à additionner les prix unitaires sans tenir compte des quantités prévisionnelles.
Validation de l'utilisation des qualifications du personnel comme critère d'attribution, même lorsqu'il s'agit d'obligations réglementaires, dès lors qu'elles concernent spécifiquement l'équipe dédiée au marché. Censure d’une méthode de notation du critère prix dans un accord-cadre consistant à additionner les prix unitaires sans tenir compte des quantités prévisionnelles, tout en écartant la demande d'annulation faute de lésion du requérant compte tenu de l'écart important de points sur le critère technique.
Résumé
Dans cette décision, le Tribunal administratif de Rennes s’attache à la régularité d'une procédure de passation d'un accord-cadre à bons de commande relatif à la réalisation de diagnostics amiante, plomb et PEMD. Le juge s’intéresse notamment à la légalité des critères d'attribution liés aux qualifications du personnel et la régularité des méthodes de notation du critère prix.
La validation des qualifications professionnelles comme critère d'attribution
Le principe de la distinction entre critères de sélection des candidatures et critères d'attribution
La décision s'inscrit dans la jurisprudence qui distingue strictement l'examen des capacités générales des candidats, relevant de la phase de sélection des candidatures, et l'appréciation des moyens spécifiquement dédiés à l'exécution du marché, pouvant être pris en compte au stade de l'analyse des offres.
Le juge rappelle le principe fondamental en soulignant que "si le pouvoir adjudicateur ne peut se fonder sur des critères tenant aux capacités générales de l'entreprise soumissionnaire qu'au stade de l'examen des candidatures dès lors que de tels critères sont étrangers à l'appréciation de l'avantage économique global d'une offre, il lui est loisible de retenir au stade de l'examen de la valeur des offres, à la condition qu'ils soient non discriminatoires et liés à l'objet de la concession, des critères relatifs à la qualification et à l'expérience des personnels affectés à l'exécution des prestations mêmes qui font l'objet du marché".
L'application au cas d'espèce
Le pouvoir adjudicateur avait fait des qualifications du personnel affecté au marché (certificats de formation SS4) et de la compétence des laboratoires d'analyse (attestations Cofrac) un élément d'appréciation d'un sous-critère de la valeur technique. Le juge valide cette approche en considérant que l'acheteur n'avait pas "entendu porter une appréciation sur les capacités générales des candidats mais seulement sur l'aptitude de l'équipe et des personnels dédiés à l'exécution du marché".
Cette solution est d'autant plus intéressante qu'elle s'applique à des qualifications qui constituent par ailleurs des obligations réglementaires. Le juge estime que leur prise en compte au stade de l'analyse des offres "n'était pas redondante avec l'analyse des candidatures, cette dernière étant limitée aux capacités techniques et professionnelles générales du candidat".
L'encadrement des méthodes de notation du critère prix dans les accords-cadres
La censure d'une méthode de notation inadaptée
Le juge censure une méthode de notation consistant à additionner les prix unitaires du bordereau des prix sans tenir compte des quantités prévisionnelles. Il considère qu'"eu égard à la diversité des prestations faisant l'objet de l'accord-cadre et aux disparités très importantes des quantités prévisionnelles de chacune de ces prestations", une telle méthode est *"par elle-même de nature à priver de sa portée ce critère".
Cette position est particulièrement pertinente pour les accords-cadres où la méthode risque de "renforcer l'importance relative des prix unitaires les plus élevés dans la notation du critère du prix alors même que le nombre prévisible de prestations correspondantes est faible".
Pas d'incidence sur l'attribution avec un écart de 23 points sur la valeur technique
Malgré l'irrégularité constatée, le juge considère que ce manquement n'a pas eu d'incidence sur l'attribution du marché compte tenu de *"l'écart de 23 points avec la société attributaire sur le critère de la valeur technique" et de "la faible pondération du sous-critère concerné".
Texte
[…]
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié au BOAMP et au JOUE le 12 juillet 2024, la communauté d'agglomération de Bastia a engagé une procédure d'appel d'offre ouvert, soumis aux dispositions des articles L. 2124-2, R. 2124-2 1° et R. 2161-2 à R. 2161-5 du code de la commande publique, en vue de la passation d'un marché de prestations topographiques, foncières et relevés de bâtiments. Le groupement Sibella et associés / Medori, Simonetti / Malaspina / Petroni, dont la SARL Cabinet Sibella et associés est la mandataire, a déposé une offre. Par une lettre en date du 5 décembre 2024, la communauté d'agglomération de Bastia l'a informée que son offre avait été classée en deuxième position et que le marché était attribué au Cabinet A géomètre expert foncier. Par la présente requête, la SARL Cabinet Sibella et associés demande, à titre principal, au juge du référé précontractuel, saisi sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation de cet accord-cadre.
[…]
En ce qui concerne le moyen tiré du caractère vicié de la méthode de notation :
7. Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Toutefois, une méthode de notation est entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elle est par elle-même de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et est, de ce fait, susceptible de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie.
8. Le DQE (détail quantitatif estimatif) constitue une méthode de notation destinée à permettre, à partir d'une simulation indicative des commandes à venir, une comparaison entre des offres à prix unitaires en dégageant pour chacune d'entre elles un prix global, que l'acheteur peut régulièrement utiliser dès lors que la simulation de commande correspond à l'objet du marché, que son contenu n'a pas pour effet de privilégier un aspect particulier de telle sorte que le critère du prix s'en trouverait dénaturé et que le montant des offres proposées par chaque candidat soit reconstitué en recourant à la même simulation.
9. Il résulte de l'instruction que les 43 références prévues au DQE de la présente consultation est identique à celui d'une précédente consultation, remportée par la société requérante, laquelle comportait également 196 prix au BPU (bordereau des prix unitaires). Il n'est pas sérieusement contesté que la communauté d'agglomération de Bastia a paramétré son DQE en fonction des commandes habituellement constatées au titre de la satisfaction de ses besoins correspondants depuis une dizaine d'années et que près des trois quarts des commandes passées par la communauté d'agglomération de Bastia sur les deux dernières années concernent les rubriques mentionnées au DQE. Dans ces conditions la seule circonstance que ce DQE ne comporterait que 20 % des prix n'est pas de nature à établir que la simulation ainsi réalisée de la commande ne correspond pas à l'objet du marché. Le moyen tiré du caractère vicié de la méthode de notation doit donc être écarté.
[…]
MAJ 24/01/25
Jurisprudence
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