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ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
27 février 2003 (1)
Dans l'affaire C-327/00,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (Italie) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Santex SpA
et
Unita Socio Sanitaria Locale n. 42 di Pavia,
en présence de:
Sca Molnlycke SpA,
Artsana SpA
et
Fater SpA,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 22 de la directive 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO L 199, p. 1), et de l'article 6, paragraphe 2, UE,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. J.-P. Puissochet, président de chambre, MM. R. Schintgen et V. Skouris (rapporteur), Mme F. Macken et M. J. N. Cunha Rodrigues, juges,
avocat général: M. S. Alber,
greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
- pour le gouvernement italien, par M. U. Leanza, en qualité d'agent, assisté de M. M. Fiorilli, avvocato dello Stato,
- pour le gouvernement français, par Mme A. Bréville-Viéville et M. G. de Bergues, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement autrichien, par M. H. Dossi, en qualité d'agent,
- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. M. Nolin et RAmorosi, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales du gouvernement italien, du gouvernement français et de la Commission à l'audience du 6 décembre 2001,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 7 février 2002,
rend le présent
Arrêt
1.
Par ordonnance du 23 juin 2000, parvenue à la Cour le 4 septembre suivant, le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia a posé, en application de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 22 de la directive 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO L 199, p. 1), et de l'article 6, paragraphe 2, UE.
2.
Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la société Santex SpA (ci-après «Santex») à l'Unita Socio Sanitaria Locale n. 42 di Pavia (ci-après l'«USL»), au sujet d'une procédure d'appel d'offres portant sur un marché de fournitures.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3.
L'article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1, ci-après la «directive 89/665»), dispose:
«Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d'application des directives 71/305/CEE, 77/62/CEE et 92/50/CEE [...], les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l'objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l'article 2 paragraphe 7, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.»
4.
Aux termes de l'article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/665:
«Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l'article 1er prévoient les pouvoirs permettant:
[...]
b) d'annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l'appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause».
5.
La directive 93/36 a abrogé la directive 77/62/CEE du Conseil, du 21 décembre 1976, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO 1977, L 13, p. 1). Les références faites par l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665, notamment, à la directive ainsi abrogée doivent s'entendre comme faites à la directive 93/36 en vertu de l'article 33, second alinéa, de celle-ci.
6.
L'article 22 de la directive 93/36 dispose:
«1. La justification de la capacité financière et économique du fournisseur peut être fournie, en règle générale, par l'une ou l'autre ou plusieurs des références suivantes:
[...]
c) une déclaration concernant le chiffre d'affaires global et le chiffre d'affaires relatif à la fourniture faisant l'objet du marché réalisé par le fournisseur au cours des trois derniers exercices.
2. Les pouvoirs adjudicateurs précisent, dans l'avis ou dans l'invitation à soumissionner, celle ou celles des références visées au paragraphe 1 qu'ils ont choisies ainsi que les références probantes, autres que celles mentionnées au paragraphe 1, qu'ils entendent obtenir.
3. Si, pour une raison justifiée, le fournisseur n'est pas en mesure de fournir les références demandées par le pouvoir adjudicateur, il est admis à prouver sa capacité économique et financière par tout autre document considéré comme approprié par le pouvoir adjudicateur.»
La réglementation nationale
7.
L'article 22 de la directive 93/36 a été transposé dans l'ordre juridique italien par l'article 13 du décret-loi n° 358, du 24 juillet 1992, intitulé «Testo unico delle disposizioni in materia di appalti pubblici di forniture, in attazione delle direttive 77/62/CEE, 80/767/CEE e 88/295/CEE» (Texte unique des dispositions relatives aux marchés publics de fournitures mettant en oeuvre les directives 77/62/CEE, 80/767/CEE et 88/295/CEE, GURI n° 188, du 11 août 1992, supplemento ordinario n° 104, p. 5, ci-après le «décret-loi n° 358/1992»). Ce dernier article dispose:
«1. La justification de la capacité financière et économique des entreprises concurrentes peut être fournie par l'un ou l'autre des documents suivants:
[...]
c) une déclaration concernant le chiffre d'affaires global et le chiffre d'affaires relatif à la fourniture faisant l'objet du marché, réalisés par l'entreprise au cours des trois derniers exercices.
2. Les pouvoirs adjudicateurs précisent, dans l'avis ou l'invitation à soumissionner, ceux des documents visés au paragraphe 1 qui doivent être fournis, ainsi que les éventuelles références qu'ils entendent obtenir. [...]
3. Si, pour une raison justifiée, le fournisseur n'est pas en mesure de fournir les références demandées, il peut prouver sa capacité économique et financière par tout autre document considéré comme approprié par le pouvoir adjudicateur.»
8.
L'article 36, paragraphe 1, du décret royal n° 1054, du 26 juin 1924, approuvant le «Testo unico delle leggi sul Consiglio di Stato» (Texte unique des lois relatives au Consiglio di Stato, GURI n° 158, du 7 juillet 1924, ci-après le «décret royal n° 1054/1924»), dont le champ d'application a été étendu aux tribunaux administratifs par l'effet de l'article 19 de la loi n° 1034, du 6 décembre 1971, portant sur l'«Istituzione dei tribunali amministrativi regionali» (Création des tribunaux administratifs régionaux, GURI n° 314, du 13 décembre 1971, p. 7891), dispose:
«En dehors des cas dans lesquels les délais sont fixés par des lois spéciales, relatives à la matière du recours, le délai de recours devant le Consiglio di Stato siégeant en matière juridictionnelle est de 60 jours à compter de la date à laquelle la décision administrative a été notifiée dans les formes et modalités fixées par voie réglementaire ou à compter de la date à laquelle il apparaît que l'intéressé en a eu pleinement connaissance [...]»
9.
L'article 5 de la legge n° 2248 sul contenzioso amministrativo (loi n° 2248 sur le contentieux administratif), du 20 mars 1865 (ci-après la «loi n° 2248/1865»), prévoit:
«Les autorités judiciaires appliqueront les actes administratifs et réglementaires généraux et locaux dans la mesure où ils sont conformes aux lois.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10.
Il ressort de l'ordonnance de renvoi que, le 23 octobre 1996, l'USL a publié au Journal officiel des Communautés européennes un avis d'appel d'offres concernant la fourniture directe, à domicile, de produits absorbants pour l'incontinence, pour un montant estimé à 1 067 372 000 ITL par an.
11.
Cet avis comportait une clause selon laquelle seules seraient admises à concourir les entreprises ayant réalisé, «au cours des trois derniers exercices, pour un service identique à celui faisant l'objet de l'appel d'offres, [un] chiffre d'affaires global correspondant au moins au triple du montant du marché considéré» (ci-après la «clause litigieuse»).
12.
Par lettre du 25 novembre 1996, Santex a signalé au pouvoir adjudicateur qu'elle considérait que cette clause constituait une restriction illicite de la concurrence. Elle indiquait que, compte tenu du fait que ce type de prestation était fourni par les services sociosanitaires locaux depuis fort peu de temps, l'application de ladite clause créerait un avantage injustifié en faveur de l'entreprise qui avait obtenu le marché lors de la procédure d'appel d'offres précédente et exclurait de nombreux candidats, dont elle-même, alors qu'elle avait réalisé, au cours de l'année précédente, un chiffre d'affaires égal à deux fois le montant annuel estimé du marché.
13.
Au vu de ces observations, l'USL a différé l'examen des offres. Elle a demandé aux soumissionnaires de lui communiquer des pièces complémentaires, en indiquant que la clause litigieuse pouvait être interprétée comme faisant référence au chiffre d'affaires total des entreprises. Le chiffre d'affaires relatif aux fournitures de produits identiques à ceux faisant l'objet du marché considéré serait pris en compte non pas comme une condition d'admission à concourir, mais comme l'un des critères servant à apprécier la qualité des offres.
14.
La société Sca Molnlycke SpA (ci-après «Mölnlycke»), qui avait obtenu le marché de la fourniture de produits identiques pour la période antérieure, s'est opposée à cette interprétation. Elle a adressé à l'USL une lettre réclamant le strict respect de la clause litigieuse.
15.
Par lettre du 24 janvier 1997, l'USL, accueillant implicitement cette objection de Mölnlycke, a demandé à nouveau aux soumissionnaires de lui communiquer le chiffre d'affaires qu'ils avaient réalisé grâce aux fournitures de produits identiques à ceux faisant l'objet du marché considéré, ainsi que la liste des établissements de soins auxquels ces produits avaient été livrés.
16.
Le 20 février 1997, l'USL a adopté une décision excluant de la procédure d'appel d'offres toutes les sociétés qui ne remplissaient pas la condition économique énoncée par la clause litigieuse, dont Santex (ci-après la «décision d'exclusion»). Le marché a été attribué à Molnlycke par décision du 8 avril 1997 (ci-après la «décision d'attribution»).
17.
Considérant que, si elle avait été admise à concourir, elle aurait obtenu le marché, Santex a introduit devant le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia un recours tendant à obtenir l'annulation, notamment, de la décision d'exclusion ainsi que de la décision d'attribution et de l'avis d'appel d'offres pour violation de la loi et excès de pouvoir. Par ailleurs, elle a sollicité, à titre de mesures provisoires, le sursis à exécution des actes ainsi attaqués.
18.
L'USL ainsi que Mölnlycke, qui est intervenue au litige au principal, ont excipé du caractère tardif du recours en annulation dirigé contre l'avis d'appel d'offres. Or, seul cet avis aurait causé un préjudice direct à Santex en l'empêchant de participer à la procédure d'appel d'offres.
19.
Par ordonnance en référé du 29 mai 1997, le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia a prononcé le sursis à exécution des actes attaqués. Il a considéré que, même si la demande d'annulation de l'avis d'appel d'offres devait être considérée comme tardive, l'application de la clause litigieuse devrait néanmoins être exclue en raison d'une violation des principes du droit communautaire de la concurrence.
20.
Par ordonnance du 29 août 1997, le Consiglio di Stato (Italie) a annulé cette ordonnance de la juridiction de renvoi.
21.
La procédure en référé étant close, l'USL a conclu le marché avec Mölnlycke.
22.
Le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia, auquel le Consiglio di Stato a renvoyé le dossier afin qu'il se prononce sur le fond, indique, dans son ordonnance de renvoi, qu'il estime que la clause litigieuse limite le droit d'accès à une procédure d'appel d'offres en violation des dispositions de l'article 22 de la directive 93/36 reprises textuellement à l'article 13 du décret-loi n° 358/1992.
23.
La juridiction de renvoi considère en particulier que cette clause est contraire aux principes de proportionnalité et de non-discrimination, dans la mesure où elle va au-delà de ce qui est nécessaire pour vérifier la solidité économique et financière des soumissionnaires. Elle octroierait ainsi un avantage injustifié aux entreprises qui occupent une position dominante sur le marché, au détriment de celles qui sont en mesure de prouver par d'autres moyens leur fiabilité.
24.
Cette juridiction indique cependant qu'elle est tenue de statuer à titre préalable sur l'exception d'irrecevabilité soulevée par l'USL et Mölnlycke. À cet égard, elle relève que, s'il était admis que c'est dès le stade de l'avis d'appel d'offres que la clause litigieuse a empêché Santex de participer à la procédure, il faudrait en conclure que cette clause aurait dû être attaquée dans un délai de 60 jours à compter de la date à laquelle Santex en a eu connaissance, conformément à l'article 36 du décret royal n° 1054/1924.
25.
La juridiction de renvoi expose que, se fondant sur l'article 5 de la loi no 2248/1865, le Consiglio di Stato a jugé, de manière générale, qu'une juridiction administrative peut, tout comme une juridiction de l'ordre judiciaire, laisser inappliquée une disposition réglementaire qui est contraire à une norme de rang supérieur et affecte un droit subjectif.
26.
Toutefois, il ressortirait de la jurisprudence constante du Consiglio di Stato en matière de marchés publics que les actes ayant pour effet de porter directement atteinte au droit de participer à un appel d'offres doivent être attaqués dans le délai ordinaire de 60 jours, sous peine de forclusion, et que, passé ce délai, il n'est plus possible d'écarter l'application des avis d'appels d'offres ou de leurs clauses.
27.
Or, la juridiction de renvoi estime que le principe prévu à l'article 5 de la loi no 2248/1865 devrait également valoir à l'égard des clauses figurant dans un avis de marché public qui sont contraires au droit communautaire. Elle considère que, afin d'assurer l'efficacité de la protection juridictionnelle des droits conférés par l'ordre juridique communautaire, elle doit avoir la possibilité d'écarter l'application de la clause litigieuse, indépendamment du respect des règles de procédure nationales.
28.
Selon la juridiction de renvoi, les circonstances de l'espèce au principal semblent de nature à justifier un refus d'application de la clause litigieuse, conformément à l'approche exposée au point précédent. D'une part, elle fait observer que l'USL a amené Santex à croire que la clause litigieuse serait interprétée de façon restrictive ou reformulée au cours de la procédure d'appel d'offres. De ce fait, l'USL aurait créé une situation d'incertitude préjudiciable à l'introduction d'un recours dans les délais et elle aurait ainsi rendu excessivement difficile, voire impossible, l'application du droit communautaire à la procédure d'attribution du marché de fournitures en cause au principal.
29.
D'autre part, cette juridiction fait valoir que la constatation du caractère illégal des actes attaqués au principal servirait l'intérêt de l'administration, qui est d'ouvrir l'appel d'offres à une participation aussi large que possible.
30.
Par ailleurs, le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia juge utile d'examiner cette problématique à la lumière de la protection juridictionnelle des droits fondamentaux offerte par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
31.
Eu égard à l'ensemble de ces considérations, le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Faut-il comprendre l'article 22 de la directive 93/36/CEE, du 14 juin 1993, en ce sens que les juridictions nationales compétentes sont tenues de protéger les citoyens de l'Union lésés par des actes adoptés en violation du droit communautaire en utilisant la possibilité de laisser inappliquées, comme le prévoit l'article 5 de la loi italienne du 20 mars 1865, également les clauses d'un avis d'appel d'offres contraires au droit communautaire mais non attaquées dans les brefs délais prévus à peine de forclusion par les règles procédurales nationales, pour appliquer d'office le droit communautaire chaque fois qu'il est établi que, d'une part, l'application de ce dernier est rendue excessivement difficile ou tout au moins compliquée et que, d'autre part, il existe un intérêt public d'ordre communautaire ou national justifiant cette application?
2) Faut-il déduire la même conséquence de l'article 6, paragraphe 2, UE qui, en prescrivant le respect des droits fondamentaux garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, reprend à son compte le principe de la protection juridictionnelle effective consacré aux articles 6 et 13 de cette convention?»
Sur la première question
Observations soumises à la Cour
32.
Le gouvernement italien fait valoir que c'est le principe de sécurité juridique qui justifie que l'on ne puisse contester un avis d'appel d'offres lorsque plus de 60 jours se sont écoulés depuis la publication de celui-ci. Dans le cas contraire, il serait porté préjudice aux attentes légitimes des concurrents convaincus de la régularité de la procédure d'appel d'offres.
33.
Se référant en outre à la jurisprudence de la Cour selon laquelle, en l'absence de réglementation communautaire, ce serait au droit de chaque État membre qu'il appartient de déterminer les modalités procédurales des recours juridictionnels destinés à assurer la protection des droits conférés aux particuliers par les dispositions du droit communautaire dotées d'un effet direct, le gouvernement italien affirme que les conditions posées par cette jurisprudence sont remplies par la réglementation nationale en cause au principal. Il indique en particulier que l'ordre juridique italien n'opère aucune discrimination, puisque toute violation du droit, qu'il s'agisse du droit national ou du droit communautaire, par un acte administratif peut entraîner l'annulation de celui-ci et que rien ne fait obstacle à une application effective du droit communautaire.
34.
Le gouvernement italien soutient également que reconnaître à la juridiction nationale la possibilité d'écarter l'application des règles procédurales nationales lorsque l'acte illégal est attaqué pour violation du droit communautaire aurait pour effet de faire varier de manière injustifiée la protection des droits des particuliers selon que ces droits résultent du droit communautaire ou du droit interne.
35.
Le gouvernement français considère qu'une juridiction nationale n'est pas tenue d'apprécier d'office la compatibilité d'un acte de droit interne avec une disposition de droit communautaire lorsque cet acte n'a pas été attaqué dans le délai prévu par les règles nationales de procédure.
36.
Les règles de forclusion en cause au principal constitueraient des dispositions d'ordre public, qui ne sauraient être ignorées par les parties ou par la juridiction nationale. En particulier, le délai de forclusion de 60 jours viserait à mettre en oeuvre le principe de sécurité juridique, en encadrant et en limitant dans le temps la faculté de contester les clauses d'un appel d'offres. Ce délai ne saurait être considéré comme rendant en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire.
37.
Selon le gouvernement français, c'est seulement dans l'hypothèse où le pouvoir adjudicateur aurait, par son attitude, contribué au non-respect du délai de forclusion qu'il serait envisageable de reconnaître à l'intéressé, outre la possibilité d'obtenir une indemnisation pour le préjudice subi, la faculté d'introduire un recours après l'expiration dudit délai. Toutefois, il considère que, en l'espèce au principal, Santex ne pouvait ignorer la nécessité de se prémunir contre toute éventualité en introduisant, dans le délai, un recours à l'encontre de l'avis d'appel d'offres en cause au principal, tout en poursuivant ses discussions avec le pouvoir adjudicateur.
38.
Le gouvernement autrichien considère que, par sa première question, la juridiction de renvoi vise à savoir si les dispositions du droit communautaire en matière de marchés publics font obstacle à l'application de règles de forclusion résultant du droit interne. Il en déduit qu'il convient de se référer à la directive 89/665.
39.
Compte tenu que cette directive ne comporterait aucune disposition soumettant l'introduction de recours, dans le cadre d'une procédure d'attribution de marchés publics, à des délais de forclusion, les États membres pourraient réglementer cette matière à la double condition que les objectifs de ladite directive ne soient pas contournés et que les principes d'effectivité et d'égalité de traitement découlant du traité CE soient respectés.
40.
Le gouvernement autrichien ajoute que les dispositions nationales en cause au principal ont pour effet non seulement d'accélérer la procédure d'appel d'offres, mais également de réduire le risque de recours abusifs, tout en favorisant la protection des droits de l'ensemble des soumissionnaires. Ces dispositions ne porteraient aucunement atteinte aux principes d'effectivité et d'égalité. Dès lors, la directive 89/665 ne ferait pas obstacle à leur application.
41.
La Commission soutient également que, le litige au principal ayant trait à un marché public, c'est à la lumière de la directive 89/665 qu'il convient d'examiner la première question.
42.
À cet égard, elle relève que ladite directive prévoit l'obligation, pour les États membres, de veiller à ce que les décisions prises par le pouvoir adjudicateur puissent faire l'objet de recours efficaces et rapides, permettant d'annuler les décisions illégales, indépendamment du fait qu'une décision précédente ait ou non été attaquée dans les délais impartis. Or, tant une décision d'exclusion d'un appel d'offres qu'une décision d'attribution de marché constitueraient des décisions prises par le pouvoir adjudicateur au sens de cette directive.
Appréciation de la Cour
43.
À titre liminaire, il convient de rappeler que, ainsi qu'il a été exposé aux points 22 et 23 du présent arrêt, la juridiction de renvoi tient pour acquis que la clause litigieuse est incompatible tant avec l'article 22 de la directive 93/36 qu'avec l'article 13 du décret-loi no 358/1992.
44.
Toutefois, ainsi qu'elle le précise dans son ordonnance de renvoi, elle ne saurait déclarer recevable le recours au principal dans la mesure où elle fait application des règles de procédure nationales en vertu desquelles, une fois écoulé le délai imparti pour exercer un recours contre un avis d'appel d'offres, sont irrecevables également tous les moyens de droit tirés de l'illégalité prétendue de cet avis pour contester une autre décision du pouvoir adjudicateur.
45.
En outre, il ressort de l'ordonnance de renvoi que le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia considère que le comportement du pouvoir adjudicateur dans l'affaire au principal a rendu impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire au soumissionnaire lésé par la clause litigieuse.
46.
Il apparaît donc que la juridiction de renvoi souhaite être éclairée sur le point de savoir si, dans ces conditions, elle est tenue, en vertu du droit communautaire, de laisser inappliquées les règles nationales de forclusion, afin de déclarer recevable le moyen tiré d'une violation du droit communautaire par la clause litigieuse, qui est soulevé à l'appui du recours introduit à l'encontre de décisions que le pouvoir adjudicateur a adoptées ultérieurement sur le fondement de cette clause.
47.
Or, il convient de relever à cet égard que les modalités du contrôle juridictionnel des décisions adoptées dans le cadre des procédures de passation de marchés publics ne sont pas visées par la directive 93/36, mais relèvent uniquement de la directive 89/665. Celle-ci établit les conditions minimales auxquelles doivent répondre les procédures de recours instaurées dans les ordres juridiques nationaux, afin de garantir le respect des prescriptions du droit communautaire en matière de marchés publics.
48.
Au vu des considérations qui précèdent, il convient de comprendre la première question comme demandant, en substance, si la directive 89/665 doit être interprétée en ce sens que, dès lors qu'il est établi que, par son comportement, un pouvoir adjudicateur a rendu impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire à un ressortissant de l'Union lésé par une décision de ce pouvoir adjudicateur, elle impose aux juridictions nationales compétentes l'obligation d'admettre comme recevables les moyens de droit tirés de l'incompatibilité avec le droit communautaire de l'avis d'appel d'offres qui sont soulevés à l'appui d'un recours introduit à l'encontre de ladite décision, en faisant usage, le cas échéant, de la possibilité prévue par le droit national de laisser inappliquées les règles nationales de forclusion qui prescrivent que, passé le délai de recours à l'encontre de l'avis d'appel d'offres, il n'est plus possible d'invoquer une telle incompatibilité.
49.
En vue de répondre à la question ainsi reformulée, il convient de rappeler que la Cour a déjà eu l'occasion de se prononcer de manière générale sur la compatibilité avec la directive 89/665 de règles nationales instaurant des délais de forclusion dans le cadre des recours formés à l'encontre de décisions de pouvoirs adjudicateurs visées par cette directive.
50.
En effet, au point 79 de son arrêt du 12 décembre 2002, Universale-Bau e.a. (C-470/99, non encore publié au Recueil), la Cour a jugé que la directive 89/665 ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit que tout recours contre une décision du pouvoir adjudicateur doit être formé dans un délai prévu à cet effet et que toute irrégularité de la procédure d'adjudication invoquée à l'appui de ce recours doit être soulevée dans le même délai, sous peine de forclusion, de sorte que, passé ce délai, il n'est plus possible de contester une telle décision ou de soulever une telle irrégularité, pour autant que le délai en question soit raisonnable.
51.
En particulier, la Cour a constaté que, s'il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de définir les conditions de délai concernant les recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits conférés par le droit communautaire aux candidats et soumissionnaires lésés par des décisions des pouvoirs adjudicateurs, ces conditions ne doivent pas porter atteinte à l'effet utile de la directive 89/665, qui vise à assurer que les décisions illégales de ces pouvoirs adjudicateurs puissent faire l'objet de recours efficaces et aussi rapides que possible (arrêt Universale-Bau e.a., précité, points 71, 72 et 74).
52.
C'est dans ces conditions que la Cour a relevé que la fixation de délais de recours raisonnables à peine de forclusion satisfait, en principe, à l'exigence d'effectivité découlant de la directive 89/665, dans la mesure où elle constitue une application du principe de sécurité juridique (arrêt Universale-Bau e.a., précité, point 76).
53.
Il convient dès lors de vérifier si le délai de forclusion en cause au principal satisfait aux exigences de la directive 89/665, telles que dégagées par la jurisprudence rappelée aux points 50 à 52 du présent arrêt.
54.
À cet égard, il y a lieu de relever, d'une part, que le délai de forclusion de 60 jours applicable en matière de marchés publics en vertu de l'article 36, paragraphe 1, du décret royal n° 1054/1924, tel qu'interprété par le Consiglio di Stato, apparaît raisonnable au regard tant de la finalité de la directive 89/665 que du principe de sécurité juridique.
55.
D'autre part, il y a lieu de constater qu'un tel délai, qui court à compter de la date de la notification de l'acte ou de la date à laquelle il apparaît que l'intéressé en a eu pleinement connaissance, est également conforme au principe d'effectivité, dans la mesure où il n'est pas en lui-même de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits que l'intéressé tire, le cas échéant, du droit communautaire.
56.
Cependant, pour l'application du principe d'effectivité, chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l'application du droit communautaire doit être analysé en tenant compte notamment de la place de cette disposition dans l'ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités (voir arrêt du 14 décembre 1995, Peterbroeck, C-312/93, Rec. p. I-4599, point 14).
57.
Dès lors, si un délai de forclusion tel que celui en cause au principal n'est pas en soi contraire au principe d'effectivité, l'on ne saurait exclure que, dans le cadre des circonstances particulières de l'affaire soumise à la juridiction de renvoi, l'application de ce délai puisse entraîner une violation dudit principe.
58.
Dans cette perspective, il y a lieu de prendre en considération la circonstance que, en l'occurrence, si la clause litigieuse a été portée à la connaissance des intéressés au moment de la publication de l'avis d'appel d'offres, le pouvoir adjudicateur a, par son comportement, créé un état d'incertitude quant à l'interprétation à donner à cette clause et que cette incertitude n'a été levée que par l'adoption de la décision d'exclusion.
59.
En effet, ainsi qu'il ressort des informations fournies par la juridiction de renvoi, l'USL a laissé entendre dans un premier temps qu'elle tiendrait compte des réserves émises par Santex et qu'elle n'appliquerait pas la condition économique énoncée par la clause litigieuse au stade de l'admission des offres. C'est seulement par le biais de la décision d'exclusion, qui a écarté de la procédure d'appel d'offres tous les soumissionnaires qui ne remplissaient pas ladite condition, que le pouvoir adjudicateur a exprimé sa position définitive quant à l'interprétation de la clause litigieuse.
60.
Il convient donc d'admettre que, en l'espèce au principal, ce n'est qu'au moment où il a été informé de la décision d'exclusion que le soumissionnaire lésé a pu prendre connaissance de l'interprétation que le pouvoir adjudicateur faisait effectivement de cette clause de l'avis d'appel d'offres. Or, compte tenu que, à ce stade, le délai imparti pour l'introduction d'un recours contre ledit avis avait déjà expiré, ce soumissionnaire a été privé, en vertu des règles de forclusion, de toute possibilité de faire valoir en justice, à l'encontre des décisions ultérieures lui portant préjudice, l'incompatibilité de cette interprétation avec le droit communautaire.
61.
En l'espèce au principal, le comportement changeant du pouvoir adjudicateur peut être considéré, eu égard à l'existence d'un délai de forclusion, comme ayant rendu excessivement difficile l'exercice par le soumissionnaire lésé des droits qui lui sont conférés par l'ordre juridique communautaire.
62.
La juridiction de renvoi étant seule compétente pour interpréter et appliquer la réglementation nationale, il lui appartient, dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, d'interpréter, dans toute la mesure du possible, les règles instaurant ce délai de forclusion de manière à assurer le respect du principe d'effectivité découlant de la directive 89/665.
63.
En effet, ainsi qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour, il appartient à la juridiction nationale de donner à la loi interne qu'elle doit appliquer, dans toute la mesure du possible, une interprétation conforme aux exigences du droit communautaire (voir, notamment, arrêts du 5 octobre 1994, Van Munster, C-165/91, Rec. p. I-4661, point 34, et du 26 septembre 2000, Engelbrecht, C-262/97, Rec. p. I-7321, point 39).
64.
Si une telle application conforme n'est pas possible, la juridiction nationale a l'obligation d'appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant au besoin inappliquée toute disposition nationale dans la mesure où son application, dans les circonstances de l'espèce, aboutirait à un résultat contraire au droit communautaire (voir, notamment, arrêts du 5 mars 1998, Solred, C-347/96, Rec. p. I-937, point 30, et Engelbrecht, précité, point 40).
65.
Il s'ensuit que, dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, il incombe à la juridiction de renvoi d'assurer le respect du principe d'effectivité découlant de la directive 89/665, en appliquant son droit national de manière à permettre au soumissionnaire lésé par une décision du pouvoir adjudicateur adoptée en violation du droit communautaire de sauvegarder la possibilité de soulever des moyens de droit tirés de cette violation à l'appui de recours formés à l'encontre d'autres décisions du pouvoir adjudicateur, en faisant usage, le cas échéant, de la possibilité, qui résulte, selon cette juridiction, de l'article 5 de la loi no 2248/1865, de laisser inappliquées les règles nationales de forclusion régissant ces recours.
66.
Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question préjudicielle que la directive 89/665 doit être interprétée en ce sens que, dès lors qu'il est établi que, par son comportement, un pouvoir adjudicateur a rendu impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire à un ressortissant de l'Union lésé par une décision de ce pouvoir adjudicateur, elle impose aux juridictions nationales compétentes l'obligation d'admettre comme recevables les moyens de droit tirés de l'incompatibilité avec le droit communautaire de l'avis d'appel d'offres qui sont soulevés à l'appui d'un recours introduit à l'encontre de ladite décision, en faisant usage, le cas échéant, de la possibilité prévue par le droit national de laisser inappliquées les règles nationales de forclusion qui prescrivent que, passé le délai de recours à l'encontre de l'avis d'appel d'offres, il n'est plus possible d'invoquer une telle incompatibilité.
Sur la seconde question
67.
Eu égard à la réponse fournie à la première question, il n'y a pas lieu de répondre à la seconde question.
Sur les dépens
68.
Les frais exposés par les gouvernements italien, français et autrichien, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia, par ordonnance du 23 juin 2000, dit pour droit:
La directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, doit être interprétée en ce sens que, dès lors qu'il est établi que, par son comportement, un pouvoir adjudicateur a rendu impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire à un ressortissant de l'Union lésé par une décision de ce pouvoir adjudicateur, elle impose aux juridictions nationales compétentes l'obligation d'admettre comme recevables les moyens de droit tirés de l'incompatibilité avec le droit communautaire de l'avis d'appel d'offres qui sont soulevés à l'appui d'un recours introduit à l'encontre de ladite décision, en faisant usage, le cas échéant, de la possibilité prévue par le droit national de laisser inappliquées les règles nationales de forclusion qui prescrivent que, passé le délai de recours à l'encontre de l'avis d'appel d'offres, il n'est plus possible d'invoquer une telle incompatibilité.
Puissochet Schintgen
Skouris
Macken Cunha Rodrigues
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 février 2003.
Le greffier
Le président de la sixième chambre
R. Grass
J.-P. Puissochet
1: Langue de procédure: l'italien.
(Source : Communautés européennes, 1995-2006)
Voir également
CJCE, 27 février 2003, affaire C-327/00, Santex (Conclusions de l'avocat général)