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CJCE, 25 juillet 2002, affaire C-50/00, Union de Pequenos Agricultores

CJCE, 25 juillet 2002, affaire C-50/00, Union de Pequenos Agricultores

 

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA DEUXIÈME CHAMBRE DE LA COUR

ARRÊT DE LA COUR

25 juillet 2002 (1)

Dans l'affaire C-50/00 P,

Union de Pequenos Agricultores, ayant son siège à Madrid (Espagne), représentée par Mes J. Ledesma Bartret et J. Jiménez Laiglesia y de Onate, Abogados, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

ayant pour objet un pourvoi formé contre l'ordonnance du Tribunal de première instance des Communautés européennes (troisième chambre) du 23 novembre 1999, Union de Pequenos Agricultores/Conseil (T-173/98, Rec. p. II-3357), et tendant à l'annulation de cette ordonnance,

les autres parties à la procédure étant:

Conseil de l'Union européenne, représenté par M. I. Díez Parra, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

soutenu par:

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Guerra Fernández et Mme M. Condou-Durande, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante au pourvoi

LA COUR,

composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président, M. P. Jann, Mmes F. Macken et N. Colneric, M. S. von Bahr, présidents de chambre, MM. C. Gulmann (rapporteur), D. A. O. Edward, A. La Pergola, J.-P. Puissochet, M. Wathelet, RSchintgen, V. Skouris et J. N. Cunha Rodrigues, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, chef de division,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 6 novembre 2001, au cours de laquelle Union de Pequenos Agricultores a été représentée par Me J. Jiménez Laiglesia y de Onate, le Conseil par M. I. Díez Parra et la Commission par M. J. Guerra Fernández et Mme M. Condou-Durande,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 21 mars 2002,

rend le présent

Arrêt

1.

Par requête déposée au greffe de la Cour le 16 février 2000, Union de Pequenos Agricultores a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'ordonnance du Tribunal de première instance du 23 novembre 1999, Union de Pequenos Agricultores/Conseil (T-173/98, Rec. p. II-3357, ci-après l'«ordonnance attaquée»), par laquelle celui-ci a rejeté son recours tendant à l'annulation partielle du règlement (CE) n° 1638/98 du Conseil, du 20 juillet 1998, modifiant le règlement n° 136/66/CEE portant établissement d'une organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses (JO L 210, p. 32, ci-après «le règlement attaqué»).

Le cadre juridique

2.

Le 22 septembre 1966, le Conseil a adopté le règlement n° 136/66/CEE, portant établissement d'une organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses (JO 1966, 172, p. 3025). Ce règlement a notamment mis en place une organisation commune des marchés de l'huile d'olive, articulée autour d'un système de prix garantis assortis d'aides à la production. Plusieurs modifications ont été apportées par la suite aux mécanismes instaurés par le règlement n° 136/66. L'organisation commune des marchés de l'huile d'olive ainsi modifiée prévoyait des régimes de prix d'intervention, d'aide à la production, d'aide à la consommation, de stockage ainsi que d'importations et d'exportations.

3.

Le 20 juillet 1998, le Conseil a adopté le règlement attaqué qui réforme, notamment, l'organisation commune des marchés de l'huile d'olive. À ce titre, le régime antérieur d'intervention a été aboli et remplacé par un régime d'aide aux contrats de stockage privé. L'aide à la consommation ainsi que l'aide spécifique aux petits producteurs ont été supprimées. Le mécanisme de stabilisation de l'aide à la production fondé sur une quantité maximale garantie pour toute la Communauté a été amendé par l'introduction d'une répartition de cette quantité maximale garantie entre les États membres producteurs sous la forme de quantités nationales garanties. Enfin, les oliveraies plantées après le 1er mai 1998 sont exclues, sauf exception, de tout régime d'aide futur.

La procédure devant le Tribunal et l'ordonnance attaquée

4.

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 octobre 1998, l'Union de Pequenos Agricultores, qui est une association professionnelle regroupant et assurant la défense des intérêts de petites entreprises agricoles espagnoles et qui dispose de la personnalité juridique en vertu du droit espagnol, a introduit, en vertu de l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 230, quatrième alinéa, CE), un recours tendant à l'annulation du règlement attaqué, à l'exception du régime des aides à l'olive de table.

5.

Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 23 décembre 1998, le Conseil a, en vertu de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, soulevé une exception d'irrecevabilité.

6.

Par l'ordonnance attaquée, le Tribunal a accueilli ladite exception d'irrecevabilité, en sorte qu'il a rejeté le recours comme manifestement irrecevable.

7.

Tout d'abord, après avoir rappelé, au point 34 de l'ordonnance attaquée, que, selon une jurisprudence constante, l'article 173, quatrième alinéa, du traité confère aux particuliers le droit d'attaquer toute décision qui, bien que prise sous l'apparence d'un règlement, les concerne directement et individuellement et que le critère de distinction entre le règlement et la décision doit être recherché dans la portée générale ou non de l'acte en question, le Tribunal a conclu, au point 44 de ladite ordonnance, que le règlement attaqué revêt, par sa nature et sa portée, un caractère normatif et ne constitue pas une décision au sens de l'article 189 du traité CE (devenu article 249 CE).

8.

Ensuite, après avoir rappelé, au point 45 de l'ordonnance attaquée, que, dans certaines circonstances, même un acte normatif s'appliquant à la généralité des opérateurs économiques intéressés peut concerner individuellement certains d'entre eux et que, partant, un acte communautaire peut revêtir à la fois un caractère normatif et, à l'égard de certains opérateurs économiques intéressés, un caractère décisionnel, le Tribunal a relevé:

- au point 46 de l'ordonnance attaquée, que, «[p]our ce faire, une personne physique ou morale doit cependant être en mesure de démontrer qu'elle est atteinte, par l'acte en cause, en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d'une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne [...]» et,

- au point 47 de la même ordonnance, que, en outre, la recevabilité des recours introduits par les associations peut, à cet égard, être admise, à tout le moins, dans les situations où une disposition légale reconnaît expressément aux associations professionnelles une série de facultés à caractère procédural, lorsque l'association représente les intérêts d'entreprises qui, quant à elles, seraient recevables à agir et lorsque l'association est individualisée en raison de l'incidence de l'acte contesté sur ses intérêts propres en tant qu'association notamment parce que sa position de négociatrice a été affectée par l'acte dont l'annulation est demandée.

9.

Or, en l'espèce, le Tribunal a conclu, au point 48 de l'ordonnance attaquée, que la requérante ne saurait se prévaloir d'aucune de ces trois situations pour justifier la recevabilité de son recours.

10.

À cet égard, le Tribunal a notamment relevé, au point 50 de l'ordonnance attaquée, que «la requérante n'a pas démontré que ses membres sont atteints par le règlement attaqué en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne. Il suffit, à cet égard, de rappeler que le fait que le règlement attaqué ait affecté, au moment de son adoption, les membres de la requérante agissant alors sur les marchés de l'huile d'olive, le cas échéant, en entraînant la cessation d'activité de quelques-uns d'entre eux, n'est pas de nature à les caractériser par rapport à tout autre opérateur communautaire, dès lors qu'ils se trouvent dans une situation objectivement déterminée, comparable à celle de tout autre opérateur qui pourrait à présent ou à l'avenir entrer sur ces marchés [...]. Le règlement attaqué ne concerne les membres de la requérante qu'en raison de leur qualité objective d'opérateur économique actif sur ces marchés, au même titre que tous les autres opérateurs actifs sur ceux-ci.»

11.

Le Tribunal a en outre relevé, aux points 53 à 55 de l'ordonnance attaquée, que la requérante ne saurait non plus arguer de ce que le règlement attaqué affecterait certains de ses intérêts spécifiques pour justifier la recevabilité de son recours et il a conclu, au point 58 de cette ordonnance, que la requérante ne se trouvait individualisée en vertu d'aucun des critères retenus par la jurisprudence en matière de recevabilité d'un recours en annulation introduit par une association.

12.

Enfin, le Tribunal a examiné le dernier argument que la requérante avait invoqué pour établir qu'elle était individuellement concernée par les dispositions du règlement attaqué, à savoir le risque de ne pas bénéficier d'une protection juridictionnelle effective. À cet égard il a jugé ce qui suit:

«61 En ce qui concerne l'argument tiré du défaut de protection juridictionnelle effective, il consiste à dénoncer l'absence de voies de recours internes permettant, le cas échéant, un contrôle de validité du règlement attaqué par la voie du renvoi préjudiciel fondé sur l'article 177 du traité [CE (devenu article 234 CE)].

62 À cet égard, il convient de souligner que le principe d'égalité de tous les justiciables quant aux conditions d'accès au juge communautaire par le biais du recours en annulation requiert que ces conditions ne soient pas fonction des circonstances propres au système juridictionnel de chaque État membre. À ce sujet, il y a d'ailleurs lieu de relever que, par application du principe de coopération loyale énoncé à l'article 5 du traité CE (devenu article 10 CE), les États membres sont tenus de contribuer au caractère complet du système de voies de recours et de procédures mis en place par le traité CE et destiné à confier au juge communautaire le contrôle de la légalité des actes des institutions communautaires (voir, à cet égard, arrêt [du 23 avril 1986,] Les Verts/Parlement, [294/83, Rec. p. 1339], point 23).

63 Ces éléments ne sauraient toutefois justifier que le Tribunal s'écarte du système des voies de recours instauré par l'article 173, quatrième alinéa, du traité, tel qu'il a été explicité par la jurisprudence, et dépasse les limites de sa compétence posées par cette disposition.

64 La requérante ne saurait non plus tirer aucun argument de la longueur éventuelle d'une procédure fondée sur l'article du traité. Cette circonstance ne saurait en effet justifier une modification du système des voies de recours et des procédures établi par les articles 173, 177 et 178 du traité CE (devenu article 235 CE) et destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité des actes des institutions. En aucun cas, un tel argument ne permet de déclarer recevable un recours en annulation formé par une personne physique ou morale qui ne satisfait pas aux conditions posées par l'article 173, quatrième alinéa, du traité (ordonnance de la Cour du 24 avril 1996, CNPAAP/Conseil, C-87/95 P, Rec. p. I-2003, point 38).»

13.

Au terme de ces considérations, le Tribunal a constaté, au point 65 de l'ordonnance attaquée, que la requérante ne pouvait être considérée comme individuellement concernée par le règlement attaqué et que, étant donné qu'elle ne satisfaisait pas à l'une des conditions de recevabilité posées par l'article 173, quatrième alinéa, du traité, il n'était pas nécessaire d'examiner la question de savoir si elle était directement concernée par ledit règlement.

Le pourvoi

14.

Par son pourvoi, la requérante demande à ce qu'il plaise à la Cour:

- annuler l'ordonnance attaquée;

- déclarer recevable son recours au fond et renvoyer l'affaire devant le Tribunal pour qu'il statue sur celui-ci.

15.

Le Conseil a conclu à ce qu'il plaise à la Cour:

- déclarer le pourvoi manifestement irrecevable ou, à titre subsidiaire, manifestement non fondé;

- condamner la requérante aux dépens.

16.

Par ordonnance du président de la Cour du 12 septembre 2000, la Commission a été admise à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

17.

À l'appui de son pourvoi, la requérante invoque quatre moyens.

18.

En premier lieu, elle soutient que le Tribunal a, au point 61 de l'ordonnance attaquée, interprété de manière erronée son argument tiré de l'absence d'une protection juridictionnelle effective en cas d'irrecevabilité du recours. En effet, elle n'aurait pas fondé cet argument sur la simple absence de voies de recours internes, mais sur le fait que la déclaration d'irrecevabilité ne respecterait pas en l'espèce la condition d'effectivité qui s'attache au droit fondamental dont elle se prévaut. En deuxième lieu, la requérante fait valoir que la motivation de l'ordonnance attaquée est insuffisante, car elle ne répond pas aux arguments de fait et de droit invoqués dans sa requête et dans ses observations sur l'exception d'irrecevabilité, mais se limite, au point 63 de la même ordonnance, à ne retenir que l'un d'eux, qu'elle reproduit au surplus de manière inexacte. En troisième lieu, la requérante prétend que le point 62 de ladite ordonnance est contradictoire. À cet égard, elle argue que, si le principe de coopération loyale requiert la création d'une voie de recours interne permettant, le cas échéant, un renvoi préjudiciel sur la question de la validité de l'acte communautaire, force est de constater que le respect du droit d'un particulier à une protection juridictionnelle effective est fonction des circonstances propres au système juridictionnel de chaque État membre. En quatrième lieu, la requérante fait valoir que, en n'examinant pas en l'espèce si le fait de déclarer le recours irrecevable n'aboutissait pas, compte tenu de tous les éléments de fait et de droit, à méconnaître le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, l'ordonnance attaquée a méconnu un droit fondamental qui fait partie intégrante de l'ordre juridique communautaire.

Sur la recevabilité du pourvoi

19.

Le Conseil, tout comme la Commission, excipe de l'irrecevabilité manifeste du pourvoi pour défaut d'intérêt à agir de la requérante. En effet, toute l'argumentation du Tribunal concernant la protection juridictionnelle effective constituerait un obiter dictum, puisque le véritable motif de l'irrecevabilité du recours tient, ainsi que l'indique le point 65 de l'ordonnance attaquée, au fait que la requérante ne satisfait pas à l'une des conditions de recevabilité prévues à l'article 173, quatrième alinéa, du traité. Même si le droit interne ne prévoit aucune possibilité de former un recours juridictionnel, le juge communautaire devrait donc continuer à appliquer ladite disposition du traité en vérifiant si les conditions de recevabilité qu'elle prévoit sont ou non remplies.

20.

Pour que son recours puisse être accueilli, la requérante aurait donc dû fonder son pourvoi sur une violation de l'article 173, quatrième alinéa, du traité par l'ordonnance attaquée et, plus particulièrement, sur la démonstration qu'elle était individuellement concernée par le règlement attaqué, et non pas sur un éventuel défaut de protection juridictionnelle effective, qui, en l'état actuel de la construction communautaire, ne saurait en aucun cas emporter la recevabilité dudit recours.

21.

À cet égard, il convient de rappeler que l'existence d'un intérêt à agir du requérant suppose que le pourvoi soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l'a intenté (arrêt du 13 juillet 2000, Parlement/Richard, C-174/99 P, Rec. p. I-6189, point 33).

22.

Or, l'ordonnance attaquée a rejeté comme irrecevable le recours de la requérante devant le Tribunal.

23.

Il apparaît donc que, si le pourvoi était accueilli, la requérante en tirerait un bénéfice certain puisque son recours pourrait être examiné au fond. La question de savoir si le prétendu droit à une protection juridictionnelle effective peut ou non, dans certaines circonstances, rendre recevable le recours en annulation d'un règlement intenté par une personne physique ou morale porte sur le fond du pourvoi et ne saurait, en tout état de cause, préjuger de l'existence d'un intérêt à agir de la requérante.

24.

Dans ces conditions, il y a lieu de déclarer le pourvoi recevable.

Sur le bien-fondé du pourvoi

Les arguments des parties

25.

Par ses quatre moyens, qu'il convient d'examiner ensemble, la requérante fait valoir en substance que le rejet de son recours comme irrecevable, en ce qu'il est fondé sur le raisonnement développé aux points 61 à 64 de l'ordonnance attaquée, viole son droit à une protection juridictionnelle effective pour la défense de ses propres intérêts ou de ceux de ses membres.

26.

Selon la requérante, les dispositions litigieuses du règlement attaqué, qui portent suppression du régime d'intervention, de l'aide à la consommation ainsi que de l'aide aux petits producteurs, n'appellent aucune réglementation nationale de mise en oeuvre et ne donnent pas lieu à des actes des autorités espagnoles. Par conséquent, la requérante n'aurait pas la possibilité, dans le système juridique espagnol, de demander l'annulation d'un acte national se rapportant auxdites dispositions, de sorte qu'un renvoi préjudiciel en appréciation de la validité de ces dernières serait exclu. En outre, la requérante ou ses membres ne pourraient même pas enfreindre de telles dispositions pour ensuite contester la validité de la sanction qui leur serait, le cas échéant, appliquée.

27.

En n'examinant pas si le fait de déclarer irrecevable le recours tendant à l'annulation partielle du règlement attaqué ne conduit pas, compte tenu des circonstances de l'espèce, à méconnaître le caractère effectif du droit à la protection juridictionnelle de la requérante, l'ordonnance attaquée aurait méconnu un droit fondamental qui fait partie intégrante de l'ordre juridique communautaire.

28.

La requérante soutient que le droit à une protection juridictionnelle effective implique l'examen spécifique des circonstances particulières de l'espèce. Il ne saurait être question d'effectivité réelle d'un droit sans que son caractère effectif soit examiné concrètement. En réalité, un tel examen impliquerait nécessairement que soit recherché s'il existe, dans le cas d'espèce, une autre voie de recours. À cet égard, la requérante se réfère aux points 32 et 33 de l'arrêt du 2 avril 1998, Greenpeace Council e.a./Commission (C-321/95 P, Rec. p. I-1651), qui, selon elle, confirme que, s'il n'existe pas une voie de recours national, il y a lieu d'admettre la recevabilité d'un recours en annulation introduit en vertu de l'article 173, quatrième alinéa, du traité.

29.

Le Conseil et la Commission font valoir en substance que le pourvoi est, en tout état de cause, manifestement non fondé puisque l'article 173, quatrième alinéa, du traité ne prévoit pas que l'impossibilité pour la requérante d'avoir accès à une voie de recours juridictionnel en droit national constitue un critère ou une circonstance susceptible de justifier la recevabilité d'un recours direct en annulation formé par une personne physique ou morale contre un acte communautaire de portée générale. Le seul critère pertinent serait que cette dernière soit directement et individuellement concernée par l'acte attaqué. Or, le pourvoi n'analyserait pas la question de savoir si la requérante est individuellement et directement concernée et évoquerait uniquement l'analyse que le Tribunal a consacrée aux arguments invoqués au sujet de la protection juridictionnelle effective.

30.

Le Conseil et la Commission rappellent en outre que le traité a prévu un système complet de voies de recours destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité ou de la validité des actes des institutions et, notamment, des actes de portée générale. Certes, selon la Commission, un État membre qui rendrait excessivement difficile, voire impossible, la présentation d'une question préjudicielle violerait le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective et manquerait ainsi à son devoir de coopération loyale tel que prévu à l'article 5 du traité. Cependant, même dans ce cas, il ne pourrait être mis fin à une telle infraction en forçant le sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, mais en engageant une procédure d'infraction contre l'État membre en question, conformément à l'article 226 CE.

31.

La Commission fait valoir, au surplus, qu'elle ne comprend pas comment la requérante peut affirmer que le droit espagnol n'offre aucune voie de recours juridictionnel contre le règlement attaqué. Elle rappelle que celui-ci est un acte obligatoire qui produit directement des droits et des obligations dans le chef des administrés, de sorte que toute violation de ses dispositions peut être invoquée devant les juridictions nationales. Or, en droit espagnol, comme sans doute dans d'autres ordres juridiques des États membres, l'administration serait tenue de prendre une décision sur les demandes formulées par les personnes concernées. Si, au-delà d'un certain délai, les autorités compétentes se sont abstenues de prendre position sur lesdites demandes, un tel silence équivaudrait à une réponse négative ou, au contraire, à une réponse positive dans certains cas, ce qui permettrait d'exercer un recours lorsque l'auteur de la demande en cause n'est pas satisfait de la réponse réservée à celle-ci. Une fois la voie juridictionnelle engagée, rien n'empêcherait ledit particulier d'invoquer toutes les règles du droit communautaire et de demander, le cas échéant, un renvoi préjudiciel portant sur l'interprétation ou la validité de l'acte contesté sur le fondement de l'article 234 CE.

Appréciation de la Cour

32.

À titre liminaire, il convient de relever que la requérante n'a pas contesté la constatation du Tribunal, au point 44 de l'ordonnance attaquée, selon laquelle le règlement attaqué revêt une portée générale. Elle n'a pas non plus contesté la constatation, au point 56 de ladite ordonnance, que les intérêts propres de la requérante n'étaient pas affectés par le règlement attaqué, ni celle, au point 50 de cette dernière, selon laquelle ses membres ne sont pas atteints par le règlement attaqué en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne.

33.

Dans ces conditions, il convient d'examiner si la requérante, en tant que représentante des intérêts de ses membres, peut néanmoins être recevable à introduire, dans le respect de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, un recours en annulation du règlement attaqué, au seul motif que le droit à une protection juridictionnelle effective l'exigerait, compte tenu de l'absence alléguée de toute voie de recours devant la juridiction nationale.

34.

Il y a lieu de rappeler que, selon l'article 173, deuxième et troisième alinéas, du traité, la Cour est compétente pour se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du traité ou de toute règle de droit relative à son application, ou détournement de pouvoir, formés par un État membre, le Conseil ou la Commission, ou encore, lorsqu'ils tendent à la sauvegarde de leurs prérogatives, par le Parlement européen, par la Cour des comptes et par la Banque centrale européenne. Aux termes du quatrième alinéa de ladite disposition, «[t]oute personne physique ou morale peut former, dans les mêmes conditions, un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement.»

35.

Ainsi, dans le cadre de l'article 173 du traité, un règlement, en tant qu'acte de portée générale, ne peut être attaqué par des sujets de droit autres que les institutions, la Banque centrale européenne et les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 6 mars 1979, Simmenthal/Commission, 92/78, Rec. p. 777, point 40).

36.

Cependant, un acte de portée générale tel qu'un règlement peut, dans certaines circonstances, concerner individuellement certaines personnes physiques ou morales, revêtant dès lors un caractère décisionnel à leur égard (voir, notamment, arrêts du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil, C-358/89, Rec. p. I-2501, point 13; du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil, C-309/89, Rec. p. I-1853, point 19, et du 31 mai 2001, Sadam Zuccherifici e.a./Conseil, C-41/99 P, Rec. p. I-4239, point 27). Tel est le cas si l'acte en cause atteint une personne physique ou morale en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d'une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait l'individualise d'une manière analogue à celle d'un destinataire (voir, notamment, arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223, et du 22 novembre 2001, Nederlandse Antillen/Conseil, C-452/98, Rec. p. I-8973, point 60).

37.

À défaut de remplir cette condition, aucune personne physique ou morale n'est, en tout état de cause, recevable à introduire un recours en annulation contre un règlement (voir, à cet égard, ordonnance CNPAAP/Conseil, précitée, point 38).

38.

Cependant, il convient de rappeler que la Communauté européenne est une communauté de droit dans laquelle ses institutions sont soumises au contrôle de la conformité de leurs actes avec le traité et les principes généraux du droit dont font partie les droits fondamentaux.

39.

Dès lors, les particuliers doivent pouvoir bénéficier d'une protection juridictionnelle effective des droits qu'ils tirent de l'ordre juridique communautaire, le droit à une telle protection faisant partie des principes généraux de droit qui découlent des traditions constitutionnelles communes aux États membres. Ce droit a également été consacré par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (voir, notamment, arrêts du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 18, et du 27 novembre 2001, Commission/Autriche, C-424/99, Rec. p. I-9285, point 45).

40.

Or, le traité, par ses articles 173 et 184 (devenu article 241 CE), d'une part, et par son article 177, d'autre part, a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à assurer le contrôle de la légalité des actes des institutions, en le confiant au juge communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, Rec. p. 1339, point 23). Dans ce système, des personnes physiques ou morales ne pouvant pas, en raison des conditions de recevabilité visées à l'article 173, quatrième alinéa, du traité, attaquer directement des actes communautaires de portée générale, ont la possibilité, selon les cas, de faire valoir l'invalidité de tels actes soit, de manière incidente en vertu de l'article 184 du traité, devant le juge communautaire, soit devant les juridictions nationales et d'amener celles-ci, qui ne sont pas compétentes pour constater elles-mêmes l'invalidité desdits actes (voir arrêt du 22 octobre 1987, 314/85, Foto-Frost, Rec. p. 4199, point 20), à interroger à cet égard la Cour par la voie de questions préjudicielles.

41.

Ainsi, il incombe aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures permettant d'assurer le respect du droit à une protection juridictionnelle effective.

42.

Dans ce cadre, conformément au principe de coopération loyale énoncé à l'article 5 du traité, les juridictions nationales sont tenues, dans toute la mesure du possible, d'interpréter et d'appliquer les règles internes de procédure gouvernant l'exercice des recours d'une manière qui permet aux personnes physiques et morales de contester en justice la légalité de toute décision ou de toute autre mesure nationale relative à l'application à leur égard d'un acte communautaire de portée générale, en excipant de l'invalidité de ce dernier.

43.

À cet égard, il y a lieu de constater, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général aux points 50 à 53 de ses conclusions, que n'est pas admissible une interprétation du régime des voies de recours telle que celle défendue par la requérante et selon laquelle un recours direct en annulation devant le juge communautaire serait ouvert dans la mesure où il pourrait être démontré, après un examen concret par ce dernier des règles procédurales nationales, que celles-ci n'autorisent pas le particulier à introduire un recours lui permettant de mettre en cause la validité de l'acte communautaire contesté. En effet, un tel régime exigerait dans chaque cas concret que le juge communautaire examine et interprète le droit procédural national, ce qui excéderait sa compétence dans le cadre du contrôle de la légalité des actes communautaires.

44.

Enfin, il convient d'ajouter que, selon le système de contrôle de la légalité mis en place par le traité, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre un règlement que si elle est concernée non seulement directement mais également individuellement. S'il est vrai que cette dernière condition doit être interprétée à la lumière du principe d'une protection juridictionnelle effective en tenant compte des diverses circonstances qui sont de nature à individualiser un requérant (voir, par exemple, arrêts du 2 février 1988, Van der Kooy/Commission, 67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219, point 14; Extramet Industrie/Conseil, précité, point 13, et Codorniu/Conseil, précité, point 19), une telle interprétation ne saurait aboutir à écarter la condition en cause, qui est expressément prévue par le traité, sans excéder les compétences attribuées par celui-ci aux juridictions communautaires.

45.

Si un système de contrôle de la légalité des actes communautaires de portée générale autre que celui mis en place par le traité originaire et jamais modifié dans ses principes est certes envisageable, il appartient, le cas échéant, aux États membres, conformément à l'article 48 UE, de réformer le système actuellement en vigueur.

46.

Compte tenu de ce qui précède, il convient de constater que le Tribunal n'a pas commis une erreur de droit en déclarant le recours introduit par la requérante irrecevable sans examiner si, en l'occurrence, il existait une voie de recours devant une juridiction nationale permettant l'examen de la validité du règlement attaqué.

47.

Dès lors, il y a lieu de rejeter le pourvoi.

Sur les dépens

48.

Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant conclu à la condamnation de la requérante et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

49.

Aux termes de l'article 69, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, également applicable à la procédure de pourvoi en vertu dudit article 118, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs propres dépens. Conformément à cette disposition, il y a lieu de décider que la Commission supporte ses propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

déclare et arrête:

1) Le pourvoi est rejeté.

2) Union de Pequenos Agricultores est condamnée aux dépens.

3) La Commission des Communautés européennes supporte ses propres dépens.

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 juillet 2002.


1: Langue de procédure: l'espagnol.

Source : http://curia.europa.eu/

Voir également

Conclusions de l'avocat général