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CAA de Douai, 19 mars 2024, n° 23DA00221

CAA Douai, 19 mars 2024, n° 23DA00221

Lorsqu'un accord transactionnel vise à modifier le montant du décompte général d'un marché public sans pour autant modifier le marché lui-même, il constitue un contrat distinct et autonome. Ce contrat est alors régi par les dispositions du Code civil relatives aux intérêts moratoires contractuels, et non par les dispositions du Code de la commande publique et les stipulations contractuelles du marché initial.

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000049330254

Un groupement momentané conjoint d'entreprises s'est vu confier par la Chambre de Commerce et d'Industrie (CCI) du Havre, devenue CCI Seine Estuaire, des travaux d'amélioration des accès au pont-route de Tancarville.

Un accord transactionnel de médiation a été signé le 2 juillet 2019, fixant le montant du décompte général du marché à 61 000 000 euros HT, suite à un litige sur le décompte général initial.

Le 30 décembre 2019, la CCI Seine Estuaire a réglé le solde du marché au groupement, mais ce paiement a été effectué avec un retard de 120 jours par rapport à la date fixée dans l'accord transactionnel.

Les sociétés membres du groupement ont réclamé à la CCI le paiement d'intérêts moratoires contractuels et légaux ainsi que des dommages en raison du retard de paiement.

 

Les sociétés membres du groupement sont-elles en droit de réclamer des intérêts moratoires à la CCI Seine Estuaire pour le retard de paiement du solde du marché ?

L'accord transactionnel signé constitue un contrat autonome régi par les dispositions du Code civil sur les intérêts moratoires, distinct des règles de la commande publique et des termes contractuels du marché initial. Par conséquent, les intérêts moratoires dus en raison du retard de paiement sont soumis aux dispositions légales du Code civil et non à celles de la commande publique. Ainsi, les sociétés appelantes ne peuvent prétendre aux intérêts moratoires contractuels.

Le paiement tardif du solde du marché ne peut donner lieu qu'au versement des intérêts moratoires au taux légal prévus par le Code civil.

En l'absence de demande préalable de paiement des intérêts moratoires avant la saisine du juge, la demande des sociétés appelantes est rejetée. En conséquence, les sociétés appelantes ne sont pas fondées à demander des intérêts moratoires contractuels sur le paiement du solde du marché et les intérêts légaux à compter d'une date ultérieure.

[...].

En ce qui concerne la demande de versement d'une somme de 399 446,50 euros au titre des intérêts moratoires au taux contractuel dus sur le solde du marché :

4. Aux termes de l'article 2044 du code civil : " La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. / Ce contrat doit être rédigé par écrit. ". Aux termes de l'article 1231-6 du même code : " Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. / Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. /Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire. ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 2192-14 du code de la commande publique : " Toute renonciation à paiement des intérêts moratoires est réputée non écrite ".

5. Il résulte de l'instruction que, pour mettre un terme définitif au différend les opposant en ce qui concerne le règlement du solde du marché de travaux réalisés au titre de l'amélioration des accès au pont-route de Tancarville, la CCI Seine Estuaire et le groupement titulaire constitué des sociétés Guintoli (mandataire), EHTP, Gagneraud construction, NGE Génie civil et Siorat ont signé, le 18 avril 2019, une convention de médiation sur le fondement de l'article L. 213-1 du code de justice administrative. A l'issue du processus de médiation, les parties sont parvenues à un accord amiable, formalisé dans un document intitulé " accord transactionnel de médiation " signé le 2 juillet 2019, par lequel elles ont consenti à des concessions réciproques et fixé, forfaitairement et définitivement pour solde de tous comptes en principal et intérêts, le montant global du marché à un nouveau montant hors taxes de 61 millions d'euros incluant les reprises de réserves, les révisions de prix et les intérêts moratoires, calcul arrêté au 30 juin 2019 pour un règlement prévu au plus tard le 31 août 2019.

6. Si, par la voie de cet accord, les parties ont décidé de modifier le montant du décompte général du marché notifié par la CCI le 20 décembre 2017, elles ne sauraient pour autant être regardées comme ayant eu l'intention de modifier ou de prolonger le marché initial dès lors qu'il résulte de l'instruction, notamment des termes mêmes de l'accord, que son seul objet était de mettre fin à toute contestation concernant le règlement du marché, les parties s'engageant à renoncer définitivement à toute procédure concernant ce litige. Par suite, comme l'a retenu à bon droit le tribunal, cet accord transactionnel constitue un contrat autonome, distinct du contrat de marché public, qui se trouve ainsi régi par les dispositions du code civil et non par les dispositions du code de la commande publique et les stipulations contractuelles du marché conclu entre les parties. Il en résulte que les intérêts résultant du retard de paiement de la CCI Seine Estuaire ne peuvent donner lieu, le cas échéant, qu'au versement des intérêts moratoires au taux légal prévus par le code civil dans les conditions rappelées au point 4. Dans ces conditions, les appelantes ne sont pas fondées à soutenir qu'en jugeant que, du fait de l'inexécution de cet accord, le retard de paiement du solde du marché au regard de la date limite fixée au 31 août 2019 par la transaction était seulement susceptible de donner lieu à l'application d'intérêts au taux légal, le tribunal a méconnu l'interdiction d'ordre public, posée par le code de la commande publique, de renoncer au paiement des intérêts moratoires.

En ce qui concerne la demande de paiement d'intérêts au taux légal :

7. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1231-6 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine.

8. Il est constant que le solde du marché d'un montant de 14 979 243,76 euros a été réglé le 30 décembre 2019 au groupement par la CCI Seine Estuaire. Or, il ne résulte pas de l'instruction qu'avant l'intervention de ce paiement correspondant à la créance principale détenue par le groupement dont la société Guintoli est le mandataire, cette dernière aurait adressé à la CCI une demande aux fins de règlement du solde du marché, fixé au 31 août 2019 par l'accord transactionnel signé le 2 juillet 2019. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande des sociétés appelantes tendant au paiement des intérêts dus en application de l'article 1231-6 du code civil.

9. Il résulte de ce qui précède que les sociétés appelantes ne sont pas fondées à demander la condamnation de la CCI Seine Estuaire à leur verser la somme de 399 446,50 euros d'intérêts moratoires contractuels sur le paiement du solde du marché et les intérêts contractuels ou à défaut au taux légal à compter du 11 mars 2020.

[...].

MAJ 30/03/24 - Source legifrance

Jurisprudence

CE, 18 mai 2021, n° 443153, Cté d’agglomération de Lens-Liévin (Interdiction de renoncer aux intérêts moratoires dans un marché public. Requalification d'une concession d'aménagement en marché public en l'absence de transfert du risque lié à l'exploitation).

Actualités

Interdiction de renoncer aux intérêts moratoires dans un marché public. Requalification d'une concession d'aménagement en marché public en l'absence de transfert du risque lié à l'exploitation. - 25 mai 2021.