
CE, 17 mars 2025, Eiffage Construction Sud-Est, n° 491682 - Travaux supplémentaires dans un marché à forfait
Le titulaire d'un marché public de travaux à marché à prix forfaitaire peut prétendre au paiement de travaux supplémentaires exécutés sur demande verbale du maître d'ouvrage ou du maître d'œuvre.
Le Conseil d'État rappelle et précise les conditions dans lesquelles le titulaire d'un marché public de travaux conclu à prix global et forfaitaire peut prétendre au paiement de travaux supplémentaires. Dès lors que les travaux sont exécutés à la demande, même verbale, du maître d'ouvrage ou du maître d'œuvre, le titulaire du marché a droit à leur paiement, quand bien même cette demande n'aurait pas fait l'objet d'un ordre de service. En revanche, lorsque le titulaire exécute de sa propre initiative des travaux supplémentaires, leur paiement n'est dû que s'ils étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art.
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000051347271
Résumé
La société Eiffage Construction Sud-Est a conclu avec l'office public de l'habitat Toulon Habitat Méditerranée un marché à prix global et forfaitaire relatif à la construction de 122 logements sociaux. À l'issue des travaux, un différend est apparu concernant le paiement du solde du marché, notamment au titre de prestations supplémentaires et modificatives réalisées par le titulaire. La société a alors saisi le tribunal administratif de Toulon pour obtenir le paiement de ces sommes.
En première instance, le tribunal a partiellement fait droit à la demande du titulaire en condamnant l'office public à lui verser une somme de 52 517,63 euros HT. Sur appel principal de l'office et appel incident de la société Eiffage, la cour administrative d'appel de Marseille a réduit cette condamnation, estimant que les travaux supplémentaires et modificatifs ne pouvaient être rémunérés qu'à la condition qu'ils aient été prescrits par un ordre de service régulier ou, à défaut, qu'ils aient été indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art. Pour la cour, le simple fait que ces travaux aient été réalisés sur ordre du maître d'œuvre ne suffisait pas, en l'absence d'ordre de service régulièrement émis, à ouvrir droit à leur rémunération.
Le Conseil d'État censure cette analyse en rappelant que lorsque le titulaire d'un marché à prix global et forfaitaire exécute des travaux supplémentaires à la demande du maître d'ouvrage ou du maître d'œuvre, cette demande fût-elle simplement verbale, il a droit au paiement de ces travaux, même en l'absence d'un ordre de service formalisé comme le prévoient pourtant les stipulations du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux. Il précise en revanche que si le titulaire exécute ces travaux de sa propre initiative, leur paiement n'est dû que s'ils étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art.
Cette décision s'inscrit dans le prolongement d'une jurisprudence classique du Conseil d'État qui précise l'encadrement du pouvoir de modification unilatérale du contrat par le maître d'ouvrage, tout en reconnaissant au titulaire du marché le droit à être rémunéré pour les prestations supplémentaires qu'il a été amené à réaliser sur demande de son cocontractant, indépendamment du respect des formalités prévues par les documents contractuels. Elle confirme ainsi le caractère substantiel du droit à paiement du titulaire pour tout travail réalisé à la demande du maître d'ouvrage, quelles que soient les formalités prévues par le contrat.
Modalités de paiement des travaux supplémentaires dans un marché à prix forfaitaire
Le droit au paiement des travaux supplémentaires réalisés sur demande verbale du maître d'ouvrage ou du maître d'œuvre
Le Conseil d'État réaffirme le principe selon lequel le titulaire d'un marché public de travaux conclu à prix global et forfaitaire peut prétendre au paiement de travaux supplémentaires lorsqu'ils ont été exécutés à la demande du maître d'ouvrage ou du maître d'œuvre, y compris lorsque cette demande n'a pas pris la forme d'un ordre de service écrit et formalisé comme le prévoient pourtant les stipulations de l'article 14 du CCAG-Travaux.
La Haute juridiction rappelle la primauté du caractère substantiel des relations contractuelles sur les considérations purement formelles. Une demande de travaux supplémentaires émanant du maître d'ouvrage ou du maître d'œuvre engage la responsabilité contractuelle de l'acheteur public, indépendamment du respect des procédures formelles prévues par les documents contractuels.
En l'espèce, la société Eiffage Construction Sud-Est avait réalisé des travaux modificatifs et supplémentaires sur demande du maître d'œuvre, sans que cette demande ait pris la forme d'un ordre de service. La cour administrative d'appel avait estimé que l'absence d'un ordre de service régulièrement émis faisait obstacle au paiement de ces travaux. C'est précisément cette analyse qui est censurée par le Conseil d'État, au motif qu'elle constitue une erreur de droit.
La distinction avec les travaux supplémentaires réalisés à l'initiative du titulaire
Le Conseil d'État rappelle également la distinction entre les travaux supplémentaires exécutés à la demande du maître d'ouvrage ou du maître d'œuvre et ceux réalisés à l'initiative du titulaire du marché. Dans ce second cas, le droit au paiement est strictement encadré : il n'est reconnu que si les travaux en question étaient « indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art ».
Lorsque les travaux supplémentaires sont réalisés sur demande du maître d'ouvrage ou du maître d'œuvre, ils sont présumés nécessaires et doivent donc être rémunérés, quelles que soient les formalités prévues par le contrat. En revanche, lorsque le titulaire prend l'initiative de réaliser des travaux non prévus au contrat, il ne peut prétendre à leur paiement que s'il établit qu'ils étaient indispensables à la bonne réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art.
Texte
[...]
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Eiffage Construction Sud-Est a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'office public de l'habitat Toulon Habitat Méditerranée à lui payer la somme de 60 729,49 euros hors taxes au titre du solde d'un marché public de travaux relatif à la construction de 122 logements sociaux, conclu à prix global et forfaitaire en 2015. Par un jugement du 16 février 2023, le tribunal administratif de Toulon a condamné cet office à lui verser la somme de 52 517,63 euros hors taxes, assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 février 2020. Par un arrêt du 11 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur l'appel principal de l'office, ramené le montant de la condamnation prononcée par ce jugement à la somme de 9 695 euros hors taxes, assortie des intérêts au taux de 8 % à compter du 19 février 2020, avec capitalisation à la date du 15 juin 2023, et rejeté le surplus des conclusions des parties, notamment certaines conclusions de l'appel incident de la société Eiffage Construction Sud-Est. Cette société se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il a statué sur l'appel principal de l'office public de l'habitat Toulon Habitat Méditerranée au titre des prestations supplémentaires et modificatives :
2. Aux termes de l'article 14 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux, dans sa version applicable au litige : " 14.1. Le présent article concerne les prestations supplémentaires ou modificatives, dont la réalisation est nécessaire au bon achèvement de l'ouvrage, qui sont notifiées par ordre de service et pour lesquelles le marché n'a pas prévu de prix. / (...) 14.3. Dans le cas de travaux réglés sur prix forfaitaires, lorsque des changements sont ordonnés par le maître d'œuvre dans la consistance des travaux, le prix nouveau est réputé tenir compte des charges supplémentaires éventuellement supportées par le titulaire du fait de ces changements (...) ".
3. Lorsque le titulaire d'un marché public de travaux conclu à prix global et forfaitaire exécute des travaux supplémentaires à la demande, y compris verbale, du maître d'ouvrage ou du maître d'œuvre, il a droit au paiement de ces travaux, quand bien même la demande qui lui en a été faite n'a pas pris la forme d'un ordre de service notifié conformément à ce que prévoient en principe les stipulations du cahier des clauses administratives générales. En revanche, lorsque le titulaire du marché exécute de sa propre initiative des travaux supplémentaires, il n'a droit au paiement de ces travaux que s'ils étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art.
4. Il s'ensuit qu'en jugeant que les travaux modificatifs et supplémentaires dont la société Eiffage Construction Sud-Est réclamait le paiement ne pouvaient être rémunérés qu'à la condition que leur réalisation ait été prescrite par un ordre de service régulier ou, à défaut, qu'il soit établi qu'ils étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art et en retenant en l'espèce que la circonstance qu'il aient été réalisés sur l'ordre du maître d'œuvre ne suffisait pas, en l'absence d'ordre de service régulièrement émis, à ouvrir droit à leur rémunération, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède que la société Eiffage Construction Sud-Est est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens qu'elle soulève contre l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il a statué sur l'appel principal de l'office public de l'habitat Toulon Habitat Méditerranée au titre des prestations supplémentaires et modificatives, à demander l'annulation des articles 1er et 2 de cet arrêt en tant qu'ils ont statué sur le paiement de ces prestations.
[...]
MAJ 22/03/25 - Source legifrance
Jurisprudence