CE, 3 mai 2022, n° 459678 - Méthode d’évaluation reposant sur des flèches de couleur
Méthode d'appréciation des offres composée d’une évaluation littérale décrivant les qualités des offres pour chaque critère, suivie d’une flèche qui la résumait. Validation d'une méthode d’évaluation reposant sur des flèches de couleur pour l’attribution d’un contrat de concession
Dans le cadre de cette méthode, une flèche verte orientée vers le haut représentait la meilleure appréciation, une flèche rouge vers le bas la moins bonne, tandis que des flèches orange orientées en haut à droite ou en bas à droite constituaient deux évaluations intermédiaires. Enfin, offres ayant été classées au regard de l’appréciation que l’autorité concédante avait portée sur chacun des critères. Cette méthode d’évaluation des offres, qui permet de comparer et de classer tant les évaluations portées sur une même offre au titre de chaque critère que les différentes offres entre elles, n’est pas de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et n’est, par suite, pas entachée d’irrégularité. Cet arrêt du Conseil d'État apporte des clarifications sur la régularité des méthodes d'évaluation des offres dans le cadre des contrats de concession. Il établit un équilibre entre la liberté de l'autorité concédante et la nécessité de garantir l'égalité de traitement des candidats et la transparence des procédures.
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000045750976
Résumé
Les faits et la procédure
La commune de Saint-Cyr-sur-Mer a lancé une procédure de mise en concurrence pour l'attribution de sous-concessions de la plage artificielle des Lecques. La société Les Copines, candidate à l'attribution du lot n°5, a été informée du rejet de son offre au profit de la société La Siesta.
La procédure contentieuse s'est déroulée en plusieurs étapes :
1. La société Les Copines a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulon d'une demande d'annulation de la procédure de mise en concurrence.
2. Par une ordonnance du 6 décembre 2021, le juge des référés a annulé cette procédure.
3. La société La Siesta a formé une tierce opposition contre cette ordonnance.
4. Par une nouvelle ordonnance du 7 janvier 2022, le juge des référés a partiellement annulé sa première ordonnance, en limitant l'annulation au stade de l'examen des offres.
5. La commune de Saint-Cyr-sur-Mer s'est pourvue en cassation contre ces deux ordonnances devant le Conseil d'État.
Le problème de droit
La question centrale posée au Conseil d'État est celle de la régularité de la méthode d'évaluation des offres utilisée par l'autorité concédante dans le cadre d'une procédure de mise en concurrence pour l'attribution d'un contrat de concession.
Plus précisément, il s'agit de déterminer :
1. Dans quelle mesure l'autorité concédante est-elle libre de définir sa méthode d'évaluation des offres ?
2. Quelles sont les limites à cette liberté ?
3. Quel est le contrôle que doit exercer le juge des référés sur cette méthode d'évaluation ?
La solution retenue par le Conseil d'État
Le Conseil d'État a annulé les ordonnances du juge des référés et rejeté la demande initiale de la société Les Copines. Les principaux points de sa décision sont les suivants :
1. L'autorité concédante définit librement la méthode d'évaluation des offres au regard de chacun des critères d'attribution qu'elle a définis et rendus publics.
2. Une méthode d'évaluation est entachée d'irrégularité si :
- Les éléments d'appréciation sont dépourvus de tout lien avec les critères d'attribution.
- Les modalités d'évaluation sont de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation.
- Elle est susceptible de conduire à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée ou que l'offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie.
3. La publicité éventuellement donnée à une méthode d'évaluation irrégulière ne la rend pas pour autant régulière.
4. Le juge des référés doit se limiter à rechercher si la méthode d'évaluation n'est pas, par elle-même, de nature à priver de leur portée les critères ou à neutraliser la hiérarchisation retenue par l'autorité concédante.
5. En l'espèce, la méthode d'évaluation utilisée par la commune, basée sur une appréciation qualitative des offres avec des évaluations littérales et des flèches de couleur, n'est pas entachée d'irrégularité.
Commentaire
La liberté de l'autorité concédante et les limites de cette liberté
Le Conseil d'État réaffirme avec force le principe de liberté de l'autorité concédante dans le choix de sa méthode d'évaluation des offres. Cette position s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure et respecte l'esprit des textes, notamment l'article L. 3124-5 du code de la commande publique qui prévoit que le contrat de concession est attribué au soumissionnaire qui a présenté la meilleure offre "au regard de l'avantage économique global pour l'autorité concédante".
Cette liberté se manifeste tant dans le choix des éléments d'appréciation que dans les modalités de leur combinaison. Elle permet à l'autorité concédante d'adapter sa méthode d'évaluation aux spécificités de chaque contrat de concession.
Le Conseil d'État encadre cependant cette liberté par des limites précises, qui découlent des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces limites visent à garantir que la méthode d'évaluation choisie permette effectivement de sélectionner l'offre présentant le meilleur avantage économique global.
L'arrêt précise trois cas d'irrégularité :
1. L'absence de lien entre les éléments d'appréciation et les critères d'attribution.
2. La neutralisation de la portée des critères ou de leur hiérarchisation.
3. Le risque que la meilleure offre ne soit pas sélectionnée.
Ces limites constituent un équilibre subtil entre la liberté de l'autorité concédante et la nécessité de garantir l'égalité de traitement des candidats.
La publicité de la méthode d'évaluation
Le Conseil d'État apporte une précision importante en indiquant que la publicité donnée à une méthode d'évaluation ne peut pas "régulariser" une méthode qui serait par ailleurs irrégulière. Cette position renforce l'importance du contrôle intrinsèque de la méthode, indépendamment de sa communication aux candidats.
Le contrôle du juge des référés
L'arrêt clarifie l'étendue du contrôle que doit exercer le juge des référés sur la méthode d'évaluation. Ce contrôle doit se limiter à vérifier si la méthode ne prive pas les critères de leur portée ou ne neutralise pas leur hiérarchisation.
Cette position témoigne d'une volonté de ne pas substituer l'appréciation du juge à celle de l'autorité concédante, tout en garantissant un contrôle effectif du respect des principes fondamentaux de la commande publique.
La validation de la méthode qualitative
En validant la méthode d'évaluation qualitative utilisée par la commune de Saint-Cyr-sur-Mer, le Conseil d'État ouvre la voie à des méthodes d'évaluation plus souples et diversifiées. L'utilisation d'appréciations littérales et de symboles visuels (flèches colorées) est ainsi reconnue comme pouvant constituer une méthode valable, à condition qu'elle permette effectivement de comparer et de classer les offres.
Cette position peut être vue comme une adaptation du droit aux pratiques des autorités concédantes, qui ne se limitent pas toujours à des évaluations purement chiffrées.
Texte
[...]
4. Aux termes de l'article L. 3124-5 du code de la commande publique : " Le contrat de concession est attribué au soumissionnaire qui a présenté la meilleure offre au regard de l'avantage économique global pour l'autorité concédante sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du contrat de concession ou à ses conditions d'exécution. Lorsque la gestion d'un service public est concédée, l'autorité concédante se fonde également sur la qualité du service rendu aux usagers. / Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'autorité concédante et garantissent une concurrence effective. Ils sont rendus publics dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. / Les modalités d'application du présent article sont prévues par voie réglementaire. ". Selon l'article R. 3124-5 de ce code : " L'autorité concédante fixe les critères d'attribution par ordre décroissant d'importance. Leur hiérarchisation est indiquée dans l'avis de concession, dans l'invitation à présenter une offre ou dans tout autre document de la consultation. (...) ". Aux termes de l'article R. 3124-6 du même code : " Les offres qui n'ont pas été éliminées en application de l'article L. 3124-2 sont classées par ordre décroissant sur la base des critères prévus aux articles R. 3124-4 et R. 3124-5. / L'offre la mieux classée est retenue. "
5. L'autorité concédante définit librement la méthode d'évaluation des offres au regard de chacun des critères d'attribution qu'elle a définis et rendus publics. Elle peut ainsi déterminer tant les éléments d'appréciation pris en compte pour son évaluation des offres que les modalités de leur combinaison. Une méthode d'évaluation est toutefois entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d'appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère d'attribution sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation ou si les modalités d'évaluation des critères d'attribution par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l'ensemble des critères, à ce que l'offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que l'autorité concédante, qui n'y est pas tenue, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode d'évaluation.
6. Le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a considéré que la méthode d'évaluation de l'offre litigieuse, dans le cadre de laquelle l'appréciation de l'autorité concédante sur les différents critères d'attribution était matérialisée par des flèches de couleur, était irrégulière faute pour ces signes d'être convertis en note chiffrée, ce qui laissait " une trop grande part à l'arbitraire ". En jugeant ainsi, alors qu'il résulte des principes énoncés au point précédent qu'il lui incombait seulement de rechercher si la méthode d'évaluation retenue n'était pas, par elle-même, de nature à priver de leur portée les critères ou à neutraliser la hiérarchisation qu'avait retenue l'autorité concédante, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a commis une erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède, d'une part, que l'ordonnance du 6 décembre 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Toulon doit être annulée en tant qu'elle n'a pas été déclarée nulle et non avenue par l'article 2 de l'ordonnance du 7 janvier 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Toulon et, d'autre part, que l'article 3 de cette dernière ordonnance doit être annulé, ainsi que son article 5 en tant qu'il rejette les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la commune de Saint-Cyr-sur-Mer.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire dans cette mesure au titre de la procédure de référé engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative. Sur la demande présentée par la société Les Copines devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulon :
9. En premier lieu, aux termes de l'article R. 3125-3 du code de la commande publique : " L'autorité concédante communique aux soumissionnaires ayant présenté une offre qui n'a pas été éliminée en application de l'article L. 3124-2 les caractéristiques et les avantages relatifs de l'offre retenue, dans les quinze jours de la réception d'une demande à cette fin. "
10. Il résulte de l'instruction que, par le courrier du 18 novembre 2021 informant la société Les Copines du rejet de son offre, l'autorité concédante a porté à la connaissance de cette société les informations relatives aux caractéristiques et avantages de l'offre de la société La Siesta. Par courrier du 24 novembre 2021, la société Les Copines a demandé des précisions relatives au projet architectural et aux prestations proposés par la société La Siesta, notamment en matière d'offre familiale, de partenariats locaux et d'accès au lot concerné. S'il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Saint-Cyr-sur-Mer aurait répondu à ces demandes de précision par un courrier séparé, cette dernière doit être regardée, eu égard aux informations transmises par son courrier du 18 novembre 2021 et aux précisions apportées dans ses écritures devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulon quant aux caractéristiques et avantages de l'offre retenue, comme s'étant conformée aux obligations prévues par les dispositions de l'article R. 3125-3 du code de la commande publique dans un délai qui était de nature à permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.
11. En deuxième lieu, l'autorité concédante a, pour évaluer les offres qui lui étaient soumises, associé à chacun des critères hiérarchisés qu'elle avait fixés et rendus publics une appréciation qualitative des offres. Cette appréciation était composée d'une évaluation littérale décrivant les qualités des offres pour chaque critère, suivie d'une flèche qui la résumait. Dans le cadre de cette méthode, une flèche verte orientée vers le haut représentait la meilleure appréciation, une flèche rouge vers le bas la moins bonne, tandis que des flèches orange orientées en haut à droite ou en bas à droite constituaient deux évaluations intermédiaires. Elle a enfin classé les offres au regard de l'appréciation qu'elle avait portée sur chacun des critères. Il résulte des principes énoncés au point 5 que cette méthode d'évaluation des offres, qui permet de comparer et de classer tant les évaluations portées sur une même offre au titre de chaque critère que les différentes offres entre elles, n'est pas de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et n'est, par suite, pas entachée d'irrégularité.
12. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Saint-Cyr-sur-Mer aurait pris en compte des sous-critères relatifs aux partenariats locaux et à l'offre familiale sans les porter préalablement à la connaissance des candidats.
13. En quatrième lieu, le montant prévisionnel des redevances proposées par les candidats, alors même qu'il serait évalué pour partie par référence au chiffre d'affaire prévisionnel s'agissant des redevances variables, n'est pas dépourvu de tout lien avec le critère de la qualité et la cohérence des offres sur le plan financier, dont il est un élément d'appréciation, et vise à apprécier non la valeur financière de l'offre mais la cohérence et la crédibilité de celle-ci au plan financier. Par suite, la société Les Copines n'est pas fondée à soutenir que cet élément d'appréciation des offres, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'il devrait être regardé comme un sous-critère, entacherait d'irrégularité la méthode d'évaluation retenue par l'autorité concédante.
14. Il résulte de ce qui précède que la demande présentée par la société Les Copines devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulon doit être rejetée.
[...]
MAJ 30/05/22 - Source legifrance
Jurisprudence
CE, 18 juillet 2024, n° 492880 (Evaluation des offres par couleurs. Le code couleur de l'égalité : quand le rouge, le jaune et le vert révèlent une rupture d'égalité dans une délégation de service public. En l'espèce, des documents non-conformes ou insuffisants ont été notés " rouge " s'agissant de certaines offres alors que des documents présentés par des candidats admis à négocier et affectés de ces mêmes manquements ont été notés " jaune " ou " vert ". Différence de traitement des candidats constituant une méconnaissance du principe d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures).
CE, 3 novembre 2014, n° 373362, Commune de Belleville-sur-Loire, Publié au recueil Lebon (Régularité d'une méthode de notation en matière de marchés publics. Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en oeuvre de chacun des critères de sélection des offres qu’il a définis et rendus publics. Il n’est en revanche pas tenu d’informer les candidats de la méthode de notation des offres. Par contre ces méthodes de notation ne doivent pas être de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération).
Actualités
Analyse des offres et incohérences entre les appréciations et les notes attribuées aux candidats. - 30 juin 2021.