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CE, 18 mai 2021, n° 443153, Cté d’agglomération de Lens-Liévin

Conseil d’Etat, 20 juillet 2021, n° 443346 - Mentionné dans les tables du recueil Lebon

Un tiers à un contrat administratif n'est recevable à contester la validité d'un contrat que s'il est susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou par ses clauses. Si, en vertu de l'article 21-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, le Conseil national des barreaux a qualité pour agir en justice en vue notamment d'assurer le respect de l'obligation de recourir à un professionnel du droit, la seule attribution, par une collectivité territoriale, d'un marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage à un opérateur économique déterminé ne saurait être regardée comme susceptible de léser de façon suffisamment directe et certaine les intérêts collectifs dont le Conseil national des barreaux a la charge, alors même que le marché confie à cet opérateur une mission pouvant comporter la rédaction d'actes juridiques susceptibles d'entrer dans le champ des dispositions de l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971.

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000043834070       

Un ordre professionnel ne justifie pas automatiquement d'un intérêt à agir contre un contrat administratif du seul fait que ce contrat comporte des prestations relevant potentiellement du champ d'activité de la profession concernée. L'ordre doit démontrer une lésion suffisamment directe et certaine des intérêts collectifs dont il a la charge.

 En l'espèce, le Conseil national des barreaux contestait l'attribution d'un marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage comportant potentiellement des prestations juridiques. Le Conseil d'État a jugé que la seule attribution de ce marché ne suffisait pas à caractériser une lésion suffisamment directe et certaine des intérêts de la profession d'avocat, rendant ainsi le recours du CNB irrecevable.

Contexte et faits de l'espèce

Dans cette affaire, la communauté d'agglomération de La Rochelle a attribué en mai 2015 un marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage à la société Espélia pour l'élaboration et la passation d'un marché de collecte des déchets ménagers.

Le Conseil national des barreaux (CNB) a contesté la validité de ce marché devant le tribunal administratif de Poitiers, qui a annulé le contrat par un jugement du 4 juillet 2018. La cour administrative d'appel de Bordeaux a confirmé cette annulation le 9 juillet 2020. La société Espélia s'est alors pourvue en cassation devant le Conseil d'État.

Problème juridique posé

La question centrale qui se pose est celle de la recevabilité du recours introduit par le CNB contre ce marché public. Plus précisément, il s'agit de déterminer si le CNB, en tant que tiers au contrat, justifie d'un intérêt à agir suffisant pour contester la validité du marché.

Raisonnement du Conseil d'État

Le Conseil d'État rappelle tout d'abord les conditions de recevabilité du recours en contestation de validité du contrat ouvert aux tiers, telles que définies par la jurisprudence "Département de Tarn-et-Garonne" (CE, Ass., 4 avril 2014, n°358994). Selon cette jurisprudence, "tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat" (considérant 1).

Le Conseil d'État examine ensuite les dispositions légales relatives aux missions et prérogatives du CNB. Il cite notamment l'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 qui charge le CNB de "représenter la profession d'avocat notamment auprès des pouvoirs publics" et lui permet "d'exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession d'avocat" (considérant 3).

Appliquant ces principes au cas d'espèce, le Conseil d'État considère que "la seule attribution, par une collectivité territoriale, d'un marché à un opérateur économique déterminé ne saurait être regardée comme susceptible de léser de façon suffisamment directe et certaine les intérêts collectifs dont le Conseil national des barreaux a la charge" (considérant 4).

Le Conseil d'État précise que cette conclusion s'impose "alors même que le marché confie à cet opérateur une mission pouvant comporter la rédaction d'actes juridiques susceptibles d'entrer dans le champ des dispositions de l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971" (considérant 4). Cet article 54 encadre les conditions dans lesquelles des consultations juridiques ou la rédaction d'actes sous seing privé peuvent être réalisées à titre habituel et rémunéré.

En conséquence, le Conseil d'État juge que "le Conseil national des barreaux n'était pas recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du marché en litige" (considérant 5).

[...]

1. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours d'une demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution du contrat.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la communauté d'agglomération de La Rochelle (Charente-Maritime) a, par avis d'appel public à la concurrence du 4 mars 2015, lancé un marché à procédure adaptée intitulé " assistance à maîtrise d'ouvrage pour l'élaboration et la passation du marché de collecte des déchets ménagers ". Ce marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage, comprenant une tranche ferme et une tranche conditionnelle, a été attribué le 27 mai 2015 à la société Espélia, société d'expertise et de conseil pour la gestion des services publics. Le Conseil national des barreaux a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à l'annulation de ce marché. Par un jugement du 4 juillet 2018, le tribunal administratif de Poitiers a annulé ce marché. Par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Espélia contre ce jugement.

3. Aux termes de l'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : " Le Conseil national des barreaux, établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale, est chargé de représenter la profession d'avocat notamment auprès des pouvoirs publics. (...) Le conseil national peut, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession d'avocat ". Aux termes de l'article 54 de la même loi : " Nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui : / 1° S'il n'est titulaire d'une licence en droit ou s'il ne justifie, à défaut, d'une compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d'actes en matière juridique qu'il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 à 66. (...) ".

4. Un tiers à un contrat administratif n'est recevable à contester la validité d'un contrat, ainsi qu'il a été dit au point 1, que s'il est susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou par ses clauses. Si, en vertu des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1971, le Conseil national des barreaux a qualité pour agir en justice en vue notamment d'assurer le respect de l'obligation de recourir à un professionnel du droit, la seule attribution, par une collectivité territoriale, d'un marché à un opérateur économique déterminé ne saurait être regardée comme susceptible de léser de façon suffisamment directe et certaine les intérêts collectifs dont le Conseil national des barreaux a la charge, alors même que le marché confie à cet opérateur une mission pouvant comporter la rédaction d'actes juridiques susceptibles d'entrer dans le champ des dispositions de l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971.

5. Par suite, le Conseil national des barreaux n'était pas recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du marché en litige.

6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, la société Espélia est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. Ainsi qu'il découle de ce qui a été dit aux points 4 et 5, les conclusions du Conseil national des barreaux tendant à l'annulation du marché en litige n'étaient pas recevables. Par suite, la société Espélia est fondée à demander l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Poitiers, faisant droit aux conclusions du Conseil national des barreaux, a annulé le marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage conclu le 27 mai 2015 entre la communauté d'agglomération de la Rochelle et la société Espélia.

[...]

MAJ 15/08/21 - Source legifrance

Jurisprudence

CE, 3 juin 2020, n° 426932, Département de la Loire-Atlantique (Un tiers à un contrat administratif n'est recevable à contester la validité d'un contrat que s'il est susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou par ses clauses. Si, en vertu des dispositions de l'article 26 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture, les conseils régionaux de l'ordre des architectes ont qualité pour agir en justice en vue notamment d'assurer le respect de l'obligation de recourir à un architecte, la seule passation, par une collectivité territoriale, d'un marché public confiant à un opérateur économique déterminé une mission portant à la fois sur l'établissement d'études et l'exécution de travaux ne saurait être regardée comme susceptible de léser de façon suffisamment directe et certaine les intérêts collectifs dont ils ont la charge).

CE, 4 avril 2014, n° 358994, Département de Tarn-et-Garonne (Tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles). 

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