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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
MME CHRISTINE STIX-HACKL
présentées le 12 avril 2005 (1)
Affaire C-231/03
Consorzio Aziende Metano (Coname)
contre
Comune di Cingia de’ Botti et Padania Acque SpA
[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (Italie)]
«Marchés publics – Article 43 CE – Article 49 CE – Portée des obligations du droit primaire»
I – Remarques préliminaires
1. La présente demande préjudicielle porte sur le rôle du droit primaire dans le secteur des marchés publics. Il s’agit en particulier de savoir quelles sont les obligations découlant pour les pouvoirs adjudicateurs des libertés fondamentales. La présente affaire offre ainsi également une occasion de concrétiser davantage la jurisprudence de la Cour, en particulier l’arrêt Telaustria et Telefonadress (2).
II – Cadre juridique
A – Droit communautaire
2. Dans le domaine du droit communautaire dérivé applicable au secteur des marchés publics, il convient de mentionner les textes suivants (ci-après les «directives») qui, dans l’intervalle, ont été remplacés par de nouvelles directives (le «paquet législatif»):
– parmi les directives dites «classiques», la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (3) (ci-après la «directive services»), et
– la directive 93/38/CEE, du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications (4) (ci-après la «directive secteurs spéciaux»).
B – Droit national
3. L’article 22, paragraphe 3, de la loi italienne no 142, du 8 juin 1990, sur l’autonomie locale (5) a autorisé les communes et les provinces à accomplir les missions locales de service public qui relèvent de leurs compétences selon l’une des modalités mentionnées sous a) à e):
a) en régie lorsque, en raison des modestes dimensions ou des caractéristiques du service, il n’est pas opportun de créer une institution ou une entreprise;
b) par concession à des tiers lorsqu’il existe à cela des raisons techniques, économiques ou d’opportunité sociale;
c) par des établissements spéciaux, y compris pour la gestion de plusieurs services d’intérêt économique et commercial;
d) par des institutions, pour l’exécution de services sociaux sans intérêt commercial;
e) par des sociétés anonymes ou des sociétés à responsabilité limitée à capital majoritairement public, constituées par l’établissement chargé de fournir le service public en question, ou avec sa participation.
III – Faits, procédure principale et question préjudicielle
4. Le Consorzio Aziende Metano (ci-après «Coname») avait conclu avec la commune de Cingia de’ Botti pour la période du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2000 un «contrat d’entretien, de distribution et de surveillance du réseau de gaz méthane».
5. Par lettre du 30 décembre 1999, la commune de Cingia de’ Botti a informé Coname que le conseil municipal avait approuvé, par délibération du 21 décembre 1999, la «convention avec Padania Acque SpA sur la gestion de la distribution et de l’entretien du réseau de gaz». La même délibération a également approuvé le projet de contrat entre Padania Acque SpA (ci-après «Padania») et la commune de Cingia de’ Botti.
6. Padania est une entreprise majoritairement détenue par l’État, qui est issue du transfert de l’ancien Consorzio per l’acqua potabile (consortium pour l’eau potable) aux communes de la province de Crémone. Elle regroupe pratiquement toutes les communes de cette province, dont la commune de Cingia de’ Botti, qui détient 0,97 % du capital, et la province de Crémone.
7. Compte tenu de sa forme, cette entreprise a été chargée, en vertu de l’article 22, paragraphe 3, sous e), de la loi no 142/1990, de la fourniture directe des services en cause.
8. Coname a saisi le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia – Sezione staccata di Brescia, et demandé en particulier l’annulation de la délibération de la commune. La juridiction nationale a soumis à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Les articles 43 CE, 49 CE et 81 CE, qui interdisent respectivement les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre et les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de la Communauté à l’égard des ressortissants des États membres, ainsi que les pratiques commerciales et pratiques des sociétés qui sont susceptibles d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur de l’Union européenne, s’opposent-ils à l’attribution directe, c’est‑à‑dire en l’absence d’un appel d’offres, de la gestion du service public de distribution du gaz à une société à participation publique communale, dès lors que cette participation au capital social est telle qu’elle ne permet aucun contrôle direct sur la gestion elle-même, et faut-il par conséquent affirmer que lorsque, comme en l’espèce, la participation est égale à 0,97 %, les conditions requises pour une gestion ‘in house’ ne sont pas réunies?
IV – Sur la recevabilité
9. La présente demande préjudicielle soulève plusieurs questions relatives à sa recevabilité.
A – Sur l’article 81 CE
10. Il existe des doutes sur la recevabilité de la demande préjudicielle en ce qui concerne l’article 81 CE.
11. Ainsi que cela ressort de la jurisprudence constante de la Cour, la juridiction nationale doit indiquer les raisons précises qui l’ont conduite à s’interroger sur l’interprétation du droit communautaire et à estimer nécessaire de poser des questions préjudicielles (6). La Cour a ainsi jugé qu’il est indispensable que le juge national donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions communautaires dont il demande l’interprétation et sur le lien qu’il établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige (7).
12. Par ailleurs, la Cour a également jugé qu’elle n’est pas compétente pour statuer sur des questions préjudicielles lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit communautaire sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal (8).
13. Au regard des exigences précitées de la jurisprudence de la Cour en matière de recevabilité des questions préjudicielles, il convient de relever que l’analyse de l’article 81 CE dans la demande préjudicielle se limite, en dehors de la reproduction de ses termes, à ceci que la libre concurrence constitue un principe général du droit communautaire et qu’une atteinte audit principe constitue une hypothèse très exceptionnelle, qui n’est admise qu’à de strictes conditions.
14. Mais l’ordonnance de renvoi ne satisfait pas, ainsi, aux exigences de la jurisprudence susmentionnée quant à la motivation de la demande d’interprétation d’une disposition du droit communautaire.
15. De plus, selon la jurisprudence constante, les questions préjudicielles ne sont recevables que pour autant que l’ordonnance de renvoi comporte suffisamment d’indications sur les circonstances de fait du litige principal (9).
16. Il convient à cet égard, dans le domaine du droit de la concurrence, dont l’article 81 CE relatif à l’interdiction des ententes fait aussi partie, de fixer des critères spécialement stricts (10).
17. Au regard de l’article 81 CE, l’ordonnance de renvoi ne satisfait pas aux conditions relatives aux circonstances de fait. L’ordonnance de renvoi ne comporte, en particulier, pas d’indications sur les entreprises concernées et sur les agissements qui, de l’avis de la juridiction de renvoi, relèvent de l’article 81 CE.
18. Du point de vue de l’article 81 CE, l’ordonnance de renvoi ne remplit donc pas les conditions nécessaires à la recevabilité de la question préjudicielle.
B – Sur les libertés fondamentales
19. La question préjudicielle pose également des problèmes de recevabilité en ce qui concerne les libertés fondamentales mentionnées (articles 43 CE et 49 CE).
20. La Cour a ainsi rejeté comme irrecevable une demande préjudicielle émanant du même État membre et concernant elle aussi les marchés publics, au motif que l’entreprise qui y contestait la légalité du choix opéré par la commune avait son siège en Italie et n’opérait pas sur le marché italien en se prévalant de la liberté d’établissement ou de la libre prestation des services. La Cour a jugé que la situation ne présentait donc aucun élément de rattachement à l’une des situations envisagées par le droit communautaire dans le domaine de la libre circulation des personnes et des services. Or, dans une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre et qui, de ce fait, ne présente aucun élément de rattachement à l’une des situations envisagées par le droit communautaire dans le domaine de la libre circulation des personnes et des services, les libertés fondamentales ne trouvent pas à s’appliquer. C’est à cette conclusion que la Cour est parvenue dans l’affaire RI.SAN (11).
21. Toutefois, la Cour a aussi admis la recevabilité de demandes préjudicielles, et y a répondu avec des indications sur l’interprétation et l’application du droit primaire, alors qu’il s’agissait d’une situation purement interne (12). Dans le domaine des marchés publics, il convient de mentionner à cet égard l’affaire Telaustria et Telefonadress (13), qui portait sur un litige dont les parties provenaient d’un seul et même État membre. Il convient ensuite de citer l’affaire Buchhändler‑Vereinigung (14), dans laquelle les principes développés dans l’arrêt Telaustria et Telefonadress ont été appliqués. Dans cette dernière affaire aussi, les parties provenaient toutes du même État membre. Il en va de même pour l’affaire ARGE, dans laquelle la Cour a néanmoins répondu à une question préjudicielle d’interprétation d’une liberté fondamentale (15).
22. La question se pose donc de savoir pourquoi, alors que les circonstances de fait étaient analogues à celles de l’affaire RI.SAN, la Cour a statué sur le fond de ces trois demandes préjudicielles concernant les marchés publics. La raison pourrait en être que, dans les affaires Telaustria et Telefonadress et Buchhändler‑Vereinigung, les questions posées visaient elles-mêmes explicitement l’interprétation de directives. Au contraire, dans le cas d’espèce, la question préjudicielle vise expressément le droit primaire, en particulier deux libertés fondamentales.
23. On pourrait alors en déduire que la recevabilité d’une question préjudicielle est fonction de ce qu’elle vise explicitement, selon donc qu’elle concerne le droit primaire ou le droit dérivé (16).
24. Deux raisons plaident aussi, dans la présente affaire, en faveur de la recevabilité de la question préjudicielle en ce qui concerne les libertés fondamentales en cause: l’une d’ordre procédural, l’autre de fond.
25. Du point de vue procédural, il convient de rappeler que la Cour est soucieuse, dans une procédure préjudicielle, de donner à la juridiction de renvoi une réponse utile. Cela conduit même la Cour, dans certaines occasions, à reformuler les questions préjudicielles. Mais cela n’est pas possible dans la présente affaire, puisque la question vise expressément l’interprétation du droit primaire, et non des directives, ce que le juge national a souligné dans la réponse écrite qu’il a fournie à une question posée par la Cour à ce sujet.
26. La question de savoir si le litige principal porte sur une concession ou sur un marché au sens du droit communautaire peut en définitive rester ouverte. En effet, pour la Cour, il suffit que les questions préjudicielles posées lui fournissent «d’autres éléments d’interprétation susceptibles de s’avérer utiles à la solution du litige au principal» (17). Qu’ils soient ou non effectivement appliqués aux faits concrets de l’affaire au principal ne devrait donc pas constituer un critère.
27. Sur le fond, il convient de se garder d’une dogmatisation du raisonnement suivi dans l’affaire RI.SAN. En effet, précisément dans le droit des marchés publics, qui vise à l’ouverture des marchés nationaux, la question de savoir si, dans l’attribution d’un marché donné ou dans une procédure nationale de recours subséquente, toutes les parties proviennent du même État membre que le pouvoir adjudicateur ne doit pas entrer en ligne de compte (18). On pourrait en effet aussi y voir un indice que la nécessaire publicité de la procédure d’adjudication n’a précisément pas été assurée, et qu’aucun entrepreneur étranger n’a donc pu y prendre part. Cela vaut, non seulement pour les directives en matière de marchés publics, mais aussi pour les libertés fondamentales concernées. Ainsi, ce ne sont pas seulement les entreprises qui participent effectivement à une procédure d’adjudication qui doivent être protégées, mais aussi les soumissionnaires potentiels. Il suffit donc que des entreprises d’autres États membres soient susceptibles d’être affectées pour qu’il s’agisse d’une situation transfrontalière, et qu’une condition requise pour l’application des libertés fondamentales soit remplie.
28. Ces raisons plaident en faveur de la recevabilité de la question préjudicielle pour autant qu’elle porte sur des libertés fondamentales des articles 43 CE et 49 CE.
V – Sur le bien-fondé
29. La question préjudicielle, dans la mesure où elle est recevable, porte en substance sur la portée des articles 43 CE et 49 CE, et spécialement sur les obligations ou interdictions qui en résultent pour les procédures de passation de marchés publics
30. Elle se réfère ainsi à une partie essentielle des principes que sont, selon la Cour, les «règles fondamentales du traité en général et le principe de non‑discrimination en raison de la nationalité en particulier» (19).
A – Remarques préliminaires sur les dispositions applicables
31. Si la question préjudicielle se réfère expressément à l’interprétation de certaines dispositions du droit primaire, cela ne signifie cependant pas pour autant que ces dispositions sont effectivement applicables.
32. Encore faut-il, pour qu’elles s’appliquent, que le marché concret visé dans le litige principal remplisse les conditions respectivement requises pour l’application de ces dispositions du droit primaire.
33. Il est à cet égard indifférent que le juge national ait qualifié le marché de «concessione», parce que cette dénomination pourrait aussi se référer au droit national, qui connaît cette notion. Mais il n’est pas nécessaire que la notion nationale coïncide avec celle du droit communautaire. Cependant, quand bien même le juge national aurait songé à la notion communautaire de concession, cela ne signifie pas pour autant que cette qualification est pertinente dans le litige principal.
34. Et quand bien même les conditions requises pour l’application du droit dérivé seraient remplies, un autre point reste à éclaircir, à savoir de quelle directive relèvent les faits concrets. Il convient en effet de noter à ce propos que les faits concrets pertinents ne sont pas connus de la Cour dans le détail.
35. Puisque les communes, en tant que collectivités locales, sont des pouvoirs adjudicateurs aussi bien au sens des directives classiques en matière de marchés publics qu’au sens de la directive secteurs spéciaux, il conviendrait donc de déterminer l’objectif du marché. C’est en fonction de cet objectif que telle ou telle directive s’applique (20).
36. Même si l’on en concluait que ce n’est pas la directive secteurs spéciaux – qui a un caractère spécifique par rapport aux autres directives – qui s’applique, on n’aurait pas encore établi quelle est celle des directives classiques dont relève le marché. C’est à cet égard l’objet du marché qui est décisif, selon qu’il porte par exemple sur la fourniture de produits, comme la fourniture d’énergie, ou la prestation de services tels que les services techniques généraux. S’il s’agit d’un marché mixte, qui porte donc sur des fournitures et des services, c’est, en vertu de l’article 2 de la directive services, la valeur respective des éléments composant le marché qui est déterminante.
37. Certes, il ne ressort pas du dossier que l’on soit en présence d’un tel marché mixte dans le présent litige, mais cela ne semble cependant pas exclu, compte tenu de la pratique suivie dans l’État membre concerné, comme le montre du reste également une affaire préjudicielle sur laquelle la Cour s’est déjà prononcée (21).
38. Comme déjà dans l’affaire RI.SAN., la Cour n’est pas en mesure de vérifier l’exactitude des indications données par la juridiction de renvoi, selon lesquelles le litige principal n’a pas trait à la passation d’un marché public de services (22).
39. Mais, même si un marché donné remplit en principe toutes les conditions requises pour l’application d’une des directives, la passation concrète du marché pourrait néanmoins être exclue de la directive en question. Ainsi en l’espèce, outre l’une des dérogations expressément prévues dans les directives, par exemple à l’article 13 de la directive secteurs spéciaux, l’une des autres dérogations non écrites introduites par la Cour pourrait s’appliquer, telle la dérogation, interprétée dans l’arrêt Stadt Halle et RPL Lochau (23), établie dans l’arrêt Teckal (24) pour les marchés dits «quasi in house». Si tel était le cas, c’est à nouveau le droit primaire qui s’appliquerait.
40. Ce serait également une raison, pour le juge national, de restreindre la question préjudicielle à l’interprétation du droit primaire.
41. En effet, si aucune des directives ne devait effectivement être applicable, les libertés fondamentales, qui imposent en particulier aux États membres des obligations d’égalité de traitement et de transparence à l’égard des opérateurs d’autres États membres, pourraient être déterminantes aux fins de la solution de la présente affaire.
B – Libertés fondamentales et obligations positives
42. Cette affaire, dans laquelle il s’agit de savoir quelles obligations découlent pour le pouvoir adjudicateur des libertés fondamentales des articles 43 CE et 49 CE, porte sur la question fondamentale de savoir si les libertés fondamentales établissent, non seulement des interdictions sous la forme de restrictions à l’action des États membres, mais aussi des obligations positives et, dans l’affirmative, lesquelles.
43. Certaines des interdictions découlant des libertés fondamentales peuvent aisément être qualifiées de restrictions, lesquelles ont du reste fait l’objet d’un nombre considérable d’affaires devant la Cour. On rappellera par exemple simplement, dans le domaine des marchés publics, l’interdiction découlant de la libre circulation des marchandises, selon laquelle le traité «s’oppose à ce qu’un pouvoir adjudicateur introduise, dans le cahier des charges relatif audit marché, une clause exigeant, pour l’exécution de ce marché, l’utilisation d’un produit de marque déterminée, sans ajouter la mention ‘ou équivalent’» (25).
44. Mais le cas de figure de l’affaire citée et son traitement par la Cour montrent très clairement qu’une interdiction de s’abstenir d’un acte, en l’occurrence d’ajouter une certaine mention, peut aussi être comprise comme une obligation de faire quelque chose, à savoir d’utiliser une certaine mention.
45. Cela, transposé au cas de figure du litige principal à l’origine de la présente demande préjudicielle, signifie que celui-ci peut être entendu de deux manières au moins. D’une part, on pourrait rechercher si les libertés fondamentales – conçues comme des restrictions – impliquent une interdiction du marché de gré à gré ou de la passation directe. D’autre part, on pourrait rechercher si elles imposent un certain degré de publicité ou une publication déterminée. Selon que l’on se base sur une abstention ou sur une action, on aboutit donc à une obligation positive ou non.
46. Mais, pour une autre raison, il s’avère absolument nécessaire, aux fins de répondre à la question préjudicielle, d’aborder la problématique des obligations positives dans le présent cas de figure.
47. Le présent cas de figure peut en effet aussi être envisagé sous l’angle de la notion de droit-liberté. L’attitude du pouvoir adjudicateur ou du concédant peut en effet être aussi considérée comme une atteinte à un droit d’un tiers, et plus précisément comme une atteinte au droit de certaines entreprises de participer à une attribution de marché ou de soumettre une offre. Les États membres, y compris le pouvoir adjudicateur ou le concédant, doivent veiller au respect de ce droit découlant du droit communautaire.
48. On observera enfin, pour être tout à fait complet, que l’on pourrait également analyser le présent cas de figure selon qu’il entraîne, pour la collectivité territoriale concernée, une obligation de protection ou une obligation de garantie. Ce qui est en tout état de cause acquis, c’est qu’un État membre, et la commune concernée dans le présent litige en fait partie, est tenu de garantir les libertés fondamentales, en l’occurrence des entreprises, c’est-à-dire des soumissionnaires potentiels.
49. La jurisprudence de la Cour sur la reconnaissance mutuelle constitue un point de départ essentiel en vue de la réponse à la question de savoir si les libertés fondamentales comportent oui ou non des obligations positives, et quel en est le contenu.
50. Il est même possible de déduire de cette jurisprudence l’obligation pour les États membres d’aménager, et aussi d’utiliser, une procédure donnée. L’obligation de faire s’adresse aussi bien au législateur qu’à l’administration et au pouvoir judiciaire. Les règles découlant des libertés fondamentales concernent en particulier le contenu de la procédure, par exemple l’obligation d’effectuer une vérification donnée. Du point de vue procédural, cette vérification est encore davantage spécifiée en ceci que ses objectifs et sa méthode, à savoir procéder par comparaison entre certains documents, sont imposés. De surcroît, les décisions sont motivées et des voies de recours sont ouvertes (26).
51. Ces règles sont transposables au droit des marchés publics, dans la mesure où il s’agit ici également de respecter certains principes de procédure. On peut ainsi conclure de la jurisprudence existant en matière de reconnaissance mutuelle que les libertés fondamentales imposent aussi effectivement aux États membres certaines obligations d’ordre procédural.
52. Une autre source de droits issue du droit primaire, outre les libertés fondamentales, dont on peut déduire des règles à suivre en matière de procédure, est l’article 10 CE. Son premier alinéa comporte une obligation de faire clairement imposée aux États membres [«les États membres prennent toutes mesures […] propres à […]»]. Cette disposition générale et tout à fait fondamentale comporte à tout le moins l’obligation d’aménager les procédures, y compris donc les procédures d’adjudication, de telle manière que les États membres s’acquittent des obligations de fond que leur impose le droit communautaire.
53. Dans la mesure où certaines obligations découlent du droit communautaire, en l’occurrence des libertés fondamentales, les États membres, y compris les communes, doivent aussi accomplir les actes correspondants en ce qui concerne les marchés ou concessions, par exemple respecter certains délais ou procéder à certaines publications.
54. On relèvera également, en liaison avec l’article 10 CE, les principes communautaires d’équivalence et d’effectivité, qui fixent certaines limites au droit procédural des États membres, y compris au droit de la passation des marchés publics. Ces règles concernent, non seulement la protection juridique, mais aussi, en amont, la phase antérieure, à savoir le déroulement des procédures de passation des marchés. À cet égard cependant, chaque cas «doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités» (27).
55. Ces règles du droit primaire, qui complètent les obligations découlant pour les États membres des libertés fondamentales, revêtent précisément aussi une grande valeur en dehors du domaine d’application des directives en matière de marchés publics.
56. Il convient enfin de mentionner les principes généraux du droit, dont on peut également déduire des règles pour le droit procédural national, et qui peuvent également jouer un rôle dans la procédure d’attribution des marchés. Cela vaut en particulier pour le principe général d’égalité (principe de l’égalité de traitement), qui déborde l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité.
C – Obligations découlant des libertés fondamentales dans le secteur des marchés publics
1. Le champ d’application restreint des libertés fondamentales
57. Même en admettant le principe de l’applicabilité des libertés fondamentales aux pouvoirs adjudicateurs et aux concédants, cela ne signifie pas pour autant que toute opération de passation de marché est par là même soumise aux libertés fondamentales
58. Il n’est ainsi pas exclu qu’un pouvoir adjudicateur ou un concédant se prévale à bon droit de l’un des nombreux motifs qui justifient l’inapplication des libertés fondamentales. Entrent en ligne de compte à cet égard, non seulement les motifs expressément établis dans le traité CE, tels que la sécurité publique ou la santé publique (28), mais aussi les intérêts généraux au sens de la jurisprudence «Cassis de Dijon».
59. La Commission a également admis, dans l’une de ses communications (29), le principe de l’applicabilité des motifs justificatifs dans le secteur de l’attribution des concessions. Les conditions requises pour admettre les motifs justificatifs, qui n’ont pas à être explicitées ici, par exemple le caractère proportionnel d’une mesure nationale, doivent naturellement être remplies.
60. À ces motifs justificatifs liés aux libertés fondamentales s’ajoutent encore les dispositions dérogatoires expressément prévues dans le traité. Ces dernières peuvent elles aussi s’appliquer à l’attribution de concessions, avec cette conséquence que le concédant n’est pas lié par les règles découlant des libertés fondamentales.
61. Entrent en particulier ici en ligne de compte les dispositions relatives à certains aspects de la sécurité intérieure ou extérieure, qui ont aussi été évoquées à l’audience. L’article 296, paragraphe 1, sous b), CE autorise ainsi les États membres à prendre certaines mesures nécessaires à la protection des intérêts essentiels de leur sécurité. Dans le secteur des marchés publics, cela concerne l’achat de certains biens pour la défense. Ce secteur n’est sans doute pas le plus adapté aux concessions, mais le droit communautaire ne l’en exclut cependant pas.
62. L’article 297 CE habilite quant à lui les États membres à prendre certaines mesures, dans le cas de certaines situations de crise. Cette disposition est elle aussi en principe applicable aux marchés publics.
63. Certes, ainsi que cela ressort surtout de l’article 298 CE, les pouvoirs impartis aux États membres dans l’application des deux dispositions citées du traité ne sont pas illimités, et sont en particulier soumis au contrôle de la Commission et de la Cour.
64. Enfin, il convient encore de relever une autre disposition du droit primaire qui, si elle n’est pas taillée pour les libertés fondamentales, peut néanmoins opérer comme une exception à celles-ci. L’article 86, paragraphe 2, CE prévoit en effet que les «règles du présent traité» – y compris donc les libertés fondamentales – s’appliquent «dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie». À cela s’ajoute une autre condition, selon laquelle le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une certaine mesure. Mais les seuls destinataires de cette disposition – à la différence de l’article 10 CE qui s’adresse aux États membres – sont des entreprises, et seulement celles qui sont chargées de la gestion de certains services ou ont le caractère d’un monopole fiscal. C’est pourquoi elle ne s’applique qu’aux concédants qui doivent être considérés comme des entreprises de ce type.
65. Du point de vue de la présente demande préjudicielle, il conviendrait donc d’examiner si le concédant relève de l’une des catégories d’entreprises exclues, et si la manière dont le marché a été passé était nécessaire pour lui permettre d’accomplir sa mission d’intérêt général dans des conditions économiquement acceptables (30). Il est, certes, également possible que l’État membre concerné invoque l’article 86 CE pour justifier la cession de droits à une entreprise (31).
66. Il convient, pour finir, de mentionner la jurisprudence des affaires Teckal (32) et Stadt Halle et RPL Lochau (33) citées au cours de la procédure, ainsi que l’exception prévue à l’article 13 de la directive secteurs spéciaux pour certaines passations de marchés auprès d’entreprises liées.
67. Cette jurisprudence ou cette réglementation autorisent, sous certaines conditions très précises, l’inapplication, respectivement, des directives classiques en matière de marchés publics ou de la directive secteurs spéciaux. Les marchés qui relèvent de l’une de ces exceptions ne sont donc pas soumis aux dispositions du droit dérivé en matière de marchés publics. Mais cela ouvre aussi automatiquement la porte à l’application du droit primaire, y compris des libertés fondamentales visées dans la présente affaire.
68. Mais ni la jurisprudence citée ni les dispositions expresses de la directive secteurs spéciaux n’entraînent une inapplication du droit primaire. En effet, ni le droit primaire ni la jurisprudence ne fournissent la base d’une dérogation aussi large au droit communautaire. Si donc le droit primaire est applicable au marché en cause en l’espèce, la question du rôle de la jurisprudence citée ou des dispositions visées de la directive secteurs spéciaux ne se pose plus, puisqu’il s’agit là d’exceptions à l’application du droit dérivé.
2. Gradations à l’intérieur du droit primaire ou régime uniforme des marchés publics?
69. Même s’il est établi que le droit primaire, par exemple les libertés fondamentales, est applicable à un marché déterminé, il convient, dans une étape subséquente, de définir quelles obligations concrètes incombent au pouvoir adjudicateur ou au concédant. Il s’agit donc de déterminer le régime des marchés publics qui découle éventuellement des libertés fondamentales.
70. On peut tout d’abord se demander à cet égard si les libertés fondamentales établissent oui ou non un régime, et qui plus est un régime uniforme, c’est-à-dire si les mêmes règles s’appliquent à tous les marchés qu’elles visent. Il peut en être ainsi à un niveau très abstrait. Ainsi, les pouvoirs adjudicateurs et concédants dépendant des États membres doivent par exemple respecter le principe de non‑discrimination et certaines restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.
71. Mais, le seul fait qu’aucune règle qui se rapprocherait aussi peu que ce soit de celles des directives par son caractère concret ne découle des libertés fondamentales plaide contre l’idée que les mêmes règles de procédure, en ce qui concerne par exemple le mode de publication et son contenu, pourraient s’appliquer à tous les marchés.
72. Il serait, certes, souhaitable, dans l’intérêt de la clarté du droit et de la sécurité juridique, pour les pouvoirs adjudicateurs et les concédants comme pour les entreprises en tant que soumissionnaires potentiels, qu’il existe un régime de marchés publics dans le droit primaire, ou tout au moins un petit nombre de ces régimes; ainsi pourraient par exemple être évités les problèmes qui surviennent parfois, en pratique, du fait que, au cours d’une procédure d’attribution d’une concession, c’est seulement pendant les négociations que ce marché devient un marché public (34).
73. D’un autre côté, il est cependant positif que les parties disposent d’une certaine liberté d’action dans la passation des marchés. Les directives prévoient déjà une série de modalités possibles. Il doit à plus forte raison en être ainsi dans le domaine d’application du droit primaire.
74. Le problème consiste maintenant à déterminer des catégories de marchés, pour chacune desquelles s’applique un régime déterminé. Toutefois, ni le libellé du traité ni la jurisprudence sur les libertés fondamentales, en particulier celle relative aux marchés publics, ne comportent de critères pour la délimitation entre différents groupes (catégories) de marchés. Mais la nécessité d’une gradation tient en premier lieu au principe de proportionnalité.
75. Il serait, certes, envisageable, de recourir aussi dans ce contexte aux dérogations admises par la jurisprudence dans les affaires Teckal et Stadt Halle et RPL Lochau, ainsi qu’à l’article 13 de la directive secteurs spéciaux, en ce sens que les marchés qui en relèvent sont soumis à un régime allégé. Une application par analogie de ces dérogations comme critère de délimitation se heurte toutefois au fait qu’il n’existe précisément pas en droit primaire de régime uniforme des marchés publics, dont on pourrait s’écarter.
76. Il serait donc logique de recourir aux critères qui sont aussi prévus par les directives pour déterminer les catégories de marchés publics.
77. Un premier aspect pertinent à cet égard est celui de la valeur estimée du marché (35). S’y ajoute l’objet du marché, selon qu’il porte sur des services, des livraisons ou des travaux. Parmi les services, on pourrait à nouveau, comme le font les directives, distinguer entre services exclus, non prioritaires et prioritaires, en fonction de leur objet plus précis. Il faudrait également se fonder sur le degré de complexité des marchés, selon qu’il s’agit de produits assez standardisés ou de projets complexes d’infrastructure, dont les conditions techniques, juridiques ou financières ne peuvent absolument pas être indiquées au début de la procédure d’attribution du marché.
78. Cette catégorisation présente dans les directives est fondée sur l’idée, qui prévaut dans l’ensemble du secteur des marchés publics, que certains marchés concernent davantage le marché intérieur que d’autres, qui présentent un intérêt pour un groupe d’opérateurs économiques plus large, y compris pour des entreprises d’autres États membres. Cet aspect devrait précisément être pertinent pour l’application des libertés fondamentales, puisque celles-ci impliquent justement un élément transfrontalier.
79. On pourrait ensuite, aux fins de délimiter les catégories les unes par rapport aux autres, c’est-à-dire de ranger un marché donné dans une catégorie déterminée, et par là même de lui assigner un régime donné, comme dans les directives, se fonder également sur certaines circonstances, telles l’existence de droits exclusifs ou l’urgence. De cette manière, certains marchés, qui relèvent du domaine d’application des libertés fondamentales, pourraient même être totalement exonérés de l’obligation de publier un avis de marché.
80. Mais, à l’extrême, un système qui vise tous les marchés – et qui comprend plusieurs catégories, pour chacune desquelles il existe un régime déterminé – déboucherait en dernier ressort sur un régime de droit primaire à plusieurs niveaux calqué sur le régime des directives, ou plus exactement sur plusieurs régimes. Mais la transparence évoquée dans cette procédure préjudicielle ne constitue qu’un domaine de réglementation parmi d’autres.
81. Il convient enfin de mentionner le principe d’effectivité, également applicable aux procédures de passation de marchés public. Ce principe commande de tenir compte de l’ensemble de la procédure suivie, du déroulement de la procédure et de ses particularités (36).
3. Les règles du droit primaire
82. Il convient de retenir, pour commencer, que, dans le cadre du droit primaire, le régime d’attribution des marchés qui s’applique n’est en tout état de cause pas le même que dans le domaine d’application des directives. Deux raisons principales indiquent que la transposition ne peut pas être aussi générale.
83. Premièrement, cela reviendrait à faire prévaloir – sans passer par la procédure normative prévue dans le droit primaire –, même en dehors des directives, le régime établi seulement pour les marchés visés par ces directives. Cela reviendrait à éluder la procédure législative communautaire. En deuxième lieu, cela reviendrait à éluder les directives mêmes qui établissent précisément des dispositions uniquement pour certains marchés.
84. Il convient cependant, tout d’abord, de rappeler que les règles découlant des libertés fondamentales valent en principe pour tous les aspects de marchés publics, c’est-à-dire, d’une part, pour l’aspect matériel, par exemple la description de l’objet de la prestation de service (par exemple à l’aide de spécifications techniques ou de la durée d’une concession) ou les critères de sélection qualitative (essentiellement qualifications) et d’attribution, le principe de la reconnaissance mutuelle devant à cet égard être particulièrement pris en considération. D’autre part, ces règles valent également pour l’aspect procédural, donc pour la procédure au sens étroit, par exemple le choix de la procédure retenue – dont fait également partie la publication d’un avis de marché – et les délais (par exemple pour le dépôt de la demande de participation ou de l’offre).
85. Outre le principe de la transparence, qui fait l’objet de la présente affaire, peuvent également être mentionnés comme règles le principe de l’égalité de traitement (37) lié au précédent, le principe de concurrence et le principe de proportionnalité qui seraient également utilisables dans le domaine d’application du droit primaire.
86. On peut par exemple déduire du principe de l’égalité de traitement que le choix des concessionnaires doit être effectué sur une base objective. Cela signifie également que les conditions établies au début de la procédure de passation de marché doivent être maintenues, et qu’elles doivent être appliquées à égalité à tous les candidats.
87. Considérant cependant que la présente affaire préjudicielle porte uniquement sur la question de la transparence requise, l’analyse qui suit se limitera à cet aspect.
a) La transparence
88. Il convient tout d’abord de relever que, selon les directives, la portée de la transparence excède les aspects liés à la seule publicité d’opérations concrètes de passation de marchés. Ceux-ci comprennent par exemple les différentes formes d’avis, qu’il s’agisse d’une invitation à participer à une attribution de marché ou d’un avis de marché, c’est-à-dire de l’invitation à présenter des offres.
89. Les directives connaissent en outre encore d’autres obligations de publication, telle celle de rendre public le marché passé. Les directives prévoient ensuite des obligations internes d’inscription, par exemple sous la forme du procès‑verbal ou de la conservation de certaines pièces (38). Ces obligations pourraient aussi être transposées au droit primaire.
90. Le principe de la transparence constitue bien plutôt, de surcroît, un principe directeur pour l’ensemble de la procédure de passation de marché. Il inclut aussi, par exemple, la traçabilité des décisions du pouvoir adjudicateur et, de manière générale, une attitude objective pendant une procédure de passation de marché.
91. Dans la présente affaire, la Cour est invitée à préciser davantage sa jurisprudence sur l’obligation de publication. Dans l’affaire Telaustria et Telefonadress, elle a en effet posé le principe que le «pouvoir adjudicateur [doit] garantir, en faveur de tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture du marché des services à la concurrence ainsi que le contrôle de l’impartialité des procédures d’adjudication» (39).
92. Pour déterminer le «degré de publicité adéquat», il convient de se fonder sur l’objectif du principe de transparence dont l’interprétation est demandée. En effet, comme pour les directives, la transparence doit aussi contribuer, dans le domaine d’application du droit primaire, à garantir une concurrence non faussée et l’ouverture des marchés nationaux.
93. Le «degré de publicité adéquat» d’une passation de marché concerne en tout premier lieu la question de savoir si même une publication doit être effectuée. Il ne peut ainsi pas être exclu qu’il puisse également exister des cas dans lesquels un marché peut valablement être passé de gré à gré, c’est-à-dire sans publication préalable d’un avis de marché. Ce que les directives autorisent doit en effet, à plus forte raison, être permis dans le domaine d’application du droit primaire. Pour ne pas effacer la différence entre directives et droit primaire, il serait excessif de ne permettre la passation de marchés sans publication d’un avis de marché que sous les conditions posées par les directives, c’est-à-dire pour les motifs qui y sont limitativement énumérés. Il serait également excessif de faire dépendre la validité d’une telle procédure de la condition que tous les soumissionnaires potentiels soient contactés. Mais, si le pouvoir adjudicateur ou le concédant procédaient ainsi, la transparence serait en tout cas assurée (40).
94. Il convient, certes, inversement, d’empêcher que le pouvoir adjudicateur ou le concédant n’abuse de la liberté qui lui est accordée. On pourrait donc admettre que le droit primaire impose le principe de la publication obligatoire, avec plusieurs possibilités de dérogation. Le pouvoir adjudicateur ou le concédant devrait alors dans chaque cas motiver les raisons pour lesquelles il s’écarte de la règle de la publication.
95. Mais, même si l’on admet le principe de la publication obligatoire, de nombreuses questions restent encore ouvertes.
96. Ainsi se pose d’abord la question du mode de publication. Elle concerne, d’une part, l’aspect de la portée géographique, c’est-à-dire du niveau local, régional, national ou européen. D’autre part, elle concerne le média lui-même. Entrent ainsi en ligne de compte, à côté des moyens de communication imprimés classiques tels que journaux officiels, quotidiens ou publications du secteur économique concerné, les forums électroniques comme l’internet. Dans certains cas, on peut même recourir à la formule archaïque de l’affichage (41).
97. Mais le mode de publication ne constitue qu’un aspect parmi d’autres. À côté de cela, il est également important, pour le pouvoir adjudicateur ou le concédant, de savoir quelles contraintes les libertés fondamentales lui imposent en ce qui concerne le contenu minimal de la publication. De manière générale, le critère qui s’applique ici est qu’il faut fournir autant d’informations que nécessaire aux entreprises pour qu’elles puissent décider de leur participation à la procédure de passation du marché ou du dépôt d’une offre. Mais en aucun cas les libertés fondamentales ne fournissent un nombre de détails valables dans la totalité des cas tel qu’ils formeraient globalement des modèles d’avis de marché comme le prévoient les directives. C’est pourquoi le principe, qui vaut également en ce qui concerne le contenu minimal d’un avis de marché, est que les libertés fondamentales n’obligent pas dans tous les cas à fournir les indications que les modèles d’avis de marché imposent dans le droit dérivé.
98. Mais tant le mode de la publication que son contenu sont fonction des critères précités permettant, en droit primaire, de distinguer les catégories de marchés, et de la gradation qui en découle.
99. Compte tenu du fait que le dossier, en particulier l’ordonnance de renvoi, ne fournit pas les indications nécessaires pour pouvoir déterminer le degré de publicité adéquat pour le litige principal, et compte tenu du principe selon lequel il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre de la procédure préjudicielle au titre de l’article 234 CE, d’appliquer les dispositions du droit communautaire à une situation de fait concrète, il appartiendra au juge national de statuer sur le point de savoir si l’obligation de transparence a été respectée dans l’affaire au principal (42).
100. À cet effet, le juge national doit considérer, dans le cadre d’une analyse de marché, pour quels opérateurs économiques le marché projeté présente un intérêt, compte tenu de la concurrence potentielle, la valeur et l’objet du marché jouant à cet égard un rôle décisif.
b) La dérogation pour certains marchés «quasi in house»
101. Ainsi qu’on l’a exposé, ni la dérogation au droit dérivé de la jurisprudence Teckal et Stadt Halle et RPL Lochau ni la dérogation prévue à l’article 13 de la directive secteurs spéciaux ne peuvent conduire à ne pas appliquer le droit primaire, y compris donc les libertés fondamentales présentement en cause.
102. Si le marché en cause dans le litige principal doit effectivement être qualifié de concession de services et si, pour cette raison, il ne relève pas des directives, la question de savoir si les directives ne s’appliquent pas au marché en question en raison d’une autre circonstance, par exemple parce que la dérogation jurisprudentielle ou celle de la directive secteurs spéciaux jouent, est caduque. Le droit primaire s’applique en effet déjà pour une autre raison.
103. Au demeurant, il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre d’une demande préjudicielle au titre de l’article 234 CE, d’appliquer les dispositions du droit communautaire aux faits concrets de l’affaire. La Cour l’a souligné à plusieurs reprises précisément dans des affaires de marchés publics (43). C’est bien plutôt au juge national qu’il appartiendrait d’examiner si, dans l’affaire au principal, les critères développés par la Cour ou les conditions établies par la directive secteurs sont remplis. Mais il conviendrait au préalable d’examiner si l’une des directives est, oui ou non, applicable.
104. S’il s’agit d’une concession de services, et si les directives ne sont en conséquence pas applicables, l’application des deux dérogations visant les opérations «quasi in house» est en tout état de cause exclue.
VI – Conclusion
105. Au terme de cette analyse, je suggère à la Cour de répondre à la question préjudicielle dans les termes suivants:
«Les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils établissent le principe d’une obligation de transparence. Mais les articles 43 CE et 49 CE ne font pas dans tous les cas obstacle à une passation directe de marché, c’est-à-dire à une passation de marché sans publication d’un avis de marché ou sans appel à la concurrence. Pour se prononcer sur la question de savoir si une passation directe de marché est admissible dans une procédure de passation de marché telle qu’en l’espèce, le juge national doit considérer, dans le cadre d’une analyse de marché, pour quels opérateurs économiques le marché projeté présente un intérêt, compte tenu de la concurrence potentielle, la valeur et l’objet du marché jouant à cet égard un rôle décisif.»
1 – Langue originale: l’allemand.
2 – Arrêt du 7 décembre 2000 (C-324/98, Rec. p. I‑10745).
3 – JO L 209, p. 1, ultérieurement modifiée.
4 – JO L 199, p. 84, ultérieurement modifiée.
5 – GURI no 135, du 12 juin 1990. Cette loi a été reprise dans l’article 113 du decreto legislativo no 267, du 18 août 2000. Cette disposition a ultérieurement été modifiée par l’article 35, paragraphe 1, de la loi no 448, du 28 décembre 2001 (loi de finances pour l’année 2002).
6 – Ordonnances du 12 mars 2004, Austroplant-Arzneimittel (C-54/03, non publiée au Recueil, point 11); du 25 juin 1996, Italia Testa (C-101/96, Rec. p. I-3081, point 6); du 30 avril 1998, Testa et Modesti (C-128/97 et C-137/97, Rec. p. I-2181, point 15), et du 8 juillet 1998, Agostini (C-9/98, Rec. p. I-4261, point 6).
7 – Ordonnances Austroplant-Arzneimittel, précitée (note 6), point 11; du 7 avril 1995, Grau Gomis e.a. (C-167/94, Rec. p. I-1023, point 9), et du 28 juin 2000, Laguillaumie (C-116/00, Rec. p. I‑4979, point 16).
8 – Ordonnance Austroplant-Arzneimittel, précitée (note 6), point 12; arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra (C-379/98, Rec. p. I-2099, point 39), et du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital (C-390/99, Rec. p. I-607, point 19).
9 – Arrêt du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a. (C-320/90 à C-322/90, Rec. p. I‑393, point 6); ordonnances du 19 mars 1993, Banchero (C-157/92, Rec. p. I‑1085, point 4); Testa et Modesti, précitée (note 6), point 5; Agostini, précitée (note 6), point 4, et Austroplant-Arzneimittel, précitée (note 6), point 10.
10 – Arrêt du 13 avril 2000, Lehtonen et Castors Braine (C-176/96, Rec. p. I‑2681, point 22); ordonnances Banchero, précitée (note 9), point 5; Laguillaumie, précitée (note 7), point 19, et du 11 février 2004, Cannito e.a. (C-438/03, C-439/03, C-509/03 et C‑2/04, Rec. p. I-1605, point 6).
11 – Arrêt du 9 septembre 1999 (C-108/98, Rec. p. I‑5219, points 21 et suiv.).
12 – Voir, également, arrêt du 5 mars 2002, Reisch e.a. (C-515/99, C-519/99 à C-524/99 et C-526/99 à C-540/99, Rec. p. I‑2157, points 24 et suiv.), qui ne portait toutefois pas sur le droit des marchés publics.
13 – Arrêt précité (note 2).
14 – Ordonnance du 30 mai 2002 (C-358/00, Rec. p. I‑4685).
15 – Arrêt du 7 décembre 2000 (C-94/99, Rec. p. I‑11037), en ce qui concerne en particulier la troisième question préjudicielle.
16 – Voir, toutefois, arrêt du 5 décembre 2000, Guimont (C-448/98, Rec. p. I‑10663). Dans cette affaire, la question préjudicielle portait explicitement sur l’interprétation du droit communautaire primaire.
17 – Arrêt Telaustria et Telefonadress, précité (note 2), point 59; c’est nous qui soulignons.
18 – Voir également, par exemple, les circonstances de l’arrêt ARGE, précité (note 15).
19 – Arrêt Telaustria et Telefonadress, précité (note 2), point 60; confirmé, avec une autre formulation, par l’ordonnance du 3 décembre 2001, Vestergaard (C-59/00, Rec. p. I‑9505, point 20).
20 – Voir, à cet égard, arrêts du 10 avril 2003, Commission/Allemagne (C-20/01 et C‑28/01, Rec. p. I‑3609), et du 18 novembre 2004, Commission/Allemagne (C‑126/03, Rec. p. I-11195).
21 – Ordonnance du 14 novembre 2002, Comune di Udine et AMGA (C-310/01, non publiée au Recueil).
22 – Arrêt précité (note 11), point 20.
23 – Arrêt du 11 janvier 2005 (C-26/03, Rec. p. I-1).
24 – Arrêt du 18 novembre 1999 (C-107/98, Rec. p. I‑8121).
25 – Ordonnance Vestergaard, précitée (note 19), point 24.
26 – Arrêt du 7 mai 1991, Vlassopoulou (C-340/89, Rec. p. I‑2357, points 16 et suiv.).
27 – Arrêts du 27 février 2003, Santex (C-327/00, Rec. p. I‑1877, point 56), et du 10 avril 2003, Steffensen (C-276/01, Rec. p. I‑3735, point 66).
28 – Il s’agit, en ce qui concerne la liberté d’établissement et la libre prestation des services, des articles 45 CE et 55 CE.
29 – Communication interprétative de la Commission sur les concessions en droit communautaire (JO 2000, C 121, point 3.1).
30 – Arrêts du 19 mai 1993, Corbeau (C-320/91, Rec. p. I‑2533, point 16), et du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner (C-475/99, Rec. p. I‑8089, point 57).
31 – Arrêt du 23 octobre 1997, Commission/Pays-Bas (C-157/94, Rec. p. I‑5699, point 32).
32 – Arrêt précité (note 24).
33 – Arrêt précité (note 23).
34 – Livre vert sur les partenariats public-privé et le droit communautaire des marchés publics et des concessions (COM/2004/327 final, points 34 et suiv.).
35 – Le législateur communautaire a estimé que les procédures des directives ne sont pas appropriées en ce qui concerne les marchés de faible valeur [ordonnance Vestergaard, précitée (note 19), point 19].
36 – Arrêts précités (note 27) Steffensen, point 66, et – spécialement sur le droit des marchés publics – Santex, point 56.
37 – Arrêts du 18 novembre 1999, Unitron Scandinavia et 3‑S (C-275/98, Rec. p. I‑8291, point 31), et Telaustria et Telefonadress, précité (note 2), point 61.
38 – Voir, à cet égard, articles 12 de la directive services et 41 de la directive secteurs.
39 – Arrêt Telaustria et Telefonadress, précité (note 2), point 62; c’est nous qui soulignons.
40 – C’est ce que l’avocat général Fennelly admet au point 43 de ses conclusions, pour le litige principal dans l’affaire Telaustria et Telefonadress, dans la mesure où les soumissionnaires ne sont pas établis en totalité ou en majorité dans le même État que le pouvoir adjudicateur.
41 – La Commission l’admet également dans sa communication précitée (note 29).
42 – Sur une solution de ce type, voir arrêt Telaustria et Telefonadress, précité (note 2), point 63.
43 – Voir seulement, sur ce point, arrêts Telaustria et Telefonadress, précité (note 2), point 63; du 22 mai 2003, Korhonen e.a. (C-18/01, Rec. p. I‑5321); du 4 décembre 2003, EVN et Wienstrom (C-448/01, Rec. p. I-14527), et ordonnance Comune di Udine et AMGA, précitée (note 21).
Source : http://curia.europa.eu/
Voir également
CJCE, 21 juillet 2005, affaire C-231/03, Coname c/ Commune di CINGIA DE BOTTI - ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)