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TA Poitiers, 21 mai 2024, n° 2401010 renseignements complémentaires

TA Poitiers, 21 mai 2024, n° 2401010

Les acheteurs publics doivent respecter scrupuleusement les règles qu'ils ont eux-mêmes fixées dans les documents de consultation, notamment en ce qui concerne les demandes de renseignements complémentaires des candidats. Le non-respect de ces règles peut constituer un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, susceptible d'être sanctionné par le juge du référé précontractuel. Les candidats doivent disposer de toutes les informations nécessaires pour comprendre les besoins de l'acheteur et présenter une offre pertinente. L'absence de réponse à des questions légitimes peut léser les candidats et vicier la procédure. Rappelons que l'article R2132-6 du Code de la commande publique prévoit que "En cas de procédure formalisée, les renseignements complémentaires sur les documents de la consultation sont envoyés aux opérateurs économiques six jours au plus tard avant la date limite fixée pour la réception des offres, pour autant qu’ils en aient fait la demande en temps utile".

Les faits et le contexte

Le 5 mars 2024, le centre hospitalier d'Angoulême, établissement support du groupement hospitalier de territoire de Charente, a lancé un appel d'offres pour la passation d'un marché concernant la prise en charge des transports médicalisés primaires et secondaires liés à l'activité SMUR. Le marché, d'une durée initiale de 12 mois reconductible tacitement pour une durée maximale de 60 mois, était divisé en deux lots : le lot n°1 pour les transports du centre hospitalier de Ruffec, et le lot n°2 pour ceux du centre hospitalier de Confolens.

La société Kéolis santé Nouvelle Aquitaine Nord, titulaire sortant du marché pour l'hôpital de Ruffec, a retiré un dossier de consultation des entreprises pour remettre une offre sur les deux lots, mais a finalement renoncé à déposer une offre. Le 19 avril 2024, elle a saisi le juge du référé précontractuel pour suspendre la procédure d'appel d'offres, annuler toutes les décisions s'y rapportant et relancer une nouvelle procédure de passation du marché.

Le problème juridique posé

La question juridique principale est de savoir si le centre hospitalier d'Angoulême a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence dans le cadre de cette procédure de passation de marché public, et si ce manquement a lésé la société requérante, lui donnant ainsi un intérêt à agir au titre de l'article L. 551-10 du code de justice administrative.

Le raisonnement juridique du tribunal

Le tribunal rappelle d'abord les dispositions des articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative, qui permettent au juge du référé précontractuel d'être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, et de prendre diverses mesures comme la suspension de la procédure, l'annulation des décisions liées à la passation du contrat, ou la suppression de clauses du contrat.

Le tribunal note ensuite que selon le règlement de consultation du marché, le pouvoir adjudicateur s'était engagé à répondre aux demandes de renseignements complémentaires des candidats au plus tard 6 jours avant la date limite de remise des plis, à condition que ces demandes soient formulées au plus tard 10 jours avant cette date limite.

Or, la société Kéolis a adressé au centre hospitalier, dans les délais, une liste de 24 questions auxquelles aucune réponse n'a été apportée. Le tribunal estime que le centre hospitalier n'a pas respecté l'obligation de réponse qu'il s'était fixée, alors qu'il aurait pu reporter la date de remise des offres s'il manquait de temps pour répondre. Ce non-respect du règlement de consultation constitue un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

Le tribunal relève ensuite que plusieurs des questions posées par la société, portant notamment sur des erreurs matérielles ou des ambiguïtés du dossier de consultation, étaient utiles pour permettre à la requérante de comprendre les besoins de l'acheteur et de présenter une offre réellement concurrentielle. En ne disposant pas des renseignements complémentaires demandés, la société a donc été lésée par ce manquement.

La réponse du tribunal et la décision finale

Le tribunal considère que la société Kéolis est fondée à demander l'annulation de la procédure de passation du marché litigieux. Il enjoint au centre hospitalier, s'il entend poursuivre son projet, de reprendre intégralement la procédure en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

Conseils aux acheteurs publics

Rédiger avec soin et précision les documents de consultation, notamment le règlement, pour éviter toute ambiguïté ou erreur matérielle.

Respecter scrupuleusement les engagements pris dans ces documents, en particulier les délais de réponse aux demandes de renseignements complémentaires.

En cas de questions nombreuses ou complexes, envisager de reporter la date limite de remise des offres pour disposer du temps nécessaire pour y répondre de manière satisfaisante.

Traiter toutes les demandes de renseignements avec diligence et équité, sans préjuger de leur pertinence.

Conseils aux entreprises candidatant aux marchés publics

Lire attentivement les documents de consultation et ne pas hésiter à poser toutes les questions nécessaires à la bonne compréhension des besoins et des attentes de l'acheteur.

Formuler ces questions dans les délais prévus par le règlement de consultation.

En l'absence de réponse, envisager de saisir le juge du référé précontractuel si ces renseignements apparaissent indispensables pour présenter une offre compétitive.

Étayer précisément en quoi l'absence de ces informations a pu léser les chances de remporter le marché.

 

En résumé, ce jugement rappelle aux acheteurs publics l'importance de la transparence et de l'égalité de traitement dans les procédures de passation, et aux entreprises candidates leur droit d'obtenir tous les renseignements nécessaires pour concourir efficacement.  

[...]

Considérant ce qui suit :

1. Le 5 mars 2024, le centre hospitalier d'Angoulême, établissement support du groupement hospitalier de territoire de Charente qui procède à la passation et à la signature des marchés pour le compte des établissements parties, a publié un avis d'appel à concurrence en vue de la passation d'un marché concernant la prise en charge des transports médicalisés primaires et secondaires afférents à l'activité SMUR pendant une durée initiale de 12 mois, reconductible tacitement pour 4 périodes de 12 mois, soit une durée maximale de 60 mois. La consultation est divisée en deux lots, lot n°1 " Transports médicalisés primaires et secondaires induits par l'activité SMUR au centre hospitalier de Ruffec ", et lot n°2 " Transports médicalisés primaires et secondaires induits par l'activité SMUR au centre hospitalier de Confolens ". La société Kéolis santé Nouvelle Aquitaine Nord, actuel titulaire du marché pour la prise en charge des transports en lien avec l'activité SMUR pour l'hôpital de Ruffec dont le terme a été prolongé par avenant jusqu'au 31 mai 2024, a retiré un dossier de consultation des entreprises en vue de remettre une offre pour les deux lots du marché. Par une requête enregistrée le 19 avril 2024, la société Kéolis santé Nouvelle Aquitaine Nord qui a finalement renoncé à déposer une offre pour chacun des deux lots du marché saisit le juge du référé précontractuel d'une demande tendant à suspendre la procédure d'appel d'offres, à annuler toutes les décisions qui s'y rapportent et à relancer une nouvelle procédure de passation du marché.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Et, aux termes de l'article L. 551-2 de ce code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () ". Et, aux termes de l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué () ".

3. Aux termes du point 8.1 du règlement de consultation du marché public en cause intitulé " renseignements complémentaires " " adresses supplémentaires et points de contact ": " Pour tout renseignement complémentaire concernant cette consultation, les candidats transmettent impérativement leur demande par l'intermédiaire du profil d'acheteur du pouvoir adjudicateur, dont l'adresse URL est la suivante : http://ch-angouleme.e-marchespublics.com Cette demande doit intervenir au plus tard 10 jours avant la date limite de remise des plis. Une réponse sera alors adressée, à toutes les entreprises ayant retiré le dossier ou l'ayant téléchargé après identification, 6 jours au plus tard avant la date limite de remise des plis "

4. Il résulte de l'instruction que la société Kéolis a adressé au centre hospitalier d'Angoulême, via la plateforme de dématérialisation, le 27 puis le 29 mars 2024 soit plus de 10 jours avant la date butoir de remise des offres qui était fixée le 8 avril 2024 à 12h00 une liste comprenant au total 24 questions, estimant que sans les informations complémentaires ainsi attendues, elle ne pouvait utilement élaborer une offre technique et financière pertinente. Il est constant qu'aucune réponse ne lui a été apportée par le centre hospitalier d'Angoulême.

5. Si le centre hospitalier fait valoir que le dossier de consultation contenait toutes les caractéristiques du marché et que les questions posées par leur nombre et leur nature n'avaient pas été posées en temps utiles ou ne méritaient pas de réponse par l'évidence de la solution, par l'expérience de la société Kéolis qui disposait déjà de ces informations ou en ce qu'il suffisait de reprendre le document de consultation pour y trouver les informations attendues, et que la finalité de la démarche de la société requérante était de mettre en difficulté le centre hospitalier, il ne résulte pas de la lecture des dispositions de l'article 8.1 précité que la réponse du centre hospitalier devait dépendre de l'objet ou était conditionné par l'utilité de la question telle qu'évaluée par le centre hospitalier. Ainsi, le centre hospitalier n'a pas respecté l'obligation de réponse aux demandes de renseignements complémentaires qu'il s'est fixé lui-même alors qu'il pouvait faire le choix s'il estimait n'avoir pas suffisamment de temps pour y répondre de reporter la date de remise des offres. Ainsi, en ne respectant pas les termes du règlement de consultation, le centre hospitalier a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

6. Il résulte de l'instruction que la société Kéolis n'est pas le titulaire sortant du marché du centre hospitalier de Confolens et qu'il n'est pas établi par les éléments de l'instruction que le marché public en litige serait similaire en tous points au marché passé en 2019 pour l'activité SMUR du centre hospitalier de Ruffec en ce qu'a minima, il apparaît que la durée d'exécution en est différente et plus longue pour le nouveau marché et que la structure des prix n'est pas la même, passant pour le marché actuel d'un forfait mensuel à différents forfaits ou à des prix unitaires pour le nouveau marché. De plus, à supposer même que certaines questions dont la liste est produite par la requérante renvoyaient à des points qui ne présentaient pas de difficultés particulières, l'instruction fait ressortir que la question relative à l'absence de " certificat de visite " dans le dossier pour le centre hospitalier de Confolens et son incidence sur la complétude de l'offre, la question posée sur le détail quantitatif estimatif mentionné dans les éléments servant à l'analyse financière des offres qui s'est avéré être une erreur matérielle, ou la question relative à l'explication de la structuration des prix, celle aussi portant sur les pénalités, celle encore portant sur les caractéristiques des véhicules ainsi que les points, au nombre de cinq au moins, sur lesquels le centre hospitalier a admis qu'il s'agissait d'erreurs matérielles démontrent le caractère utile des questions posées au regard des incertitudes et ambiguïtés contenues dans le dossier de consultation de nature à influencer la manière dont la société requérante pouvaient comprendre les besoins de l'acheteur et donc construire et présenter une offre réellement concurrentielle. Ainsi, la société requérante, en ne disposant pas des renseignements complémentaires qu'elle a sollicités, a été lésée par ce manquement.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la société Kéolis santé Nouvelle Aquitaine Nord est fondée à demander l'annulation de la procédure de passation du marché litigieux.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Il y lieu d'enjoindre au centre hospitalier d'Angoulême, établissement support du groupement hospitalier de territoire de Charente, s'il entend poursuivre son projet de passation du marché litigieux, de reprendre intégralement la procédure de passation.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Kéolis santé Nouvelle Aquitaine Nord, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par le centre hospitalier d'Angoulême au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge du centre hospitalier d'Angoulême une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ORDONNE

Article 1er : La procédure de passation du marché relatif à la prise en charge des transports médicalisés primaires et secondaires induits par l'activité SMUR pour les centres hospitaliers de Ruffec et de Confolens est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au centre hospitalier d'Angoulême, établissement support du groupement hospitalier de territoire de Charente, s'il entend poursuivre la passation du marché litigieux, de reprendre intégralement la procédure de passation du marché susvisé en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. »

[...]

MAJ 03/06/24

Jurisprudence

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