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Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 10 avril 2003. - Commission des Communautés européennes contre République fédérale d'Allemagne. - Manquement d'État - Recevabilité - Intérêt à agir - Directive 92/50/CEE - Procédures de passation des marchés publics de services - Procédure négociée sans publication préalable d'un avis de marché - Conditions. - Affaires jointes C-20/01 et C-28/01.
Mots clés
1. Recours en manquement - Droit d'action de la Commission - Exercice ne dépendant pas de l'existence d'un intérêt spécifique à agir (Art. 226 CE)
2. Rapprochement des législations - Procédures de passation des marchés publics de services - Directive 92/50 - Attribution des marchés - Procédure négociée sans publication préalable d'un avis de marché - Conditions d'admissibilité - Raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d'exclusivité - Notion - Protection de l'environnement – Inclusion (Directive du Conseil 92/50, art. 11, § 3, b))
Sommaire
1. Dans le cadre de l'exercice des compétences qu'elle tient de l'article 226 CE, la Commission n'a pas à démontrer l'existence d'un intérêt spécifique à agir. Ladite disposition ne vise pas, en effet, à protéger les droits propres de la Commission. Celle-ci, dans l'intérêt général communautaire, a pour mission de veiller d'office à l'application, par les États membres, du traité et des dispositions prises par les institutions en vertu de celui-ci et de faire constater, en vue de leur cessation, l'existence de manquements éventuels aux obligations qui en dérivent. Eu égard à son rôle de gardienne du traité, la Commission est dès lors seule compétente pour décider s'il est opportun d'engager une procédure en constatation de manquement et en raison de quel agissement ou omission imputable à l'État membre concerné cette procédure doit être introduite. Elle peut donc demander à la Cour de constater un manquement qui consisterait à ne pas avoir atteint, dans un cas déterminé, le résultat visé par une directive.
( voir points 29-30 )
2. La protection de l'environnement est susceptible de constituer une raison technique au sens de l'article 11, paragraphe 3, sous b), de la directive 92/50, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, qui prévoit que les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés publics de services en recourant à une procédure négociée sans publication préalable d'un avis de marché pour les services dont l'exécution, pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d'exclusivité, ne peut être confiée qu'à un prestataire déterminé. Toutefois, la procédure utilisée du fait de l'existence d'une telle raison technique doit respecter les principes fondamentaux du droit communautaire et, notamment, le principe de non-discrimination tel qu'il découle des dispositions du traité en matière de droit d'établissement et de libre prestation des services.
( voir points 59-60, 62 )
Parties
Dans les affaires jointes C-20/01 et C-28/01,
Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Schieferer, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
République fédérale d'Allemagne, représentée par M. W.-D. Plessing, en qualité d'agent, assisté de Me H.-J. Prieß, Rechtsanwalt,
partie défenderesse,
soutenue par
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, représenté par Mme R. Magrill, en qualité d'agent, assistée de M. R. Williams, barrister,
partie intervenante,
ayant pour objet deux recours visant respectivement à faire constater que:
- en ne lançant pas d'appel d'offres pour le contrat relatif à l'évacuation des eaux usées de la commune de Bockhorn (Allemagne) et en ne publiant pas le résultat de la procédure d'attribution dans le supplément du Journal officiel des Communautés européennes, la République fédérale d'Allemagne a, lors de l'attribution de ce marché public de services, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées des articles 8, 15, paragraphe 2, et 16, paragraphe 1, de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1);
- lors de l'attribution d'un marché public de services, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 8 et 11, paragraphe 3, sousb), de la directive 92/50, en ce que la ville de Brunswick (Allemagne) a passé un contrat relatif à l'élimination de ses déchets en recourant à la procédure négociée sans publication préalable d'un avis de marché, bien que les conditions fixées par ledit article 11, paragraphe 3, pour la passation des marchés de gré à gré sans appel d'offres au niveau européen n'aient pas été remplies,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. M. Wathelet, président de chambre, MM. D. A. O. Edward, A. La Pergola, P. Jann (rapporteur) et A. Rosas, juges,
avocat général: M. L. A. Geelhoed,
greffier: Mme M.-F. Contet, administrateur,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 10 octobre 2002,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 28 novembre 2002,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
1 Par requêtes déposées au greffe de la Cour respectivement les 16 et 23 janvier 2001, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l’article 226 CE, deux recours visant à faire constater que:
en ne lançant pas d’appel d’offres pour le contrat relatif à l’évacuation des eaux usées de la commune de Bockhorn (Allemagne) et en ne publiant pas le résultat de la procédure d’attribution dans le supplément du Journal officiel des Communautés européennes, la République fédérale d’Allemagne a, lors de l’attribution de ce marché public de services, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées des articles 8, 15, paragraphe 2, et 16, paragraphe 1, de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1);
lors de l’attribution d’un marché public de services, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 8 et 11, paragraphe 3, sous b), de la directive 92/50, en ce que la ville de Brunswick (Allemagne) a passé un contrat relatif à l’élimination de ses déchets en recourant à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, bien que les conditions fixées par ledit article 11, paragraphe 3, pour la passation des marchés de gré à gré sans appel d’offres au niveau européen n’aient pas été remplies.
Le cadre juridique
2 L’article 8 de la directive 92/50 prévoit:
«Les marchés qui ont pour objet des services figurant à l’annexe I A sont passés conformément aux dispositions des titres III à VI.»
3 Le titre V (articles 15 à 22) de la directive 92/50 comporte des règles communes de publicité. Conformément à l’article 15, paragraphe 2, de ladite directive, les pouvoirs adjudicateurs désireux de passer un marché public de services en recourant à une procédure ouverte, restreinte ou, dans les conditions prévues à l’article 11 de cette directive, à une procédure négociée font connaître leur intention au moyen d’un avis.
4 L’article 11, paragraphe 3, sous b), de la directive 92/50 dispose:
«Les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés publics de services en recourant à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché dans les cas suivants:
[¼ ]
b) pour les services dont l’exécution, pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité, ne peut être confiée qu’à un prestataire déterminé».
5 Aux termes de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 92/50:
«Les pouvoirs adjudicateurs qui ont passé un marché public ou organisé un concours envoient un avis concernant les résultats de la procédure d’attribution à l’Office des publications officielles des Communautés européennes.»
Les faits et la procédure précontentieuse
Affaire C-20/01
6 La commune de Bockhorn, dans le Land de Basse-Saxe, a conclu, pour l’évacuation de ses eaux usées, un contrat pour une durée d'au moins 30 ans à compter du 1er janvier 1997 avec l’entreprise de distribution d’énergie Weser-Ems AG (ci-après «EWE»).
7 Par lettre du 30 avril 1999, la Commission a mis le gouvernement allemand en demeure de lui présenter ses observations sur la question de savoir si les dispositions de la directive 92/50 devaient être appliquées en l’espèce.
8 Dans sa réponse en date du 1er juillet 1999, le gouvernement allemand a admis que le contrat conclu par la commune de Bockhorn aurait dû être passé conformément à la réglementation communautaire. En outre, il a indiqué que le ministère de l’intérieur du Land de Basse-Saxe profiterait de la circonstance pour inviter les autorités locales à rappeler avec fermeté aux collectivités territoriales quelles doivent observer strictement la réglementation communautaire relative à la passation des marchés publics.
9 Le 21 mars 2000, la Commission a adressé un avis motivé à la République fédérale d’Allemagne, dans lequel elle faisait valoir que les dispositions de la directive 92/50 auraient dû être appliquées et qu’il importe peu en droit que l’infraction aux dispositions du droit communautaire ait été reconnue par cet État membre. La Commission a par ailleurs invité ce dernier à rappeler sans tarder aux autorités concernées les exigences en la matière et à les inciter à respecter à l’avenir lesdites dispositions.
10 Dans une communication du 12 mai 2000, le gouvernement allemand a de nouveau reconnu l’infraction reprochée. Il a expliqué que, à la suite de son intervention consécutive à la lettre de mise en demeure de la Commission, le ministère de l’intérieur du Land de Basse-Saxe avait, par décret du 21 juin 1999, invité toutes les autorités locales de ce Land à veiller de manière appropriée à ce que les pouvoirs adjudicateurs observent strictement les dispositions communautaires relatives à la passation des marchés publics. En réaction à l’avis motivé, le gouvernement dudit Land aurait rappelé avec insistance que ces dispositions devaient être respectées.
11 Au demeurant, le gouvernement allemand a fait valoir que le droit national n’offrait quasi aucune possibilité de mettre un terme à l’infraction à la directive 92/50, parce qu’il existe, depuis le 1er janvier 1997, un contrat définitif entre la commune de Bockhorn et EWE, qui ne saurait être résilié sans que des indemnités très élevées soient versées à cette dernière. Le coût d’une telle résiliation serait disproportionné par rapport à l’objectif visé par la Commission.
Affaire C-28/01
12 La ville de Brunswick, également située dans le Land de Basse-Saxe, et Braunschweigsche Kohlebergwerke (ci-après «BKB») ont conclu un contrat par lequel a été confiée à cette dernière, à compter de juin/juillet 1999 et pour une durée de 30 ans, l’élimination de déchets résiduels en vue d’un traitement thermique.
13 Les autorités compétentes de la ville de Brunswick ont considéré que la directive 92/50 était applicable, mais ont invoqué l’article 11, paragraphe 3, de celle-ci pour se dispenser de l’obligation de publier un avis et passer le marché en recourant à une procédure négociée.
14 Par lettre de mise en demeure du 20 juillet 1998, la Commission a contesté cette interprétation.
15 Par lettres des 4 août, 19 octobre et 15 décembre 1998, le gouvernement allemand a répondu à la lettre de mise en demeure en faisant valoir que les conditions d’application de l’article 11, paragraphe 3, sous b), de la directive 92/50 étaient réunies dans la mesure où un traitement thermique des déchets ne pouvait, pour des raisons techniques, être confié qu’à BKB. La proximité géographique des infrastructures d’incinération par rapport à la ville de Brunswick aurait constitué un critère essentiel d’attribution afin d’éviter de plus grandes distances de transport.
16 Par lettre du 16 décembre 1998, le gouvernement allemand a admis que ladite ville avait enfreint en l’espèce la directive 92/50 en recourant de manière non justifiée à la procédure négociée sans publication d’un avis de marché.
17 Le 6 mars 2000, la Commission a adressé un avis motivé à la République fédérale d’Allemagne, dans lequel elle a notamment invité cet État membre à rappeler sans tarder aux autorités concernées la réglementation en la matière et à inciter ces dernières à respecter à l’avenir les dispositions applicables.
18 Dans une communication du 17 mai 2000, le gouvernement allemand a reconnu l’infraction reprochée. Il a également indiqué que le gouvernement du Land de Basse-Saxe avait invité toutes les autorités locales à respecter les dispositions relatives à la passation des marchés publics. Comme dans l’affaire C-20/01, il a précisé qu’il ne saurait être remédié aux conséquences de l’infraction à la directive 92/50 par une résiliation du contrat. Au demeurant, une telle résiliation obligerait la ville de Brunswick à verser des indemnités très élevées au cocontractant. Le coût d’une telle résiliation serait dès lors disproportionné.
19 Par ordonnance du président de la Cour du 15 mai 2001, les affaires C-20/01 et C-28/01 ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l’arrêt.
20 Par ordonnance du président de la Cour du 18 mai 2001, le Royaume-Uni a été admis à intervenir à l’appui des conclusions de la partie défenderesse.
Sur la recevabilité du recours
Moyens et arguments des parties
21 Le gouvernement allemand fait valoir, à titre principal, que les recours sont irrecevables, car il n’existe plus aucun manquement auquel l’Etat membre défendeur devrait mettre fin. En effet, la réglementation communautaire relative à la passation des marchés publics serait constituée uniquement de règles de procédure. La violation de ces règles épuiserait tous ses effets au moment même où elle est commise. Après la reconnaissance par la République fédérale d’Allemagne de cette violation, il n’existerait plus d’intérêt objectif à l’introduction des recours en manquement.
22 Quant à la nécessité d’un tel intérêt objectif, le gouvernement allemand considère que la procédure en manquement peut être rapprochée du recours en carence prévu à l’article 232 CE. Ce dernier recours serait irrecevable lorsque l’institution en cause, après avoir été invitée à agir, a pris position. Selon la jurisprudence de la Cour, même l’aveu d’une abstention illégale ferait disparaître l’intérêt objectif à faire constater la carence.
23 L’intérêt objectif à faire constater les manquements en question ne peut pas non plus, selon le gouvernement allemand, résulter en l’espèce de la nécessité d’établir le fondement d’une responsabilité de l’Etat membre en cause. Notamment, une responsabilité à l’égard des particuliers serait exclue, car il n’apparait pas que ces derniers aient subi un préjudice en raison des contrats conclus par la commune de Bockhorn et la ville de Brunswick.
24 Quant aux contrats conclus par les pouvoirs adjudicateurs, le gouvernement allemand, soutenu sur ce point par le gouvernement du Royaume-Uni, estime que le droit communautaire leur confère la protection qui résulte des droits acquis. Le principe pacta sunt servanda serait consacré par la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33). En effet, en laissant au droit national la possibilité de limiter les pouvoirs de l’instance de contrôle de la procédure de passation des marchés publics à l’octroi de dommages-intérêts à toute personne lésée par une violation du droit communautaire en matière de marchés publics, l’article 2, paragraphe 6, de ladite directive s’abstiendrait précisément d’exiger que des contrats valablement conclus soient résiliés ou ne soient pas respectés.
25 En ce qui concerne le droit national, le gouvernement allemand explique qu’il est caractérisé par le principe selon lequel un contrat conclu par un pouvoir adjudicateur en violation des dispositions en matière de passation des marchés publics ne saurait être résilié que pour un motif grave, notion qui ne viserait pas les circonstances antérieures à la conclusion de ce contrat. Par ailleurs, la nullité d’un tel contrat ne serait prévue que dans des cas exceptionnels, strictement délimités, qui ne concerneraient pas les contrats conclus en l’espèce. En revanche, le droit national comporterait les dispositions nécessaires permettant aux personnes lésées de demander des dommages-intérêts.
26 La Commission fait valoir quelle na pas à démontrer l’existence d’un intérêt particulier à agir pour introduire un recours en manquement en vertu de l’article 226 CE. La Cour n’aurait examiné l’existence d’un tel intérêt que dans des cas dans lesquels un État membre s’était conformé à l’avis motivé de la Commission après l’expiration du délai fixé dans ledit avis. Un tel intérêt pourrait toutefois, selon la Commission, consister non seulement à établir le fondement d’une responsabilité de l’Etat membre concerné, mais également à clarifier les points essentiels du droit communautaire et à éviter les risques de récidive.
27 En l’espèce, la Commission considère que le manquement incriminé na pas épuisé tous ses effets dans un vice de procédure et qu’il perdure. D’une part, les instructions générales données aux autorités locales n’auraient pas permis de mettre un terme aux infractions concrètes. D’autre part, un État membre ne saurait, pour échapper à une action en justice introduite par la Commission, invoquer un fait accompli dont il est lui-même l’auteur.
28 En outre, s’il est vrai que la Cour a rejeté comme irrecevable un recours en manquement en matière de marchés publics au motif que l’infraction ne subsistait plus à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, cette solution résulterait des circonstances particulières de l’espèce. Dans les présentes affaires, au contraire, les contrats conclus en violation du droit communautaire continueraient à produire leurs effets pendant des décennies. Le gouvernement allemand n’aurait donc pas mis un terme au manquement. L’impossibilité d’annuler les contrats en cause n’aurait aucune influence sur la recevabilité des recours, car c’est aux États membres qu’il reviendrait de choisir le mode de réparation adéquat pour remédier à un manquement.
Appréciation de la Cour
29 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de l’exercice des compétences quelle tient de l’article 226 CE, la Commission n’a pas à démontrer l’existence d’un intérêt spécifique à agir. Ladite disposition ne vise pas, en effet, à protéger les droits propres de la Commission. Celle-ci, dans l’intérêt général communautaire, a pour mission de veiller d’Office à l’application, par les États membres, du traité CE et des dispositions prises par les institutions en vertu de celui-ci et de faire constater, en vue de leur cessation, l’existence de manquements éventuels aux obligations qui en dérivent (arrêts du 4 avril 1974, Commission/France, 167/73, Rec. p. 359, point 15; du 11 août 1995, Commission/Allemagne, C-431/92, Rec. p. I-2189, point 21, et du 5 novembre 2002, Commission/Allemagne, C-476/98, non encore publié au Recueil, point 38).
30 Eu égard à son rôle de gardienne du traité, la Commission est dès lors seule compétente pour décider s’il est opportun d’engager une procédure en constatation de manquement et en raison de quel agissement ou omission imputable à l’Etat membre concerné cette procédure doit être introduite. Elle peut donc demander à la Cour de constater un manquement qui consisterait à ne pas avoir atteint, dans un cas déterminé, le résultat visé par une directive (arrêts du 11 août 1995, Commission/Allemagne, précité, point 22, et du 5 novembre 2002, Commission/Belgique, C-471/98, non encore publié au Recueil, point 39).
31 Le gouvernement allemand soutient toutefois que, en l’espèce, les manquements ont consisté dans des violations de règles de procédure, qui ont épuisé tous leurs effets avant l’expiration des délais fixés dans les avis motivés, et que ces manquements ont étés reconnus comme tels par la République fédérale d’Allemagne avant cette date.
32 Il est vrai que l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’Etat membre, telle quelle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé (arrêts du 27 novembre 1990, Commission/Grèce, C-200/88, Rec. p. I-4299, point 13; du 31 mars 1992, Commission/Italie, C-362/90, Rec. p. I-2353, point 10, et du 7 mars 2002, Commission/Espagne, C-29/01, Rec. p. I-2503, point 11).
33 S’il est vrai que la Cour a été amenée, en matière de passation des marchés publics, à considérer comme irrecevable un recours en manquement, c’était au motif que, à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, l’avis de marché litigieux avait épuisé tous ses effets (arrêt Commission/Italie, précité, points 11 à 13).
34 En revanche, la Cour a rejeté une exception d’irrecevabilité tirée de la prétendue cessation de l’infraction alléguée dans une situation dans laquelle des procédures de passation de marchés publics s’étaient entièrement déroulées avant la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, dès lors que les contrats n’avaient pas été entièrement exécutés avant ladite date (arrêt du 28 octobre 1999, Commission/Autriche, C-328/96, Rec. p. I-7479, points 43 à 45).
35 En outre, s’il est vrai que la directive 92/50 comporte essentiellement des règles de procédure, il n’en demeure pas moins quelle a été adoptée en vue de supprimer les entraves à la libre prestation des services et vise donc à protéger les intérêts des opérateurs économiques établis dans un État membre désireux d’offrir des services aux pouvoirs adjudicateurs établis dans un autre État membre (voir, notamment, arrêt du 18 octobre 2001, SIAC Construction, C-19/00, Rec. p. I-7725, point 32).
36 Il y a lieu dès lors de considérer que l’atteinte portée à la libre prestation des services par la méconnaissance des dispositions de la directive 92/50 subsiste pendant toute la durée d’exécution des contrats conclus en violation de celle-ci.
37 Or, en l’espèce, les contrats prétendument conclus en violation des dispositions de la directive 92/50 continueront à produire leurs effets pendant des décennies. Il ne saurait par conséquent être soutenu que les manquements allégués ont pris fin avant l’expiration des délais fixés dans les avis motivés.
38 Le bien-fondé de cette conclusion n’est pas remis en cause par la possibilité offerte aux États membres, en application de l’article 2, paragraphe 6, de la directive 89/665, de limiter les pouvoirs de l’instance responsable des procédures de recours, après la conclusion du contrat qui suit l’attribution d’un marché, à l’octroi de dommages-intérêts à toute personne lésée par une violation du droit communautaire en matière de marchés publics.
39 En effet, s’il est vrai que ladite disposition autorise les États membres à maintenir les effets de contrats conclus en violation des directives en matière de passation des marchés publics et protège ainsi la confiance légitime des cocontractants, elle ne saurait, sans réduire la portée des dispositions du traité établissant le marché intérieur, avoir pour conséquence que le comportement du pouvoir adjudicateur à l’égard des tiers doit être considéré comme conforme au droit communautaire postérieurement à la conclusion de tels contrats.
40 Par ailleurs, ni le fait que le gouvernement allemand a, lors de la procédure précontentieuse, reconnu l’existence des manquements qui lui sont reprochés par la Commission ni la circonstance, alléguée par ledit gouvernement, selon laquelle une action en dommages-intérêts est possible en droit national même en l’absence d’une constatation des manquements par la Cour ne sauraient influer sur la recevabilité des présents recours.
41 En effet, la Cour a déjà jugé qu’il lui appartient de constater si le manquement reproché existe ou non, même si l’Etat membre concerné ne conteste plus le manquement et reconnaît le droit à la réparation du préjudice éventuellement subi de ce fait par les particuliers (arrêt du 22 juin 1993, Commission/Danemark, C-243/89, Rec. p. I-3353, point 30).
42 La constatation du manquement d’un État membre n’étant pas liée à celle d’un dommage qui en résulterait (arrêt du 18 décembre 1997, Commission/Belgique, C-263/96, Rec. p. I-7453, point 30), la République fédérale d’Allemagne ne saurait exciper du fait qu’aucun tiers n’a subi de préjudice dans le cas des contrats conclus par la commune de Bockhorn et la ville de Brunswick.
43 Dès lors que les manquements allégués ont perduré au-delà de la date fixée dans les avis motivés et alors même que l’existence de tels manquements a été reconnue par la République fédérale d’Allemagne, cette dernière ne saurait non plus tirer argument d’une comparaison avec le recours en carence prévu à l’article 232 CE ni des circonstances au regard desquelles la Cour considère qu’il a été mis fin à une carence.
44 Au vu de ce qui précède, il convient de considérer que les recours introduits par la Commission sont recevables.
Sur le fond
Moyens et arguments des parties
45 La Commission fait valoir, dans l’affaire C-20/01, que la directive 92/50 était applicable au marché en question, qui aurait dû faire l’objet d’un appel d’offres conformément aux dispositions combinées des articles 8 et 15, paragraphe 2, de ladite directive. Le résultat de la procédure d’attribution aurait dû être publié conformément à l’article 16 de celle-ci.
46 Dans l’affaire C-28/01, la Commission soutient que le contrat en question relève également du champ d’application de la directive 92/50. Selon elle, les conditions permettant le recours à une procédure négociée sans publication d’un avis préalable de marché, conformément à l’article 11, paragraphe 3, sous b), de cette directive, n’étaient pas réunies. Ni l’emplacement de l’entreprise choisie, en raison de la proximité du lieu de la prestation, ni l’urgence de l’attribution du marché ne sauraient justifier l’application de cette disposition en l’espèce.
47 Le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement, prévu à l’article 130 R, paragraphe 2, du traité CE (devenu, après modification, article 174 CE), devrait être lu à la lumière de l’ensemble de cette disposition, selon laquelle les exigences en matière de protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en oeuvre des autres politiques de la Communauté. Ladite disposition ne prévoirait pas la priorité de la politique communautaire dans le domaine de l’environnement sur les autres politiques communautaires en cas de conflit entre elles. En outre, dans le cadre d’une procédure de passation des marchés publics, des critères d’ordre écologique ne sauraient être utilisés à des fins discriminatoires.
48 Par ailleurs, le pouvoir adjudicateur justifierait le choix de la procédure de passation du marché en cause par l’argument tiré de la garantie de l’élimination. Selon la Commission, un tel argument réfute celui selon lequel cette procédure avait été choisie en raison de considérations d’ordre environnemental et de proximité régionale de l’installation d’élimination des déchets.
49 Le gouvernement allemand, qui ne présente son argumentation sur le fond qu’à titre subsidiaire, fait valoir que les recours introduits par la Commission ne sont en tout état de cause pas fondés, dès lors que les violations alléguées de la directive 92/50 avaient épuisé tous leurs effets au moment où elles ont été commises et ne perduraient pas à la date d’expiration du délai fixé dans les avis motivés.
50 Dans l’affaire C-28/01, le gouvernement allemand ajoute que le critère de la proximité régionale de l’installation d’élimination des déchets, qui aurait été choisi de manière tout à fait légale, ne pouvait être respecté que par BKB. Ce critère ne serait pas automatiquement discriminatoire dans la mesure où il n’est pas exclu que des entreprises établies dans d’autres États membres puissent respecter cette exigence.
51 De manière générale, un pouvoir adjudicateur serait autorisé à tenir compte de critères environnementaux dans ses considérations relatives à l’adjudication d’un marché public, lorsqu’il détermine le type de service qu’il envisage de demander. Le gouvernement allemand estime que, pour ce motif également, la résiliation du contrat conclu entre la ville de Brunswick et BKB ne saurait être exigée, étant donné que, lors d’une nouvelle adjudication, ce contrat devrait de nouveau être attribué à cette société.
Appréciation de la Cour
Affaire C-20/01
52 S'agissant de l’affaire C-20/01, il est constant que les conditions d’application de la directive 92/50 étaient réunies. En effet, ainsi que le relève M. l’avocat général au point 65 de ses conclusions, le traitement des eaux usées constitue un service au sens de l’article 8 et de l’annexe I A, catégorie 16, de cette directive. La construction de certaines installations ne revêt qu’un caractère accessoire par rapport à l’objet principal du marché conclu par la commune de Bockhorn avec EWE. Le montant de ce dernier dépasse largement le seuil fixé à l’article 7 de ladite directive.
53 En vertu des articles 8 et 15, paragraphe, 2, de la directive 92/50, le marché aurait par conséquent dû être passé en conformité avec les dispositions de cette directive. Il est constant et, au demeurant, le gouvernement allemand ne conteste pas que la commune de Bockhorn s’est abstenue de le faire.
54 La défense présentée sur le fond par la République fédérale d’Allemagne renvoie en substance aux arguments invoqués pour contester la recevabilité du recours. Ces arguments doivent, pour les motifs énoncés aux points 29 à 43 du présent arrêt, être rejetés.
55 Il s’ensuit que le recours de la Commission dans l’affaire C-20/01 est fondé.
Affaire C-28/01
56 Dans l’affaire C-28/01, la directive 92/50 était manifestement applicable et a ailleurs été appliquée par la ville de Brunswick. Toutefois, celle-ci, en se fondant sur l’article 11, paragraphe, 3, sous b), de ladite directive, a eu recours à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché.
57 Or, tout en ayant reconnu, lors de la procédure précontentieuse, que les conditions d’application de cette disposition n’étaient pas réunies, le gouvernement allemand fait valoir que BKB était effectivement la seule entreprise à laquelle le marché pouvait être attribué et qu’une nouvelle mise en adjudication ne saurait modifier ce résultat.
58 À cet égard, il convient de relever d’emblée que les dispositions de l’article 11, paragraphe 3, de la directive 92/50, qui autorisent des dérogations aux règles visant à garantir l’effectivité des droits reconnus par le traité dans le secteur des marchés publics de services, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte et que c’est à celui qui entend s’en prévaloir qu’incombe la charge de la preuve que les circonstances exceptionnelles justifiant la dérogation existent effectivement (voir, en ce qui concerne les marchés publics des travaux, arrêt du 28 mars 1996, Commission/Allemagne, C-318/94, Rec. p. I -1949, point 13).
59 S’agissant de l’article 11, paragraphe 3, sous b), de la directive 92/50, cette disposition ne peut trouver à s’appliquer que s’il est établi qu’il n’existe, pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité, qu’une seule entreprise effectivement en mesure d’exécuter le marché concerné. Aucune raison artistique ou tenant à la protection de droits d’exclusivité n’étant alléguée en l’espèce, il convient uniquement d’examiner si les raisons invoquées par le gouvernement allemand sont susceptibles de constituer des raisons techniques au sens de ladite disposition.
60 Il est vrai qu’un pouvoir adjudicateur peut tenir compte de critères relatifs à la préservation de l’environnement aux différents stades d’une procédure de passation des marchés publics (voir, en ce qui concerne l’utilisation de tels critères en tant que critères d’attribution d’un marché relatif à la gestion d’une ligne d’un réseau d’autobus urbains, arrêt du 17 septembre 2002, Concordia Bus Finland, C-513/99, Rec. p. I-7213, point 57).
61 Dès lors, il n’apparait pas exclu qu’une raison technique tenant à la protection de l’environnement puisse être prise en considération pour apprécier si le marché en question ne peut être confié qu’à un prestataire déterminé.
62 Toutefois, la procédure utilisée du fait de l’existence d’une telle raison technique doit respecter les principes fondamentaux du droit communautaire et, notamment, le principe de non-discrimination tel qu’il découle des dispositions du traité en matière de droit d’établissement et de libre prestation des services (voir, par analogie, arrêt Concordia Bus Finland, précité, point 63).
63 Or, le risque d’une atteinte au principe de non-discrimination est particulièrement élevé lorsqu’un pouvoir adjudicateur décide de ne pas soumettre un marché déterminé à la concurrence.
64 En l’espèce, il convient de constater, en premier lieu, que, en l’absence de tout élément de preuve en ce sens, le choix d’un traitement thermique des déchets ne saurait être considéré comme constituant une raison technique de nature à justifier l’allégation selon laquelle le marché ne pouvait être attribué qu’à un prestataire déterminé.
65 En deuxième lieu, le fait que, selon le gouvernement allemand, la proximité de l’élimination est une conséquence nécessaire de la décision de la ville de Brunswick de traiter thermiquement les déchets résiduels n’est corroboré par aucun élément de preuve et ne saurait, dès lors, être considéré comme constituant une telle raison technique. Plus particulièrement, le gouvernement allemand n’a pas démontré que le transport des déchets sur une plus grande distance constituerait nécessairement un danger pour l’environnement ou la santé publique.
66 En troisième lieu, la proximité d’un prestataire déterminé par rapport au territoire communal ne saurait non plus constituer, à elle seule, une raison technique au sens de l’article 11, paragraphe 3, sous b), de la directive 92/50.
67 Il s’ensuit que la République fédérale d’Allemagne n’a pas établi que le recours à l’article 11, paragraphe 3, de la directive 92/50 était justifié en l’espèce. Par conséquent, il y a lieu également d’accueillir le recours de la Commission dans l’affaire C-28/01.
68 Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que:
la commune de Bockhorn n’ayant pas lancé d’appel d’offres pour le contrat relatif à l’évacuation de ses eaux usées et n’ayant pas publié le résultat de la procédure d’attribution dans le supplément du Journal officiel des Communautés européennes, la République fédérale d’Allemagne a, lors de l’attribution de ce marché public de services, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées des articles 8, 15, paragraphe 2, et 16, paragraphe 1, de la directive 92/50;
la ville de Brunswick ayant passé un contrat relatif à l’élimination de ses déchets en recourant à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, bien que les conditions fixées à l’article 11, paragraphe 3, de la directive 92/50 pour la passation des marchés de gré à gré sans appel d’offres au niveau communautaire n’aient pas été remplies, la République fédérale d’Allemagne a, lors de l’attribution de ce marché public de services, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 8 et 11, paragraphe 3, sous b), de ladite directive.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
69 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République fédérale d’Allemagne et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. Conformément à l’article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, le Royaume-Uni supporte ses propres dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
déclare et arrête:
1) La commune de Bockhorn (Allemagne) n’ayant pas lancé d’appel d’offres pour le contrat relatif à l’évacuation de ses eaux usées et n’ayant pas publié le résultat de la procédure d’attribution dans le supplément du Journal officiel des Communautés européennes, la République fédérale d’Allemagne a, lors de l’attribution de ce marché public de services, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées des articles 8, 15, paragraphe 2, et 16, paragraphe 1, de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services.
2) La ville de Brunswick (Allemagne) ayant passé un contrat relatif à l’élimination de ses déchets en recourant à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, bien que les conditions fixées à l’article 11, paragraphe 3, de la directive 92/50 pour la passation des marchés de gré à gré sans appel d’offres au niveau communautaire n’aient pas été remplies, la République fédérale d’Allemagne a, lors de l’attribution de ce marché public de services, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 8 et 11, paragraphe 3, sous b), de ladite directive.
3) La République fédérale d’Allemagne est condamnée aux dépens.
4) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporte ses propres dépens.
Source : Communautés européennes
Voir également
Marché sans publicité ni mise en concurrence préalables (Procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence préalables - Procédure négociée sans publication préalable d'un avis de marché).
Jurisprudence
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