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CAA Bordeaux, 21 mai 2024, n° 22BX01326, mémoire en réclamation prématuré

CAA Bordeaux, 21 mai 2024, n° 22BX01326, mémoire en réclamation et inexécution partielle des prestations  

L'inexécution partielle des prestations peut justifier l'application de pénalités ou une réfaction sur le prix, mais ne permet pas un refus total de paiement. Respect des procédures contractuelles et des modalités de réclamation dans l'exécution des marchés publics. Droits des titulaires de marchés en matière de paiement et de recours en cas de différend avec l'acheteur public.

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/CETATEXT000049592098

Contexte et faits de l'affaire

L'arrêt commenté concerne un contentieux entre la communauté d'agglomération Grand Châtellerault et la société SAUR relatif à l'exécution d'un marché public de services. En 2013, la commune de Dangé-Saint-Romain a conclu un marché avec la SAUR pour l'exploitation et l'entretien d'infrastructures d'assainissement, marché transféré à la communauté d'agglomération en 2017. En 2018, estimant que la SAUR n'avait pas rempli certaines de ses obligations contractuelles, la communauté a refusé de payer plusieurs factures émises par la SAUR, ce qui a conduit cette dernière à saisir le tribunal administratif.

Recevabilité de la demande et mémoire en réclamation

Le premier point de droit de cet arrêt concerne la recevabilité de la demande de la SAUR devant le tribunal administratif. La question est celle du respect de la procédure de réclamation prévue par l'article 34.1 du CCAG FCS (cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de fournitures courantes et de services) dans sa rédaction issue du décret du 27 mai 1977. Selon cette disposition, en cas de différend, le titulaire du marché doit adresser un mémoire de réclamation détaillé à la personne responsable du marché dans un délai de trente jours.

Dans cette affaire, la communauté d'agglomération a refusé de payer la facture du 19 mars 2019 en invoquant l'absence de service fait. La SAUR a alors adressé un courrier de réclamation le 9 septembre 2019, précisant les prestations réalisées et réitérant sa demande de paiement. Le tribunal administratif avait initialement rejeté la demande de la SAUR, estimant que cette réclamation n'était pas recevable. Cependant, la cour administrative d'appel a jugé que le courrier du 9 septembre 2019 constituait bien un mémoire en réclamation conforme aux exigences du CCAG FCS, annulant ainsi le jugement de première instance.

Modalités de paiement et vérification des prestations

Sur le fond, l'arrêt analyse les modalités de paiement et la vérification des prestations réalisées par la SAUR. Le marché en question prévoyait une rémunération forfaitaire annuelle et des paiements échelonnés. La communauté d'agglomération avait refusé de payer les factures en invoquant des manquements de la SAUR à ses obligations contractuelles, sans toutefois appliquer formellement les pénalités ou procéder aux vérifications prévues par le marché.

La cour a rappelé que l'inexécution partielle des prestations peut justifier l'application de pénalités ou une réfaction sur le prix, mais ne permet pas un refus total de paiement. En l'absence de mesures de vérification adéquates de la part de la communauté d'agglomération, la cour a estimé que la SAUR était en droit de revendiquer le paiement de sa facture.

Conclusion

Cet arrêt illustre l'importance du respect des procédures contractuelles et des modalités de réclamation dans l'exécution des marchés publics. Il rappelle également les droits des titulaires de marchés en matière de paiement et de recours en cas de différend avec l'acheteur public.

[…]

1. Par un marché du 18 novembre 2013, conclu pour un an renouvelable cinq fois, la commune de Dangé-Saint-Romain a confié à la société d'aménagement urbain et rural (SAUR) l'exploitation et l'entretien de l'usine de traitement des eaux usées, des postes de relèvement, des réseaux d'assainissement et d'une micro station autonome. Le marché a été transféré à la communauté d'agglomération Grand Châtellerault à compter du 1er janvier 2017, date à laquelle la commune lui a transféré sa compétence en matière d'assainissement. En mars 2018, la communauté d'agglomération Grand Châtellerault, estimant que la SAUR n'avait pas accompli plusieurs prestations prévues au marché, a proposé à cette dernière de conclure un protocole transactionnel prévoyant, notamment, que la société verse à la collectivité une indemnité de 122 173 euros. La société a refusé de signer ce protocole et a respectivement émis, le 19 février 2018, une facture de 87 851,83 euros toutes taxes comprises (TTC) correspondant au solde de sa rémunération pour l'année 2017, le 9 mars 2018, une facture de 46 951,74 euros TTC correspondant au premier acompte dû pour l'année 2018, et le 9 mai 2018, une facture de 46 951,74 euros TTC correspondant au second acompte de sa rémunération au titre de l'année 2018. La communauté d'agglomération Grand Châtellerault ayant refusé de payer ces factures, la société a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à la condamnation de la communauté d'agglomération à lui verser une somme de 181 755,31 euros TTC correspondant au montant total des trois factures restées impayées. Par un jugement du 26 décembre 2019, le tribunal a rejeté cette demande comme irrecevable, faute pour la société d'avoir adressé au maitre d'ouvrage un mémoire en réclamation dans les conditions prévues à l'article 37-2 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de fournitures courantes et de services. L'appel formé par la société contre ce jugement a été rejeté par une ordonnance du 15 septembre 2020 de la présidente-assesseure de la 7ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux.

2. La SAUR a émis le 19 mars 2019 une nouvelle facture d'un montant de 66 780,45 euros TTC correspondant au solde de sa rémunération pour l'année 2018. Par une décision du 9 juillet 2019, la communauté d'agglomération Grand Châtellerault a refusé de payer cette facture au motif de l'absence de service fait. La société a adressé le 9 septembre 2019 un courrier de réclamation à la collectivité, qui est demeuré sans réponse. Elle a alors saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à la condamnation de la communauté d'agglomération du Grand Châtellerault à lui verser la somme de 66 780,45 euros, ou à titre subsidiaire la somme de 49 240,45 euros, avec intérêts moratoires. Elle relève appel du jugement du 22 mars 2022 par lequel le tribunal a rejeté cette demande.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

3. Aux termes de l'article 34.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de fournitures courantes et de services (CCAG FCS), dans sa rédaction issue du décret du 27 mai 1977, applicable au marché en litige : " Tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l'objet de la part du titulaire d'un mémoire de réclamation qui doit être communiqué à la personne responsable du marché dans le délai de trente jours courant à compter du jour où le différend est apparu ". Lorsqu'intervient, au cours de l'exécution d'un marché, un différend entre le titulaire et l'acheteur résultant d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de ce dernier et faisant apparaître le désaccord, le titulaire doit présenter, dans un délai de trente jours, un mémoire de réclamation, à peine d'irrecevabilité de la saisine du juge du contrat. Un mémoire du titulaire du marché ne peut être regardé comme une réclamation au sens de ces stipulations que s'il comporte l'énoncé d'un différend et expose, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation en indiquant, d'une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d'autre part, les motifs de ces demandes.

4. En l'espèce, le courrier du 9 juillet 2019 de la communauté d'agglomération Grand Châtellerault refusant expressément de payer la facture en litige au motif de l'absence de service fait a fait naître un différend entre les parties au contrat. La date de notification de ce courrier ne ressort d'aucune pièce du dossier. Le courrier de la SAUR du 5 septembre 2019, reçu le 9 septembre suivant, mentionne le refus de la communauté d'agglomération de payer sa facture du 19 mars 2019 ainsi que le motif de ce refus, indique que cette facture a été établie conformément aux montants actualisés du marché qui s'imposent aux parties, ajoute qu'elle a accompli les prestations prévues au marché, en particulier exploité le station d'épuration, les réseaux et le poste de relèvement et trié les matières de vidanges et les graisses jusqu'à l'échéance du marché, et réitère en conséquence sa demande de paiement de cette facture dont le montant est également rappelé. Contrairement à ce que soutient la communauté d'agglomération Grand Châtellerault, ce courrier constitue un mémoire en réclamation au sens des stipulations précitées. La fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance, tirée de l'absence de mémoire en réclamation, doit dès lors être écartée.

Sur le fond :

En ce qui concerne le paiement de la facture émise par la SAUR le 19 mars 2019 :

5. L'acte d'engagement du marché en litige prévoit une rémunération forfaitaire annuelle de 138 000 euros pour l'exploitation et l'entretien de la station d'épuration, des réseaux et des postes de refoulement et une rémunération fixée à 9 euros/m3 pour le traitement des matières de vidanges et à 70 euros/m3 pour le traitement des graisses. L'article 3.2.4 du cahier des clauses particulières (CCP), relatif aux modalités de paiement, précise qu'il sera procédé à trois facturations par an, soit deux acomptes de 30 % du montant de l'année en cours puis une facture afférente au solde de l'année. L'article 3.3 du CCP prévoit les modalités de révision des prix. Son article 4 renvoie au CCAF FCS s'agissant des pénalités applicables pour retard d'exécution et prévoit en outre des pénalités spécifiques à raison du défaut de réalisation de certaines prestations prévues au marché. Le cahier des charges auquel se réfère le marché détaille les prestations incombant au titulaire. Il prévoit, à son article 14, les modalités de contrôle de ces prestations par la collectivité, et, à son article 46, la possibilité pour la collectivité de prendre toutes les mesures nécessaires aux frais et risques du prestataire en cas d'inexécution partielle des prestations prévues au marché.

6. Aux termes de l'article 8-1 du CCAG FCS, dans sa rédaction issue du décret du 27 mai 1977 : " Le titulaire remet à la personne responsable du marché ou à une autre personne désignée à cet effet dans le marché un décompte, une facture ou un mémoire précisant les sommes auxquelles il prétend du fait de l'exécution du marché et donnant tous les éléments de détermination de ces sommes ; il joint, si nécessaire, les pièces justificatives, notamment les tarifs et barèmes appliqués ". Aux termes de l'article 8.2 : " La personne responsable du marché accepte ou rectifie le décompte, la facture ou le mémoire. Elle le complète éventuellement en faisant apparaître les avances à rembourser, les pénalités, les primes et les réfactions imposées. / Le montant de la somme à régler au titulaire est arrêté par la personne responsable du marché. Il est notifié au titulaire si le décompte, la facture ou le mémoire a été modifié ou s'il a été complété comme il est dit à l'alinéa précédent. Passé un délai de trente jours à compter de cette notification, le titulaire est réputé, par son silence, avoir accepté ce montant (...) ". Les articles 18 à 20 du CCAG FCS prévoient les modalités de vérification, par la personne responsable du marché, des prestations réalisées par le titulaire. Aux termes de son article 21 : " (...) A l'issue des opérations de vérification, la personne responsable du marché prend une décision expresse d'admission, d'ajournement, de réfaction ou de rejet (...) Lorsque la personne responsable du marché estime que des fournitures ou des services ne satisfont pas entièrement aux conditions du marché, mais qu'ils présentent des possibilités d'admission en l'état, elle peut prononcer une réfaction qui consiste en une réduction de prix selon l'étendue des imperfections constatées ".

7. Il résulte de l'instruction que la facture en litige émise le 19 mars 2019 par la SAUR porte sur le solde des prestations réalisées en 2018, soit 40 % du prix annuel de ces prestations. Cette facture, qui précise le montant forfaitaire annuel actualisé pour l'exploitation et l'entretien de la station d'épuration, des réseaux et des postes de refoulement, ainsi que le prix unitaire actualisé et la quantité de matières de vidange et de graisse traitées, satisfait aux exigences prévues à l'article 8-1 du CCAG FCS. Il résulte du courrier de la communauté d'agglomération Grand Châtellerault du 9 juillet 2019 que cette dernière a refusé de payer cette facture au motif que la société n'avait pas accompli un certain nombre de prestations prévues au marché, en particulier la gestion technique des conventions de déversement, la facturation des industriels et autres usagers, les analyses annuelles d'H2S, les analyses de boues, la présence sur site aux heures prévues pour le dépotage des matières de vidange, le contrôle de ces dépotages ainsi que la facturation des dépotages et leur traçabilité, et enfin le paiement des factures télécom du poste de relèvement Jules Ferry. Toutefois, si l'inexécution partielle des prestations prévues au marché pouvait donner lieu à l'application de pénalités, à une réfaction sur le prix forfaitaire ou encore à toutes mesures nécessaires aux frais et risques du prestataire, elle ne saurait en revanche justifier un refus total de paiement. Par ailleurs, faute d'avoir procédé aux mesures de vérification prévues par le marché, la communauté d'agglomération n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause les volumes, indiqués par la facture litigieuse, de graisses et matières de vidange effectivement traitée par la SAUR au titre de l'année 2018. Enfin, et ainsi qu'il a été dit au point 1, la communauté d'agglomération Grand Châtellerault a définitivement refusé de payer à la SAUR les deux factures d'acompte émises au titre de l'année 2018, pour un montant total de 93'903,48 euros, correspondant à 60 % du prix forfaitaire annuel du marché. Or, si la SAUR ne conteste pas ne pas avoir exécuté l'ensemble des prestations prévues au marché, il ne résulte cependant pas de l'instruction qu'elle n'aurait pas au moins accompli, au titre de l'année 2018, 40 % de ces prestations. Dans ces conditions, et alors en outre que la communauté d'agglomération ne demande pas au juge du contrat d'appliquer une réfaction ou des pénalités et ne précise pas davantage les coûts exposés en 2018 pour substituer la SAUR, cette dernière est fondée à revendiquer le paiement de la facture litigieuse. La SAUR est dès lors fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la communauté d'agglomération Grand Châtellerault à lui verser une somme de 66 780, 45 euros TTC en paiement de cette facture.

[…]

MAJ 30/05/24 - Source legifrance

Jurisprudence

CAA Paris, 21 novembre 2023, n° 22PA03857 (Un courrier qui ne détaille pas les bases de calcul des sommes demandées et ne fait d'ailleurs pas référence à la somme réclamée, ne peut donc être regardé comme un mémoire de réclamation au sens de l'article 37.2 du CCAG-FCS).