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La défection du partenaire du titulaire, n’est pas constitutive d’un cas de force majeure et ne révélait pas des “ difficultés techniques particulières “ au sens de l’article 31.1 du CCAG-FCS, relatif au pouvoir de résiliation du pouvoir adjudicateur. En cas d'urgence, le juge des référés peut, sur le fondement des dispositions de l'article L521-3 du code de justice administrative, ordonner, éventuellement sous astreinte, au cocontractant, dans le cadre de ses obligations contractuelles, de prendre à titre provisoire toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement, à condition que cette mesure soit utile, justifiée par l'urgence, ne fasse obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?idTexte=CETATEXT000038535110
Résumé
L’université de Rennes 1 demande sur le fondement du « référé mesures utiles » issu de l’article L521-3 du code de justice administrative d’enjoindre à la société Complétel, filiale de SFR, de rétablir une connexion Internet d’un débit de 80 Mbits/s entre la station biologique de Paimpont et l’université de Rennes 1. Ceci sous une astreinte de 2 000 euros par jour de retard.
Le juge des référés du tribunal administratif a fait droit à la demande de l’université.
Par un pourvoi en cassation, la société Complétel demande au Conseil d’Etat, de notamment annuler l’ordonnance du tribunal.
Le Conseil d’Etat ne va pas faire droit aux demandes de la société Complétel alors qu’elle n’avait pas respecté ses obligations contractuelles en matière des performances de débit sur lesquelles elle s’était engagé.
Il s’agit d’un contrat conclu le 1er juin 2015, destiné à assurer la fourniture de services d’adduction à un réseau en très haut débit entre plusieurs sites répartis en Bretagne, dont celui de la station biologique de Paimpont, et le campus de Beaulieu à Rennes où se trouvent les serveurs de l’université.
Pour le site de Paimpont, l’acte d’engagement prévoyait que le site disposerait d’un débit de 80 Mbit/s nominal obtenu par voie de faisceau hertzien. Le mémoire technique de la société Complétel mentionnait que ce faisceau était fourni à Completel par la société Altitude Infrastructure.
En 2019 est intervenue une rupture du faisceau hertzien alors que la société Altitude infrastructure avait cessé l’exploitation de la technologie de raccordement par faisceau hertzien mise en place sur le site de Paimpont.
Pour maintenir la liaison entre Paimpont les serveurs de l’université, Complétel a proposé une solution de contournement en remplaçant la liaison hertzienne par un service reposant sur la technologie 4G. Cette solution, a finalement été acceptée par l’université.
Cependant, après la mise en place de la solution de substitution, l’université a constaté l’extrême faiblesse du débit entre les deux sites et, par une nouvelle mise en demeure, a exigé de son cocontractant qu’il satisfasse à ses obligations contractuelles en matière de débit.
La mise en demeure étant restée infructueuse, l’université de Rennes 1 a saisi le juge des référés du tribunal administratif, afin qu’il ordonne, sous astreinte, à la société Complétel qu’elle rétablisse, dans un délai de huit jours, le réseau hertzien ou mette en oeuvre toute autre technologie permettant de rétablir une connexion d’un débit de 80 Mbits/s pour la station biologique de Paimpont.
Le Conseil d’Etat rappelle les dispositions de l’article L521-3 du code de justice administrative selon lesquelles : « En cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative ».
Par ailleurs « S’il n’appartient pas au juge administratif d’intervenir dans l’exécution d’un marché public en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l’administration, lorsque celle-ci dispose à l’égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l’exécution du contrat, il en va autrement quand l’administration ne peut user de moyens de contrainte à l’encontre de son cocontractant qu’en vertu d’une décision juridictionnelle. En pareille hypothèse, le juge du contrat est en droit de prononcer, à l’encontre du cocontractant, une condamnation, éventuellement sous astreinte, à une obligation de faire. »
Le Conseil d’Etat constate que si, la société Complétel avait indiqué dans son mémoire technique qu’elle aurait recours à la société Altitude Infrastructure, seule, selon elle, en mesure de lui fournir un accès en faisceau hertzien d’un débit suffisant, « cette indication ne revêtait pas une valeur contractuelle et ne pouvait dès lors être regardée comme une condition suspensive à laquelle était subordonnée l’existence du service fourni par la société Complétel ».
Par ailleurs la caducité de l’obligation de fournir un débit garanti de 80 Mbits/s pesant sur la société Complétel n’était pas sérieusement contestée.
En outre, d’autres sociétés que la société Altitude Infrastructure proposaient un service de faisceau hertzien et la société Complétel n’établissait pas avoir cherché un nouveau fournisseur de faisceau hertzien. Ce constat traduisant la possibilité éventuelle de trouver des prestataires de substitution.
Le titulaire ne démontrait pas avoir recherché avec son fournisseur une solution hertzienne jusqu’à la fin du contrat, « alors même qu’elle était parvenue à différer de deux mois la date de rupture de la connexion » laissant ainsi supposer la possibilité d’une solution alternative.
Le Conseil d’Etat estime également que la fibre n’était pas la seule alternative technique permettant d’atteindre le niveau de haut débit fixé contractuellement.
Enfin la défection du fournisseur de faisceau hertzien de la société Complétel, n’est pas constitutive d’un cas de force majeure et ne révélait pas des “ difficultés techniques particulières “ au sens de l’article 31.1 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services, relatif au pouvoir de résiliation du pouvoir adjudicateur.
Le cas de force majeur de nature à faire obstacle à la poursuite de l’exécution du contrat n’est pas établi.
Il n’est pas non plus constaté l’existence de difficultés techniques particulières.
La mesure d’injonction demandée par l’université ne se heurtait pas, du fait de l’impossibilité matérielle alléguée de l’exécuter, à une contestation sérieuse.
Le montant de l’astreinte à 2 000 euros par jours de retard n’a pas non plus été jugée inapplicable et excessive.
Texte
Conseil d’État
N° 428628
ECLI:FR:CECHS:2019:428628.20190529
Inédit au recueil Lebon
7ème chambre
M. Olivier Yeznikian, rapporteur
Mme Mireille Le Corre, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX ; SCP DIDIER, PINET, avocat(s)
lecture du mercredi 29 mai 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
L’université de Rennes 1 a demandé, sur le fondement de l’article L521-3 du code de justice administrative, au juge des référés du tribunal administratif de Rennes d’enjoindre à la société Complétel de rétablir le réseau hertzien ou de mettre en oeuvre toute autre technologie permettant de rétablir une connexion d’un débit de 80 Mbits/s entre la station biologique de Paimpont et l’université de Rennes 1, jusqu’à ce que le juge du fond ait statué et, en tout état de cause jusqu’au terme du marché, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir, sous une astreinte de 2 000 euros par jour de retard jusqu’à la date à laquelle cette ordonnance aura reçu exécution.
Par une ordonnance n° 1900542 du 18 février 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a fait droit à la demande de l’université.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 6 et 20 mars et les 7 et 20 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Complétel demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de l’université de Rennes 1 ;
3°) de mettre à la charge de l’université de Rennes 1 la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article L761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Yeznikian, conseiller d’Etat,
- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société Complétel et à la SCP Didier, Pinet, avocat de l’université de Rennes 1.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l’article L521-3 du code de justice administrative : “ En cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative “.
2. S’il n’appartient pas au juge administratif d’intervenir dans l’exécution d’un marché public en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l’administration, lorsque celle-ci dispose à l’égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l’exécution du contrat, il en va autrement quand l’administration ne peut user de moyens de contrainte à l’encontre de son cocontractant qu’en vertu d’une décision juridictionnelle. En pareille hypothèse, le juge du contrat est en droit de prononcer, à l’encontre du cocontractant, une condamnation, éventuellement sous astreinte, à une obligation de faire. En cas d’urgence, le juge des référés peut, sur le fondement des dispositions de l’article L521-3 du code de justice administrative, ordonner au cocontractant, éventuellement sous astreinte, de prendre à titre provisoire toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement, à condition que cette mesure soit utile, justifiée par l’urgence, ne fasse obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse. Les obligations du cocontractant doivent être appréciées en tenant compte, le cas échéant, de l’exercice par l’autorité administrative du pouvoir de modification unilatérale dont elle dispose en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs.
3. Il ressort des pièces du dossier que l’université de Rennes 1 a conclu le 1er juin 2015 avec la société Complétel un marché d’une durée ferme d’un an, reconductible tacitement trois fois, destiné à assurer la fourniture de services d’adduction à un réseau en très haut débit entre plusieurs sites répartis en Bretagne, dont celui de la station biologique de Paimpont, et le campus de Beaulieu à Rennes où se trouvent les serveurs de l’université. S’agissant du site de Paimpont, il était prévu par l’acte d’engagement que le site devait être raccordé avec un débit de 80 Mbit/s nominal “ service L2/L3 “, obtenu par voie de faisceau hertzien, lequel était, ainsi qu’il était mentionné dans le mémoire technique produit à l’appui de l’offre de la société Complétel, fourni à cette société par la société Altitude Infrastructure. Alors que le marché, reconduit pour la troisième fois consécutive, devait expirer le 7 juin 2019, une rupture du faisceau hertzien est intervenue le 24 janvier 2019 après que la société Altitude infrastructure a cessé l’exploitation de la technologie de raccordement par faisceau hertzien mise en place sur le site de Paimpont. Afin de maintenir la liaison entre la station biologique de Paimpont et le campus de Beaulieu, la société Complétel a proposé de substituer à la liaison par faisceau hertzien un service reposant sur la technologie 4G. Cette solution, d’abord refusée par les services de l’université, a finalement été acceptée à la suite d’un aménagement pris en charge par la société Complétel. Cependant, après l’intervention de la coupure de la liaison hertzienne le 24 janvier 2019, l’université a constaté, en dépit de la solution de substitution mise en place par la société Complétel, l’extrême faiblesse du débit entre les deux sites et, par une nouvelle mise en demeure, a exigé de son cocontractant qu’il satisfasse à ses obligations contractuelles en matière de débit. Celle-ci étant restée infructueuse, l’université de Rennes 1 a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, sur le fondement de l’article L521-3 du code de justice administrative, afin qu’il ordonne, sous astreinte, à la société Complétel qu’elle rétablisse, dans un délai de huit jours, le réseau hertzien ou mette en oeuvre toute autre technologie permettant de rétablir une connexion d’un débit de 80 Mbits/s pour la station biologique de Paimpont. La société Complétel se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du 18 février 2019 par laquelle le juge des référés de ce tribunal a fait droit à la demande de l’université.
4. En premier lieu, en relevant dans l’ordonnance attaquée que si, lors de la procédure de passation du marché, la société Complétel avait indiqué dans un mémoire technique qu’elle ferait appel aux services de la société Altitude Infrastructure, seule en mesure de lui fournir un accès en faisceau hertzien d’un débit suffisant, cette indication ne revêtait pas une valeur contractuelle et ne pouvait dès lors être regardée comme une condition suspensive à laquelle était subordonnée l’existence du service fourni par la société Complétel, le juge des référés a procédé à une appréciation souveraine des stipulations contractuelles qui n’est entachée d’aucune dénaturation. Par suite, et contrairement à ce qui est soutenu par la société, le juge des référés n’a pas non plus dénaturé les pièces du dossier en considérant que la demande de l’université de Rennes 1 ne se heurtait pas à une contestation sérieuse tenant à la caducité de l’obligation de fournir un débit garanti de 80 Mbits/s pesant sur la société Complétel.
5. En deuxième lieu, le juge des référés a relevé, d’une part, que d’autres sociétés que la société Altitude Infrastructure proposaient un service de faisceau hertzien et que la société Complétel n’établissait pas avoir cherché un nouveau fournisseur de faisceau hertzien. Il a considéré, d’autre part, que la société Complétel ne démontrait pas avoir recherché avec son fournisseur une solution qui aurait permis d’assurer la pérennité du service radio jusqu’au terme de son contrat avec l’université, alors même qu’elle était parvenue à différer de deux mois la date de rupture de la connexion. Il a estimé enfin qu’il n’était pas établi que l’ensemble des solutions de remplacement fondées sur le recours à la 4G avait été étudié par la société Complétel et a retenu que la fibre n’était pas la seule alternative technique permettant d’atteindre le niveau de haut débit fixé contractuellement. En procédant à ces différents constats, le juge des référés a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis et les faits de l’espèce une appréciation souveraine qui n’est pas entachée de dénaturation.
6. En troisième lieu, pour estimer que la mesure sollicitée par l’université ne se heurtait pas à une contestation sérieuse en dépit de la défection du fournisseur de faisceau hertzien de la société Complétel, le juge des référés a retenu que, contrairement à ce qui était soutenu par cette société, cette circonstance n’était pas constitutive d’une situation de force majeure et ne révélait pas des “ difficultés techniques particulières “ au sens que lui donne l’article 31.1 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services, relatif au pouvoir de résiliation du pouvoir adjudicateur. En écartant l’existence d’un cas de force majeur de nature à faire obstacle à la poursuite de l’exécution du contrat, le juge des référés n’a pas procédé à une inexacte qualification juridique des faits. Il n’a pas non plus entaché son appréciation souveraine des faits de dénaturation en ne relevant pas l’existence de difficultés techniques particulières. Il n’a pas davantage dénaturé les pièces du dossier en estimant que la mesure d’injonction demandée par l’université ne se heurtait pas, du fait de l’impossibilité matérielle alléguée de l’exécuter, à une contestation sérieuse.
7. En dernier lieu, en fixant, après avoir ménagé une alternative quant aux modalités techniques à mettre en oeuvre, le montant de l’astreinte à 2 000 euros par jours de retard à l’issue du délai de huit jours imparti par l’injonction jusqu’au rétablissement de la connexion à très haut débit, le juge des référés a procédé à une appréciation souveraine exempte de dénaturation.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Complétel n’est pas fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée.
9. Les dispositions de l’article L761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’il soit fait droit à la demande présentée sur leur fondement par la société Complétel. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Complétel une somme de 3 000 euros à verser à l’université de Rennes 1 sur le même fondement.
DECIDE :
Article 1er : Le pourvoi de la société Complétel est rejeté.
Article 2 : La société Complétel versera à l’université de Rennes 1 la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Complétel et à l’université de Rennes 1.
Copie en sera adressée à la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
MAJ 15/06/19 - Source legifrance
Jurisprudence
CE, 25 juin 2018, n° 418493, ADEME (Le juge du référé mesures utiles peut enjoindre au titulaire de continuer l'exécution du marché. Le Conseil d’Etat vérifie que la mesure demandée par l’acheteur présente un caractère provisoire, soit utile, justifiée par l’urgence, ne fasse obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse. Cas d'un marché informatique pour mettre en place un progiciel applicatif prenant en charge toutes les fonctions comptables, budgétaires et de gestion des achats d'un acheteur).
CE, 1er mars 2012, n° 354628, Société assistance conseil informatique professionnelle (Dans les cas où l'administration ne peut user de moyens de contrainte à l'encontre du cocontractant auquel elle a confié la gestion d'un service public qu'en vertu d'une décision juridictionnelle, le juge du référé mesures utiles peut, en cas d'urgence, ordonner sur le fondement de l'article L551-3 du code de justice administrative, éventuellement sous astreinte, de prendre à titre provisoire toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement, à condition que cette mesure soit utile, justifiée par l'urgence, ne fasse obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse).