Tribunal administratif de Guadeloupe, 29 août 2024, n° 2401075 - éléments d'appréciation requalifiés en sous-critères
Eléments d'appréciation non pondérés devant être considérés comme des sous-critères influents Dans le cadre des marchés publics, tout élément d'évaluation des offres susceptible d'influencer leur présentation et leur sélection doit être considéré comme un sous-critère et, à ce titre, faire l'objet d'une pondération ou d'une hiérarchisation. Cette règle s'applique même lorsque ces éléments sont qualifiés d'éléments d'appréciation par l'acheteur public. Le non-respect de cette obligation constitue un manquement aux principes de transparence et d'égalité de traitement des candidats, pouvant entraîner l'annulation de la procédure de passation.
Dans le cas d'espèce, la communauté d'agglomération avait qualifié certains éléments d'évaluation d'"éléments d'appréciation" sans les pondérer. Le juge a estimé que ces éléments, de par leur nature et leur importance, devaient être considérés comme des sous-critères et auraient dû être pondérés ou hiérarchisés. Ce manquement a conduit à l'annulation de la procédure de passation pour la majorité des lots de l'accord-cadre.
Résumé
Pouvoir adjudicateur ayant qualifié certains éléments d'évaluation d'"éléments d'appréciation" sans les pondérer. Le juge a considéré que ces éléments, de par leur nature et leur importance, devaient être considérés comme des sous-critères et auraient dû être pondérés ou hiérarchisés.
Ce manquement a conduit à l'annulation de la procédure de passation pour la majorité des lots de l'accord-cadre.
Le juge a estimé que ces éléments devaient être considérés comme des sous-critères et auraient dû être pondérés ou hiérarchisés pour plusieurs raisons importantes :
Nature et importance des éléments
Le juge a examiné la nature des "éléments d'appréciation" mentionnés dans le règlement de consultation.
Ces éléments comprenaient des aspects tels que "Respect des engagements de délais", "Emission CO2/km", "Qualité technique de la solution proposée", etc.
La nature de ces éléments va au-delà de simples indications pour l'évaluation. Ils constituent des aspects précis et distincts sur lesquels les offres sont évaluées. Cette spécificité les rapproche davantage de sous-critères que de simples éléments d'appréciation.
Le juge a également considéré l'importance de ces éléments dans l'évaluation des offres. Comme le démontre l'exemple fourni par la société CGFF concernant le lot n°1, ces éléments ont eu une influence significative sur la notation des offres.
Cette importance est soulignée par le fait que la note globale de la société CGFF sur le critère de la valeur technique (15/20) ne pouvait s'expliquer que par une pondération différente des éléments d'appréciation, démontrant ainsi leur rôle crucial dans l'évaluation.
Influence sur la présentation des offres :
Le juge s'appuie sur une jurisprudence constante qui stipule que les sous-critères doivent être pondérés ou hiérarchisés s'ils sont "susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection".
Dans ce cas, les éléments en question, de par leur nature détaillée et leur importance dans la notation, sont susceptibles d'influencer la manière dont les candidats préparent et présentent leurs offres.
Par exemple, un candidat pourrait accorder une attention particulière à la description de ses "Modalités de maintenance, de garantie et de support" s'il sait que cet élément sera évalué spécifiquement.
Influence sur la sélection des offres :
L'exemple fourni par la société CGFF démontre clairement que ces éléments ont eu une influence directe sur la sélection des offres, puisqu'ils ont affecté la notation de manière significative.
Principe de transparence et d'égalité de traitement des candidats
Le juge applique ici le principe fondamental de transparence dans les marchés publics. Si des éléments sont suffisamment importants pour influencer significativement l'évaluation des offres, les candidats doivent en être informés de manière claire et précise, y compris sur leur pondération ou hiérarchisation.
En n'informant pas les candidats de la pondération ou de la hiérarchisation de ces éléments, l'acheteur public risque de créer une inégalité entre les candidats. Certains pourraient deviner l'importance relative de ces éléments, tandis que d'autres non, ce qui va à l'encontre du principe d'égalité de traitement.
Cette décision s'inscrit dans une jurisprudence constante du Conseil d'État (par exemple, CE, 18 juin 2010, n°337377, Commune de Saint-Pal-de-Mons) qui impose la transparence sur les sous-critères influents.
En conclusion, le juge a estimé que ces éléments, bien que qualifiés d'"éléments d'appréciation" par l'acheteur, jouaient en réalité le rôle de sous-critères dans l'évaluation des offres. Leur nature spécifique, leur importance dans la notation, et leur influence potentielle sur la présentation et la sélection des offres justifient qu'ils soient traités comme des sous-critères, avec l'obligation de pondération ou de hiérarchisation qui en découle.
Texte
[...]
4. D'autre part, pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces critères. Il doit également porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent, en conséquence, être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection.
5. En l'espèce, il résulte de l'instruction que l'article 18 du règlement de consultation précise que " le classement des offres et le choix du/des attributaire(s) sont fondés sur l'offre économiquement la plus avantageuse appréciée en fonction des critères pondérés notés sur 100 et énoncés ci-dessous : 1. Critère Délai de livraison pondéré à 5 %. Respect des engagements de délais Mise à disposition des véhicules 2. Critère Performances en matière de protection de l'environnement pondéré à 25 %. Emission CO2/km (g/km) (QCO2=CO2/km(g/km) Consommation énergétique Autonomie kilométrique avec une chargé complète (pour une consommation mixte du véhicule) 3. Critère Prix des prestations pondéré à 50 %. Prix basé sur l'acte d'engagement au regard des loyers max proposés pour chacun des lots Coût du kilomètre excédentaire et minoritaire selon la marge en km qui ne modifie pas les conditions initiales 4. Critère Valeur technique pondéré à 20 %. Mémoire technique Qualité technique de la solution proposée Caractéristiques techniques du modèle des véhicules Moyens et ressources (équipe technique, expertise, certifications et références) mis à la disposition du projet pour atteindre les objectifs visés Modalités de maintenance, de garantie et de support ". La société CGFF soutient que les précisions apportées à la suite de chaque critère sont en réalité des sous-critères et, qu'à ce titre, ils auraient dû faire l'objet d'une pondération.
6. Pour illustrer ce moyen la société CGFF, dans son dernier mémoire, prend l'exemple du lot n° 1 en précisant que " si les sous-critères du critère de la valeur technique avaient été traités de manière égale, CGFF n'aurait pas obtenu la note de 15/20 au critère de la valeur technique pour le lot n° 1 dès lors que : - le critère de la valeur technique était divisé en quatre sous-critères ; - s'ils avaient été pondérés de la même manière, chaque sous-critère serait donc noté sur 5 ; - or : les 3 sous-critères (moyens et ressources ; caractéristiques techniques des véhicules proposés ; modalités de maintenance) ayant été regardés comme " traités et conformes au besoin ", ils auraient dû par analogie avec l'offre de l'attributaire obtenir la note maximum de 5/5, soit une note minimale pour CGFF de 15/20 ; le sous-critère " Qualité Mémoire technique " ayant été regardé comme " moyennement traité ", il aurait dû recevoir au moins une note de 2,5 ; par conséquent, le cumul des 4 sous-critères aurait donné une note minimale de 17,5 ; - toutefois, la note de CGFF sur le critère de la valeur technique a été de 15/20 ce qui signifie que les sous-critères n'étaient pas pondérés de la même façon. Si la communauté d'agglomération Cap Excellence persistait à soutenir que chaque sous-critère était pondéré de la même façon, cela signifierait en tout état de cause que l'offre de CGFF a été dénaturée sur le critère de la valeur technique en ayant obtenu la note de 0 sur 5 au sous-critère " Qualité Mémoire technique " alors même qu'il était considéré comme " moyennement traité ". "
7. En réponse, la communauté d'agglomération soutient que ce que la société CGFF appelle " sous-critères " sont en réalité de simples éléments d'appréciation lui permettant d'affiner la notation de chaque critère. Elle rajoute qu'aucun texte juridique n'interdit cette pratique, qui est donc parfaitement légale selon elle.
8. Toutefois, comme le démontre la société requérante, ces " éléments d'appréciation ", eu égard à leur nature et à leur importance ont exercé une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent, en conséquence, être regardés comme des sous-critères de sélection et, par conséquent, auraient dû faire l'objet d'une pondération ou d'une hiérarchisation. Ainsi, en s'abstenant de pondérer ou de hiérarchiser ces " éléments d'appréciation " qui sont en réalité des sous-critères, la communauté d'agglomération Cap Excellence a commis un manquement qui a lésé la société CGFF mais aussi tous les autres candidats.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, qu'il y a lieu d'annuler la procédure de passation du marché en litige pour tous les lots, excepté le lot n° 5 dans la mesure où il a été attribué à la société CGFF. Il en résulte qu'il est enjoint à la communauté d'agglomération Cap Excellence de relancer une procédure de passation au stade de l'avis d'appel public à la concurrence si elle souhaite persister dans la passation de ce marché.
[...].
MAJ 07/09/24
Jurisprudence
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