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Indemnisation possible des sujétions imprévues dans les marchés à forfait sous conditions strictes. Importance du respect des règles de preuve dans l'examen des pièces produites. Droit à indemnisation des travaux supplémentaires indispensables ou demandés par le maître d'ouvrage. Clarification de la charge de la preuve concernant l'imputabilité des travaux supplémentaires. Nécessité d'une motivation suffisante sur tous les éléments de demande.
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000045897020
Résumé
Le Conseil d'État, dans sa décision du 10 juin 2022, rappelle les conditions strictes d'indemnisation des sujétions imprévues dans les marchés à forfait et précise le droit à indemnisation des travaux supplémentaires, qu'ils soient indispensables ou demandés par le maître d'ouvrage.
Dans les marchés publics de travaux à forfait, le titulaire peut prétendre à une indemnisation pour sujétions imprévues si celles-ci présentent un caractère exceptionnel et imprévisible, ont une cause extérieure aux parties et bouleversent l'économie générale du marché. Par ailleurs, les travaux supplémentaires peuvent être indemnisés s'ils sont indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art ou s'ils ont été demandés par le maître d'ouvrage, même en l'absence d'ordre de service. L'appréciation de ces conditions relève du juge du fond, qui doit motiver suffisamment sa décision et respecter les règles de preuve.
En l'espèce, le Conseil d'État a validé le rejet de l'indemnisation des sujétions imprévues faute de preuve d'un bouleversement de l'économie du contrat. En revanche, il a censuré l'arrêt de la cour administrative d'appel pour insuffisance de motivation et erreur de droit concernant certains aspects des travaux supplémentaires, notamment sur la charge de la preuve de leur imputabilité et sur l'indemnisation de travaux réalisés à la demande du maître d'ouvrage.
Cette affaire concerne un litige entre la société Voirie Assainissement Travaux Publics (VATP) et le syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) de la communauté du Béthunois relatif à l'exécution de deux lots d'un marché public de travaux.
La société VATP était titulaire des lots n°1 "Voirie Réseaux Divers" et n°2 "Gros Œuvre" d'un marché portant sur l'extension d'un EHPAD et la réhabilitation d'une résidence à Béthune. Elle réclamait le paiement de travaux supplémentaires et l'indemnisation de sujétions imprévues.
Après un recours infructueux devant le comité consultatif interrégional de règlement amiable des litiges, la société a saisi le tribunal administratif de Lille. Sa demande a été rejetée comme irrecevable par ordonnance.
En appel, la cour administrative d'appel de Douai a annulé cette ordonnance et partiellement fait droit aux demandes de la société, la condamnant à verser 214 614,55 euros au titre du solde des marchés. Le surplus des conclusions a été rejeté.
La société VATP s'est pourvue en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions.
Le Conseil d'État examine successivement les différents chefs de demande de la société requérante :
Le Conseil d'État rappelle le principe selon lequel "Même si un marché public a été conclu à prix forfaitaire, son titulaire a droit à être indemnisé des dépenses exposées en raison de sujétions imprévues, c'est-à-dire de sujétions présentant un caractère exceptionnel et imprévisible et dont la cause est extérieure aux parties, si ces sujétions ont eu pour effet de bouleverser l'économie générale du marché."
En l'espèce, le Conseil d'État rejette le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêt attaqué sur ce point. Il estime que la cour a pu, sans erreur, se borner à indiquer qu'il "ne résulte pas de l'instruction que les surcoûts allégués auraient conduit à un bouleversement de l'économie des contrats des lots n°s 1 ou 2", dès lors que les écritures de la société n'établissaient pas ce bouleversement.
Le Conseil d'État rejette le moyen tiré de la dénaturation des pièces du dossier et de la méconnaissance des règles de preuve. Il relève que la société n'avait pas présenté d'argumentation précise sur l'application de la clause d'actualisation négative des prix prévue au CCAP.
En revanche, le Conseil d'État censure l'arrêt attaqué pour erreur de droit sur ce point. Il estime que la cour a méconnu les règles de preuve en écartant les éléments produits par la société (tableau des dates d'émission et de règlement des factures) alors que le SIVOM ne les avait pas contestés.
Le Conseil d'État rappelle le principe selon lequel "Le caractère global et forfaitaire du prix du marché ne fait pas obstacle à ce que l'entreprise cocontractante sollicite une indemnisation au titre de travaux supplémentaires effectués, même sans ordre de service, dès lors que ces travaux étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art. Dans ce cadre, l'entreprise peut également solliciter l'indemnisation des travaux supplémentaires utiles à la personne publique contractante lorsqu'ils sont réalisés à sa demande."
Le Conseil d'État examine ensuite plusieurs aspects des travaux supplémentaires :
a) Il valide le raisonnement de la cour concernant l'indemnisation des travaux liés à la découverte de longrines.
b) Il censure l'arrêt pour insuffisance de motivation concernant certains frais liés à l'allongement de la durée du chantier.
c) Il censure également l'arrêt pour erreur de droit concernant la charge de la preuve sur l'imputabilité des travaux supplémentaires liés à l'allongement du chantier.
d) Enfin, il censure l'arrêt pour erreur de droit concernant le rejet de l'indemnisation de travaux d'adaptation réalisés à la demande du maître d'ouvrage.
Cette décision du Conseil d'État apporte plusieurs précisions :
En conséquence, le Conseil d'État annule partiellement l'arrêt attaqué et renvoie l'affaire devant la cour administrative d'appel de Douai pour un nouvel examen des points censurés.
Texte
[...]
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Voirie Assainissement Travaux Publics (VATP) a été désignée par le syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) de la communauté du Béthunois attributaire des lots n° l " Voirie Réseaux Divers " et n° 2 " Gros Œuvre " d'un marché public de travaux relatif à l'extension de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Frédéric Degeorge et à la réhabilitation de la résidence Sully à Béthune. La société VATP a souhaité obtenir rémunération de travaux supplémentaires et la prise en charge des incidences financières des aléas et sujétions qu'elle estime avoir subis lors de l'exécution de ce marché. Après avoir porté le litige devant le comité consultatif interrégional de règlement amiable des litiges de Nancy, qui a rendu un avis le 4 novembre 2016, la société a saisi le tribunal administratif de Lille d'une requête tendant à obtenir le versement d'une somme de 46 755 euros, assortie des intérêts moratoires, au titre de situations impayées sur le solde du marché, d'une somme de 35 103 euros au titre d'intérêts moratoires pour paiement tardif de certaines situations de travaux, d'une somme de 433 367 euros au titre de travaux supplémentaires et d'une somme de 1 566 973 euros pour une rémunération complémentaire. Par un arrêt du 4 février 2021, la cour administrative d'appel de Douai a, en premier lieu, annulé l'ordonnance du 21 janvier 2019 du président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Lille qui a rejeté, pour irrecevabilité manifeste, les demandes de la société VATP, en deuxième lieu, condamné le SIVOM de la communauté du Béthunois à verser à cette société une somme de 214 614,55 euros assortie des intérêts moratoires et, en dernier lieu, rejeté le surplus des conclusions de cette dernière. La société VATP doit être regardée comme demandant l'annulation de l'article 5 de cet arrêt.
Sur la somme réclamée au titre des sujétions imprévues :
2. Même si un marché public a été conclu à prix forfaitaire, son titulaire a droit à être indemnisé des dépenses exposées en raison de sujétions imprévues, c'est-à-dire de sujétions présentant un caractère exceptionnel et imprévisible et dont la cause est extérieure aux parties, si ces sujétions ont eu pour effet de bouleverser l'économie générale du marché.
3. Contrairement à ce que soutient la société requérante dont les écritures n'établissaient pas que les surcoûts des travaux dont elle demandait l'indemnisation au titre des sujétions imprévues avaient eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat, la cour a pu, sans entacher son arrêt d'insuffisance de motivation, se borner, pour rejeter ces conclusions, à indiquer qu'il " ne résulte pas de l'instruction que les surcoûts allégués auraient conduit à un bouleversement de l'économie des contrats des lots n°s 1 ou 2 ".
Sur la somme réclamée au titre de trois situations de travaux impayées :
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société VATP n'a présenté, ni devant le tribunal administratif ni devant la cour administrative d'appel, d'argumentation précise au soutien de sa contestation relative à l'intégration de l'actualisation négative des prix prévue par l'article 3.5 du cahier des clauses administratives particulières alors qu'il lui appartenait d'établir que l'application de ces stipulations ne résultait pas dans l'actualisation retenue par le SIVOM et les premiers juges. Dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la cour aurait méconnu les règles régissant la charge de la preuve et dénaturé les pièces du dossier.
Sur la somme réclamée au titre d'intérêts moratoires pour paiement tardif de situations de travaux :
5. La cour administrative d'appel a estimé que la société VATP, qui n'a pas produit les seize factures réglées postérieurement au 1er janvier 2013 ni apporté la preuve de la date de leur règlement, n'établissait pas un retard de paiement susceptible de faire courir les intérêts moratoires. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la société VATP a produit un tableau mentionnant les dates d'émission de ces factures et de leur règlement que le SIVOM de la communauté du Béthunois n'a pas contesté. En l'absence de toute explication ou justification fournie par le SIVOM, les allégations précises et circonstanciées de la société requérante doivent être regardées comme établies. Dès lors, la cour, qui a méconnu les règles régissant la charge de la preuve, a commis une erreur de droit.
Sur les travaux supplémentaires :
6. Le caractère global et forfaitaire du prix du marché ne fait pas obstacle à ce que l'entreprise cocontractante sollicite une indemnisation au titre de travaux supplémentaires effectués, même sans ordre de service, dès lors que ces travaux étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art. Dans ce cadre, l'entreprise peut également solliciter l'indemnisation des travaux supplémentaires utiles à la personne publique contractante lorsqu'ils sont réalisés à sa demande.
7. En premier lieu, s'agissant des travaux supplémentaires concernant la découverte de longrines, la cour administrative d'appel, en estimant qu'eu égard aux durées de réalisation des travaux supplémentaires et à l'immobilisation des équipes de l'entreprise, la somme de 56 666,26 euros, indispensable à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art, devait être mise à la charge du SIVOM de la communauté du Béthunois, a suffisamment motivé son arrêt.
8. En deuxième lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, s'agissant de l'allongement de la durée du chantier correspondant au lot n° 1, si la cour administrative d'appel a répondu à la demande d'indemnisation des surcoûts liés au renforcement de l'encadrement du chantier pour réaliser des tâches non prévues, elle ne s'est pas prononcée sur les frais liés à l'allongement de la durée de mobilisation de l'encadrement ni sur les pertes d'amortissement des frais généraux sur le chiffre d'affaires dont la société VATP demandait également l'indemnisation. Elle a, dès lors, entaché son arrêt d'insuffisance de motivation sur ces conclusions.
9. En troisième lieu, la cour administrative d'appel en estimant que les travaux supplémentaires liés à l'allongement de la durée du chantier correspondant au lot n° 1 n'étaient pas étrangers à la société VATP, sans rechercher, pour écarter l'indemnisation de ces travaux supplémentaires, si un défaut d'exécution était effectivement imputable à cette société, a renversé la charge de la preuve et ainsi commis une erreur de droit.
10. En quatrième et dernier lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a rejeté une partie des conclusions de la société VATP tendant à l'indemnisation de travaux supplémentaires correspondant à des travaux d'adaptation entre le bâtiment " Cantou " et un muret en pierre aux motifs que la totalité de ces travaux n'étaient pas indispensables. En statuant ainsi alors qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juges du fond, notamment des observations du maître d'œuvre, agissant pour le compte du maître de l'ouvrage, sur le projet de décompte final établi par la société VATP, que ces travaux ont été réalisés à la demande du maître de l'ouvrage, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.
11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'article 5 de l'arrêt attaqué doit être annulé en tant qu'il a rejeté les demandes de la société VATP relatives aux intérêts moratoires pour paiement tardif de situations de travaux, aux travaux supplémentaires liés à l'allongement de la durée du chantier correspondant au lot n° 1 et aux travaux supplémentaires correspondant à des travaux d'adaptation entre le bâtiment " Cantou " et un muret en pierre.
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du SIVOM de la communauté du Béthunois la somme de 3 000 euros à verser à la société VATP, au titre de l'article L761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font, en revanche, obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de cette société qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante
[...]
MAJ 20/06/22 - Source Legifrance